République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1197
13. Proposition de motion de Mmes et MM. Marie-Françoise de Tassigny, Janine Hagmann, Louiza Mottaz, Fabienne Bugnon, Roger Beer et Pierre-François Unger concernant les soins palliatifs. ( )M1197

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :

- les efforts de pionniers fournis jusqu'ici par un certain nombre de personnes pour développer les soins palliatifs dans notre canton ;

- les résultats déjà obtenus ;

- le caractère disparate de ces résultats ;

- les progrès encore considérables qui peuvent être envisagés dans les domaines de la formation de ceux qui soignent, de l'information des patients et de leur entourage, de l'organisation et de l'extension de ces soins ;

- l'importance du nombre de personnes concernées par les soins palliatifs ;

invite le Conseil d'Etat

à soutenir la constitution d'un programme genevois coordonné de soins palliatifs en vue de développer ceux-ci.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Préambule

Les soins palliatifs consistent en une approche thérapeutique active et globale des personnes gravement malades ou en fin de vie, nécessitant des soins continus quel que soit leur âge. C'est une approche du patient dans sa globalité.

En effet, l'allongement de la durée de vie, la médicalisation de la période précédent le décès, l'apparition du SIDA ont modifié profondément les derniers instants de ces malades en fin de vie et ont fait apparaître des problèmes sociaux et médicaux.

Les enjeux des soins palliatifs et l'accompagnement des grands malades sont éthiques, économiques, anthropologiques, sociologiques et médicaux. Ils remettent en cause des fonctionnements, des comportements, des carences, des modes institutionnels inadaptés.

La situation à Genève

Le développement des soins palliatifs à Genève a été essentiellement initié par une petite équipe qui a joué un rôle de pionniers.

Cette approche est née dans le domaine de la gériatrie puis a été appliquée aux malades souffrant d'autres pathologies, en particulier certaines affections neurologiques, évolutives et le SIDA.

Les spécialistes de l'oncologie ont été moins impliqués dans le développement des soins palliatifs. Néanmoins, l'équipe des soins palliatifs a actuellement une majorité de patients souffrant d'affections cancéreuses. C'est aussi dans ce secteur que les connaissances acquises sont les plus importantes.

Etablissement hospitaliers

Les lieux ayant une approche de soins palliatifs sont divers mais certaines structures sont identifiées clairement telles que : le CESCO, la Maison, l'hôpital de Loex, le service de médecine interne de l'hôpital Beau Séjour, l'HOGER et certains lits d'encologie à la clinique générale Beaulieu et à la Tour.

Autres interventions en soins palliatifs

De plus, on peut faire des traitements de soins palliatifs dans des lits médicalisés 24 h sur 24 h, soit au département des Urgences médicochirurgicales de HCU, soit à l'"; Accueil Service " de la Polyclinique de gériatrie qui dispose de 8 lits et dont la durée de séjour est limitée à 72 h, soit dans le lit CESCO 24 h sur 24h.

Les services de soins à domicile

représentés par le SASCOM ont développé et favorisé une politique de soins palliatifs.

Le SASCOM propose des soins infirmiers à domicile et ambulatoires, des soins thérapeutiques sur prescription médicale ; il effectue de la prévention et de l'éducation à la santé, des actions médico-sociales et offre son aide aux personnes âgées pour les activités de la vie quotidienne. Depuis avril 1997, il a également mis sur pied une équipe d'hospitalisation à domicile nommée "; SASCOM-HAD ", disponible 7 jours sur 7, de 7 h à 23 h pour des soins techniques, des surveillances spécifiques et des interventions rapides.

La Coopérative des Soins Infirmiers (CSI) ainsi que le service SOS des Infirmières servent de relais au SASCOM.

On relève aussi l'intervention de SOS Pharmaciens, spécialisés dans le travail interdisciplinaire en soins palliatifs et traitements ainsi que SITEX qui pratique l'hospitalisation à domicile.

Equipe mobile de soins palliatifs (EMPS)

L'EMSP, constituée d'une petite équipe spécialisée de 2 1/2 postes, intervient à la demande ou avec l'accord explicite du médecin traitant, à titre de consultant.

Cette petite structure dépend de l'Association Genevoise des Soins Palliatifs (AGSP).

L'équipe se déplace à domicile ou dans les EMS et cliniques. Elle peut être atteinte 7 jours sur 7, de 8 h00 à 18 h00. Les week-ends, une garde est effectuée par neuf médecins.

Les prestations sont nombreuses : aides et consultations téléphoniques, consultations médicales, aide à la planification des sorties, enseignements en soins palliatifs et recherches.

Consultation de la douleur et des soins palliatifs (CDSP) HCU

Cette consultation commune ambulatoire est essentiellement consacrée aux patients douloureux, chroniques non cancéreux.

Une équipe de consultation intra-hospitalière se consacre aux problèmes d'antalgie dans divers contextes.

Les deux équipes, pour l'hospitalier et l'ambulatoire, sont constituées de consultants multidisciplinaires.

Divers associations et groupes de travail

On note de nombreuses associations et groupes de travail approchant le travail des soins palliatifs de près ou de loin :

- Association Genevoise des Soins Palliatifs (AGSP)

- Association HAD, fondée par AMG, SOS Pharmaciens, EMSP, Sascom et CSI,

- Association romande des Soins Spécialisées à Domicile pour l'Enfant et sa Famille,

- Groupe de travail "; Réseaux lits de répit en soins palliatifs ",

- Groupe de pilotage soins palliatifs HCU,

- Groupe "; vers un hôpital sans douleur ".

Enseignement des soins palliatifs

Un enseignement spécifique est prodigué par le :

- Pré Gradué Infirmier au "; Bon Secours ",

- Pré Gradué Médecins,

- Post Gradué Multidisciplinaire (CESCO),

- Post Gradué Médecins,

- Post Gradué Soins Infirmiers,

- Post Gradué Multidisciplinaire (Kurt Bösch),

- Centre Interfacultaire de gérontologie.

Activités de recherches

Quelques projets existent mais ne sont pas coordonnés.

Avenir des soins palliatifs

Cette politique de soins palliatifs est foisonnante. Elle est constituée de nombreux partenaires qui ont des rôles complémentaires et subsidiaires. Néanmoins, elle présente des défauts de jeunesse.

Il existe actuellement une forte attente de la part des patients pour ce type de soins, se traduisant par une demande croissante.

Les besoins des patients et des familles n'ont pas été formellement analysés à Genève mais sont tout de même bien connus grâce aux recherches effectuées dans le monde.

Le problème va prendre une importance croissante au cours de ces prochaines années suite à des facteurs connus tels le vieillissement de la population, l'augmentation de la mortalité due au cancer.

Déjà, l'OMS confirme que chaque plan national de santé doit comprendre des dispositions en vue d'assurer des soins palliatifs à des millions de malades.

Les problèmes identifiés sont le manque de coordination et de communication entre structures et professionnels. Il en résulte une non continuité des soins, notamment entre les secteurs hospitaliers et domiciliaires, le manque également d'une vision d'ensemble en terme de mouvement des patients, d'accès aux soins, de qualité des soins et de calcul des coûts réels dans les divers lieux.

De plus, on relève une absence de consensus sur une définition précise pour la médecine et les soins palliatifs ; elle recouvre des identités différentes suivant les professionnels et le type de patients concernés.

On note, par ailleurs, une absence de critères de qualité dans les domaines de la clinique, de la formation. Ceci s'accompagne d'une insuffisance de la formation des professionnels.

Il faut procéder à une étude du nombre de lits nécessaires pour les soins palliatifs afin d'assurer une véritable politique.

De plus, un problème criant repose sur les difficultés économiques. En effet, il y a actuellement une différence de remboursement entre des journées d'hospitalisation en institutions hospitalières et des soins à domicile par les médecins praticiens et infirmiers... les deux cas offrant des prestations similaires.

Ce sont les très nombreuses raisons susmentionnées qui démontrent l'urgence de procéder à une réorganisation des soins palliatifs dans notre canton sous la forme de la mise sur pied d'un programme genevois coordonné.

Débat

Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). Le sort déterminant commun aux hommes de cette planète est la mort, cette issue ultime. Quand ? Nous ne le savons pas. Comment ? Nous l'ignorons.

Actuellement, nous pouvons tout mettre en oeuvre pour que le mourant quitte ce monde sans souffrances et avec un accompagnement adéquat.

Pour ce faire, des personnalités comme Mme Kübler-Ross et des équipes médicales canadiennes ont conçu le concept des soins palliatifs qui a pour objectif la prise en charge du patient en phase terminale et de sa famille. Ces soins palliatifs existent également à Genève. Ils ont été initiés par une équipe médicale un peu pionnière.

Actuellement, plusieurs établissements médicaux pratiquent cette approche avec plus ou moins de moyens. Il faut relever que jusqu'à ce jour les soins palliatifs ne sont pas coordonnés sur le plan genevois. Il en résulte une non-continuité des soins pratiqués dans le secteur hospitalier et à domicile.

Il faut néanmoins signaler que le secteur hospitalier tient compte des soins palliatifs dans le cadre des projets transversaux en cours et que les sites seront identifiés et renforcés dans une politique qualitative des soins.

Par ailleurs, la seule unité volante ne suffit pas à tout l'extra-hospitalier - soins à domicile, EMS et secteur privé. Les expériences étrangères prouvent qu'un développement des unités volantes de soins palliatifs réduit les coûts par la suppression d'une hospitalisation et par la prise en compte de 80% des objectifs.

De plus, il manque une claire et réelle information qui permettrait à chaque patient de recourir à ces soins et à cet accompagnement, que ce soit dans les structures publiques ou privées ou encore à domicile.

C'est la raison pour laquelle nous attendons la constitution d'un programme genevois coordonné des soins palliatifs pour que ce voyage au bout de la vie soit le plus harmonieux possible.

Mme Louiza Mottaz (Ve). Dans le rapport sur la planification qualitative du système de santé genevois, il est écrit, au chapitre sur l'accompagnement en fin de vie : «Tous les partenaires devraient baser leur approche sur une grille d'évaluation unique des besoins du patient et des stratégies thérapeutiques communes.»

Dans un article, le professeur Rapin dit que, si l'on veut réussir à mieux soulager la douleur, il faut commencer par changer les perceptions et les attitudes des différents professionnels.

Dans la motion qui vous est soumise, il est relevé l'absence de consensus sur une définition précise pour la médecine et les soins palliatifs; elle varie selon les identités professionnelles et le type de patients concernés.

A ce stade, Mesdames et Messieurs, permettez-moi de vous faire part de ma pratique professionnelle. Il n'y a pas si longtemps, j'ai été confrontée à la situation d'un patient qui, agité et dément, avait fini par passer ses nuits dans la salle de bain, puis dans le salon du service, parce que ses cris et gémissements en continu dérangeaient tout son entourage. En m'élevant contre cette situation et en défendant, auprès des médecins, le point de vue infirmier selon lequel les cris, gémissements, agitation psychomotrice, coups à notre encontre que nous observions lors des différents soins pouvaient être liés à des douleurs d'origine somatique et pas seulement à la seule démence, et que des soins palliatifs devaient être mis en oeuvre pour ce patient, les divergences de vue et la polémique sur la notion de soins palliatifs à un patient dément furent telles que je fus amenée à écrire une lettre dont voici l'essentiel :

«Le dément, à ma connaissance, ne peut bénéficier, à l'heure actuelle, d'un traitement curatif. Dès lors, nos actes de soins s'attachent à ralentir, voire à stabiliser la dégradation inexorable du patient. Notre souci primordial est le maintien, le plus longtemps possible, des capacités de celui-ci. Ceci explique pourquoi nous parlons de soins palliatifs qui, pour nous, n'est pas un concept de mort mais au contraire un concept de vie.» Et je soulignais «de qualité de vie».

«La qualité de vie, au travers de la démarche des soins palliatifs, se caractérise, en premier, par la maîtrise des symptômes, dont, avant tout, celui de la douleur.»

Puis je citais un article où l'Association européenne pour les soins palliatifs définit la médecine palliative par des soins médicaux appropriés aux patients ayant une maladie avancée et progressive, dont le pronostic est limité, bien que parfois il puisse être de plusieurs années, et pour lequel le but premier des soins est la qualité de vie.

Ainsi, Mesdames et Messieurs, je crois que le patient attend autre chose des soignants que des combats stériles. Il attend d'être soulagé de ses souffrances, même s'il ne peut plus s'exprimer verbalement. Les soins palliatifs ne peuvent plus être réservés aux seuls cancéreux. La philosophie qui sous-tend cette approche de soins doit bénéficier à tous les malades incurables, quels qu'ils soient et où qu'ils soient.

A ce propos, un article paru dans le dernier numéro d'«InfoKara» - revue francophone de soins palliatifs - précise que toutes les douleurs méritent d'être considérées et traitées, même si elles sont liées à d'autres processus pathologiques que le cancer, par exemple : les défaillances viscérales terminales et tous les processus démentiels.

Mesdames et Messieurs, il n'y a pas de douleurs plus nobles que d'autres et des personnes qui doivent souffrir plus que d'autres. C'est pourquoi nous vous demandons d'accepter cette motion. Je vous en remercie.

Mme Danielle Oppliger (AdG). Genève fut pionnière en matière de soins palliatifs. Elle a même été le creuset formateur de nombreux médecins et infirmières oeuvrant, maintenant, dans d'autres cantons romands.

La vision globale du malade, telle qu'elle est conçue au niveau des soins palliatifs, l'accompagnement en fin de vie, le regard nouveau porté sur la mort, ne sont plus considérés comme un échec, mais comme un moment où chacun, malade, famille, soignants, oeuvrent ensemble pour alléger la douleur et la rendre supportable.

Toutes ces connaissances se heurtent au manque de coordination entre les différentes structures déjà en place, par exemple le CESCO et les soins à domicile. Chacun travaille dans le même sens, sans partager ses expériences et son vécu.

Un programme de soins palliatifs coordonné à l'échelle cantonale permettrait d'améliorer sensiblement la qualité des soins prodigués. La dynamique de recherche contribue à l'évolution des soins palliatifs et à leur application à différents domaines de la médecine.

A part l'enjeu éthique que constitue une telle vision de la douleur et de la fin de vie, la collectivité a tout à gagner avec une telle coordination. En effet, celle-ci pourrait permettre de mieux adapter le mode de prise en charge d'une personne en fin de vie - hôpital, consultations ambulatoires ou soins à domicile - et surtout son suivi, puisque chacun se baserait sur les mêmes critères, userait d'un langage commun pour juger ou évaluer une situation. D'où une baisse sensible des coûts.

Pour ces raisons, nous vous recommandons de faire bon accueil à cette motion.

Mme Jacqueline Cogne (S). Cette motion est très bien faite et toutes mes collègues se sont parfaitement exprimées à son sujet.

Pour en connaître plus, nous demandons le renvoi de la motion en commission.

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission de la santé.