République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 23 avril 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 7e session - 14e séance
PL 7825
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :
Article unique
La loi générale sur les contributions publiques, du 9 novembre 1887, est modifiée comme suit :
Art. 81, al. 4 (nouveau)
4 L'alinéa 3, lettre a de la présente disposition ne s'applique pas lors de l'aliénation d'un immeuble intervenant dans le cadre d'une poursuite en réalisation de gage intentée contre une personne morale.
Art. 82, al. 9 (nouveau) Immeuble figurant dans les comptes
9 Lorsque l'immeuble appartient à une personne morale ou à une personne physique astreinte à tenir des livres dans les comptes de laquelle il figure, le bénéfice ou gain imposable correspond à la différence entre la valeur d'aliénation et le montant pour lequel l'immeuble figure dans les comptes. Les alinéas 2 à 5 et 8 de la présente disposition ne s'appliquent pas.
Art. 86 A, al. 5 (nouveau)
5 Lorsque l'aliénation de l'immeuble intervient dans le cadre de la poursuite en réalisation de gage intentée contre une personne morale, la somme à consigner correspond à la partie du bénéfice résultant de l'opération multipliée par le taux maximum de l'impôt sur le bénéfice de la personne morale, compte tenu des centimes additionnels cantonaux et communaux.
Art. 371 A, al. 1, lettre b (nouvelle teneur)
al. 2 (nouvelle teneur)
b) exiger des sûretés en tout temps et même avant que le montant de l'impôt ne soit fixé par une décision entrée en force. La demande de sûreté indique le montant à garantir; elle est immédiatement exécutoire. Dans la procédure de poursuite, elle produit les mêmes effets qu'un jugement exécutoire. La demande de sûretés est assimilée à l'ordonnance de séquestre, au sens de l'article 274 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite. Le séquestre est opéré par l'office des poursuites compétent.
2 L'opposition à l'ordonnance de séquestre, prévue à l'article 278 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite est irrecevable.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Les sociétés anonymes propriétaires d'un immeuble ont, en raison des règles légales régissant la tenue de leur comptabilité, constitué d'importantes réserves latentes sur ce type d'actifs qui ne sont imposées qu'à l'occasion de l'aliénation de ces biens ou en toute fin d'exploitation lorsque la société est liquidée.
La pratique fiscale qui autorise l'amortissement des immeubles à usage commercial, à l'exclusion des immeubles d'habitation ou de bureaux, favorise encore la constitution de telles réserves. La valeur réelle de ces sociétés n'apparaît ainsi plus à la lecture de leur bilan. Les Administrations fiscales s'accommodent de ce principe sachant bien que dans le cours ordinaire des choses, les plus-values constituées pendant la vie de la société seront taxées lors de l'aliénation de l'immeuble, au plus tard lors de la liquidation de la société.
Dans les faits, la liquidation forcée des sociétés anonymes et plus particulièrement des sociétés dites immobilières a posé et pose problème sur le plan fiscal. Plutôt que de faire liquider la société par la voie de faillite, étant donné que, dans ce cas, la créance d'impôt représente une dette de masse qui doit être intégralement payée avant toute distribution aux créanciers (ATF 122 III 246 ss), les principaux établissements de crédit de la place recouvrent leurs créances au moyen de la procédure de poursuite en réalisation de gage. Propriétaires des cédules hypothécaires grevant l'immeuble de leur débiteur, ils exigent la réalisation de leur gage sans requérir la faillite de la société.
Sous déduction des frais de réalisation, le produit net de la vente de l'immeuble est ainsi distribué au créancier gagiste jusqu'à concurrence de ses créances, intérêts et frais de poursuite compris. La société toujours en activité ne déclare le bénéfice en capital résultant de la vente de l'immeuble que l'année suivante tant et si bien que l'Administration fiscale se retrouve en face d'une coquille vide qui n'a plus la moindre liquidité pour s'acquitter de sa dette d'impôt. Seule demeure dès lors la possibilité pour le fisc d'actionner en responsabilité l'administrateur de la société, ce qui suppose d'une part une procédure judiciaire et, d'autre part, la solvabilité de l'administrateur.
D'autres cantons confrontés au même problème ont réagi. Trois cantons, soit ceux de Zurich, du Tessin et de Vaud imposent les bénéfices de liquidation au terme de la procédure de poursuite et font valoir leurs créances au titre de frais de réalisation de gage. Contestée, cette façon de faire a été admise par le Tribunal fédéral dans un arrêt du 6 juin 1996 en matière d'impôts zurichois.
Actuellement, aucune disposition de la loi fiscale genevoise n'autorise semblable imposition. C'est la raison pour laquelle le présent projet modifie la loi générale sur les contributions publiques afin de permettre à l'Administration fiscale d'appréhender directement les plus-values résultant de l'aliénation d'un actif au stade de la réalisation du gage.
Techniquement, cette modification suppose la suppression de la clause d'exonération de l'impôt sur les bénéfices et gains immobiliers (IBGI) lors de ventes forcées aboutissant à une insuffisance de gage pour les créanciers gagistes (art. 81 al. 3 lettre a de la loi générale sur les contributions publiques - LCP).
De même convient-il de compléter l'article 86 A LCP (consignation et sûretés) par un cinquième alinéa précisant l'obligation de consigner un montant correspondant à l'impôt cantonal sur le bénéfice de la personne morale, calculé au taux maximum (compte tenu des centimes additionnels cantonaux et communaux).
Il y a lieu, enfin, de corriger une imprécision relative à la définition du bénéfice imposable (art. 82 LCP) lorsque l'immeuble aliéné appartenait à une personne morale ou à une personne physique astreinte à tenir des livres, dans les comptes desquels il figure. En pareil cas, la définition du bénéfice telle que ressortant des alinéas 1 à 5 de l'article 82 LCP n'est pas pertinente et il convient de la faire figurer dans un nouvel alinéa 9.
Le présent projet de loi propose en outre une modification de l'article 371 A (défense de payer et séquestre).
La loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'impôt fédéral direct (LIFD) prévoit que l'Administration cantonale de l'impôt fédéral direct peut, au moyen d'une demande de sûretés, exiger d'un contribuable, qui n'a pas de domicile en Suisse ou qui met en péril une créance d'impôts, des sûretés (art. 169 al. 1). En outre, la LIFD contient quelques règles qui dérogent à la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP); c'est ainsi, notamment, qu'elle assimile la demande de sûretés à une ordonnance de séquestre (art. 171 al. 1) et qu'elle permet à l'Administration cantonale de l'impôt fédéral direct de rendre une ordonnance de séquestre, contrairement à ce qui est prévu dans la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite où le juge est seul compétent en pareil cas (art. 272 LP).
Cependant, conformément aux règles de la LP qui, pour le surplus, sont applicables, cette ordonnance de séquestre, à elle seule, ne déploie aucun effet. Elle doit être validée par une poursuite ou une action en justice (art. 279 al. 1 LP). Et, dans l'hypothèse d'une poursuite, le contribuable-débiteur peut faire opposition ce qui a pour conséquence que le créancier, qui veut requérir la continuation de la poursuite, doit obtenir la mainlevée de l'opposition (art. 80 et ss. LP).
Et, pour obtenir du juge la mainlevée définitive de l'opposition, le créancier doit être au bénéfice d'un jugement exécutoire (art. 80 al. 1 LP). A cet égard, il est important de noter que l'art. 169 al. 1, 3ème phrase, LIFD, assimile la demande de sûretés à un jugement exécutoire, ainsi que l'autorise l'art. 80 al. 2 ch. 2 LP.
De son côté, l'art. 78 LHID octroie aux cantons la faculté d'adopter des dispositions analogues à celles contenues dans la LIFD de même que l'art. 80 al. 2 ch. 3 LP autorise les cantons à prévoir, dans leur législation, que leurs décisions, relatives à des obligations de droit public, sont assimilées à des jugements exécutoires.
Bon nombre de cantons (FR, VD, NE, VS, ZH, BE, BL, notamment) ont fait usage des facultés accordées par la législation fédérale. Genève fait exception à la règle en ne prévoyant en particulier pas, dans sa législation, l'assimilation de la demande de sûretés à un jugement exécutoire. Ce qui a pour conséquence de rendre inefficace et donc inutilisable l'actuel art. 371 A al. 1, lettre b, LCP.
On comprendra, dans ces conditions, l'importance que revêt la modification de l'art. 371 A LCP, en particulier de la lettre b de l'alinéa 1, en conformité avec les art. 169 LIFD et 80 al. 2 ch. 3 LP. A ce stade, il convient de préciser qu'aucune voie de droit ordinaire n'est ouverte contre la demande de sûretés fondée sur l'art. 371 A, al. 1, lettre b, LCP qui ne peut faire l'objet que d'un recours de droit public au Tribunal fédéral, au sens des art. 83 et ss. de la loi fédérale d'organisation judiciaire.
Quant à la modification de l'alinéa 2 de l'art. 371 A LCP, elle consiste simplement en une adaptation du texte à la nouvelle loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, entrée en vigueur le ler janvier 1997, qui parle désormais de l'opposition à l'ordonnance de séquestre (art. 278 LP).
Au bénéfice de ces explications, nous vous remercions d'ores et déjà de bien vouloir réserver un bon accueil à ce projet de loi.
Préconsultation
M. Pierre Froidevaux (R). La créativité de notre administration fiscale doit réjouir tous nos citoyens. Auparavant, il fallait gagner quelque chose pour payer des impôts. Depuis quelques années, on en paie déjà en ne consommant qu'un petit rien. Grâce à notre exécutif pluriel, on pourra payer des impôts en perdant de l'argent. Quel bel exemple de solidarité fiscale ! Même ceux qui n'ont plus que des dettes «raqueront» comme les riches. Telle est la philosophie de ce beau projet de loi !
Pourtant les pauvres ne peuvent pas payer, même avec la gauche au pouvoir. Alors, on va demander à celui qui a fait confiance au quidam devenu failli de payer les impôts du pauvre. C'est donc aux banques de payer.
Monsieur le président, votre exécutif serait-il en rogne contre elles ? A-t-il besoin d'exprimer un quelconque sentiment de vengeance ? Mais qui paiera, en définitive, ces fameux impôts si ce n'est le très modeste contribuable, client des banques genevoises ?
Les banques risquent de répercuter leurs hausses de charges sur ce client. Et ce sera à nouveau la classe moyenne qui sera pressurisée, tandis que le riche continuera à s'affranchir en trouvant d'autres places financières pour placer ses gains.
M. Claude Blanc. Pressurée et non pressurisée !
M. Pierre Froidevaux. Vous avez raison, Monsieur Blanc !
Une voix. C'est chez toi qu'on est pressurisé !
M. Pierre Froidevaux. La philosophie de ce projet de loi est pernicieuse. Elle me fait penser à un personnage de bande dessinée, appelé Isnogood, qui a passé sa vie à vouloir être vizir à la place du vizir, en inventant sans cesse des impôts plus farfelus les uns que les autres. Nous sommes pourtant dans un monde plus réel que celui, imaginaire, d'une fiction dessinée. Ce projet n'aboutira pas tant il heurte les principes élémentaires du droit.
A l'occasion d'une vente forcée, les gages détenus par la banque sont imprescriptibles selon le droit civil fédéral. Personne ne peut penser pouvoir détenir ces droits, si ce n'est le créancier gagiste. Il n'existe qu'une seule exception : un bien immobilier grevé d'hypothèques légales. Or les hypothèques légales relèvent du droit civil toujours supérieur au droit fiscal.
Je ne vois pas comment le Tribunal fédéral pourrait suivre les auteurs de ce projet de loi tant ils dénaturent les liens économiques dont la stabilité est garantie par une loi remontant au 11 avril 1889.
La philosophie de ce projet de loi est véritablement antiéconomique et donc franchement asociale.
Aujourd'hui, le pouvoir économique échappe chaque jour davantage au pouvoir politique. Plus l'économie s'affranchit de notre pouvoir, plus elle nous abandonne des charges sociales. Nous ne pouvons trouver d'autre issue, pour assurer la cohésion de la société, que de retrouver le plein emploi en favorisant nos outils de production par une révision de la fiscalité des entreprises.
Notre seule voie de salut est de rendre notre fiscalité attractive aux investisseurs qui, actuellement, s'éloignent de nous pour aller sur les marchés mondiaux. C'est cette révision que nous attendons tous.
Auparavant, l'Etat lançait son filet fiscal sur nos concitoyens et ramenait de beaux poissons. A force de toujours les pêcher au même endroit, il n'en a plus attrapé. Ne restent que les vieux qui ne peuvent nager bien loin...
Une voix. Grobet !
M. Pierre Froidevaux. Examinant leurs carcasses, l'administration fiscale leur trouve de beaux restes. Alors, elle taxe leur chair vieillie, dont il ne subsiste, en fait, que des arêtes. (Rires.) Manger des arêtes en croyant déguster de la bonne chair est une confusion que nous ne saurions faire ! Je ne vous souhaite par le surnom de Isnogood, Madame Calmy-Rey ! (Rires.)
M. Michel Halpérin (L). L'intervention de M. le député Froidevaux a eu le mérite de mettre en joie le ministre des finances. Par les temps qui courent, cela n'a pas de prix ! (Rires.)
Néanmoins, je me permets, mon cher collègue député, une petite correction: Mme la conseillère d'Etat Calmy-Rey ne peut pas être comparée au grand vizir Isnogood, parce qu'elle est calife et qu'il n'y a personne pour vouloir être calife à la place du calife dans cette assemblée, pour les raisons mêmes qui font qu'il est si difficile de la mettre en joie! (Rires.)
Je pourrais être bref sur le fond, car, pour l'essentiel, je suis d'accord avec M. Froidevaux. Je crois que ce projet de loi est malvenu et qu'il est incompatible avec le droit fédéral et les besoins actuels de notre économie.
Il est malvenu parce qu'il y a quelque chose de profondément discutable à vouloir créer un privilège de l'Etat sur la condition du créancier gagiste. De quoi s'agit-il ?
En deux mots, il faut savoir qui, du gagiste ou de l'Etat, sera le premier payé sur le produit de réalisation d'un immeuble dont le propriétaire n'a pas pu faire face à ses obligations de débiteur.
Jusqu'à maintenant et conformément aux articles 820 et suivants du code civil, c'est le créancier gagiste qui est payé le premier. Il se rembourse de son gage jusqu'à hauteur de son crédit gagé. Le reste sert à payer les créanciers non gagistes, y compris l'Etat.
Dans la proposition qui nous est faite, il est question de donner un privilège à l'Etat sur le créancier gagiste en lui permettant de se payer d'abord. D'où la pertinence de la remarque de M. Froidevaux : faire cela, c'est concéder une forme d'hypothèque légale à l'Etat pour ses créances de droit public. Cette façon de faire ne saurait être admise. Nous devons agir conformément au droit civil. De ce point de vue, le projet n'est pas convenable au sens ordinaire du terme, parce qu'il prélève sur la substance non pas du débiteur mais du créancier. Il n'est pas compatible avec le droit fédéral, parce qu'il donne une prime à la créance fiscale sur la situation voulue par le législateur fédéral depuis un siècle qui est le privilège du créancier.
J'en viens au troisième volet qui est celui de l'opportunité économique et qui rejoint la finalité des dispositions du code civil. Si on a voulu - et cela tombe sous le sens - privilégier les créanciers gagistes, c'est parce qu'il est nécessaire, dans une économie raisonnablement dynamique, que des gens disposant de liquidités encouragent ceux qui n'en ont pas à entreprendre. Si dans l'immobilier comme dans le reste les créanciers sont le plus souvent des banques, du fait de leur métier, les créanciers privés sont également concernés.
La conséquence de ce projet s'il était adopté serait que les créanciers potentiels intégreront ce paramètre dans leurs choix. Ils ne prêteront plus dans les mêmes proportions, parce qu'ils tiendront compte du risque que l'impôt leur fait courir par le privilège donné à l'Etat, ce qui signifiera la réduction des montants disponibles pour les crédits, donc une diminution des activités économiques, ce qui serait franchement déraisonnable dans la période que nous traversons. Cela le serait d'autant plus que le bénéfice fiscal de l'opération est sérieusement discutable. Vous vous rendez bien compte que la part du produit de la réalisation du gage qui serait retenue par l'administration fiscale au titre de l'impôt n'entrera pas, cela va sans dire, sauf pour M. de la Palice, dans la poche du créancier. Par conséquent, celui-ci, qu'il vende ou non, aura un bénéfice réduit, voire une perte sur son gage qui se traduira par la diminution de sa propre surface fiscale lorsqu'il devra payer, à son tour, ses impôts ordinaires. Nous croirons avoir fait faire une bonne affaire à l'Etat alors qu'en réalité le résultat sera vraisemblablement nul, puisque la perte de l'un sera compensée par le gain de l'autre.
Ce processus, qui, finalement, ne sera pas profitable à l'Etat, se révèle antiéconomique, contraire aux principes juridiques fondamentaux dont nous nous réclamons en général et, par-dessus le marché, contraire aux besoins de relance de notre économie auxquels chacun se dit attaché, ne serait-ce qu'au titre des emplois qu'elle permettrait de créer. En plus, nous ferions cela pour rien ! Quelle absurdité !
Mme Christine Sayegh (S). Ce projet est déjà étudié par la commission fiscale dont M. Froidevaux est membre. Si M. Froidevaux est le député avocat des créanciers gagistes, je serai alors le député médecin des finances de l'Etat.
Le problème de la SI est, il est vrai, un artifice légal qui permet une économie d'impôt, puisque le capital de la SI est souvent inférieur de dix fois à la créance gagée. Chaque fois qu'il y a une réalisation de gage, la SI réalise un bénéfice. Il est évident qu'elle ne peut pas disposer de ce montant, puisqu'elle doit le verser aux actionnaires pour qu'ils remboursent les créanciers gagistes qui sont des organismes financiers, des banques notamment.
C'est un artifice qui péjore notre qualité de vie sociale, puisque nous recherchons des recettes. Vous êtes bien placés pour le savoir puisque vous n'ignorez rien des comptes. Par conséquent, ce projet de loi est tout à fait normal. Un bénéfice de société immobilière doit être taxé.
Je rappelle que le Tribunal fédéral a admis que l'impôt sur le bénéfice d'une société immobilière doit être considéré comme une charge de l'immeuble et doit être acquitté préalablement à la distribution des deniers.
Je demande donc le renvoi de ce projet de loi à la commission fiscale.
M. David Hiler (Ve). Nous avons entendu plusieurs arguments. J'avoue une incompétence au moins égale à celle de M. Froidevaux en ce qui concerne les arguments de nature juridique. Je resterai donc muet à leur sujet.
Reste à définir qui doit se servir en premier. La brillante argumentation de M. Halpérin prendrait tout son sens s'il s'agissait d'une matière fiscale portant sur l'année en cours. Mais le problème auquel nous nous trouvons confrontés c'est que par des artifices, soit la différence notable entre la valeur portée au bilan et la valeur réelle, le fisc se trouve marri et pour longtemps. Le seul moment où il pourrait se servir c'est au moment où toute l'assiette fiscale lui échappe.
Sur le plan de l'équité, je ne vois pas pourquoi l'Etat ne pourrait pas, quand un problème se pose, toucher ce qui lui est dû sur une longue période, s'agissant d'une société qui n'a pas payé d'impôts sur la valeur réelle d'un immeuble pendant de longues années. C'est indispensable, ne serait-ce que par équité à l'égard de ceux qui utilisent des structures juridiques moins «magouilleuses».
Je ne comprends pas que l'on admette, dans la situation économique actuelle, que les banques se servent, en toute légitimité, avant l'Etat. C'est cela que vous dites, Messieurs Froidevaux et Halpérin. Tout le monde sait que les banques croulent sous les dettes, que l'on se fait un souci terrible pour leur santé, qu'elles ne réalisent pas de bénéfices, alors que l'Etat, lui, roule sur l'or ! C'est l'avis unanime de cette assemblée !
Vous dites, Monsieur Halpérin, que ce que nous toucherons en plus sera perdu par la suite, le bénéfice des banques étant diminué. Permettez-moi de vous faire observer qu'un bénéfice est déterminé après un certain nombre de provisions autorisées sur le plan comptable, mais que jamais le bénéfice imposable ne correspond au bénéfice réel. Vous ne l'ignorez pas, puisque votre vie professionnelle et vos gains relèvent, en partie, de ce domaine. (Applaudissements.)
M. Bénédict Fontanet (PDC). L'exposé de M. Hiler est, certes, intéressant, mais on peut aussi justifier un hold-up de cette façon. (Rires et applaudissements, protestations de M. David Hiler.) Monsieur Hiler, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit et ne me faites pas l'injure d'imaginer que je pourrais vous supposer plus bête que vous ne l'êtes en réalité. (Rires.)
Le président. Monsieur Fontanet, si vous parliez du projet de loi ?
M. Bénédict Fontanet. On déraisonne quand on dit que la société immobilière est un artifice. Pendant des années, l'administration fiscale a encouragé la constitution des sociétés immobilières et a soutenu ce type de construction juridique. Jusqu'à preuve du contraire, ce n'est pas un délit pénal de détenir un immeuble par l'intermédiaire d'une société immobilière.
Néanmoins, je peux vous rejoindre sur la problématique de l'imposition de la réserve latente, constituée d'un point de vue comptable, à l'intérieur d'une société immobilière par rapport à quelqu'un qui détiendrait un immeuble en nom.
Cela étant, j'estime que ce projet est mauvais pour les raisons déjà exposées. Je ne suis pas du tout convaincu de sa compatibilité avec les dispositions du droit fédéral sur les gages immobiliers. A teneur du code civil, si l'Etat peut prendre, dans certaines circonstances, une hypothèque légale, il ne peut pas théoriquement, en raison de la nature absolue de la garantie constituée par le gage immobilier, passer avant le créancier gagiste. Cela n'a rien à voir avec mon amour ou mon désamour pour les banques, ou encore pour M. Halpérin. Je ne vous ferai pas l'injure de prolonger un cours de droit qui aurait, pour seul effet, d'ennuyer tout le monde.
En imaginant que ce projet soit compatible avec notre ordre juridique supérieur, en l'occurrence avec notre code civil, je ne suis pas certain que le résultat soit à la hauteur des espérances de l'administration fiscale, et ce pour les raisons suivantes :
Tout d'abord, je prends l'exemple d'un gage réalisé rapportant 5 millions de francs au créancier gagiste et générant environ l,5 million d'impôts passant avant le créancier gagiste. La banque, qui ne recevra pas ce dernier montant, le provisionnera dans ses comptes, ce qui diminuera son résultat d'autant.
Par voie de conséquence, le résultat en termes de perception d'impôts supplémentaires sera faible, même s'il est vrai que le taux d'imposition, en matière de banque, est inférieur à ce qu'il est en matière de société immobilière, eu égard à la manière dont les personnes morales sont imposées.
Si nous adoptons ce type de dispositions, les banques ne réaliseront plus leurs cédules hypothécaires puisqu'elles feront une perte. Les juristes ayant une imagination illimitée, ils favoriseront l'émergence d'autres constructions juridiques qui éviteront de recourir à la réalisation du gage immobilier.
Une voix. Comment cela ?
M. Bénédict Fontanet. C'est simple. Il suffit de constituer une société qui reprenne les gages et les créances. On attend et on revend quand l'immeuble a acquis une valeur supérieure. En fin de séance, Monsieur Halpérin et moi-même serons à la disposition de ceux que cela intéresse. (Rires.)
Ce projet de loi va à l'encontre des buts qu'il poursuit, même s'il pose une question pertinente : celle de la problématique de l'imposition des réserves latentes constituées au terme, parfois, de dizaines d'années par les sociétés immobilières.
Ce projet ayant déjà été étudié en commission fiscale, nous serions bien en mal de nous opposer à son examen. C'est avec un bonheur certain que nous tâcherons de convaincre Mme le chef du département, sans prendre la place du calife peut-être enviée par M. Froidevaux, que ce projet est mauvais et qu'il faut le retirer.
Présidence de M. René Koechlin, président
M. Bernard Clerc (AdG). Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que l'équité fiscale ne vaut que sur le plan intellectuel. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que l'on peut trouver des combines pour détourner l'imposition et que si le fisc met le doigt sur ces combines, on peut en trouver d'autres pour continuer à entraver l'imposition.
Vous parliez de hold-up, tout à l'heure ? Pour moi, votre façon de faire est tout simplement du gangstérisme légal, mais du gangstérisme quand même.
Dans quel cas de figure nous trouvons-nous ? Dans celui de sociétés immobilières qui ont bénéficié de prêts largement supérieurs à la valeur des immeubles, prêts qui, très souvent, ont été cédés aux actionnaires eux-mêmes pour des activités n'ayant rien à voir avec des activités immobilières. Un jour, le jeu se termine mal et l'on se retrouve failli.
Que se passerait-il si la faillite était normalement prononcée ? Le fisc pourrait participer à la masse en faillite et revendiquer le paiement de l'impôt. (Dénégation de M. Michel Halpérin.) Parfaitement, Monsieur Halpérin ! C'est pour éviter ces mises en faillite que l'on engage la poursuite en réalisation de gage qui permet aux banques de contourner la loi.
Vous qualifiez ce projet d'antiéconomique. Je pense exactement le contraire, et voilà pourquoi :
Ce projet de loi peut retenir les banques et autres prêteurs à consentir des crédits dépassant largement la valeur du bien immobilier, comme ils l'ont fait dans les années quatre-vingts. Il est donc très intéressant sur le plan économique.
Quant à la perte de la ressource fiscale procurée par les banques, laissez-moi doucement rigoler ! Ces dernières années, l'ensemble des banques suisses a provisionné quarante milliards de francs sur les prêts consentis tant en matière immobilière qu'en matière entrepreneuriale, soit l'équivalent du budget annuel de la Confédération. Malgré cela, les bénéfices des banques n'ont pas cessé d'augmenter, alors que leurs impôts, eux, n'ont pas cessé de diminuer.
On peut facilement jouer avec les provisions et vous le savez, Monsieur Halpérin ! Si les banques ne veulent pas payer d'impôts, elles n'en paient pas. Si elles veulent en payer, elles le font en provisionnant un maximum. Elles jouent avec leurs filiales à l'étranger, et vous le savez aussi... (Protestations.) A une échelle restreinte, vous venez de dévoiler des combines à faire, et vous me feriez croire qu'on ne pourrait pas truquer, pour ne pas payer d'impôts, des bilans portant sur des milliards ! Laissez-moi rire !
Ma conclusion : nous soutiendrons ce projet qui, à notre avis, ne va pas assez loin. En effet, il faudrait modifier l'article 81, alinéa 3, lettre b)...
Le président. Veuillez conclure, Monsieur le député.
M. Bernard Clerc. Pas de problème, j'en ai terminé pour le moment.
Mme Micheline Calmy-Rey, conseillère d'Etat. Le projet que nous vous présentons ce soir est un projet très raisonnable.
En raison des règles légales qui régissent la tenue de leur comptabilité, les sociétés anonymes propriétaires d'un ou de plusieurs immeubles ont constitué des réserves latentes sur les actifs immobiliers. Ces réserves sont imposées à l'occasion de la vente, lors de la liquidation de la société.
La pratique fiscale genevoise, qui autorise l'amortissement des immeubles à usage commercial, à l'exclusion des immeubles d'habitation et de bureaux, favorise encore la constitution de ces réserves.
Dans ce contexte, la liquidation forcée de sociétés immobilières pose problème sur le plan fiscal.
Dans un premier temps, la polémique s'est instituée autour de la qualification donnée à la créance fiscale, née du dégagement des réserves latentes. Les offices de poursuites traitaient cette dette d'impôt comme une dette du failli. Les autorités fiscales soutenaient, au contraire, l'opinion selon laquelle cette dette représente une dette de la masse en faillite.
Dans le premier cas, ce sont des dettes ordinaires qui ne sont payées que lorsque tous les autres créanciers ont été remboursés. Dans le deuxième cas, les dettes de masse sont couvertes en premier et l'administration fiscale récupère son dû avant toute répartition entre les créanciers.
En 1994, le Tribunal fédéral a tranché en faveur de la deuxième option. Depuis, plutôt que de faire liquider la société par voie de faillite, les principaux établissements de crédit de la place ont pris l'habitude de recouvrer leurs créances au moyen, non plus de la faillite, mais de la poursuite en réalisation de gage. Propriétaires de cédules hypothécaires grevant l'immeuble de leur débiteur, ils exigent la réalisation de leur gage sans demander la faillite de la société.
Le produit de la vente est distribué aux créanciers gagistes. L'établissement bancaire ne déclare que l'année suivante le bénéfice en capital résultant de la vente et l'administration fiscale se trouve devant une coquille vide qui ne dispose plus de la moindre liquidité pour acquitter l'impôt.
A ce jour, aucune disposition de la loi sur les contributions publiques ne permet d'imposer. Restent deux possibilités :
L'administration fiscale pourrait, chaque fois qu'elle a connaissance d'une procédure en poursuite de réalisation de gage à l'encontre d'une société immobilière, requérir la mise en faillite auprès du Tribunal de première instance. Le désavantage : l'obligation, pour l'administration fiscale, de connaître les procédures, le succès souvent aléatoire et, de toute façon, l'administration fiscale paie tous les frais de la faillite.
La deuxième possibilité est celle de la modification législative. Elle a été choisie dans le cas présent.
Ce projet de loi raisonnable - certains pensent qu'il ne va pas assez loin - permettra au fisc de récupérer l'impôt qui lui est dû.
Permettez-moi d'ajouter qu'aucun intervenant n'a fait allusion à la deuxième partie du projet qui vise à modifier l'article 371 de la loi sur les contributions publiques. Le but de cette modification est de permettre au séquestre de déployer ses effets, c'est-à-dire d'être opéré rapidement. Il faut donc que l'administration fiscale puisse lever l'opposition du créancier au moyen d'un jugement exécutoire, ce qui n'est pas le cas actuellement. Faute d'avoir introduit cette clause dans la loi, l'administration fiscale n'a pas pu valider nombre de ses créances.
Voilà les objectifs de ce projet que je vous demande de bien vouloir renvoyer en commission.
Ce projet est renvoyé à la commission fiscale.