République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 12 juin 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 9e session - 28e séance
P 1177-A et objet(s) lié(s)
RAPPORT DE LA COMMISSION DES PETITIONS
Le 21 novembre 1997 était déposée auprès des autorités cantonales une pétition qui demandait au Grand Conseil de la République et canton de Genève d'intervenir et/ou de légiférer en vue de l'adoption d'une LOI DE PROTECTION DE L'INDIVIDU.
Sous la présidence de Mme Mireille Gossauer-Zurcher, cette pétition a été traitée les 12 janvier et 2 février 1998. La teneur en est la suivante :
PÉTITION(1177)
contre la non-indemnisation d'une victime d'agression
Les soussignés se réfèrent au cas dramatique de Mme Parvine Teymouri, citoyenne genevoise, non indemnisée après avoir été la victime d'une sauvage agression.
Ils rappellent que son agresseur - déjà récidiviste au moment des faits - a été remis en liberté par la justice genevoise après avoir proféré de nouvelles menaces à l'encontre de sa victime.
La "; Tribune de Genève ", dans son édition du 19 avril 1997, a relaté le drame vécu par Mme Teymouri, sa longue convalescence suite aux graves blessures subies, son exclusion du poste d'infirmière par l'Hôpital cantonal, consécutive à son état dépressif prolongé, la crainte permanente d'une nouvelle agression, dans laquelle elle vit.
L'Association du centre genevois de consultation pour victimes d'infractions aide soutien et information (LAVI), créée en 1994, se déclare non compétente dans le présent cas, s'agissant d'un événement antérieur à cette date.
Pour cette raison, les soussignés demandent au Grand Conseil de la République et canton de Genève d'intervenir et/ou de légiférer en vue de l'adoption d'une loi de protection de l'individu ayant pour but :
1. d'élargir le pouvoir d'intervention de LAVI, afin qu'elle puisse apporter tout le soutien, les soins, l'aide économique et sociale et l'accom-pagnement aux personnes souffrant des séquelles et traumatismes consécutifs à une agression ;
2. le placement sous contrôle permanent (détention carcérale ou psychiatrique) de tout agresseur (récidiviste) ayant mis - ou susceptible de mettre - en danger la vie d'autrui.
Parvine Teymouri
59, avenue de Champel
1206 Genève
Travaux de la commission
Audition de Mme Parvine Teymouri, pétitionnaire
Mme Teymouri rappelle aux commissaires l'agression dont elle a été la victime en 1987 et les conséquences dramatiques, pour elle, de cet événement. Elle dit avoir été traumatisée sans jamais pouvoir faire reconnaître le traumatisme subi. Toutes ses démarches dans ce but, notamment auprès d'assurances, ayant été rejetées les unes après les autres. D'autre part, dans un courrier daté du 29 octobre 1997, l'Office fédéral de la justice l'informe de son droit à une aide des centres LAVI, sans pour autant pouvoir bénéficier d'une indemnisation et, pour répondre à son souhait de réunir d'autres victimes en vue de créer un groupement "; d'autodéfense ", plusieurs mouvements d'entraide lui sont communiqués avec, toutefois, la remarque que ce sont les centres LAVI qui seront le plus à même de soutenir ses efforts en vue de nouer avec d'autres victimes les relations qu'elles souhaitent établir.
Répondant aux questions des commissaires, Mme Teymouri fait savoir qu'elle connaît et a fréquenté le centre LAVI mais que celui-ci ne peut rien faire pour elle parce que l'agression était antérieure à 1993.
Audition de Mmes Colette Fry, Anne-Laurence de Buren et de M. Hans Maurer, centre LAVI Genève
Mmes Fry et de Buren expliquent qu'environ 5 % des personnes qui viennent au centre ont été victimes d'agression avant l'entrée en vigueur de la LAVI, soit le 1er janvier 1993.
En 1997, sur 801 situations reçues par le centre, seulement 4 % concernaient des agressions subies avant cette date. Elles disent qu'il est extrêmement difficile d'aider des personnes qui n'ont pas été soutenues juste après leur traumatisme. Par contre, si les victimes sont prises en charge tout de suite, elles constatent que, généralement, 4 ou 5 séances de psychothérapie suffisent pour dépasser le traumatisme. L'intervention, en collaboration avec d'autres associations, doit être rapide pour être efficace. Ainsi, environ 50 % des personnes fréquentent le centre pendant moins de trois mois. Pour l'autre moitié, cela peut aller de trois mois à plusieurs années, comme le démontre le cas de Mme Teymouri. Elles précisent que, souvent dans ce genre de situation, les procédures juridiques sont déjà closes et le centre, dès lors, ne peut plus faire grand chose. De plus, il faut faire la différence entre l'instance d'indemnisation LAVI et le centre de consultation. Ce dernier, bien qu'il ne puisse intervenir directement dans les affaires juridiques, peut quand même, dans les situations antérieures à 1993, apporter une aide financière par exemple pour des consultations juridiques ou des séances de psychothérapie. L'instance d'indemnisation, elle, ne pourra être saisie car il n'y a pas de possibilité pour les victimes d'avant la loi de faire valoir quelque droit que ce soit.
Mme Fry fait observer que le délai dans lequel les victimes doivent faire leur demande est actuellement fixé à deux ans après l'agression. Or, dans la pratique et suivant les situations, celui-ci est très court et pourrait être amélioré. Les cantons pouvant être plus généreux que la loi fédérale dans ce domaine.
Mmes Fry et de Buren reviennent sur la création d'une association de victimes de la violence. Cela n'existe pas à Genève et ce n'est pas le rôle du centre de mettre sur pied une telle association. On peut donner des conseils, aider dans les démarches, mais l'initiative, l'impulsion doivent venir des personnes qui souhaitent une telle association. Le Centre LAVI existe pour aider les gens à dépasser leur statut de victime. Or, une association n'aidera peut-être pas à cela. Elles rappellent que le centre a l'obligation de garder le secret. Il est donc hors de question de donner le nom d'une victime à une autre. Elle constate aussi qu'en dehors de demandes pour des groupes de paroles d'hommes victimes de contraintes sexuelles, il ne semble pas y avoir, à Genève, de besoins exprimés pour une association de ce type.
Discussion
Les commissaires sont sensibles au parcours difficile de la pétitionnaire pour faire valoir ses droits. Ils relèvent son courage, sa ténacité et, en filigrane, la souffrance et le sentiment d'injustice qui l'habitent toujours.
Pourtant, compte tenu des informations reçues, les commissaires constatent leur impuissance dans la situation particulière qui leur est soumise. D'une part, ils ne peuvent rien faire sur la deuxième invite de la pétition en raison de la séparation des pouvoirs et, d'autre part, le centre LAVI répond déjà concrètement à la première invite. Mais au travers de cette situation, un aménagement de la loi pour améliorer encore la protection des victimes est souhaitée unanimement par les commissaires.
Ils proposent donc, conjointement au dépôt de la pétition, une motion pour l'amélioration du délai d'indemnisation.
Proposition de motion(1217)
concernant le délai de péremption pour l'indemnisation des victimes d'infractions
EXPOSÉ DES MOTIFS
Lors du traitement de la pétition 1177 "; Non-indemnisation d'une victime d'agression ", la Commission des pétitions a auditionné les collaborateurs (assistants sociaux, juristes, psychologues) du Centre de consultation LAVI. C'est au cours de cette entrevue que fut abordé le délai d'indemnisation.
Inscrit dans la Loi fédérale à la section 4 : Indemnisation et réparation morale, et repris par notre règlement cantonal tel quel, l'article 15, alinéa 3. stipule que : "; La victime doit introduire ses demandes d'indemnisation et de réparation morale devant l'autorité dans un délai de deux ans à compter de la date de l'infraction ; à défaut, ses prétentions sont périmées ".
Dans la pratique les professionnels constatent que ce délai est trop court notamment dans le domaine des infractions d'ordre sexuel sur des enfants ou de violence conjugale.
De fait, dans ces domaines particuliers, la brièveté du délai est une entrave et un empêchement pour les victimes d'obtenir réparation pour les dommages subis. Pouvoir dénoncer son agresseur, afin de recevoir de l'aide, nécessite pour la victime de dépasser la peur et la honte consécutives à la situation de violence.
Assouplir et aménager le délai de deux ans, pour ces cas, permettra non seulement à la victime d'être reconnue en tant que telle mais aussi évitera qu'un trop grand nombre d'infractions restent non dénoncées.
Déjà signalée par notre canton aux autorités fédérales dans leur premier rapport couvrant la période 1993/94, la brièveté du délai est aussi le constat que font d'autres cantons.
En effet, dans son deuxième rapport (concernant l'exécution et l'efficacité de l'aide aux victimes) au Conseil fédéral, publié en janvier 1998, l'Office fédéral de la justice signale les rapports d'activités 1993/94 des cantons de Genève et Zurich et celui de 1995/96 de Fribourg qui, tous, critiquent la brièveté du délai. Par ailleurs, il rappelle que, déjà lors des travaux préparatoires de la loi, le délai de péremption de deux ans avait été critiqué. Enfin, il met en évidence la mesure, un peu plus favorable aux victimes, prise par le canton de Zurich.
Mesdames et Messieurs les députés, à l'instar du canton de Zurich, nous vous demandons d'adopter cette mesure et de faire bon accueil à cette motion.
P 1177-A
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.
M 1217
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
Motion(1217)
concernant le délai de péremption pour l'indemnisation des victimes d'infractions
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :
- que le Conseil fédéral, dans le message concernant la Loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (LAVI), laisse une marge de manoeuvre aux autorités chargées d'appliquer les dispositions sur l'indemnisation ;
- que les cantons peuvent prévoir, en vertu de leurs compétences en matière d'aide sociale et d'assistance, d'autres prestations en faveur des victimes ;
- que l'aide, dont la loi précise le cadre, devra être développée et adaptée à la lumière des expériences pratiques qui auront été faites ;
invite le Conseil d'Etat
à introduire dans le Règlement cantonal genevois J 4 10.02 la réglementation que le canton de Zurich a adoptée dans sa loi d'introduction de la LAVI du 25 juin 1995 à savoir : pour les victimes mineures ou les victimes vivant en ménage commun avec l'auteur de l'infraction, le délai de péremption de deux ans commence à courir seulement dès la majorité ou avec l'abandon du ménage commun.