République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 25 juin 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 10e session - 29e séance
GR 209-1
M. P. S. , 1972, Yougoslavie, employé de restaurant, recourt contre la peine d'expulsion judiciaire.
M. Rémy Pagani (AdG), rapporteur. M. P. S. ressortissant yougoslave, originaire du Kosovo, a aujourd'hui 26 ans.
En 1990, il franchit clandestinement la frontière et tente de survivre en Suisse; il a alors 19 ans.
Il trouve un travail au noir dans le restaurant «Conca d'Oro», où il exerce, illégalement, une fonction d'employé de restaurant pendant plus de deux années. Suite à un contrôle de police, l'employeur de ce dernier sera amendé et sommé de ne plus offrir d'emplois à des clandestins. Ainsi, M. P. S. se retrouve à la rue pendant la période de Noël 1995. En effet, il ne peut être hébergé par sa soeur qui réside légalement en Suisse, car le contrôle de l'habitant aurait menacé celle-ci d'une amende élevée si elle l'hébergeait.
Avec un compatriote, M. P. S. commet alors un cambriolage dans un magasin de tabac. La police alertée les surprend en flagrant délit, et M. P. S. est condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis, déduction de cinq jours fermes, et à une expulsion de cinq ans. Il n'est pas connu des services de police.
A sa sortie de prison, l'autorité serbe lui ayant séquestré son passeport, il est impossible aux autorités d'exiger le départ de M. P. S.. Ce dernier dépose alors une demande d'asile et obtient de ce fait un permis "F" qui lui permet de travailler durant encore deux ans au café «L'International». Ainsi, jusqu'à la fermeture de cet établissement, il y a un an, M. P. S. subvient totalement à ses besoins. Plus tard, sa demande d'asile lui est refusée.
Le 4 mars 1997, M. P. S. se marie avec une ressortissante yougoslave qui bénéficie d'un permis "C". Tous deux vivent depuis sur le seul salaire de madame qui est coiffeuse. M. P. S. demande la grâce de la mesure de cinq années d'expulsion en se fondant sur le fait qu'il s'est marié et qu'il peut, si le Grand Conseil lui accorde cette grâce et dans le cadre du regroupement familial, trouver un travail immédiatement chez son ancien employeur.
La commission de grâce a refusé la grâce de cette mesure d'expulsion sur la base des éléments du dossier, suivant ainsi le préavis négatif du procureur général.
M. Pierre Vanek (AdG). Je ne fais pas partie de la commission de grâce, et je n'ai donc pas étudié ce cas en profondeur.
Néanmoins, j'ai de la peine à suivre les conclusions de la majorité de la commission, et je voterai la grâce de la peine d'expulsion.
En effet, dans un tel cas, nous devons tenir compte des éléments nouveaux et il y en a quelques-uns, dont l'un est particulièrement brûlant - nous en parlerons tout à l'heure, je veux parler de la situation en Kosove. Il me semble qu'il faut faire une différence entre prononcer une condamnation à une peine d'expulsion du territoire suisse en direction de la France, de l'Allemagne, de l'Espagne, de l'Italie, et la prononcer quand on sait que la destination est un pays dans lequel la situation pose les problèmes que l'on connaît - je ne m'étendrai pas sur celle-ci. Cet élément devrait nous faire réfléchir sérieusement avant de voter une décision qui entraînerait l'expulsion de cette personne.
Si j'ai bien écouté le rapporteur, ce monsieur est ici depuis sept ou huit ans; il a travaillé ici, même si c'est illégalement; sa soeur est établie ici avec un permis; son épouse est également établie ici avec un permis "C", sauf erreur de ma part. Le sanctionner pour cette unique infraction me paraît un peu injuste. En effet, ce cambriolage a été commis pendant une période de Noël où il était à la rue, car l'Office cantonal de la population avait interdit à sa soeur, sous peine d'amende importante, d'héberger son frère, ce qui était le minimum qu'elle pouvait faire. Pour ma part, si j'avais un frère dans cette situation - et j'ai moi-même des frères qui sont étrangers - je l'accueillerais.
A mon avis l'Etat a commis là une erreur qui a pu pousser cet homme à faire une faute. Il est peut-être normal de le sanctionner par une peine de prison - qu'il a d'ailleurs subie - mais, en conscience, je ne peux pas voter la décision de la commission qui va entraîner l'expulsion de cette personne, et je vous invite à faire de même, soit à rejeter le préavis de la commission.
Le président. Je mets aux voix les conclusions de la commission de grâce, à savoir le rejet de recours. Celles et ceux qui les approuvent sont priés de le faire en levant la main.
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
L'adjoint du sautier compte les suffrages.
Le président. Il y a égalité des voix : 31 oui et 31 non. Il m'échoit de trancher, je crois...
M. Rémy Pagani (AdG), rapporteur. J'ai bien lu le règlement, mais, comme je suis nouveau, c'est relatif. C'est la solution la plus favorable à la personne qui demande la grâce qui doit être appliquée. (Commentaires.)
Le président. Bien, Mesdames et Messieurs les députés, qu'il s'agisse de cette solution ou... Monsieur le directeur-adjoint ?
(L'adjoint du sautier, debout, face au président, lit l'alinéa 6 de l'article 205 de la loi portant règlement du Grand Conseil : «En cas d'égalité de voix, la proposition soumise au vote est adoptée.»)
Le président. La proposition soumise au vote est le rejet du recours. Le recours est donc rejeté. (Voir décision définitive à la séance suivante.)