République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 20 mars 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 6e session - 12e séance
PL 7817
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève
décrète ce qui suit :
Article 1
La loi instituant un service des relations du travail (J 1 05), du 6 octobre 1943, est modifiée comme suit :
Art. 8A (nouveau)
1 Le Conseil d'Etat mandate l'Office Cantonal de l'Inspection et des Relations du Travail (ci-après OCIRT) pour que ce dernier convoque :
- les associations représentatives des travailleurs et des employeurs des branches, des secteurs et, le cas échéant, des métiers concernés,
- à défaut leurs associations faîtières,
qui ne sont pas régies par des conventions collectives de travail (ci-après CCT).
2 L'OCIRT mandaté par le Conseil d'Etat invite les associations de branches, de secteur et de profession (employeurs et travailleurs) à conclure des conventions collectives dans un délai de 12 mois. L'OCIRT peut aider à la négociation et à la conclusion de conventions collectives si l'un des partenaires le souhaite.
Art. 8B (nouveau)
L'OCIRT informe régulièrement le Conseil d'Etat et le Grand Conseil de l'avancement de ses travaux.
Art. 8C (nouveau)
1 Le Conseil d'Etat édicte des contrats-type de travail dans toutes les branches, dans tous les secteurs et, le cas échéant, dans tous les métiers importants qui resteraient sans convention collective au-delà de la période de 12 mois.
2 Le contrat-type de branche de secteur ou de profession s'applique également aux entreprises qui emploient de la main-d'oeuvre temporaire.
Art. 8D (nouveau)
Avant d'être édictés, les contrats-type de travail sont publiés d'une manière suffisante, avec indication d'un délai de 3 mois pendant lequel quiconque justifie d'un intérêt peut présenter des observations par écrit; en outre, l'autorité prend l'avis des associations professionnelles et des sociétés d'utilité publique intéressées conformément au droit fédéral.
Art. 8E (nouveau)
1 Les contrats-type doivent respecter, au minimum, les conditions usuelles en matière de salaires et de conditions de travail, en vigueur dans la branche, le secteur ou la profession concerné.
2 Les contrats-type établis par le Conseil d'Etat stipulent que les accords en défaveur du travailleur dérogeant à la durée du travail, au travail supplémentaire, aux salaires minimaux, à la durée des vacances, aux absences justifiées, aux délais de congé doivent être conclus par écrit en mentionnant dans leur totalité la clause du contrat-type à laquelle il est dérogé.
Art. 8F (nouveau)
Tous les 3 ans le Conseil d'Etat réunit l'ensemble des partenaires sociaux du canton en vue d'évaluer les effets des présents articles et, le cas échéant, de les modifier.
Art. 8G (nouveau)
Les travailleurs ou les employeurs y compris leurs sous-traitants qui viendraient à déroger à une quelconque clause du contrat-type ou des CCT les régissant ne pourront bénéficier des commandes de l'Etat. (J 1 54.04).
Art. 8H (nouveau)
Il est confié à l'Office Cantonal de la Statistique (OCSTAT) un mandat permanent pour recenser les salariés conventionnés, leurs conditions salariales et de travail.
Par ailleurs le Conseil d'Etat mandate l'OCSTAT pour recenser les salaires et les conditions de travail usuels dans le canton en se fondant, entre autres, sur le recensement fédéral des entreprises.
Ces études permettant au Conseil d'Etat d'établir les conditions usuelles des contrats-type.
Art. 2
La présente loi est applicable dès sa promulgation.
Exposé des motifs
Le texte de loi qui vous est proposé, veut harmoniser les conditions-cadre qui touchent à l'ensemble du personnel salarié du canton concernant notamment : la limitation des heures supplémentaires et plus généralement la durée du travail, la durée des vacances, les absences justifiées, le régime d'assurance, les délais de congé et enfin les salaires minimaux. Il se veut interprofessionnel dans la mesure où il permet, le cas échéant, aux partenaires sociaux comme au Conseil d'Etat de réguler les conditions salariales et sociales de l'ensemble des salariés d'une branche, d'un secteur ou d'une même entreprise. Ce projet de loi n'est, de loin, pas révolutionnaire, il a pour objectif de tenter de juguler une inclination du marché du travail : la baisse des salaires par la non-indexation et la sous-enchère salariale à l'embauche. En matière de régulation du marché du travail, il n'est pas précurseur puisque depuis un certain nombre d'années notre canton, comme l'ensemble des cantons suisses, s'est donné des instruments de contrôle et donc de régulation basés, entre autre et principalement, sur l'origine de la main-d'oeuvre. Les conditions de cette politique ont été largement dénoncées pour leur caractère discriminatoire.
Ce projet de loi s'inscrit dans une réalité sociale et économique qui devient chaque jour plus préoccupante pour les travailleurs. En effet, depuis plusieurs années, un certain nombre de secteurs économiques (taxis, carrosserie, nettoyage, etc.) sont soumis à des distorsions de concurrence ayant pour corollaire, entre autres, l'aggravation des conditions salariales et sociales. De plus, le cadre conventionnel qui régit les rapports entre travailleurs et employeurs est en constante régression.
Ainsi, sous l'effet de ces distorsions, pressions locales, régionales, nationales et internationales, une partie significative de l'économie du canton est entrée, depuis le début des années 1990, dans une pratique généralisée de sous-enchère salariale. Ce projet de loi veut mettre un terme à ce processus dévastateur.
Petit rappel historique
Alors que, dans certains secteurs, les rapports conventionnels ont été introduits dans un cycle de croissance où la main-d'oeuvre était rare, ces contrats ont permis de réguler le marché du travail et notamment de contenir l'explosion du coût du travail en faveur des employeurs. A contrario lorsqu'il s'agit aujourd'hui de contenir la baisse des salaires et des prestations sociales, certains employeurs refusent de jouer le jeu et quittent le cadre conventionnel. En effet et par exemple, l'an passé une majorité des employeurs du nettoyage a abandonné l'association patronale les rattachant à la convention collective de leur branche en vue de se soustraire aux obligations découlant du texte qu'ils avaient eux-mêmes signé. Dernièrement, on a appris qu'ils avaient formé une nouvelle association professionnelle et signé une nouvelle convention collective en dessous des normes précédentes pour le personnel à temps partiel majoritaire dans cette branche.
Quelques rappels généraux
- A la mi-novembre 1997, 120 conventions collectives régissaient les rapports de travail entre employeurs et travailleurs de ce canton. Quatre-vingt-deux d'entre elles, organisaient des secteurs d'activités et trente-huit des entreprises. De 1992 à 1997, 5 CCT ont été dénoncées, sans parler des employeurs du nettoyage qui ont déserté leur association professionnelle pour rendre impossible l'application de leur CCT. En réaction à ce désengagement, les syndicats représentants des employés de la carrosserie et de la floriculture ont exigé du Conseil d'Etat qu'il édicte un contrat-type de travail. Ce qui a été fait dans le courant 1996 et 1997. Plus tard, pour la carrosserie, un recours a été déposé au Tribunal fédéral par des employeurs mécontents de la norme édictée par les autorités. Par contre 5 CCT ont vu le jour (cliniques privées, petite enfance, préparateurs en pharmacie, Fondation de l'école internationale, et Pain d'Or).
- Depuis de nombreuses années les conditions de travail de certains secteurs économiques précaires sont régies par des contrats-type de travail. Les articles 359, 359a , 360 du Code des Obligations régissant ses contrats-type imposent aux cantons de les édicter obligatoirement pour les travailleurs agricoles et le service de maison, et laissent la compétence à l'Etat cantonal d'en promulguer pour les autres secteurs. Conformément au droit fédéral, le gouvernement genevois a imposé un contrat-type dans l'économie domestique à temps partiel et à temps plein ainsi que pour le secteur agricole, les jeunes au pair et les jeunes aides de ménage.
- Depuis le début des années 1990, on assiste à une dégradation des conditions de travail : les heures supplémentaires et la flexibilité du travail augmentent et les salaires diminuent par le phénomène de la non-indexation couplé à la sous-enchère à l'engagement. C'est une réalité économique incontournable et pourtant ces dernières affirmations peuvent être sujettes à caution. En effet, en ce domaine et du point de vue statistique, notre canton est extrêmement pauvre. Pour tous les professionnels du marché du travail il paraît toutefois sensé d'affirmer que, dans certains secteurs, la non-indexation des salaires a réduit le pouvoir d'achat des salariés de plus de 15 % et, si l'on y ajoute les diminutions de salaire imposées lors d'une restructuration, d'une fusion, ou d'un rachat d'entreprise, c'est d'une baisse se situant aux alentours de 25 % du pouvoir d'achat dont il est question.
- Rappelons encore deux injustices flagrantes qui touchent principalement les femmes. A savoir, d'abord, les différences scandaleuses de rémunération avec leurs collègues hommes en relation avec la responsabilité et la formation. Et enfin les contrôles exercés sur l'immigration notamment sur son niveau de rémunération par l'octroi de permis de travail, contrôles qui sont inexistants pour l'ensemble des salariés locaux non soumis à une convention collective.
- Et, pour terminer, n'oublions pas le lent mais inexorable processus dans lequel s'inscrit une personne qui perd son travail stable et qui trouve des emplois précaires, temporaires, intermittents (ou de courte durée). Son salaire baissant régulièrement au gré de ses périodes d'allocations chômage, réduit de 20 ou 30% par rapport à son dernier emploi.
Le mythe des conventions collectives
Loin de nous l'idée de croire qu'une convention collective ou un contrat-type serait un véritable rempart contre les baisses de salaire. Encore moins qu'une CCT ou un contrat-type corresponde, du point de vue de la rémunération du travail, à la pratique réelle dans les entreprises. De trop rares études ont déjà mis à mal ce mythe répandu dans le monde syndical qui consiste à croire en l'efficacité des grilles salariales négociées paritairement. Seule l'introduction d'un salaire minimum d'environ Fr. 4'000.- pourrait permettre de contenir cette baisse dans les secteurs les plus précaires. Ce projet de loi veut faire un pas dans cette direction tout en permettant, à terme, d'une part d'avoir une idée plus juste de cette réalité du monde du travail et, d'autre part, de faciliter l'établissement de cette norme.
Sur le fond notre idée est de garantir les mêmes conditions de travail sur l'ensemble du territoire de notre région, secteur par secteur, voire pour certaines professions, profession par profession, comme par exemple, les secrétaires et ainsi freiner et même stopper toute forme de concurrence entre employeurs fondée sur le marché du travail. Dans les rapports sociaux actuels, pour des niveaux de pénibilité et de formation équivalents, les conditions de travail de l'ensemble des salariés sont régies par la seule loi de l'offre et de la demande. Dans cette logique capitaliste, seules comptent la pléthore ou la rareté de la main-d'oeuvre. Il est pris secondairement en considération les qualifications, le degré de responsabilité, les compétences, par exemple. Il s'agit aujourd'hui de mettre en place de nouveaux instruments qui soient adaptés aux conditions économiques actuelles en respectant notamment la primauté de la personne sur l'économie.
Un défi : réguler d'une autre manière le marché du travail
Depuis un certain nombre d'années, le canton de Genève comme l'ensemble des cantons suisses, s'est donné des instruments de régulation basés, entre autre et principalement, sur l'origine de la main-d'oeuvre. Cette politique a été largement dénoncée notamment pour son caractère discriminatoire. Elle a induit une conception raciste dans les relations de travail. La formule aseptisée des trois cercles a validé définitivement ce concept. Dernièrement la remise en question de cette notion n'a pas changé le fondement de cette politique. Les mesures proposées par la présente loi sont à l'opposé de ces pratiques et pourtant elles se fondent sur un des aspects les moins controversé de l'application de l'ordonnance fédérale : le respect des usages professionnels.
Enfin le Conseil d'Etat ou le parlement devra donner de réels moyens à l'administration pour mettre en place cette nouvelle politique. Le texte de loi adopté, de nouveaux engagements devront être envisagés, il n'interdit toutefois pas d'imaginer des rocades.
Commentaires article par article
L'article 8A :
- alinéa. 1 invite tous les partenaires sociaux, les associations de travailleurs voire leurs associations faîtières, professionnelles ou interprofessionnelles de secteurs ou de professions inorganisés, à ce rencontrer pour établir des conventions collectives là où il n'y en a pas. C'est l'objectif principal de ce projet de loi. Par cet article les représentants des secteurs ou des branches économiques, des entreprises ou des professions sont priés de se rencontrer et d'établir un cadre légal qui règle leurs rapports de travail, soit avec le concours des autorités, soit entre eux, soit même devant l'office de conciliation éventuellement mandatée comme tribunal arbitral.
- alinéa 2 fixe un délai de 12 mois pour conclure les pourparlers. Pourquoi un délai aussi long ? Il nous paraît convenable de laisser la possibilité aux deux parties de réunir plusieurs fois les assemblées générales de leurs mandants, voire d'appeler et de construire un regroupement professionnel ou sectoriel.
L'article 8B établit qu'il sera fait rapport par l'OCIRT au gouvernement et au parlement de l'état d'avancement de l'application du présent texte. Ainsi le Conseil d'Etat pourra prévoir, en cours de procédure, des études particulières concernant certains secteurs difficiles en vue d'établir, le cas échéant, un contrat-type.
L'article 8C :
- impose au Conseil d'Etat de promulguer des contrats-type là où des CCT feraient défaut après 12 mois. Cette disposition ne devrait être employée que dans la mesure ou les parties n'ont pas pu se mettre d'accord ou refusent de se réunir et d'établir un texte qui paraisse raisonnable au vu des conditions de travail couramment usitées dans leurs domaines respectifs.
L'alinéa 2 assujetti l'ensemble des entreprises temporaires aux conventions collectives et, le cas échéant, aux contrats-type édictés par le Conseil d'Etat mettant ainsi fin à une situation de non-droit qui n'a que trop duré à Genève.
L'article 8D fait référence à la procédure légale et donne un délai raisonnable aux parties pour faire valoir leur point de vue. La loi fédérale ne donne pas de délai précis elle se contente de la notion de "; délai ". Pourtant, il nous apparaît qu'une période de 3 mois serait largement suffisante pour conclure un travail d'élaboration codifié par des services administratifs. Elaboration qui devrait avoir débuté, rappelons-le, depuis le jour ou les parties ont été convoquées et qu'elles ont, soit fait valoir leur mésentente ou que l'autorité les soupçonne de ne pas vouloir élaborer une CCT sous le régime de la bonne foi. Ainsi, ces secteurs ou professions seront très rapidement identifiés au début de la procédure d'invite ou même dans le courant de celle-ci.
L'article 8E alinéa 1 impose un plancher au législateur en l'occurrence le Conseil d'Etat. En effet, il deviendrait contre-produisant d'édicter des normes qui soient en-deçà des pratiques usuelles sous prétexte de les aligner sur le plus petit dénominateur commun.
L'article 8E alinéa 1 tente d'éviter qu'un certain nombre d'employeurs déroge à la norme édictée par le Conseil d'Etat au moyen d'un contrat individuel de travail. Ainsi, il impose à l'employeur qui voudrait se soustraire au texte du contrat-type, s'il le fait, de soumettre par écrit à son employé les droits qu'il entend lui accorder en supplément ou lui soustraire. Le salarié étant alors libre de refuser ou contraint d'accepter des clauses qui dérogeraient en sa défaveur au contrat-type. Il resterait à ce dernier, à la fin de ses rapports de travail ou dans le courant de ceux-ci, à faire valoir ses droits devant le Tribunal des Prud'hommes, la justice ayant alors tout loisir d'établir la contrainte.
L'article 8F garantit que l'ensemble de ces dispositions pourront être modifiées et qu'elles présentent une véritable et perfectible tentative de régulation du marché du travail.
L'article 8G permet à l'Etat d'empêcher des appels d'offres en faveur d'employeurs qui ne joueraient pas le jeu. Cette manière de faire est déjà courante dans le secteur du bâtiment et dans d'autres secteurs. De plus, nous aurions pu faire référence à une politique similaire en ce qui concerne les permis de travail mais s'est à dessein que nous l'avons écartée. En effet, la nouvelle norme sociale que nous proposons ici diffère radicalement des usages légaux qui ont court actuellement dans certains secteurs. Les pratiques de l'office cantonal de la population, et notamment celles de la tri-partite, n'étant que l'instrument fédéral de cette politique. Ce nouveau texte de loi se veut à l'opposé de l'exercice actuel de la loi qui est, quoi qu'on en dise, discriminatoire, voire xénophobe, envers des populations entières. Pourtant notre idée est de sauvegarder comme références régulatrices les "; usages professionnels " tels que définit dans l'article 9 OLE.
En effet, l'ordonnance fédérale sur la limitation des étrangers, en son article 9, tentent d'éviter une distorsion de concurrence en imposant aux autorités cantonales de faire respecter les usages professionnels dans l'octroie des permis de travail. En cas d'adhésion de la Suisse à l'Europe, cet article de l'ordonnance serait abrogé ou modifié et le grave problème du personnel détaché referait son apparition. Ainsi, la concurrence sur les salaires par le bas s'accentuerait sans aucun doute. Au contraire, le projet de loi présenté ici et, dans la mesure ou il sera adopté et mis en place avant cette échéance, se substituera à cette politique discriminatoire en offrant un cadre légal conforme à la libre circulation des personnes et surtout conforme aux droits de l'homme.
L'article 8H invite le Conseil d'Etat à mandater l'OCSTAT pour que soient établies de véritables statistiques touchant les rapports conventionnels. L'objectif de cette étude étant de soustraire les conditions salariales et sociales réellement pratiquées dans les entreprises conventionnées de l'enquête fédérale des entreprises et d'avoir ainsi une vision plus juste de ce que sont les conditions de travail de l'ensemble des salariés du canton et notamment des salaires pratiqués sous l'emprise d'un régime de CCT. De plus, cette statistique permettra de fonder objectivement la notion d'usages professionnels comme pivot de la présente loi.
En résumé, les propositions d'articles de loi qui vous sont soumises ont pour but, d'une part, d'harmoniser les conditions-cadre qui touchent à l'ensemble du personnel salarié et, d'autre part, de réguler le marché du travail. Au vue des échéances européennes à venir que la Suisse devra affronter tôt ou tard, cette nouvelle politique nous paraît être la solution la plus respectueuse des intérêts de l'ensemble des travailleuses et des travailleurs ainsi qu'un moyen efficace de régulation du marché du travail et de la concurrence qui y fait rage. Ainsi, sera donné un coup d'arrêt salutaire à la baisse inexorable des salaires qui s'est enclenchée au début des années 1990.
Au bénéfice des explications qui précèdent, nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de réserver bon accueil au présent projet de loi.
Préconsultation
Le président. Nous sommes en débat de préconsultation. Je vous rappelle la règle : un intervenant par groupe; temps de parole cinq minutes. Monsieur Pagani, vous avez la parole.
M. Rémy Pagani (AdG). Lorsque nous avons commencé à rédiger ce projet de loi, nous n'avions pas encore connaissance de la fusion de la SBS avec l'UBS. Pas encore connaissance de la très grave crise économique que subissent certains pays d'Asie du Sud-Est. Il est clair aujourd'hui que, pour notre pays, la fin de ce siècle restera fortement marquée par ces deux événements. En effet, ils précipiteront les uns dans un peu plus de misère et les autres, une minorité, dans un océan infini de billets de banque. Quelques chiffres simples résument l'inefficience du système capitaliste dans lequel nous vivons. Au début des années 90, sur 100 F qui circulaient autour de la planète, seuls cinq étaient investis dans l'économie réelle. Fin 1997 plus que, si j'ose dire, 3 F. Et ce processus destructeur de l'économie mondiale va continuer jusqu'au jour où cette proportion ne représentera plus que quelques centimes.
Dans ces conditions notre devoir est tout d'abord de dénoncer cette logique qui consiste à penser que la mondialisation et la concurrence sont l'alpha et l'omega du seul véritable objectif que s'est fixé l'humanité dans son évolution, satisfaire ses besoins et améliorer collectivement et solidairement les conditions globales de la vie. Ensuite, il nous faut démontrer qu'il est possible d'envisager d'autres systèmes fondés, entre autres valeurs, sur la solidarité, le respect du travail de l'autre, la régulation des échanges. C'est dans ce cadre que nous voulons inscrire notre proposition. En quelques mots et avant que les uns et les autres tirent à boulets rouges sur ce projet de loi, nous voudrions qu'au moins chacun comprenne correctement la mécanique qui sous-tend cette nouvelle manière de concevoir les rapports de travail.
En définitive, c'est extrêmement simple. Nous envisageons de faire établir une statistique par l'Office cantonal concernant les conditions salariales et sociales pratiquées dans les entreprises de ce canton. Nous en avons les moyens. Le recensement fédéral des entreprises existe depuis des années. Il est établi tous les cinq ans. Il s'agirait aussi de répertorier ces données pour toutes les entreprises soumises actuellement au régime des conventions collectives. Partant de là, nous pourrions mettre en oeuvre des outils performants pour réguler le marché du travail sur la base d'un salaire moyen ou médian du secteur, de la branche ou de la profession concernée et donc tenter de mettre un frein à la concurrence acharnée que se livrent les acteurs du marché sur le dos de leurs futurs employés. (Exclamations.)
Avant qu'une telle mesure ne soit prise, les employeurs et les travailleurs pourraient toutefois se mettre d'accord pour conclure une convention collective dans les secteurs, les branches ou les professions dépourvus de tels contrats. Pour ce faire, il leur serait garanti un délai d'une année au-delà duquel l'Etat interviendrait pour sanctionner la minorité d'employeurs ou de travailleurs qui n'aurait par conclu de tels contrats. Mettons tout de suite les choses au point pour éviter de faux débats.
Premièrement. Il ne s'agit pas ici de faire la part belle aux syndicats en leur offrant des conditions-cadres qui leur permettraient pour ainsi dire de se reposer sur leurs lauriers, bien au contraire ! (Exclamations.) Je ne vous le fais pas dire ! Puisque chaque employeur et chaque travailleur et travailleuse aura toujours la possibilité de s'associer à une convention collective ou de surseoir à ce contrat-type par un contrat individuel. On pourrait résumer le projet proposé par une tentative de rééquilibrer la balance en considérant qu'aujourd'hui, dans cette crise économique où le travail est rare, au moment de la signature d'un contrat de travail, le salarié est en position d'infériorité. Le but étant de garantir à l'ensemble des travailleurs et travailleuses de notre région une certaine équité lors de la signature d'un contrat de travail.
Deuxièmement. J'entends déjà certains membres de notre Alternative mettre à mal ce projet de loi en imaginant que ces contrats-type pourraient détériorer les conditions de travail des employés sous convention collective, voire ravaleraient l'ensemble des rapports de travail aux normes les plus basses. Ces critiques sont non fondées dans la mesure où d'une part, pour les secteurs où ces contrats-type existent, l'économie domestique par exemple, le fait de recenser les salaires réels pratiqués dans la branche ne peut que tirer vers le haut les salaires minimums scandaleusement bas des contrats-type imposés par le Conseil d'Etat ou par l'Office de conciliation. Ces contrats-type sont établis sur la base de critères aléatoires si ce n'est politiques. Et si, par pure hypothèse, ces critiques étaient fondées, il nous suffira en commission d'envisager des amendements garde-fous.
Quant aux salaires minimums établis par les conventions collectives, ils ne peuvent être touchés, n'étant pas remis en cause par ce projet de loi.
Le président. Veuillez conclure, Monsieur le député !
M. Rémy Pagani. Je conclurai provisoirement sur ce sujet en disant qu'il nous faut mettre en perspective ce projet avec les accords bilatéraux que la Suisse conclut en ce moment au niveau européen. (Brouhaha.) Le principe de la libre circulation des personnes auquel notre groupe adhère impliquera de toute manière une refonte de nos conceptions contractuelles. Le Conseil fédéral et l'OFIAMT ont déjà rédigé des propositions précises que le canton va recevoir en consultation prochainement. Si le dossier des transports se débloque...
Le président. Vous avez dépassé votre temps de parole, Monsieur le député !
M. Rémy Pagani. Oui, mais ils m'ont interrompu !
Le président. Non, non, ils ne vous ont pas interrompu ! Je vous prie de conclure sinon je serai obligé de vous interrompre. Vous disposez de cinq minutes en débat de préconsultation.
M. Rémy Pagani. Ces propositions, c'est l'extension des conventions collectives, la généralisation des contrats-type et la mise sous toit d'une loi pour protéger les travailleurs détachés. Nous vous livrons ce texte en espérant que nous pourrons, sur cet objet, poursuivre notre débat sereinement et surtout oeuvrer pour le bien commun et notamment celui de l'écrasante majorité du peuple de Genève, les salariés, les sans-emploi. Merci.
M. Daniel Ducommun (R). Si le projet de loi qui nous est présenté ce soir ne passe par la rampe de ce Grand Conseil, il pourrait sans autre être exploité avec succès par le cinéma. (Rires.) L'exposé des motifs nous rappelant tellement le scénario des «Visiteurs», actuellement sur nos écrans, Christian Ferrazino, le comte Godefroy de Montmirail dit «Le Hardi», et Rémy Pagani dit «Jacquouille». (Rires.)
Vous nous présentez, Messieurs, un projet nous transportant sans nuances de l'époque médiévale au 3e millénaire. De plus, le dernier exemple angoissant d'une économie planifiée étatique est celui du communisme que le Mur de Berlin, par sa destruction, a pu enfin libérer.
Quelle idée saugrenue que de vouloir à nouveau donner les moyens à l'Etat de contrôler l'ensemble de l'économie genevoise en imposant à toutes les entreprises des conditions de travail ne tenant nullement compte de la réalité économique de chacun des secteurs d'activité. Dans votre projet, vous ignorez par dogmatisme les principes du partenariat social suisse et genevois qui a assuré, en dehors de toute contrainte légale, un progrès social et des conditions de travail exemplaires. Si la globalisation des marchés entraîne un taux de chômage inacceptable, il n'en reste pas moins que notre paix sociale, liée à la qualité des rapports entre représentants du monde patronal et ouvrier, est une référence citée comme exemple dans le monde entier.
Alors, Messieurs, pourquoi vouloir aller à contre-courant de notre Histoire, redonner à l'Etat des pouvoirs tutélaires mettant ainsi fin à la pratique constante du dialogue et du partenariat que nous connaissons en la vidant de toute substance et marge de manoeuvre ?
Au-delà de ces considérations de principe, nous relevons que, pour ce qui est de l'obligation de conclure des contrats-type de travail, les CCT, vous violez le droit constitutionnel fédéral aussi bien en ce qui concerne la liberté de commerce et d'industrie que l'article 19 du CO garantissant la liberté contractuelle. En définitive, le groupe radical s'oppose à cette mesure dogmatique hors des réalités du monde du travail. Nous respectons toutefois le principe qui veut que chaque projet de loi soit discuté sereinement en commission. Nous souhaitons vivement qu'en commission de l'économie «les Visiteurs», Godefroy de Montmirail et Jacquouille, quittent leur habit d'époque pour redevenir des citoyens raisonnables de l'an 2000.
M. Jean-Claude Vaudroz (PDC). Après l'avis du cinéma, j'en donnerai peut-être le titre : j'avais pensé effectivement que ce projet de loi ressemblait à une vision de notre économie qui évoquait les «Temps modernes» de Chaplin. Evidemment, je ne partage pas du tout les objectifs de ce projet de loi et il me semble même que ce projet de loi va complètement à contresens de notre situation actuelle. Je pense que l'unique intérêt que l'on pourrait effectivement y trouver, pour certains d'ailleurs, serait la promotion de ces conventions collectives. M. Ducommun l'a rappelé; en fait le droit fédéral au niveau constitutionnel garantit finalement deux libertés que ce projet de loi viole manifestement : il s'agit de la liberté du commerce et de l'industrie et bien entendu la liberté contractuelle.
D'autre part - et ma deuxième remarque a trait à l'évolution finalement socio-économique que vivent nos entreprises - il me semble, Monsieur Pagani, que lorsque vous parlez des entreprises vous parlez évidemment de la fusion UBS-SBS, mais vous oubliez certainement que le tissu économique de notre pays est formé à 80% d'entreprises qui sont des PME employant moins de vingt personnes. Evidemment la situation de ces entreprises est essentiellement liée à la situation de leur marché ou de leur niche et elle est très différente finalement s'il s'agit d'entreprises de commerce, d'entreprises de type industriel ou d'entreprises du secteur du bâtiment. Malheureusement les conventions collectives de travail ne règlent finalement pas le problème économique que les entreprises ont à affronter. Cela entraîne, bien entendu, un certain nombre de conséquences. Je suis tout à fait d'accord que des périodes comme celles que nous vivons aujourd'hui dans nos entreprises ne sont pas favorables à l'évolution sociale de l'ensemble du personnel.
Toutefois, je pense qu'aujourd'hui la situation actuelle démontre que les organismes existants, tant syndicaux que patronaux, fonctionnent bien et donnent parfaitement satisfaction pour toute une série de raisons. Les raisons principales, à mon avis, sont tout d'abord une parfaite connaissance des uns et des autres des différents marchés les concernant, des différentes branches concernées ou des différents secteurs. Ces différents acteurs sont extrêmement présents finalement sur le terrain, ce qui permet d'obtenir un dialogue constant entre les responsables d'entreprises et les responsables du personnel. L'objectif étant bien entendu la paix du travail.
Le président. Vous devez conclure, Monsieur le député !
M. Jean-Claude Vaudroz. Ce qui m'inquiète essentiellement et ce qui me paraît extrêmement intéressant dans la situation actuelle, c'est de voir les uns et les autres évoluer dans différentes voies alors que les conventions collectives devraient au contraire se concentrer de plus en plus vers l'unité c'est-à-dire l'unité même qu'est l'entreprise. Monsieur Pagani, lorsque je vous dis «TQM», cela ne doit probablement pas vous dire grand-chose et pourtant le «Total Quality Management», par exemple, non seulement parle des questions de qualité et de la relation que l'entreprise doit avoir avec son client, mais parle également de la relation extrêmement importante qu'une entreprise doit avoir avec l'ensemble de son personnel. Aujourd'hui, si nous voulons avancer, cette relation est prioritaire.
Le président. Monsieur, je vous prie instamment de conclure. Vous avez dépassé votre temps de parole !
M. Jean-Claude Vaudroz. Il est essentiel que nous ayons une relation de qualité. Le parti démocrate-chrétien évidemment ne peut pas accepter un tel projet et, s'il devait partir en commission, nous le voterions du bout des lèvres.
M. Charles Beer (S). Le sujet qui nous est proposé par le projet de loi est éminemment d'actualité. Je crois que le dumping social et salarial est devenu malheureusement une réalité dans notre canton, non seulement par le fait des difficultés économiques que connaissent effectivement certaines entreprises, mais également par des pratiques honteuses exercées par certains employeurs. Cela dit, juste pour mesurer un peu ce que cela représente en termes de chiffres, j'aimerais dire que cette baisse des salaires, pour autant que l'on puisse l'évaluer dans le canton de Genève, je la limiterais pour ma part à 1,5%, ce qui est déjà considérable puisque compte tenu du revenu cantonal le recul, y compris la suppression d'emplois, ne dépasse pas 6,6%. Voilà pour ce qui est de la réalité du dumping social et salarial qui risque de s'accentuer au cours des années à venir.
Deuxième chose. L'ordre juridique sur lequel nous travaillons en matière de droit du travail est représenté respectivement par la loi sur le travail, le code des obligations, les conventions collectives de travail ainsi que les usages professionnels pratiqués notamment par les commissions du marché de l'emploi et lesdites commissions tripartites. Je déplore, pour ma part, que les personnes ou le parti qui déposent le projet de loi assimilent les pratiques de la commission tripartite à une pratique xénophobe et raciste, pratique qui ne fait que veiller à ce que les conditions d'entrée sur le marché du travail soient bien adéquates aux usages professionnels. Voilà pour ce qui est du constat.
Maintenant, le contrat-type au niveau simplement juridique est de droit dispositif. Ainsi que l'a dit M. Pagani tout à l'heure, il suffit de signer un contrat individuel pour déroger au contrat-type, pour autant qu'il ne soit pas dérogé aux clauses normatives essentielles du code des obligations. Voilà pour ce qui est rapidement de l'ordre juridique. L'enjeu, la libre circulation, j'y reviendrai tout à l'heure dans ma conclusion.
Que nous propose le projet de loi par rapport au constat effectivement grave que je partage avec mes collègues de l'Alliance de gauche ? Le projet de loi nous propose: une obligation de négocier, un délai et un contrat-type fixés par le Conseil d'Etat et des statistiques qui nous seront évidemment utiles.
En ce qui concerne l'obligation de négocier, j'aimerais dire, à titre personnel, ceci : en tant que syndicaliste je me refuse, et je me refuserai toujours, à négocier des conditions de travail au nom de salariés qui ne nous ont rien demandé. Le syndicalisme détient ses mandats de ses membres et n'a pas d'autre faculté d'agir que celle-ci. Sans quoi il y a des risques que soit fixé n'importe quoi et je peux vous citer quelques exemples de conventions où il n'y a pas de membres dans les syndicats. Ce sont des conditions extrêmement graves qui ont plutôt tendance à cautionner des pratiques douteuses des employeurs.
Deuxième élément : les moyens. En ce qui concerne l'OCIRT, les postes ayant diminué, il faudra donner des moyens supplémentaires à l'Office cantonal de l'inspection et des relations du travail si on lui confie la tâche de suivre de telles négociations. Enfin le contrat-type : le contrat-type reste et restera de droit dispositif. C'est-à-dire qu'il ne va pas être établi de salaire minimum, de même qu'il n'y aura pas de définition d'un minimum s'agissant des conditions de travail. Il sera toujours possible, en tout temps, d'y déroger puisque ce sont les contraintes du droit fédéral actuel. La solution qui nous est présentée serait que le Conseil d'Etat fixe les conditions de travail. Je tiens à dire, en tant que député socialiste, en tant que député de gauche, que je ne comprends pas comment une majorité de gauche vise aujourd'hui à dire qu'il appartient à un gouvernement à majorité de droite de fixer le contenu minimum des conditions de travail. Oui, je vois des risques de pression à la baisse sur les salaires, de même que je vois des risques de pression à la baisse sur les conditions de travail en général. Voilà pour ce qui est de la mécanique proposée. De là à dire encore que c'est le juge du Tribunal des prud'hommes qui devrait déclarer...
Le président. Il vous reste trente secondes pour conclure, Monsieur le député !
M. Charles Beer. ...que le contrat-type est obligatoire, eh bien, nous nous trouvons en pleine confusion des pouvoirs.
J'arrive à la conclusion en disant ceci. La libre circulation des travailleurs à venir, que nous souhaitons, doit reposer sur des mesures compensatoires qui notamment donnent un contenu réel au contrat-type et permettent d'étendre les conventions collectives de travail. Elles doivent également porter sur un maintien de la commission tripartite et sur la création d'emplois et les luttes sociales. Car c'est de cette manière-là que nous arriverons à protéger valablement les travailleurs. Je termine, Monsieur le président...
Le président. C'est terminé, Monsieur !
M. Charles Beer. ...en disant ceci : je déplore simplement qu'un tel projet de loi, aussi important, puisqu'il y a des mesures cantonales à prendre, ait été rédigé dans le plus parfait mépris de la concertation puisque aucun syndicat de la Communauté genevoise d'action syndicale en tant que tel n'a été de près ou de loin consulté. Imaginez ce que cela donnerait si un projet de loi était déposé sur le logement ou la fonction publique sans que tel ou tel député de gauche n'ait consulté respectivement l'ASLOCA ou le Cartel ! (Applaudissements.)
M. Gilles Desplanches (L). Le groupe libéral a toujours été un partisan des contrats collectifs négociés entre les partenaires sociaux. C'est ce que l'on appelle la liberté contractuelle. Faut-il rappeler aux initiants que le but premier des conventions collectives est une négociation entre les partenaires sociaux sur les droits et devoirs de chaque partie ? Ce projet de loi jette le discrédit aussi bien sur les syndicats que sur les patrons. Il tend à désinformer les députés en insinuant que la paix du travail est fortement menacée, que les syndicats ne sont pas en mesure de s'exprimer ni de revendiquer les droits élémentaires des travailleurs et que la plupart des patrons sont de véritables profiteurs. Or la situation est bien différente. A la lecture de l'exposé des motifs, on constate que cent vingt conventions collectives régissent le droit du travail. Certaines de ces conventions sont des conventions nationales qui sont traitées en amont par les partenaires sociaux concernés, d'autres sont des conventions cantonales ou d'entreprises. Ainsi que les initiants l'ont rappelé, seules cinq CCT en l'espace de cinq ans ont été dénoncées. Cinq autres dans la même durée ont été créées.
Est-il utile de rappeler ici que notre canton vit une période difficile économiquement ? Qu'un grand nombre d'entreprises ont de sérieuses difficultés à tourner et que l'économie est en pleine mutation ? Dans notre canton, le tissu économique est composé à plus de 90% par des petites entreprises. Ce sont elles qui font l'économie, qui créent des emplois et qui s'acquittent de la plupart des taxes et impôts pour le fonctionnement de notre canton. Il est faux de croire que depuis 1990 les entreprises sont dans une dynamique exponentielle, bien au contraire. La plupart d'entre elles, et bien souvent les plus petites, équilibrent juste les dépenses au détriment des investissements. Contrairement au secteur public, une entreprise ne peut pas s'endetter à l'infini car à très court terme elle mettrait la clef sous la porte. C'est malheureusement pour cette raison que les patrons ne sont pas toujours en mesure d'accorder les augmentations désirées. Les initiants demandent l'introduction d'un salaire minimum. Sur quels critères vont-ils statuer ? Sur les heures supplémentaires ? Sur les heures hebdomadaires ? Sur les qualifications professionnelles ? Sur le type de travail ? En tenant compte du treizième ? Ou tout simplement sans critère préalable ?
Contrairement à ce qui est affirmé dans l'exposé des motifs, la qualification, les compétences, le niveau de responsabilité ainsi que celui de la pénibilité sont les critères qui permettent d'évaluer les salaires. Est-il raisonnable de croire qu'il est dans les compétences du parlement de s'immiscer dans les entreprises en leur indiquant quel est le salaire à offrir à leurs employés ? Il est utile de préciser que tous les types de métier n'ont pas la même marge de bénéfice; que chaque profession subit de façon différente la concurrence, qu'elle soit cantonale, transfrontalière ou internationale. Il m'apparaît que le projet de loi peut avoir un effet dévastateur pour l'emploi et pour la précarité de celui-ci en imposant les conditions d'emploi dans certains secteurs, ce qui pourrait avoir pour conséquence tout simplement d'encourager certains à engager des travailleurs non déclarés et de favoriser le travail au noir. Ce n'est pas dans l'intérêt des associations professionnelles ni dans celui des travailleurs.
En conclusion, Mesdames et Messieurs les députés, le groupe libéral souhaite que d'autres CCT voient le jour. C'est pour cette raison que nous vous invitons à laisser aux partenaires sociaux le soin légitime de négocier les conditions de travail. C'est leur devoir et leur droit. Nous essayerons de vous convaincre en commission.
M. David Hiler (Ve). En premier lieu les constats. Les auteurs du projet de loi constatent que, dans un marché du travail peu favorable aux salariés, il y a évidemment une pression assez forte à la baisse des salaires. Il ne faut pas la dramatiser, elle n'est pas aujourd'hui insupportable mais elle devrait s'aggraver si le chômage devait se poursuivre. Il y a donc un risque. La baisse effective du salaire réel constatée depuis quelques années nous conduit à chercher des solutions pour essayer de rétablir l'équilibre. Il est vrai qu'il existe beaucoup de petites entreprises en difficulté; je comprends tout à fait ce discours et je veux bien y adhérer. Il est vrai également, et il ne faudrait pas l'oublier peut-être sur certains bancs, que les entreprises qui réalisent de coquets bénéfices, disons-le, ne sont pas forcément petites. A voir les taux de rendement souhaités sur les fonds propres pour un certain nombre d'entre elles, on n'a pas l'impression qu'il y ait un partage équitable entre les salariés et les actionnaires. Je crois qu'il faut dire la vérité; il y a ces deux réalités: d'un côté les entreprises qui ont des difficultés et qui font ce qu'elles peuvent; de l'autre le déséquilibre patent entre la part réservée aux actionnaires et celle dont bénéficient les travailleurs dans certaines entreprises.
Ce constat nous contraint à chercher des solutions. Je crains tout de même que les cris effrayés que j'ai entendus, en l'occurrence sur ma gauche, ne soient pas vraiment justifiés. Le danger est plutôt celui souligné par Charles Beer. Le droit fédéral est assez catégorique. Si les salariés sont trop favorisés dans ces contrats-type, ils seront cassés tout simplement par le Tribunal fédéral. Autrement, ils risquent bien de stratifier le minimum des minimums pratiqués. Mais ce que nous allons vérifier en commission, je crois, c'est l'impact réel qui, selon moi, est assez différent de ce que à droite et à gauche on veut nous faire croire. La dramatisation du débat, sa «théâtralisation» me paraissent totalement inutiles.
Quelles seraient les conséquences réelles ? Elles sont déterminées avec précision au vu du droit; la commission saura s'en charger. Puis vient la question fondamentalement philosophique sur laquelle chacun devra trancher: est-il possible qu'une société puisse fonctionner si les conditions minimales et les salaires sont fixés branche par branche ? Nous nous ferons notre opinion au cours de ce débat. C'est intéressant. Personnellement, je vous avoue quelques doutes. J'ai l'impression que ce que l'Etat peut faire, mais au niveau fédéral, il est vrai, c'est fixer un salaire minimum. Pour toutes les branches et non pas par branche, approche un peu inquiétante.
Par ailleurs, fixer ce qui doit l'être dans la loi sur le travail, c'est important, mais aller au-delà, branche par branche, je crains que cela commence à ressembler à une économie administrée et je ne suis pas du tout certain que l'on en tire tous les avantages que l'on en attend.
D'autre part, et c'est ce qui m'inquiète le plus dans ce projet, c'est le message que l'on envoie aux gens - cela, je le dis avec une certaine insistance à M. Pagani : vous laissez entendre que l'on pourrait compter sur l'Etat pour tout régler, malgré les déséquilibres sociaux. Je crois que cela n'est simplement pas vrai. Cela me rappelle la déclaration de M. Moutinot tout à l'heure. Il va falloir que les gens se syndiquent s'ils veulent tenir le coup. Il va falloir qu'ils luttent, qu'ils négocient leurs contrats, il va falloir qu'ils se battent. En effet, nous ne pouvons pas, ni au niveau fédéral ni au niveau cantonal, poser les rapports de force sur l'ensemble de la société, pour la simple et bonne raison que toutes les économies administrées que nous avons connues ont échoué dans les conditions que vous connaissez. C'est regrettable mais il faut bien en tenir compte. Pour ces raisons, je crois qu'il est quand même intéressant d'aller au fond des choses sur l'aspect juridique et sur la réalité de ce qui est proposé. Cela me paraît essentiel. Hors de l'idéologie, vous verrez que c'est plutôt décevant lorsqu'on aborde les termes réels. Ce sera effectivement une bonne manière pour la gauche de plus en plus plurielle, m'a-t-il semblé entendre ce soir, de voir quelle stratégie elle entend développer pour réguler l'économie...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député !
M. David Hiler. C'est bon, j'ai conclu... Mais vous m'avez coupé mon effet final ! (Rires.)
Le président. Ah, pardon ! Désolé, Monsieur le député ! Il n'était pas dans mon intention de couper votre effet final !
M. David Hiler. Je suis désolé aussi !
M. Carlo Lamprecht, conseiller d'Etat. Ce projet de loi à vrai dire me laisse quelque peu perplexe. Il faut en effet savoir que les conventions collectives de travail sont du ressort et de la compétence exclusive des partenaires sociaux. Je dois dire ici combien j'apprécie ces partenaires sociaux dans les différentes commissions de mon département; ils me sont très précieux. Des partenaires sociaux qui savent trouver la juste mesure aux difficultés économiques, aux difficultés de l'emploi aujourd'hui et qui cherchent toujours la bonne solution pour l'intérêt à la fois des entreprises et des travailleurs.
Je considère également que ce n'est pas le rôle de l'Etat de multiplier des contrats-type de travail et, si M. Beer craint que la majorité du Conseil d'Etat puisse jouer sur des baisses de salaires, sachez que nous n'en voulons pas. Confier ce rôle à l'Etat est à mon sens une erreur fondamentale.
Le rôle de l'Etat aujourd'hui, Mesdames et Messieurs, est de créer des conditions-cadres pour que notre système économique puisse se développer harmonieusement, pour créer des emplois, pour créer des conditions qui permettent à nos entreprises, dans une situation très difficile, de s'adapter plus rapidement aux mutations constantes du marché et de le faire en tenant compte surtout de l'emploi comme nous vous l'avons dit. Ces deux arguments évoqués suffiraient, à eux seuls, pour que le Conseil d'Etat et moi-même manifestions notre réticence face à ce projet. Vous l'avez relevé, Monsieur Hiler, je crois qu'il est bon d'aller au fond des choses parce que, s'agissant des propositions qui sont faites, il est possible, en les traitant en commission, qu'elles nous apportent quelque chose de positif. C'est pour cette raison que le Conseil d'Etat accepte volontiers le renvoi en commission de ce projet.
Ce projet est renvoyé à la commission de l'économie.