République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1177
5. Proposition de motion de Mmes et MM. Anne Briol, Régis de Battista, Fabienne Bugnon, Gilles Godinat, Véronique Pürro, Pierre Vanek, Françoise Schenk-Gottret, Caroline Dallèves-Romaneschi, Erica Deuber-Pauli et Marie-Françoise de Tassigny pour une alimentation saine. ( )M1177

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève

considérant :

- les risques importants que représente pour la santé la consommation de produits génétiquement modifiés;

- que le génie génétique représente un danger réel pour l'environnement;

- qu'il faut veiller à la dignité et à l'intégrité des êtres vivants, à la préservation et à la mise en valeur de la diversité génétique, ainsi qu'à la sécurité de l'être humain, de l'animal, de l'environnement et des générations futures;

- que les brevets en matière de manipulations génétiques soulèvent des problèmes éthiques, sociaux et économiques de portée considérable;

- qu'il est un devoir de surveiller la qualité et la provenance des aliments que nous consommons;

- qu'un nombre important de personnes a manifesté ses craintes quant aux aliments transgéniques notamment par le biais d'une pétition;

invite le Conseil d'Etat

- à renoncer à la distribution d'aliments génétiquement modifiés dans les établissements appartenant au canton de Genève ou subventionnés (hôpitaux, cliniques, crèches, homes, services sociaux, restaurants scolaires, etc.);

- à promouvoir la consommation de nourriture saine (de culture biologique) dans ces mêmes établissements.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Actuellement, le génie génétique dans l'alimentation est un sujet d'une importance considérable pour la santé.

Les enjeux qu'il représente ont déjà commencé à être débattu sur leurs aspects financiers et éthiques. Dernièrement, le Parlement français a autorisé la culture de maïs transgénique et, en Suisse, Nestlé a mis sur le marché des toasts contenant du soja génétiquement modifié.

De nombreuses demandes d'autorisation de commercialisation sont en attente et nous interpellent.

Risques pour la santé humaine

Il n'est guère possible d'évaluer les répercussions du génie génétique sur les denrées alimentaires. En effet, une grande variété de plantes alimentaires (tomates, maïs, soja) est manipulée de façons les plus diverses et des faits indiquent que de redoutables effets négatifs sont à craindre à long et à court terme.

Les enzymes transgéniques représentent un important marché à conquérir (fromage, pain, bière, vin, etc.) qui génère beaucoup de convoitises et il est primordial de prendre des précautions face à l'aveuglement de certains milieux économiques sur ces risques méconnus.

Un réel danger d'allergie à ce type d'aliments existe

Le risque d'allergie aux aliments transgéniques est un des effets négatifs connus. Par exemple, lorsque des gènes de poisson sont transférés aux tomates, il est tout-à-fait plausible que des personnes allergiques au poisson tombent malades après les avoir ingérées.

Les gènes de résistance aux antibiotiques sont un danger potentiel pour l'homme

Pour des raisons techniques, on introduit des gènes induisant des résistances aux antibiotiques dans la culture d'organismes transgéniques. Les conséquences de l'utilisation de tels gènes de résistance peuvent être multiples, comme par exemple :

- la consommation d'aliments transgéniques crus pourrait avoir des effets négatifs sur le traitement de malades aux antibiotiques.

La propagation de ces gènes de résistance aux antibiotiques à des bactéries responsables de maladies humaines ou animales serait désastreux quant au traitement de celles-ci.

L'environnement, un laboratoire ?

Toute dissémination d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement comporte des risques et aura des conséquences que l'on peut, à l'heure actuelle, difficilement quantifier et qualifier. Il est en effet impossible de pronostiquer avec certitude le sort d'un organisme génétiquement manipulé et ses effets sur un écosystème complexe. Il existe une différence fondamentale entre les risques chimiques et biologiques ; le risque biologique est vivant : il peut se propager et se multiplier. Personne ne peut garantir que les organismes transgéniques modifiés puissent être retirés de l'environnement. Il sera trop tard lorsqu'on constatera que les organismes génétiquement manipulés sont nocifs ou qu'ils provoquent des catastrophes environnementales.

Ainsi, renoncer à la consommation d'aliments transgéniques permet de limiter les pressions sur notre environnement.

Au vu de ce qui précède, il est évident que c'est prendre des risques accrus que de produire et de consommer des aliments transgéniques. Dans ce sens, la présente motion demande au Conseil d'Etat de renoncer à la distribution d'aliments génétiquement modifiés dans les établissements appartenant au canton de Genève ou subventionnés (hôpitaux, cliniques crèches, homes, services sociaux, restaurants scolaires, etc.) et de promouvoir la consommation de nourriture saine (de culture biologique) dans ces mêmes établissements.

C'est dans cet esprit que nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

Débat

M. Régis de Battista (S). Cette motion constitue essentiellement un acte de prévention et de promotion de la qualité de vie. Elle invite le Conseil d'Etat à renoncer à la distribution d'aliments génétiquement modifiés dans tous les établissements appartenant au canton ou subventionnés.

Ces aliments présentent des risques réels d'allergie et de résistance aux antibiotiques. Ce sont des risques que nous ne pouvons pas ignorer.

En tant que politiciens, nous avons un rôle de garde-fou à tenir sur beaucoup de sujets, notamment sur celui-ci qui présente des dangers à éviter.

Par ailleurs, cette motion entend promouvoir la nourriture saine, dite biologique. Les produits naturels - qui flattent notre palais et maintiennent notre santé - ne sont malheureusement pas à la portée de toutes les bourses. En encourageant leur consommation, notre motion contribuera à la baisse de leur prix d'achat. Nous devons appuyer ce marché pour qu'il puisse élargir sa diffusion.

Cette motion, à son échelle fort modeste, s'inscrit aussi dans la lutte contre la mondialisation de la distribution des aliments par des sociétés bien connues - Novartis, Salto - qui veulent monopoliser les brevets des produits transgéniques pour s'emparer du marché des denrées, donc de notre avenir.

Cette motion, simple et précise, n'a aucun rapport avec l'initiative en cours. Elle requiert surtout un acte préventif de notre part.

Au nom du parti socialiste et en tant que motionnaire, je vous prie de la renvoyer au Conseil d'Etat.

M. Pierre-François Unger (PDC). Nous pourrions souscrire sans réserve à cette motion si nous nous en tenions à son titre anodin : «pour une alimentation saine».

Mais cette motion recouvre une tout autre réalité ! Contrairement à ce que dit mon préopinant, elle apporte un soutien malvenu à l'initiative pour l'interdiction du génie génétique sur laquelle le peuple suisse devra se prononcer bientôt.

L'initiative et votre motion ne font pas la part entre les faits existants, les craintes légitimes et les fantasmes irrationnels. Il faut reconnaître que les déclarations d'un savant complètement cinglé - je mesure mes termes - qui entend cloner l'être humain, sont de nature à susciter toutes les peurs. Mais cela n'a rien à voir avec le génie génétique.

La concentration des technologies agroalimentaires dans les mains de quelques entreprises pose de vrais problèmes de concurrence, de marché et de survie pour notre agriculture. Mais cela non plus n'a rien à voir avec le génie génétique.

Il convient de ne pas tout mélanger. Le génie génétique n'est pas une invention humaine, c'est un phénomène naturel découvert par l'homme. Le génie génétique naturel est à l'origine de la diversité des êtres vivants, animaux et végétaux, entre des mêmes espèces ou des espèces différentes. Le génie génétique permet de sélectionner telle ou telle plante, telle ou telle céréale, qui n'auront plus besoin d'être aspergées de produits chimiques. Le génie génétique permet à certains individus de résister au paludisme et, dans son application ancestrale, il est illustré par la greffe des arbres fruitiers.

L'homme est en train de découvrir le génie génétique et tout progrès porte en lui sa contre-finalité. En lui-même, le progrès n'est ni bon ni mauvais. Il n'est que ce qu'on en fait.

Des règles strictes doivent être établies, mais dans cette matière, comme dans beaucoup d'autres, c'est la maîtrise qui importe et non l'interdiction. Dieu merci, la Suisse est dotée d'une législation très prudente !

La maîtrise future du génome peut offrir des avantages exceptionnels pour autant qu'elle se fasse dans le respect total de l'être humain, c'est-à-dire en préservant sa dignité et sa liberté. Il ne s'agit plus, comme les scientifiques l'ont fait trop longtemps, de monopoliser les responsabilités. Au contraire, il faut fédérer les vigilances.

C'est pour cela que nous acceptons que cette motion soit étudiée en commission. Ses membres pourront découvrir la réalité des faits et, par là même, apaiser leurs craintes.

Mme Anne Briol (Ve). Je désire recentrer notre discussion sur la motion qui concerne l'alimentation transgénique et non sur le grand débat qui se déroule sur la place publique à propos de l'ensemble du génie génétique.

Cette motion traduit les préoccupations de la population. L'importation et la commercialisation du soja transgénique sont autorisées dans notre pays, celles du maïs transgénique le sont depuis peu. Nous sommes donc directement concernés par ce type d'aliments.

Certains qualifient de peurs irrationnelles les préoccupations suscitées par ces produits transgéniques. Pourtant des faits concrets prouvent que ces craintes ne sont pas infondées et qu'elles doivent être prises au sérieux.

Je voudrais vous donner quelques exemples dignes de réflexion, ainsi qu'une explication sommaire. Un organisme transgénique est un organisme dans lequel ont été introduits un ou deux éléments étrangers. On introduit donc des gènes de bactéries dans du soja ou des gènes de poisson dans des tomates. Où est le problème, direz-vous ? Il a été démontré que, suite à ce genre de modification, le risque d'allergie augmentait pour le consommateur. Aux Etats-Unis, des tests ont révélé que du soja, porteur d'un gène de noix, déclenchait d'importantes réactions allergiques. Ce soja a été retiré du marché.

L'environnement est également menacé par la culture des plantes transgéniques. Il a été démontré qu'un gène de résistance aux herbicides, greffé sur du soja cultivé, avait contaminé des plantes sauvages, de la même famille, et cela en plein champ. Cet événement laisse présupposer tous les risques de dissémination dans l'environnement de telles cultures.

Ces exemples prouvent indéniablement l'existence de risques réels. De plus, il est légitime de décider soi-même de consommer ou pas de tels aliments.

Depuis le 1er janvier 1998, l'étiquetage des aliments transgéniques est obligatoire. Le consommateur est donc en mesure, en principe, d'identifier ces aliments dans les magasins. En revanche, le consommateur ne peut pas opérer ce choix dans les lieux publics tels les hôpitaux, les homes, les restaurants scolaires.

Nous vous proposons donc d'accepter cette motion qui invite le Conseil d'Etat à renoncer à la distribution d'aliments transgéniques dans les établissements appartenant au canton ou subventionnés, et à promouvoir la nourriture saine.

Nous ne nous opposerons pas à un renvoi en commission.

M. John Dupraz (R). Bien que partant d'un bon sentiment, cette motion pose certains problèmes.

M. de Battista, vous voulez promouvoir les produits naturels. Personnellement, je ne connais aucun produit agricole qui ne le soit pas ! Vous me faites un peu sourire. Vous avez l'air de croire qu'il y a des produits naturels, d'une part, et des produits synthétiques épouvantables qui empoisonnent la population, d'autre part.

Les aliments génétiquement modifiés relèvent d'un problème de société. Ils nous sont imposés par un système économique de mondialisation, dominé par les Américains. Force est de le constater. La Suisse fait partie de ce système qu'elle ne peut refuser sous prétexte qu'elle serait meilleure que les autres. Ce faisant, elle se mettrait à l'écart.

Je fais remarquer à nos collègues socialistes et écologistes que, s'ils veulent adopter une attitude cohérente, ils ne doivent pas, au Parlement fédéral, développer, tous azimuts, des arguments pour la libéralisation à tout crin de la politique agraire. C'est aller dans le sens inverse du but recherché. Vous faites le contraire de ce que fait votre cher président du parti écologiste, Ruedi Baumann. De grâce, accordez vos violons !

A croire M. Baumann et les socialistes à Berne, on ne libéraliserait pas suffisamment. Pour atteindre l'objectif visé par la motion, il faudrait prendre des mesures spécifiques à la frontière, dans de petites entités, pour promouvoir l'économie régionale et ce type d'économie agraire.

Vous invitez le Conseil d'Etat à renoncer à la distribution d'aliments génétiquement modifiés dans les établissements appartenant au canton ou subventionnés. Mais si ces aliments sont nocifs, pourquoi en autorisez-vous la distribution dans les restaurants et les grandes surfaces ?

Certes, les étiquettes des produits mis en vente doivent indiquer clairement le mode de production et la composition. Mais quant à demander au Conseil d'Etat d'aller les lire pour déterminer ce qui est bon et ce qui ne l'est pas... Notre gouvernement a vraiment autre chose à faire !

Quand on rédige ce type de motion, il faut être cohérent à tous les niveaux, notamment au niveau national où les décisions se prennent. Il faut éviter de jouer les originaux dans un petit canton ville comme le nôtre. Vous avez beau hocher la tête, Monsieur de Battista, c'est comme ça ! Vous devez convaincre l'ensemble de vos collègues politiques en Suisse d'adopter une attitude cohérente, car vouloir ce que vous voulez, c'est s'isoler de la libéralisation et de la globalisation de l'économie. Cela a un coût que ni les socialistes ni les écologistes ne voudront payer au niveau suisse.

M. Gilles Godinat (AdG). J'interviens pour corriger le tir ! Le but de cette motion est des plus modestes. Nous proposons simplement une réflexion au Conseil d'Etat sur les risques éventuels des aliments transgéniques. Point à la ligne !

Certes, Monsieur Unger, cette motion s'inscrit dans le cadre général du débat sur le génie génétique. Il est vrai aussi, Monsieur Dupraz, que la motion relève un des aspects en jeu au niveau national et que nous n'avons guère de prise, au niveau local, sur l'avenir de l'agriculture suisse.

Il n'empêche qu'il est légitime de donner un signal positif pour favoriser l'agriculture biologique et de proposer, dans ce parlement, une réflexion sur un point sensible.

M. Chaïm Nissim (Ve). Monsieur Dupraz, vous dites que les écolos, à Genève, sont en contradiction avec les écolos à Berne, parce que le président du parti écologiste, M. Baumann, serait un néolibéral. Ce n'est pas vrai. Il trouve simplement que l'agriculture est exagérément subventionnée, d'où les problèmes de surproduction. (M. John Dupraz interrompt l'orateur.)

Le président. Monsieur Dupraz, laissez parler l'orateur ! Il ne vous a pas interrompu tout à l'heure.

M. Chaïm Nissim. Il est vrai que certains propos de M. Baumann pourraient le faire passer pour un néolibéral, mais ce n'est pas le cas. Il entend remettre le cochon sur ses pattes, à cause du problème des subventions. Il a parfaitement raison et nous sommes d'accord avec lui.

M. Régis de Battista (S). Cette motion lance le débat, ce en quoi elle est honorable ! En faisant déjà des vagues, elle prouve sa raison d'être !

Monsieur Dupraz, vous ne devez pas très bien connaître le domaine des produits naturels. Je vous recommande de lire les informations qui en traitent.

Le parti socialiste a été cohérent au niveau national. Il a pris une position très claire par rapport à l'initiative - c'est un aparté ! - après avoir longuement étudié le sujet.

Le Conseil d'Etat peut opérer un minimum de contrôles sur la distribution dans les hôpitaux et les crèches. Différents labels existent qui pourraient concourir à l'amélioration des produits consommés par nos enfants et nos malades. C'est le rôle de l'Etat, et Genève, dans ce domaine, a un poids non négligeable par rapport à l'ensemble du pays !

Le parti socialiste ne s'opposera pas au renvoi en commission. Cette motion mérite une longue discussion et son sujet d'être approfondi.

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission de la santé.