République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 20 mars 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 6e session - 12e séance
M 1194
EXPOSÉ DES MOTIFS
La motion suivante sera soumise au Conseil d'Etat genevois le 19 mars prochain
SOLIDARITÉ AVEC LA KOSOVE,
HUMANITÉ POUR LES KOSOVARS.
Le 1er septembre 1997 est entré en vigueur un accord entre la Suisse et la "; République Fédérale de Yougoslavie " (RFY), soit la Serbie et le Monténégro, accord prévoyant le renvoi vers la RFY des requérants d'asile kosovars déboutés définitivement. Plus de 300 personnes ont déjà été renvoyées de Suisse en RFY du fait de cet accord.
Nous ne pouvons accepter le renvoi de force de plus de 15'000 Kosovars vers un Etat qu'ils ont fui parce que la situation qui leur y était faite était devenue intolérable. La "; République Fédérale de Yougoslavie " est une fiction juridique, n'a de "; République " que le nom, de "; Fédérale " que le qualificatif et de "; yougoslave" que le projet d'"; épuration ethnique " des régions dominées ou convoitées par la Serbie. La "; République Fédérale de Yougoslavie " n'est en effet que le masque du régime serbe qui a aboli l'autonomie de la Kosove (peuplée à 90 % d'Albanais), déclenché une guerre contre la Slovénie, puis une autre contre la Croatie, puis une troisième contre la Bosnie et mène en Kosove depuis dix ans une politique de "; purification ethnique à froid " qui risque à tout moment de déboucher sur une guerre ouverte.
La situation n'a jamais été aussi tendue en Kosove depuis ces dix ans : la violence y est généralisée et s'exerce régulièrement contre des manifestants pacifiques, les violations des droits de l'Homme y sont systématiques (exécutions sommaires, arrestations en masse, attentats, agressions contre les déserteurs, les réfractaires et les opposants, tortures et brutalités dans les lieux de détention). Le système scolaire de Kosove a été entièrement démantelé, la police et l'armée renforcent constamment leur dispositif répressif et multiplient les interventions provocatrices contre la population albanaise. Or c'est vers ce pays que la Suisse entend renvoyer ceux qui l'ont fui, et c'est à ce régime qu'elle entend les livrer.
Le Conseil fédéral vient d'ailleurs d'aggraver encore ses décisions précédentes, en annulant l'admission collective des déserteurs et réfractaires venus de l'ex-Yougoslavie - et donc celle des Kosovars, ce qui équivaut à remettre entre les mains de l'armée serbe, sans se soucier du sort qu'elle leur réservera, ceux qui l'ont désertée ou se sont soutraits à leur incorporation parce qu'ils refusaient de participer aux sales guerres menées par le régime de Belgrade, et de cautionner l'occupation militaire de la Kosove.
Débat
Le président. Madame la secrétaire, je vous prie de bien vouloir lire ici la pétition 1197, comme cela a été demandé hier.
Pétition(1197)
Solidarité avec la Kosove
N.B. : 11 062 signatures
M. .
p.a. Université Populaire Albanaise112, rue de LyonCase postale 5931211 Genève 13
Présidence de M. René Koechlin, président
Mme Jeannine de Haller (AdG). Depuis le dépôt de cette proposition de motion, le 3 mars dernier, la situation en Kosove n'a fait que se dégrader et confirmer nos pires craintes. Le régime serbe a lancé contre la population albanaise de la Kosove plus de cent mille policiers et soldats dans une opération de soi-disant lutte contre le terrorisme, massacrant ainsi indistinctement femmes et hommes, adultes et enfants, lors des récentes attaques dans la région de Drenica. La plupart des manifestations qui ont eu lieu là-bas depuis et qui regroupent à chaque fois des dizaines de milliers de personnes sont violemment réprimées par les forces serbes.
Vous êtes sans doute tous au courant de ce qui se passe là-bas du fait que, depuis que la Kosove a été dépossédée de son statut d'autonomie par la Serbie en 1989, les Albanais de la Kosove connaissent une situation quasi comparable à celle des Noirs sud-africains du temps de l'Apartheid. Ils sont exclus de toutes les structures étatiques: administration, santé, éducation, sauf s'ils renoncent à leur langue, à leur propre culture et à leur dignité. L'accès aux hôpitaux leur est limité, les élèves et étudiants albanais ont été expulsés des écoles.
Cent quatre-vingt mille Kosovars résident en Suisse. Environ quatre cents d'entre eux, dont la demande d'asile a été rejetée, ont déjà été rapatriés depuis septembre 1997, date à laquelle est entré en vigueur un accord de réadmission signé par la Suisse et la République fédérale de Yougoslavie. Près de quinze mille renvois devraient suivre jusqu'en mai 1999. Cet accord n'a pas été remis en cause par le Conseil fédéral, alors même que le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés a demandé aux gouvernements européens de suspendre les renvois vers la Kosove. En effet, les ministres de la justice, Arnold Koller, et des affaires étrangères, Flavio Cotti, estiment qu'il n'y a pas actuellement de «guerre civile ouverte» ni de «violence généralisée» en Kosove.
Ainsi la Suisse ne va pas cesser de renvoyer les demandeurs d'asile kosovars déboutés. MM. Koller et Cotti ont réussi à déclarer que la pratique suisse est conforme aux recommandations du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, alors même que celui-ci demande officiellement aux gouvernements européens de ne plus renvoyer ces requérants d'asile. Et, bien que les cinq délégués du Comité international de la Croix-Rouge en Kosove aient été retirés car la situation sur place était estimée trop dangereuse pour eux, la Suisse continue d'expulser chaque jour des Kosovars.
Il est parfaitement évident que le risque de massacre en Kosove est très réel. Comment et pourquoi Milosevic n'appliquerait-il pas en Kosove les mêmes méthodes que celles mises en oeuvre en Bosnie ? Ni lui ni ses complices, accusés de crimes contre l'humanité, n'ont été le moins du monde inquiétés jusqu'à présent. Pourquoi hésiterait-il ? C'est pourquoi nous nous insurgeons contre le renvoi forcé des Kosovars, décidé par M. Arnold Koller, à l'encontre des recommandations du Haut-Commissariat des réfugiés.
Une dizaine de cantons (dont Neuchâtel, le Jura, Bâle-Ville, Lucerne, Zoug et le Tessin) ont renoncé depuis le début de ce mois à renvoyer les Kosovars. Des directeurs de départements de justice et police d'autres cantons estiment ouvertement que la situation est trop fluctuante et que de tels renvois seraient «irresponsables». C'est pourquoi nous demandons que le canton de Genève fasse de même et sursoie immédiatement à tout renvoi.
Monsieur Ramseyer, bien que vous ayez affirmé, il y a une semaine, qu'en aucun cas vous n'accepteriez de désobéir aux directives fédérales, vous avez simultanément fait apparaître en première page de la FAO du 16 mars dernier une proclamation du Conseil d'Etat sur la Déclaration universelle des droits de l'homme. En tant que président, vous y rappelez l'attachement du Conseil d'Etat aux valeurs fondamentales de la nature humaine et le fait qu'au cours de ces derniers siècles il a toujours existé un lien traditionnel et fort entre l'esprit de Genève et les droits de l'homme. Si la Suisse s'obstine à renvoyer des milliers de personnes dans une région où les violations des droits de l'homme sont systématiques, c'est donc bien à Genève et à son Conseil d'Etat d'être à la hauteur de ce qu'il proclame en refusant de toutes ses forces et par tous les moyens le renvoi des ressortissants kosovars vers la République fédérale de Yougoslavie. Parce qu'il est légitime de s'opposer à l'application de lois injustes nous demandons, en cas de refus des autorités fédérales de surseoir à ces renvois, que le Conseil d'Etat genevois suive la volonté du Grand Conseil de ne plus renvoyer aucun ressortissant kosovar résidant sur le territoire genevois.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). En 1989, cela vient d'être dit, le statut d'autonomie dont disposait la Kosove a été supprimé par un certain Milosevic! A l'époque la communauté internationale n'a rien dit et n'a rien fait. Les Kosovars devenaient alors un peuple interdit bien que peuplant à 90% cette région. Arrestations arbitraires, tortures, exécutions sommaires, fermeture des écoles, cela s'appelle une politique d'apartheid et à cela les Kosovars ont répondu par la résistance pacifique. Des institutions parallèles sont nées dans ce pacifisme, des institutions de santé et d'éducation. Là encore, la communauté internationale a laissé faire. Mais la résistance pacifique cède depuis peu la place à la révolte et la résistance s'engage de manière plus énergique. A cela le 5 mars Milosevic a répondu par des massacres d'innocents. Et aujourd'hui, Mesdames et Messieurs les députés, c'est la guerre, une guerre qui était prévisible, une guerre avec son cortège de souffrances et ses colonnes de réfugiés sur les routes.
Le Kosovo est désormais une poudrière, une poudrière dans les Balkans qui d'un jour à l'autre pourrait s'embraser. Et aujourd'hui la communauté internationale doit faire quelque chose. Nous devons faire quelque chose pour éviter de nouveaux drames. Mme de Haller vient de le dire, lorsque cette motion a été déposée, les premières rockets n'avaient pas encore été tirées sur le peuple kosovar. Elle est donc d'autant plus importante aujourd'hui, au vu des événements qui se sont déroulés depuis et j'ose espérer qu'elle sera votée avec un très large appui dans ce Grand Conseil.
La situation là-bas est grave; même le CICR, qui pourtant est habitué à travailler dans des zones dangereuses, s'est retiré de la Kosove. Je vous demande donc de voter cette motion. Ses invites, bien que la situation ait changé, restent absolument identiques. La dernière invite qui nous concerne plus particulièrement en tant que canton demande à M. Ramseyer, qui a reçu la semaine dernière, le 11 mars très exactement, une délégation de Kosovars et a décidé de suspendre les renvois durant quelques jours, et bien nous lui demandons de maintenir cette position de manière à ce que plus aucun ressortissant de la Kosove ne soit renvoyé de notre canton.
M. Gérard Ramseyer, président du Conseil d'Etat. Bien que ce point ne soit pas inscrit dans le programme de mon département, j'y réponds volontiers, en accord avec M. le conseiller d'Etat Carlo Lamprecht.
Je veux dire d'emblée que j'ai beaucoup de compréhension pour ce qui se passe au Kosovo, beaucoup de compréhension aussi pour les problèmes que connaissent les ressortissants de ce pays, réfugiés ou requérants d'asile ici à Genève. C'est la raison pour laquelle je les ai reçus et leur ai précisé, entre autres, qu'il était totalement exclu - et je le confirme - que je désobéisse aux directives de la Confédération. (Manifestation de désapprobation, sifflets.) Je regrette beaucoup, Mesdames et Messieurs, je suis un magistrat élu, je respecte les lois de ce pays et je n'aime pas entendre qu'une fraction politique me dicte ses lois! (Brouhaha.)
Deuxième élément: en plus de cette affirmation, que j'ai faite d'ailleurs avec un écho tout à fait normal, très différent du vôtre, de la communauté qui était présente, j'ai pris la peine de téléphoner à Berne, d'avoir au téléphone le responsable de l'Office des réfugiés en l'informant que j'avais en mains des éléments qui donnaient un éclairage différent de celui que j'ai reçu en début de semaine concernant la situation sur place. J'ai, dans les vingt-quatre heures, reçu une information qui contredisait en partie ce qui vient d'être dit.
Il est faux de prétendre que le CICR a quitté le Kosovo. L'exemple qui a été cité est celui de quatre personnes retirées d'un village dans lequel, en revanche, la structure du CICR est restée en place. C'est l'appréciation de situation qui m'a été donnée par le Département fédéral des affaires étrangères. J'ai simplement pris sur moi d'inciter l'autorité fédérale à une certaine circonspection. Dès lors que la situation est évolutive, j'ai estimé qu'il était certainement discutable de prendre des décisions le vendredi avec le risque de les voir devenir caduques le lundi. J'ai donc dit à la Confédération non pas, à l'instar d'un autre collègue romand, que je ne respecterai pas les directives fédérales; j'ai simplement dit que je pensais qu'il était préférable de se montrer circonspect. Le chef du service des réfugiés m'a téléphoné : il m'a d'abord remercié de l'attitude loyale du canton de Genève et m'a dit me laisser le soin d'apprécier sur place, selon la situation que vous connaissez.
J'aimerais néanmoins dire, Mesdames et Messieurs les députés, de manière extrêmement claire - et je l'ai dit en ces termes aux trente et une personnes présentes dans mon bureau et, je le précise d'emblée, calmes, polies, réservées, nuancées - qu'il n'y aurait aucune espèce de compréhension pour les délinquants présents. Je leur ai dit également que j'espérais qu'il n'y avait pas de délinquants dans le groupe présent car, si tel était le cas, ces personnes devaient savoir qu'elles ne pourraient pas demander la générosité de notre canton, ni implorer sa compréhension si par ailleurs leur comportement était répréhensible.
La situation est maintenant la suivante : nous n'avons pas fait de recherches particulières, nous n'avons pris aucune mesure concernant ces Kosovars, la situation est celle que Berne nous a indiquée. J'ai plaidé la circonspection, j'ai obtenu la circonspection, nous en sommes là. Vous pouvez bien voter une motion attirant l'attention de l'autorité fédérale sur la situation au Kosovo. Cette même autorité est parfaitement consciente de cette situation et inquiète de son développement. Pour l'instant vous avez par ailleurs connaissance d'une situation politique locale; vous demandez que l'on en change : libre à vous ! J'ai simplement dit et je le répète, mais je le répète avec dignité : j'aimerais que vous sachiez qu'en tant que conseiller d'Etat élu d'une république et d'un canton comme celui de Genève, je ne peux pas décider de faire ce que je veux dans un pays qui est régi par des lois.
Au-delà des lois, au-delà des règlements, demeure le problème de sécurité publique, problème particulièrement aigu dans cette communauté. Cette communauté elle-même nous demande d'essayer de mettre de l'ordre chez les Kosovars qui commettent des délits chez nous. Ils ressortent généralement de la catégorie dite des célibataires. Le problème est bien connu de certains d'entre vous. Il n'y a, en ce qui me concerne, qu'une seule réalité : la base légale dont je dispose.
L'autre réalité, c'est une évolution des faits sur place qui m'inquiète et pour laquelle j'ai la plus grande compréhension. Actuellement rien ne se passe sur le terrain ici à Genève et je continue à naviguer avec cette situation évolutive. Je voulais que vous sachiez comment les choses se passent. Encore une fois j'agis en tant que chef de département, mais j'agis aussi en tant que responsable de la sécurité publique.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). La déclaration de M. Ramseyer appelle quand même quelques commentaires.
Le premier, c'est que je n'ai pas entendu de réponse, Monsieur Ramseyer. Les personnes qui ont pris la parole tout à l'heure vous ont demandé de suspendre les renvois des Kosovars. Vous avez dit que vous agiriez avec circonspection. Excusez-moi, j'aimerais avoir un peu plus de clarté sur ce que vous entendez par «agir avec circonspection».
Deuxième remarque que je voudrais faire : il est vrai que les Kosovars traînent une image relativement négative d'eux-mêmes. Dans la population, ils sont souvent associés, comme vous l'avez dit, à des délinquants. Grand nombre de ces Kosovars luttent contre cette image, ont une conduite absolument irréprochable et lorsque, dans le discours que je viens d'entendre, j'entends répéter ce genre de propos, qu'en général les célibataires sont des Kosovars délinquants, j'ai de la peine à accepter cela de la part d'un chef de département.
Enfin, dernière remarque : vous avez dit que vous refusiez de désobéir à des lois, même si vous êtes sensible à ce qui se passe là-bas. On l'a dit, c'est la guerre là-bas, Monsieur Ramseyer. Il ne vous est pas demandé de désobéir à des lois. Il s'agit de directives fédérales et non de lois !
Et j'aimerais quand même dire que cette année sera attribué probablement, dans ce canton, le Prix des droits de l'homme qui s'appellera le Prix Paul Grüninger, quelqu'un qui a osé désobéir ! (Applaudissements.)
M. Luc Gilly (AdG). Je m'associe grandement à ce que vient d'exprimer Elisabeth Reusse; je ne répéterai donc pas l'essentiel de ce qu'elle vient de nous dire.
Monsieur Ramseyer, je suis quand même un peu abasourdi d'entendre des choses pareilles. J'ai eu connaissance il n'y a pas longtemps d'une statistique à propos de ces fameux Kosovars; le problème n'est pas de savoir s'ils sont délinquants ou pas; ces délinquants représentent, si j'ai bien compris, 0,2% de la population kosovar en Suisse. Si cela justifie votre discours, Monsieur Ramseyer, je ne pourrais en tout cas pas y souscrire. Nous venons de voter une résolution pour réhabiliter les Brigadistes en Espagne. Allez-vous renvoyer des gens, des familles chez un fasciste qui s'appelle Milosevic ? Allez-vous livrer des gens qui vont se faire arrêter à l'aéroport ? Excusez-moi, dans le cas des célibataires aussi, Monsieur Ramseyer, il y a beaucoup de réfractaires, de gens qui n'ont pas voulu aller servir dans l'armée serbe pour tuer leur propre peuple. Ce sont les premiers qui seront arrêtés, torturés et emprisonnés; vous le savez bien, Monsieur Ramseyer ! Si, en Suisse, il y a quelques années, les objecteurs étaient encore mis en prison, imaginez ce qui se passe en Serbie maintenant pour ces gens-là.
Alors j'aimerais également, comme Mme Reusse, entendre une déclaration claire et ferme de votre part suite à la proclamation que vous avez faite, dont nous avons parlé hier en votre absence et au sujet de laquelle vous m'avez répondu tout à l'heure dans une langue de bois, ce que je trouve totalement inadmissible. Je regrette, Monsieur Ramseyer, j'ai mal de savoir qu'un gouvernement ne peut pas prendre une décision beaucoup plus claire par rapport à une population qui est menacée. La même chose a été dite pour les Algériens : «Oh, dans la région d'Alger, ce n'est pas grave, ils peuvent être renvoyés.» Le lendemain, c'était justement dans la région d'Alger que les attentats et les assassinats avaient lieu. Monsieur Ramseyer, je vous en prie, montrez-vous adulte face à un problème grave ! Quand les lois doivent être bafouées parce qu'il y a mort d'hommes, mort de familles, mort d'enfants, qu'il y a des tortures, il faut prendre les décisions qui s'imposent. Je me demande pourquoi nous revisitons l'histoire suisse de 1939-45 pour refaire la même chose soixante ans après. (Applaudissements.)
Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). La situation du Kosovo a empiré depuis le dépôt de cette proposition. En effet, ce pays poursuit son éclatement à l'instar des Balkans toujours en ébullition. Cette crise était en préparation depuis de longues années, mais nous n'avons pas réagi à temps pour soutenir le peuple kosovar, pour lui permettre de restaurer son niveau d'autonomie.
A ce jour, nous avons accueilli 150 000 Albanais d'Albanie, du Kosovo et de la Macédoine. Mettons-nous à la place de tous ces réfugiés. Croyez-vous vraiment qu'ils n'aspirent pas à retourner dans leur pays où ils ont leurs racines et leur coeur ? Malheureusement la réalité est telle qu'ils ne peuvent en aucun cas retourner sur leur terre au risque de trouver un sol miné et des conflits sournois. De plus leurs enfants sont intégrés dans notre pays et en cours de formation. Pouvons-nous mettre fin subitement à un des rares bénéfices de leur déracinement ? Ce sont quelques arguments qui nous amènent à soutenir cette motion par solidarité à ce peuple en souffrance. (Applaudissements.)
M. Gérard Ramseyer, président du Conseil d'Etat. En d'autres temps, je me chagrinerais de la mauvaise querelle que d'aucuns me cherchent. J'ai passé le stade de m'exciter pour n'importe quoi. La suspension des renvois est une décision qui incombe au Département fédéral de justice et police et non pas aux départements cantonaux.
Concernant les délinquants, j'aimerais quand même dire que vous n'avez pas besoin de faire appel aux statistiques; il vous suffit de lire la presse. J'ai discuté de ce problème, par exemple, avec M. Leuenberger, qui est l'un des responsables de l'Université populaire albanaise. Celui-ci a parfaitement convenu qu'il était détestable que quelques éléments épars, largement minoritaires bien sûr, portent un pareil discrédit sur une communauté qui mérite notre intérêt. C'est ce dont nous avons parlé, nous n'avons rien dit d'autre.
Concernant maintenant la circonspection, je rappelle que nous sommes le seul canton à être intervenu à Berne sur ce problème et nous sommes le seul canton à avoir prêché la circonspection. Vous avez des informations, le Département fédéral des affaires étrangères nous en donne d'autres, je dois savoir apprécier entre ces divergences d'opinions. J'appréhende la situation en tenant compte du fait qu'il est nécessaire de ne pas prendre des décisions qui pourraient être remises en cause la semaine suivante.
Par conséquent, je ne prends pas de décision de renvoi en dehors de ce qui se fait couramment. J'ai émis une seule réserve : celle dont je viens de parler. Depuis que j'ai rencontré personnellement ces trente et un Kosovars, depuis que j'ai rencontré le patron de l'Université populaire albanaise, il ne s'est rien passé et il ne se passera rien aussi longtemps que j'estimerai que nous sommes dans une situation évolutive. La seule chose que je ne peux pas faire - et je vous demande tout de même de le comprendre - c'est de prendre une décision avec des délais, avec des mesures; cela n'est pas en mon pouvoir.
Je pense que l'intérêt des Kosovars, l'intérêt de ceux qui défendent cette motion - encore une fois je peux le comprendre - est que vous laissiez les choses comme elles sont maintenant parce que pour l'instant rien ne se passe qui soit désagréable ou contraire aux Kosovars ici à Genève. J'ai noué un dialogue personnel - rien ne m'y obligeait - avec l'Université populaire albanaise, avec M. Leuenberger qui est certainement un des meilleurs spécialistes de ce canton sur cette question et je continuerai ce dialogue. Je vous demande simplement de ne pas me répéter qu'il faut désobéir. Je vous le répète : il y a des règles, je m'y conforme; ce sont les règles démocratiques de ce pays. Cela ne m'empêche pas d'être tout à fait compréhensif face à cette situation.
Vous n'avez enregistré aucun renvoi de Kosovars, alors votez cette motion, marquez l'envie qui est la vôtre, marquez votre intention à l'égard de l'autorité fédérale mais, je vous en supplie, laissez-moi manoeuvrer comme je l'entends sans quoi, je suis forcé de vous le dire, on laissera Berne agir et je ne crois pas que ce sera dans l'intérêt des gens que vous défendez ! (Applaudissements.)
Mme Madeleine Bernasconi (R). C'est vrai que ce problème est vraiment extrêmement important. Vous dites qu'il faut garder ces personnes. Vous dites que nous n'avons pas fait ce qu'il fallait au moment des différentes crises dans les Balkans. J'aimerais savoir ce qu'il faudrait faire, quel est le gouvernement qui pourrait aller ou quelles sont les personnes qui pourraient représenter ce qu'est une démocratie sans que cela laisse supposer de l'ingérence. C'est cela qui m'interpelle. Je sais qu'il y a des personnes qui sont là, dans notre assemblée, qui font un travail formidable en Albanie où elles amènent leur savoir et tout ce qui est nécessaire pour soigner ces personnes. Je trouve que c'est une action formidable. Je crois que l'on doit répondre à une cause du moment et M. le président a répondu.
Vous ne serez peut-être pas satisfaits mais moi j'ai de grandes interrogations. Quand j'entends à la télévision, dimanche soir, que ces personnes sont rançonnées et doivent donner 3% de leur salaire pour acheter des armes... (Protestations.) C'est ce qui a été dit lors de l'émission de dimanche, c'est ainsi que je l'ai compris, Madame de Haller ! Vous aurez compris ce que vous voulez, moi je l'ai compris comme ça. Mais oui, absolument ! Je n'aimerais pas que l'on dise dans quelque temps que ces personnes ont pu avoir de l'argent en Suisse et qu'elles ont pu acheter des armes. Si vous pouvez me donner la garantie que tel n'est pas le cas, que le travail qui est fait en Suisse a pour but de les aider et leur permettre de repartir dans leur pays, je serai d'accord avec vous à ce moment-là. Mais pour l'instant, je me pose beaucoup de questions et, lorsque vous dites que l'on ne s'en est pas occupé, dites-moi comment il aurait fallu procéder pour ne pas être taxé d'ingérence.
J'ai lu, dans le «Courrier des lecteurs», quelque chose de très beau. Ça doit être un Serbe - et nous sommes en train de mélanger les Serbes et les Kosovars. Ça veut dire que l'on dresse deux peuples l'un contre l'autre au lieu d'essayer de leur permettre de s'entendre. Le peuple n'est pas aussi violent que certaines personnes du gouvernement. Lorsqu'un homme, qui doit certainement être de ce pays, dit : «Réveille-toi, réagis, chante ta volonté de paix et de tolérance, chante ton amour de l'autre, dépêche-toi, peuple serbe, car déjà les enfants de l'Europe murmurent», je crois que c'est important. Autant transmettre un message d'amour que dresser les gens les uns contre les autres.
En tout cas c'est mon souci ce soir et je suis révoltée par les problèmes que certains peuvent causer. Mais je fais aussi la différence avec les familles qui sont touchées profondément, avec les gens qui se conduisent tout à fait correctement, comme nous, ou en tout cas ce que nous essayons de faire selon notre culture et ce qu'elle représente. Mesdames et Messieurs, pour moi, M. le président du Conseil d'Etat a répondu de façon satisfaisante.
M. Pierre Meyll (AdG). M. Ramseyer se souviendra certainement qu'un soir du 1er Août, il y a huit ans, alors président du Conseil municipal de Versoix, je me suis permis de tirer un certain parallèle avec les terroristes, qui étaient à l'époque considérés comme tels, les Waldstätten qui luttaient contre la tutelle des Habsbourg. Le parallèle est vite fait, Monsieur le président. Nous savons ce qui se passe par la presse, mais également par des canaux qui sont sûrs. En constatant les massacres perpétrés dans la Kosove, on peut aussi penser qu'il s'agit d'une question de tutelle et de lutte de ces «terroristes». Rappelez-vous que ces terroristes du jour, dans les années qui suivent, deviennent des héros. Mais des héros morts, c'est trop tard. Alors, dans certains cas, il faut savoir désobéir.
Le procès que nous vivons actuellement à Bordeaux fait la démonstration de ce que peut entraîner une obéissance aveugle aux lois. Il y a des moments où le héros est celui qui désobéit. J'aimerais, quand bien même vous ne voulez pas devenir un héros, que vous puissiez de temps à autre désobéir, ce que je vous conjure de faire. Beaucoup de ces gens sont devenus des héros; alors faisons en sorte qu'ils ne souffrent pas trop et qu'ils restent vivants.
Mme Jeannine de Haller (AdG). Je voudrais juste répondre à Mme Bernasconi au sujet de la soi-disant rançon qui n'en est bien sûr pas une. Il s'agit de 3% que les Kosovars cèdent volontairement de leur salaire pour payer les professeurs bénévoles qui se sont engagés à donner des cours aux élèves kosovars qui n'ont plus accès aux écoles. Ils enseignent dans des conditions incroyables dans les maisons privées et cet argent est destiné uniquement à l'enseignement et à la santé des enfants sur place.
Avec ce qui vient d'être dit à propos de l'Espagne, il eût mieux valu sans doute ne pas parler d'ingérence, Madame Bernasconi ! Heureusement que des gens à l'époque en ont parlé; ils ont même osé y aller et aujourd'hui nous leur en sommes fort reconnaissants.
Par ailleurs, je trouve que ce débat se disperse. Il n'a aucune raison d'être. Les faits sont d'une telle gravité que je vous demande de passer au vote. Ça suffit ! On ne va pas délibérer des heures sur un sujet aussi douloureux, grave, pénible et horrible pour plein de gens !
Le président. Mme Reusse-Decrey et M. Brunier renoncent à prendre la parole. M. Marti ne renonce pas...
M. Pierre Marti (PDC). Non, je ne renonce pas ! Il me semble qu'il se dit beaucoup de choses et que l'on ne relit plus suffisamment la proposition de motion qui a été faite. Il n'y a aucune demande de désobéissance quelle qu'elle soit ! On dit simplement : «S'il vous plaît, Messieurs les responsables, prenez le temps de la réflexion dans un moment des plus cruciaux !» C'est tout ce qui est demandé dans cette motion. Je l'ai signée; je ne serais pas du tout d'accord de signer une motion qui me demanderait d'être désobéissant. Mais il est important pour la vie de nombreuses personnes de prendre ce temps de réflexion, un temps qui permettra peut-être à beaucoup de gens d'être encore en vie ces prochains mois. (Applaudissements de la gauche.)
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève
considérant :
- la situation des droits de l'Homme en Kosove;
- le danger de plus en plus pressant du déclenchement d'un conflit armé dans cette région;
- le caractère totalement inacceptable des pratiques du gouvernement serbe dans les domaines des droits démocratiques, des droits des peuples et des droits de la personne humaine,
exprime sa solidarité avec le peuple albanais de Kosove et :
invite le Conseil d'Etat
d'une part, à exprimer aux autorités fédérales les demandes suivantes :
- la suspension de tous les renvois de requérants d'asile, de déserteurs et de réfractaires kosovars vers la "; République fédérale de Yougoslavie " aussi longtemps que les autorités de la RFY ne garantiront pas la sécurité des rapatriées et rapatriés et que la situation des droits de l'Homme en Kosove ne se sera pas améliorée d'une manière substantielle et vérifiable;
- l'admission provisoire pour tous les requérants d'asile kosovars en Suisse;
- l'engagement déterminé de la Suisse pour une solution pacifique de la crise en Kosove;
- l'engagement déterminé de la Suisse pour la surveillance du respect des droits de la personne humaine en Kosove;
d'autre part, à surseoir momentanément au rapatriement pour les requérants d'asile de Kosove.