République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 28 mai 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 9e session - 23e séance
M 1192
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :
- les résultats du sondage effectué par l'Association faîtière des enseignants suisses, ci-après ECH, en Suisse alémanique ;
- le recours accru des sociétaires de la Société pédagogique genevoise, ci-après SPG, à des formes individuelles de soutien psychologique ;
- la position particulière de Genève au sein de la Suisse romande, s'agissant de la composition de sa population scolaire, et l'augmentation récente des effectifs d'une part importante de ses classes ;
- les conclusions, dans le même sens, du rapport préliminaire de la recherche ";Dynamiques et significations de la violence dans l'univers scolaire des adolescents", effectué au plan romand ;
invite le Conseil d'Etat
- à procéder sans délai à l'analyse de l'état des relations élèves-enseignants dans le cadre de l'école publique ,en collaboration avec les associations professionnelles concernées ;
- à présenter au Grand Conseil un rapport de conclusions à ce sujet ;
- à élaborer, conséquemment, à l'intention des enseignants une proposition de démarche de soutien adéquate.
EXPOSÉ DES MOTIFS
L'ECH a tiré la sonnette d'alarme sur les conséquences de la détérioration des relations de respect mutuel élève-enseignant.
En Suisse alémanique, le mal-être est tel que de nombreux professeurs se sentent ";au bout du rouleau " à cause de ces questions.
A Genève, la tradition pédagogique a depuis longtemps fait l'effort, sous l'angle de l'intérêt supérieur de l'élève, de tisser un "; filet " de secours à géométrie variable pour prendre en compte les difficultés de fond qui peuvent s'exprimer par l'indiscipline et la violence dans les relations d'école.
Sans doute la formation professionnelle des enseignants devrait-elle les disposer à la gestion adéquate des manifestations d'indiscipline, de la plus bénigne à la perturbation majeure.
Il est néanmoins compréhensible que la complexification des mélanges de culture, l'augmentation du nombre d'élèves par classe,. les effets de la détérioration économique sur les familles de notre canton et la taille souvent croissante des groupes scolaires sont des phénomènes propres à battre en brèche les savoirs pédagogiques acquis, malgré la richesse des formations permanentes qui peuvent être offertes.
La présente motion témoigne de l'inquiétude de ses signataires à voir se développer à Genève, chez les enseignants, un mal être physique et psychique à bas bruit dont tout le monde, finalement, fera les frais.
A cet égard, le recours accru au soutien psychologique individuel pourrait ne constituer que la pointe de l'iceberg. Seule une investigation approfondie, qui pourrait valablement être conduite avec l'université de Genève, forgera un état des lieux excédant la relation occasionnelle, par voie de presse, de violences élève-enseignant. Un rapport circonstancié au Grand Conseil permettra à notre organe législatif de tenir compte de cette problématique dans ses choix en matière d'enseignement.
Parallèlement, une démarche transparente et coordonnée devrait être proposée aux enseignants en difficulté, sur le mode du travail finalisé en matière d'abus sur les enfants.
A toutes fins utiles, les proposantes entendent exprimer qu'à leurs yeux, le caractère fructueux ou non de la démarche à engager sera tributaire de la participation des enseignants et intervenants qui sont "; sur le terrain ",même si les réflexions des hiérarchies sont un ingrédient également précieux à la maîtrise des problèmes enseignant-élève.
Afin de pouvoir rapidement tirer parti du travail effectué en la matière par l'ECH au plan alémanique, nous demandons à Mesdames et Messieurs les députés de réserver un accueil favorable à la présente motion et à accepter son envoi au Conseil d'Etat.
Débat
Mme Alexandra Gobet (S). Cette motion est la manifestation de notre inquiétude quant à la dégradation des relations entre élèves et enseignants dans l'école obligatoire de notre canton, plus spécifiquement dans la relation maître-élève au niveau de l'enseignement primaire. Au fil du temps, l'Etat de Genève s'est donné la peine de développer un filet de secours à mailles serrées plus particulièrement pour les adolescents; à cet âge, ils sont vulnérables et peuvent être facilement confrontés à certains problèmes.
Ce qui nous occupe aujourd'hui, c'est le mal être des enseignants des écoles primaires en particulier qui sont formés pour gérer des enfants de 6 à 12 ans. Selon une enquête conduite en Suisse alémanique, ce malaise se manifesterait par un absentéisme du corps enseignant, que ce soit pour maladie, dépression ou troubles psychiques.
Lors du dépôt de notre motion, nous avons enregistré une réaction intéressante de la SPG nous faisant part de son inquiétude, pas tant pour les maîtres du primaire membres de la société - qui à ce titre pouvaient trouver des interlocuteurs à leur mal être - que pour les autres membres du corps enseignant qui, contrairement à leurs collègues affiliés à la SPG, n'ont peut-être pas cette solution de dialogue et de référence à des pairs.
Nous demandons au Conseil d'Etat de procéder à un état des lieux particulièrement axé sur la santé physique et psychique des maîtres au niveau de l'école obligatoire, non seulement en collaboration avec la hiérarchie du département de l'instruction publique, mais en faisant appel plus particulièrement aux maîtres qui sont directement sur le terrain. Nous demandons au Conseil d'Etat de présenter un rapport de conclusion à notre Grand Conseil avec des propositions pour l'élaboration d'une démarche de soutien adéquate pour les enseignants qui seraient débordés par des problèmes de gestion de classe qu'ils ne parviendraient pas à maîtriser.
Nous pensons tout particulièrement au caractère opportun que présentait le dépliant offert aux maîtres sur la manière d'agir en cas d'abus sexuel sur des enfants. Nous aimerions voir le Conseil d'Etat revenir avec une proposition de démarche similaire destinée aux maîtres qui vivent difficilement les relations avec leurs élèves. Nous nous sentons aussi concernés par l'état de santé physique et mental des élèves mais nous savons que des dispositifs efficaces existent au niveau de la guidance infantile et des écoles secondaires. Notre préoccupation porte plus particulièrement sur les maîtres et nous vous demandons d'accueillir favorablement cette proposition.
M. Rémy Pagani (AdG). Notre groupe soutiendra la proposition de motion dans la mesure où, comme chacun sait, l'école est en crise. Le corps enseignant est en première ligne et en fait les frais, du fait notamment d'une certaine catégorie de personnes - en particulier les milieux néo-libéraux - qui prétendent que l'école ne saurait être un lieu d'éducation et qu'elle doit être uniquement un lieu d'enseignement. Nous trouvons qu'il y a là un glissement que l'école genevoise a su éviter tout au long du siècle passé et présent, à savoir faire de l'enseignant un enseignant uniquement. Nous soutenons le fait que les enseignants sont d'abord et avant tout des éducateurs pour permettre une intégration large et démocratique de tous les individus dans la société. Cette motion prend en compte la difficulté qu'ont les enseignants à accomplir l'ensemble de leur mandat et à répondre à l'ensemble de leurs charges. Et, à cet égard, nous soutenons cette proposition.
Mme Barbara Polla (L). La violence à l'école est effectivement un problème relativement nouveau qui semble devenir de plus en plus important pour notre pays comme pour d'autres. Les raisons de cet accroissement de la violence à l'école ne sont pas toujours faciles à identifier. Il semblerait que les mouvances de notre société n'y soient pas étrangères. La proposition qui a été faite ce matin par le Conseil d'Etat de nommer une commission d'experts devant se pencher sur les causes de la violence s'adresse à des adolescents très jeunes; il ne s'agit pas des 6 - 12 ans mais effectivement de la catégorie d'âge un peu plus avancée mentionnée auparavant. Même si elle s'adresse à une violence différente que celle évoquée ici, cette commission d'experts pourra - souhaitons-le - apporter quelque lumière sur les causes de l'augmentation de la violence en général et notamment en milieu scolaire.
Il est vrai que la prise de conscience très importante qui a eu lieu ces dernières années sur les problèmes de la violence, en l'occurrence la violence subie par les jeunes davantage que celle générée par eux, a entraîné diverses actions. La mise en place de nombreuses structures, que ce soit par le DASS ou le DIP, permet l'évaluation et les approches thérapeutiques multiples de la violence exercée par les jeunes peut-être, mais le plus souvent subie par eux.
La présente motion ne met nullement en cause la mise en place de ces structures. Elle s'intéresse aux problèmes des enseignants et me conduit à m'interroger avec vous sur les objectifs de l'enseignement public. S'agit-il de la formation des élèves par des enseignants fiables, solides, psychologiquement stables, préparés et formés à gérer des situations difficiles ? Ou, au contraire, son but serait-il de soutenir les enseignants en difficulté ? Une fois n'est pas coutume, j'aimerais donner aux enseignants l'exemple des policiers. Eux aussi sont confrontés depuis toujours à des problèmes très importants de violence - en l'occurrence je ne pense pas aux problèmes de gestion de la violence, mais aux problèmes évoqués ici pour les enseignants, à savoir les réactions de ceux qui sont confrontés à la violence des autres et qui doivent gérer de réels conflits. Qu'ont fait les policiers ? Ils ont reconnu l'existence de ce type de problèmes et, pour permettre leur prise en charge de manière relativement autonome, ils ont nommé, au sein de leur corporation, un inspecteur de police qui a fait des études de psychologie. Il existe aussi un site Internet extrêmement riche et étendu sur ce qu'on appelle le syndrome de stress post-traumatique, qui prend en compte tous les aspects psychopathologiques et psychothérapeutiques de la violence, axé sur la prévention des problèmes psychologiques auxquels sont confrontés ceux qui sont amenés à gérer la violence, notamment les policiers. Pourquoi nos enseignants n'envisageraient-ils pas une approche similaire et aussi autonome, sans que le Conseil d'Etat soit requis pour la mise en place de structures de soutien ?
Permettez-moi une petite ironie ! Nous n'allons pas nous opposer au renvoi de cette motion à la commission de l'enseignement mais, s'il s'agit notamment de soutien psychologique, je demanderais que dans le cadre de son étude soit évaluée très soigneusement la question de savoir si l'appui psychologique aux enseignants doit avoir lieu dans les cycles ou au service médico-pédagogique... Il faudrait également éviter que ce soutien surcharge les psychologues lesquels, à leur tour, auraient besoin du même type d'appui !
Nous sommes d'avis que, mieux qu'un soutien, il conviendrait d'envisager une formation post-graduée, une intégration plus importante dans la formation des enseignants de la prise en charge des problèmes de violence. Nous espérons aussi ne pas avoir à traiter prochainement une motion visant à soutenir des députés confrontés aux problèmes de la violence. Je pense en particulier à M. Pagani, confronté à la violence des manifestants dont il s'entoure et qui doit décider - sur le vif - s'il va prévenir ces violences en évitant que les voitures soient renversées ou s'il doit au contraire entériner les pillages !
Nous proposons le renvoi de cette motion à la commission de l'enseignement.
Mme Alexandra Gobet (S). J'aimerais apporter la précision suivante à l'énoncé de la motion. Dans le deuxième considérant, et en tenant compte de l'observation faite par la SPG, il faut lire :
«le recours accru des maîtres du niveau primaire à des formes individuelles de soutien psychologique;».
Le président. Madame Gobet, il s'agit d'une modification à votre propre motion. Je vous remercie de bien vouloir la remettre par écrit au Bureau.
Mise aux voix, cette proposition de motion (modifiée) est renvoyée à la commission de l'enseignement et de l'éducation.