République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 26 juin 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 10e session - 35e séance
PL 7825-A
Le président. Je mets aux voix l'entrée en matière sur ce projet de loi.
Mis aux voix, ce projet est adopté en premier débat.
Deuxième débat
Le président. Je vous suggère donc d'ouvrir le deuxième débat sur ce point. Madame la rapporteuse, avez-vous quelque chose à dire concernant ce projet de loi et notamment son contenu ? La lecture d'une lettre avait, je crois, été souhaitée. Il convient de la requérir formellement.
Mme Christine Sayegh (S), rapporteuse. Non, je n'ai rien à ajouter à ce stade. Je me suis déjà exprimée ce matin et je le ferai si le besoin se fait sentir.
M. Nicolas Brunschwig (L). Je crois que la Chambre genevoise immobilière a fait parvenir un courrier à la présidence du Grand Conseil et il serait utile de le lire devant l'ensemble des députés même si elle a été distribuée.
Le président. Je prie la secrétaire de bien vouloir donner lecture de cette lettre.
Lettre
M. Nicolas Brunschwig (L). Nous avons eu des débats relativement techniques et difficiles en commission fiscale sur ce sujet. La lecture de cette lettre vous aura montré la difficulté de la matière pour des non-spécialistes des sociétés immobilières d'une part, et des problèmes fiscaux qui peuvent se poser, d'autre part. Nous avons dû faire appel aux explications du département pour commencer à comprendre ce projet de loi.
Lorsque nous sommes arrivés au fondement même de ce projet de loi, une question essentielle s'est posée aux membres de la commission. Un créancier gagiste doit-il être privilégié sur la réalisation du gage comme c'est l'habitude courante en Suisse et dans tous les cantons, ou l'administration fiscale doit-elle être privilégiée par rapport au créancier gagiste ? La majorité de la commission a répondu à cette question difficile en choisissant, comme vous l'avez lu, la deuxième solution.
Nous estimons que la réponse peut être plus nuancée. C'est pourquoi nous allons vous proposer un amendement qui a été distribué et que vous avez tous sous les yeux. La nature de cet amendement serait de faire en sorte que cette règle soit applicable pour les nouvelles opérations, c'est-à-dire les nouveaux gages, dès l'entrée en vigueur de cette loi. Par contre, pour toutes les opérations antérieures, c'est-à-dire tous les gages accordés avant sa promulgation, nous en resterions aux lois en vigueur.
Pourquoi faisons-nous cette proposition ? Nous estimons anormal que des créanciers gagistes - des banques la plupart du temps, mais il peut s'agir d'autres types d'établissements, voire de personnes physiques - qui ont, en fonction de lois en vigueur, pris un risque et estimé qu'il y avait une certaine garantie avec une valeur économique, voient tout à coup les règles changer à leur détriment. Ces créanciers gagistes devront de ce fait assumer des pertes bien plus importantes que celles qu'ils doivent déjà assumer actuellement. Il nous semble que changer les règles du jeu en cours de route n'est pas normal et je dirais même pas correct vis-à-vis des acteurs économiques, en particulier des banques qui ont déjà assez lourdement payé par rapport aux baisses des prix immobiliers, même si c'est en partie leur responsabilité.
Cette disposition provisoire permettrait de garder le principe sur lequel nous n'avons pas d'objection fondamentale mais, par contre, d'exonérer de cette disposition tous ceux qui ont conclu des accords dans le passé avec des valeurs de gages représentées par des biens immobiliers en tant que tels. Il est effectivement difficile de faire des comparaisons intercantonales vu que les sociétés immobilières n'existent pas dans tous les cantons, la plupart se trouvant dans les cantons de Genève et de Vaud. Selon nos informations, nous serions le seul canton à adopter une disposition de ce style, qui nous semble anormale à l'égard de tous les créanciers gagistes qui ont pris des risques basés sur des valeurs immobilières. Or, par le biais du projet de loi proposé aujourd'hui et accepté par la majorité de la commission, ceci conduirait à une très importante décote de la valeur de réalisation du gage.
M. Christian Ferrazino (AdG). J'avais demandé la parole avant d'entendre M. Brunschwig mais je dirai en l'écoutant : comment diminuer les recettes de l'Etat ? Eh bien, en votant l'amendement de M. Brunschwig, parce que cela vide effectivement la loi de son contenu. C'est là une manière très élégante de dire : nous ne voulons pas de cette loi; nous ne la rejetons pas mais nous proposons un amendement qui revient absolument au même. J'ai pour ma part pris connaissance de l'excellent rapport de Mme Sayegh qui nous a permis de nous convaincre de la nécessité d'adopter ce projet de loi. Je dois dire que ce rapport nous permet heureusement d'en comprendre le contenu car, si vous regardez son intitulé, il est tout simplement incompréhensible pour le citoyen moyen. En effet, entre poursuite en réalisation de gage, défense de payer, séquestre, etc., personne ne s'y retrouve !
Je crois que le but de nos lois est d'être le plus clair possible. Par conséquent, soyons clairs et déjà dans l'intitulé. J'ai déposé un amendement concernant le titre de cette loi, que je vous soumets. Je propose de remplacer la parenthèse totalement incompréhensible que je viens de vous lire par la phrase suivante : «Récupération d'impôts impayés par les sociétés immobilières». Je vous remercie, Monsieur le président, de proposer au vote cet amendement portant sur le titre de la loi.
M. Pierre Froidevaux (R). Monsieur Ferrazino, nous ne sommes pas d'accord ! Mme Sayegh a fait, certes, un magnifique plaidoyer et nous a conduits d'une réalité universelle, la nôtre, à un monde artificiel, le vôtre. En page 6 de votre rapport, Madame, vous expliquez tout d'abord que le droit cantonal est soumis au droit supérieur; c'est une évidence incontestable. Puis, par la grâce de cette excellente avocate, cette vérité devient ensuite litote. Vous semez des exceptions afin d'arriver à vos fins. Je n'aurais pas la crédibilité nécessaire pour faire du droit à votre niveau. Permettez-moi cependant de douter très sérieusement de l'argument juridique qui suit, dans votre rapport, le rappel à la soumission au droit fédéral.
Vous écrivez : «L'existence du droit privé fédéral n'empêche cependant pas les cantons d'édicter des règles de droit public cantonal, conformément à l'art. 6 du Code civil, lequel dispose que les lois civiles de la Confédération laissent subsister les compétences des cantons en matière de droit public.» Laisser subsister veut dire laisser subsister mais pas édicter une nouvelle loi. En 1848, il existait des problèmes entre cantons, notamment à la sortie du «Sonderbund». Dans un but évident de consensus, la Constitution d'alors a voulu donner à chaque canton quelques caractéristiques notamment en matière de droit matrimonial, bien différent selon les cantons catholiques ou protestants. La problématique du projet de loi 7825 ne peut être prise en considération vis-à-vis de tels enjeux de société, tels que vécus par les auteurs de l'article 6 auquel vous voulez faire référence. Les sept autres arguments juridiques qui suivent sont plus proches de la recherche de la preuve de l'existence de Dieu que d'un système juridique consensuel. Le Tribunal fédéral tranchera sans aucun doute et en vous déjugeant.
Mesdames et Messieurs les députés, Mme le rapporteur vous dit : «Votez sans crainte, ce projet n'est pas bien méchant»; c'est faux ! La gauche persiste à croire qu'il faut continuer à démolir le patrimoine bâti. En économie, la valeur d'un bien est fonction de sa stabilité. La pierre a semblé longtemps inaltérable, eh bien non, la gauche genevoise contient des acides qui dissolvent même cette pierre-là ! Les capitaux se sont enfuis loin des velléités politiques en se précipitant sur des marchés internationaux. Pour obtenir des crédits, les actions sont maintenant un bien meilleur rapport bancaire que les valeurs du sol genevois. Persister à spolier notre patrimoine, favoriser la fuite des capitaux, tel est votre credo. Vous semblez tellement ne pas vouloir favoriser les places de travail en permettant leur financement que je dois maintenant croire qu'en fait vous n'aimez tout simplement pas le travail.
Nous voterons contre votre projet de loi car nous n'avons pas peur des efforts et sommes désespérément en faveur d'une politique du plein emploi.
M. Nicolas Brunschwig (L). Dans ma première intervention, j'ai voulu expliquer la nature même de l'amendement. Je m'attendais, bien évidemment, au type de réaction que j'ai rencontré de la part de M. Ferrazino. J'aimerais revenir sur des aspects plus économiques et non pas juridiques, car c'est en fait une décision de type économique qui doit guider nos choix en termes juridiques. La concrétisation ou les effets pratiques de cette loi seraient que les banques devraient abandonner une partie bien plus importante lorsqu'il y a des réalisations de gages. Ceci a été estimé à un montant de l'ordre de 60 millions par l'administration fiscale. Il est vrai que ces 60 millions vont tomber dans la caisse et procurer des recettes supplémentaires par rapport à la situation actuelle. Il faut cependant savoir qu'une partie de ces 60 millions, la Banque cantonale genevoise ne va pas les toucher car elle est très certainement la plus impliquée dans ce type d'opération. Quelques autres grandes banques commerciales sont aussi sans doute impliquées mais quand on connaît la part de marché que détient la BCG dans les opérations immobilières de notre canton, elle va certainement être très touchée. Par conséquent, 30 à 50% - je ne connais pas les chiffres et je fais des estimations - soit 20 à 30 millions échapperont à la BCG.
Vous dites et cela est légitime : je préfère avoir 30 millions dans les caisses de l'Etat plutôt que 30 millions de bénéfices pour la BCG. Je comprends tout à fait ce raisonnement. Où cela devient un peu plus compliqué, c'est que lors de notre dernière séance, il y a à peine un mois, vous avez demandé des augmentations de dividendes de la BCG et vous demandiez aussi une augmentation des crédits accordés par la BCG aux PME et aux différentes entreprises à Genève. Vous devenez alors totalement contradictoires parce qu'il est clair qu'en votant cette loi, vous aurez non pas des augmentations de dividendes mais des diminutions pendant les quatre, cinq, voire dix prochaines années sans doute.
Vous devez en être conscients et accepter cet état de fait. Il ne faudra pas non plus continuer de demander à la BCG de participer plus fortement et de manière plus significative au financement des PME en particulier. Vous savez d'ailleurs que la BCG est la banque qui soutient le plus les petites et moyennes entreprises, notamment industrielles, dans notre canton. Evidemment, vous êtes là aussi contradictoire.
Enfin, il existe des tas de sociétés immobilières qui ne sont pas directement touchées par cette disposition en raison de leur état financier et économique satisfaisant et qui envisagent de faire des rénovations et des travaux : vous pouvez être sûrs que les banques ne financeront plus ce type d'opérations après la disposition que l'on adopterait dans ce parlement. Car, bien évidemment, la valeur de gage représentée par le bien immobilier que nous connaissons va diminuer, puisqu'une partie serait prise par le fisc en cas de réalisation forcée, et les banques vont donc réestimer l'appréciation qu'elles pourront donner et le financement de ce type d'opérations va être beaucoup plus difficile. Par le biais de ce projet de loi, vous portez donc aussi un coup très dur au secteur du bâtiment et de la construction, qui n'en a pas besoin.
Ainsi, en vue de profits à court terme, vous introduisez des éléments à moyen et long terme totalement insatisfaisants pour l'économie en général, les entreprises et l'emploi en particulier. Vous choisissez, une fois de plus, des recettes fiscales à court terme au détriment du développement économique harmonieux de notre canton et c'est bien évidemment ce type de dispositions qui nous ont conduits à la situation que nous connaissons aujourd'hui.
Mme Marianne Grobet-Wellner (S). Je rappelle tout d'abord qu'il s'agit de corriger un système fiscal qui permet actuellement d'échapper à l'impôt lorsque la vente de l'immeuble intervient dans le cadre d'une poursuite en réalisation de gage. Le créancier gagiste peut parfaitement bien connaître et, en tout cas, estimer l'importance de la créance de l'Etat à l'égard de l'impôt dû sur l'augmentation de la valeur d'un bien immobilier, c'est-à-dire entre le montant du gage qu'il demande, le prêt et le montant au bilan de l'immeuble en question. Rien ne justifie que la collectivité continue à renoncer aux impôts dus dans le seul but de voler au secours d'un créancier gagiste imprudent.
Quant au changement des règles du jeu qui préoccupe M. Brunschwig, je lui fais remarquer que la possibilité de les changer fait partie intégrante de ces règles, et en particulier lorsqu'il s'agit de corriger des anomalies injustifiables et choquantes. Je pose la question de savoir s'il y a, oui ou non, changement des règles du jeu. Je vous demande en conséquence de voter cette loi telle qu'elle vous est proposée dans le rapport de majorité.
Mme Christine Sayegh (S), rapporteuse. Je commencerai par abonder dans le sens de l'amendement du titre de cette loi qui reflétera effectivement mieux son contenu. J'aurais personnellement ajouté après «Récupération d'impôts impayés par les sociétés immobilières» la mention : «- poursuite en réalisation de gage», parce que c'est bien dans les cas de poursuite en réalisation de gage que l'administration fiscale ne peut pas percevoir l'impôt sur le bénéfice.
Concernant la lettre de la Chambre genevoise immobilière, il est d'abord intéressant de remarquer que le juriste s'est peut-être un peu laissé guider par les enjeux de l'association des propriétaires, parce que l'impôt d'une personne morale est un impôt de garantie. L'impôt n'est définitif qu'en ce qui concerne les personnes physiques et les membres de la Chambre le savent puisque l'alinéa 2 parle de «la création d'un impôt quasiment définitif»; ils savent donc parfaitement qu'il s'agit d'un impôt de garantie.
Par ailleurs, que l'on fasse un régime transitoire ou que l'on vote l'amendement de M. Brunschwig revient exactement au même, à savoir donner du temps aux banques, ou aux établissements financiers en général, pour trouver d'autres moyens d'économiser des impôts et changer leurs méthodes. Enfin, au sujet de l'atteinte aux droits des créanciers gagistes poursuivants, j'aimerais rappeler qu'il existe une inégalité extraordinaire puisqu'on est en train de gager un bien qui n'appartient pas à celui à qui on a prêté de l'argent. C'est tout de même choquant et le Tribunal fédéral l'a dit en se référant à un professeur, le professeur Thomas Koller en l'occurrence. A ce titre, vous pouvez lire en page 8, au deuxième alinéa du résumé : «Il arrive qu'un immeuble soit fortement grevé en pareil cas, les gagistes dont les droits seraient touchés par la distribution au fisc sont responsables d'avoir permis au débiteur de retarder la vente de l'immeuble et de bénéficier de sa plus-value.» Il ne s'agit donc pas d'une atteinte aux droits des créanciers gagistes mais d'une inégalité de traitement entre le fisc, les personnes qui évaluent correctement la valeur comptable de leurs immeubles et les créanciers gagistes qui, surgagent des biens évalués très inférieurement .
Ensuite, Monsieur Froidevaux, c'est formidable, vous parlez de mon projet de loi. Je dois donc l'avoir bien défendu car je me permets de vous rappeler qu'il s'agit du projet de loi du Conseil d'Etat !
Vous me citez; or, nous sommes en fait deux juristes à nous être penchées sur ce projet de loi en commission, à savoir Mme Arlette Stieger dont j'ai effectivement résumé l'avis de droit et il me semble l'avoir résumé fidèlement.
Vous savez bien qu'en matière de droit fiscal, le canton est souverain. Après analyse, à la fin des travaux de la commission, on savait très bien que ce projet de loi était conforme au droit supérieur. D'ailleurs, la Chambre genevoise immobilière l'aurait relevé si elle n'en avait pas été convaincue d'entrée de jeu.
Enfin, je pense qu'un immeuble restauré prend de la plus-value et que celle-ci ne doit pas constituer une réserve latente mais doit figurer au bilan. L'argument n'est donc pas très pertinent. J'espère que mes arguments vous auront convaincus et que vous voterez ce projet de loi.
M. Christian Grobet (AdG). J'ai commencé ma vie professionnelle en 1965 et je dois dire que, pendant vingt ans, je n'ai quasiment jamais vu de faillite de sociétés immobilières ou de biens immobiliers qui étaient acquis en poursuite de réalisation de gage par le créancier gagiste. Or, effectivement, depuis cinq ou six ans, il y a un nombre incroyable d'opérations de ce type, ce qui paraissait inconcevable dix ans en arrière.
Que s'est-il passé ? (Remarque.) Ce n'est pas du tout l'économie, Monsieur Vaucher. C'est que, par le passé, les banques avaient des règles qu'elles appliquent de nouveau aujourd'hui concernant l'importance des prêts consentis. S'il y a aujourd'hui autant de faillites de sociétés immobilières et de poursuites en réalisation de gages, c'est tout simplement parce que ces opérations étaient souvent des opérations hautement spéculatives et que les banques - et je crois que tous les milieux économiques sérieux ont été les premiers à le déclarer - ont hélas joué un rôle extrêmement néfaste en prêtant de l'argent beaucoup trop facilement. J'ai vu des cas où une grande banque de la place, dont le nom a été cité tout à l'heure, a prêté de l'argent pour une opération immobilière où l'autorisation de construire avait été refusée. On sait que dans l'affaire de Sécheron, cinq grandes banques ont prêté 170 millions et ont spéculé sur le déclassement de ces terrains qui n'a jamais eu lieu. Bref, on peut citer une longue liste d'opérations où, comme vous l'avez fort bien dit, Monsieur Brunschwig, les banques ont pris des risques. Je dirais qu'elles ont joué au jeu du monopoly et qu'elles ont pris, vous le savez, plus que des risques.
Quand je siégeais au Conseil d'Etat, il y avait, en la personne de M. Jaques Vernet, un éminent libéral qui ne défendait pas le libéralisme pur et dur qui prévaut aujourd'hui chez certains. Il avait la cohérence de dire : en tant que libéral, j'estime que celui qui prend des risques doit les assumer et l'Etat n'a pas à faire l'ambulance et venir secourir celui qui a pris des risques ! Or, en fait, avec votre amendement, vous savez que vous allez vider cette loi de toute substance, parce que la plupart des banques sont bien sûr revenues aux règles qu'elles auraient dû respecter dans les années 80 et vous savez comme moi qu'à l'avenir, à moins de s'engager dans de nouveaux dérapages, il y aura très peu de cas où cette loi pourra s'appliquer.
En l'état, c'est vrai qu'elle s'appliquera aux nombreux cas où l'Etat est spolié par les spéculateurs... (Remarque.) Tout de même, Monsieur Béné, vous n'allez pas me faire croire, vous, comme représentant des milieux immobiliers...
Le président. Vous vous adressez à l'assemblée, Monsieur le député !
M. Christian Grobet. Monsieur le président, est-il normal que des biens immobiliers tombent en faillite ? Cela paraît vraiment incroyable, après tout ce qu'on entend sur la solidité de la pierre en matière d'investissements et j'ai peine à croire que des représentants des milieux immobiliers puissent considérer comme une situation normale le fait qu'un propriétaire ne soit pas en mesure de payer les intérêts sur les hypothèques gageant son immeuble. Il s'agit donc bien d'opérations spéculatives et, en fait, le système actuel fait que des pertes d'impôts sont assumées par l'Etat et que le propriétaire ne les paye pas. Cette situation est totalement anormale et il est clair que ceux qui doivent passer la caisse, ce sont ceux qui ont prêté de l'argent de manière inconsidérée et qui ont provoqué une situation où finalement, le bien immobilier doit être mis en vente. Cette situation est parfaitement logique et nous estimons par conséquent que l'Etat n'a pas à être spolié par un système fiscal qui n'était peut-être pas mal conçu, mais conçu à une époque où ce type de situation ne s'imaginait même pas ou était tout à fait exceptionnelle.
Or, effectivement quand quelque chose d'exceptionnel devient très fréquent, on a le droit de modifier la loi. Monsieur Froidevaux, vous avez d'excellentes qualités de médecin mais, de grâce, n'essayez pas d'interpréter certains termes juridiques parce que je vous dirai gentiment que lorsqu'on dit qu'il y a des compétences qui subsistent, cela ne veut pas dire des lois, mais bien entendu des compétences pour légiférer. Je pense que cette loi est parfaitement valable sur le plan constitutionnel. Vous avez le droit, Monsieur, de penser le contraire et il y a des possibilités de recours au Tribunal fédéral pour faire trancher si oui ou non cette loi serait inconstitutionnelle.
Nous pensons qu'elle entre dans le cadre des droits constitutionnels qui sont accordés aux cantons et c'est pourquoi nous la voterons telle quelle et sans l'amendement de M. Brunschwig.
M. Jacques Béné (L). Monsieur Grobet, vous êtes d'un autre âge! Vous avez mis sur off il y a quelques années et vous venez de remettre sur on et vous vous retrouvez dans la même période où il y avait encore des spéculateurs. Je me permets de vous dire que vous vous trompez de cible. Le total des impôts des sociétés immobilières - j'ai d'ailleurs un tableau sous les yeux - a malgré tout rapporté 76 millions en 1995 et 96 millions en 1996, soit 20 millions de plus. Alors, excusez-moi, quand vous dites qu'il faut taxer où il faut taxer...
Le président. Adressez-vous à l'assemblée, Monsieur !
M. Jacques Béné. Oui, Monsieur le président, je m'adresse à l'assemblée. Ces sociétés immobilières ont payé ce qu'elles avaient à payer et aujourd'hui nous voulons faire payer les banques. Je veux bien, il faut prendre l'argent où il se trouve. La table ronde nous montrera qu'il est effectivement difficile d'augmenter les recettes. Je suis même d'accord qu'il y avait effectivement un vide juridique. Je ne suis pas fiscaliste et je ne me rends pas compte de la manière dont les lois ont été appliquées ou auraient pu l'être dans le cas de ces sociétés immobilières afin d'éviter la situation dans laquelle on se trouve aujourd'hui.
Je constate néanmoins que nous n'allons pas taxer la bonne cible puisque les propriétaires spéculateurs, comme M. Grobet se plaît à les nommer, ont revendu leurs biens immobiliers par l'intermédiaire de ces SI sans avoir été taxés. Or, aujourd'hui, ce que nous voulons faire c'est comme si on disait : effectivement, vous avez acheté une villa il y a trente ans, malheureusement le propriétaire de l'époque n'aurait pas dû la vendre à ce prix-là mais plus ou moins cher et la différence revient à l'Etat, donc vous la payez maintenant. Nous ne pouvons accepter ce principe.
M. Ferrazino a voulu modifier le titre de la loi en parlant d'impôts impayés. Or, pour qu'ils soient impayés, il faut qu'ils aient été réclamés. En effet, si on ne les réclame pas, si on ne taxe pas, il ne s'agit pas d'impôts impayés. Je rappellerai malgré tout que les sociétés immobilières payent des impôts et les actionnaires en payent également sur leurs revenus. Il y a même une double imposition dans le cas des sociétés immobilières. Aussi, ne venez pas dire qu'il s'agit d'impôts impayés. Sur le fond, cela peut poser un problème car nous sommes dans une situation délicate, je le reconnais et, comme je l'ai déjà dit, on se trompe de cible, pour la simple et bonne raison que les acquéreurs de ces sociétés immobilières l'ont fait en toute bonne foi sans intégrer dans leurs réflexions ces données fiscales puisqu'elles étaient inexistantes jusqu'à ce jour.
Si le créancier gagiste a lui aussi prêté de l'argent en n'intégrant pas non plus ces données fiscales, je ne vois pas pourquoi aujourd'hui on devrait les lui réclamer alors qu'il a été de bonne foi quand il l'a fait.
Cela dit, et je m'adresse toujours à l'assemblée, puisque M. Ferrazino n'a pas l'air intéressé par mes propos...
M. Pierre Meyll. Il faut s'adresser à l'assemblée !
M. Jacques Béné. A mon avis, le vrai problème est ailleurs et a été mentionné par M. Brunschwig. Une nouvelle modification de la LDTR, actuellement discutée à la commission du logement, va très certainement diminuer les travaux de rénovation de bâtiments. Or, ce nouvel impôt va également conduire à une diminution des rénovations dans les immeubles appartenant aux sociétés immobilières. Le rapport indique qu'il risque d'y avoir encore environ deux mille sociétés immobilières à la fin de 1999. Ces deux mille SI, même en considérant qu'il n'y a que quinze appartements par société, représentent tout de même quelque trente mille logements qui vont, entre guillemets, être «taxés». Je dis entre guillemets parce que le jour où les propriétaires vont vouloir un crédit pour les rénover, le créancier gagiste, lui, va effectivement intégrer dans son calcul la nouvelle donnée fiscale que vous allez introduire si vous votez ce projet de loi ce soir. Et malheureusement, même si l'immeuble n'est pas surendetté, il arrive fréquemment qu'il y ait un taux d'endettement de 80 voire 90%; les SI se retrouvent facilement avec des immeubles qui figurent à leur bilan pour 1 million et dont la valeur marchande est de 10 millions. Ces créanciers-là vont devoir intégrer un coût très important si, par malheur, la situation financière de la SI ne permettait plus d'honorer les intérêts hypothécaires tant sur le crédit qui a déjà été octroyé que sur le nouveau crédit pour la rénovation en question.
Malheureusement, Monsieur Ferrazino, Monsieur Grobet et vous tous de la nouvelle majorité de gauche qui voulez préserver l'habitat, je peux vous dire que ce n'est pas de cette manière que vous y parviendrez. Nous allons effectivement nous retrouver une fois de plus avec une diminution du nombre de rénovations dans le canton.
Je suis convaincu qu'il y a une solution à trouver et je vous propose formellement de renvoyer ce projet de loi en commission pour étudier comment éviter cet effet pervers sur les rénovations, qui va non seulement amputer notre patrimoine, mais aussi les finances de l'Etat puisque c'est, encore une fois, le domaine de la construction qui est touché.
Monsieur le président, je vous demande formellement de faire voter ce renvoi. Je répète que je ne suis pas opposé à une taxation. Elle doit cependant être réfléchie pour éviter d'autres problèmes, mais je sais bien que les mécanismes économiques ne sont pas votre tasse de thé!
Le président. Le renvoi en commission de ce projet de loi étant formellement demandé, je le mets aux voix.
Mise aux voix, la proposition de renvoyer ce projet en commission est rejetée.
Le président. Nous poursuivons notre deuxième débat.
Mme Micheline Calmy-Rey, conseillère d'Etat. Monsieur Béné, ce projet de loi n'a pas l'ambition d'instaurer un nouvel impôt. Il a simplement pour objectif de permettre au fisc de récupérer son dû. Je me permets de résumer à nouveau la problématique : les sociétés anonymes propriétaires d'un immeuble ont constitué des réserves latentes sur ce type d'actif immobilier et ces réserves ne sont imposées qu'à l'occasion de la vente en toute fin d'exploitation lors de la liquidation de la société.
Dans ce contexte, la liquidation forcée des SI pose problème sur le plan fiscal. Les offices de poursuite et faillite traitaient cette créance d'impôt comme une dette du failli et les autorités fiscales soutenaient l'opinion selon laquelle cette dette d'impôt résultant du bénéfice de la liquidation imposable représentait une dette de la masse en faillite.
Au-delà de son aspect intellectuel, cette divergence d'interprétation a des effets économiques importants car, si les dettes de la masse sont couvertes en premier lieu avant toute répartition aux créanciers, les dettes fiscales de la société faillie représentent des dettes ordinaires qui sont classées en dernier rang et ne sont payées que lorsque tous les autres créanciers ont été désintéressés.
Autrement dit, dans un cas typique où un établissement de crédit a accordé à la société un prêt d'un montant égal ou supérieur à la valeur estimée de l'immeuble, si la créance fiscale est admise en dette de masse, l'administration fiscale récupère son dû. Par contre, si l'on adhère à l'autre conception, le fisc ne touche plus rien.
Dans un arrêt d'octobre 1994, le Tribunal fédéral a entériné l'opinion selon laquelle l'impôt sur les gains immobiliers ou sur le bénéfice en capital est lié à la réalisation d'une plus-value lors de la vente aux enchères d'un immeuble et est, par conséquent, payable intégralement avant toute distribution aux créanciers. Depuis, avec cette interprétation de la notion de dette de masse, l'administration fiscale peut encaisser d'importants montants d'impôts dans le cas d'une situation de faillite. C'est alors que les créanciers gagistes ont élaboré une nouvelle stratégie qui leur permet d'éviter de supporter le paiement des impôts de liquidation et cette stratégie est la procédure de poursuite en réalisation de gage. C'est la raison pour laquelle, avec ce projet de loi, une démarche est entreprise pour permettre encore une fois au fisc de récupérer l'impôt qui lui est dû.
Je vous demande de bien vouloir accepter ce projet de loi et de refuser l'amendement proposé par M. Brunschwig, qui vide évidemment de son contenu la loi que nous vous proposons.
Le président. Nous procédons au vote de l'amendement portant sur le titre, proposé par M. Ferrazino et corrigé par Mme la rapporteuse. M. Ferrazino hoche de la tête dans le sens affirmatif. Je considère donc que je dois mettre aux voix l'amendement corrigé :
«Projet de loi modifiant la loi générale sur les contributions publiques (récupération d'impôts impayés par les sociétés immobilières - poursuite en réalisation de gage) (D 3 05).»
Mis aux voix, cet amendement est adopté.
Mis aux voix, le titre ainsi amendé et le préambule sont adoptés.
Mis aux voix, l'article unique (souligné) est adopté.
Art. 2, nouveau (souligné)
Le président. Nous sommes en présence d'un deuxième amendement, celui de M. Brunschwig, qui consiste à ajouter un article 2 souligné (Disposition transitoire). En voici la teneur :
«Lors d'aliénations d'immeubles intervenant dans le cadre d'une poursuite en réalisation de gage, les dispositions de la présente loi ne s'appliquent que si le gage a été constitué après l'entrée en vigueur de la loi.»
En cas d'acceptation, l'article unique souligné deviendrait l'article 1 souligné.
Mis aux voix, cet amendement est rejeté.
Troisième débat
Ce projet est adopté en troisième débat, par article et dans son ensemble.
La loi est ainsi conçue :
Loi(7825)
modifiant la loi générale sur les contributions publiques (Récupération d'impôts impayés par les sociétés immobilières - poursuite en réalisation de gage) (D 3 05)
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :
Article unique
La loi générale sur les contributions publiques, du 9 novembre 1887, est modifiée comme suit :
Art. 81, al. 4 (nouveau)
4 L'alinéa 3, lettre a de la présente disposition ne s'applique pas lors de l'aliénation d'un immeuble intervenant dans le cadre d'une poursuite en réalisation de gage intentée contre une personne morale.
Art. 82, al. 9 (nouveau) Immeuble figurant dans les comptes
9 Lorsque l'immeuble appartient à une personne morale ou à une personne physique astreinte à tenir des livres dans les comptes de laquelle il figure, le bénéfice ou gain imposable correspond à la différence entre la valeur d'aliénation et le montant pour lequel l'immeuble figure dans les comptes. Les alinéas 2 à 5 et 8 de la présente disposition ne s'appliquent pas.
Art. 86 A, al. 5 (nouveau)
5 Lorsque l'aliénation de l'immeuble intervient dans le cadre de la poursuite en réalisation de gage intentée contre une personne morale, la somme à consigner correspond à la partie du bénéfice résultant de l'opération multipliée par le taux maximum de l'impôt sur le bénéfice de la personne morale, compte tenu des centimes additionnels cantonaux et communaux.
Art. 371, al. 2 (nouveau)
Art. 371 A, al. 1, lettre b (nouvelle teneur)
al. 2 (nouvelle teneur)
b) exiger des sûretés en tout temps et même avant que le montant de l'impôt ne soit fixé par une décision entrée en force. La demande de sûreté indique le montant à garantir; elle est immédiatement exécutoire. Dans la procédure de poursuite, elle produit les mêmes effets qu'un jugement exécutoire. La demande de sûretés est assimilée à l'ordonnance de séquestre, au sens de l'article 274 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite. Le séquestre est opéré par l'office des poursuites compétent.
2 L'opposition à l'ordonnance de séquestre, prévue à l'article 278 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et faillite est irrecevable.