République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 23 janvier 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 4e session - 4e séance
R 355
EXPOSÉ DES MOTIFS
Le 10 novembre 1997, les employés du cinéma La Strada ont appris que l'exploitant actuel cesserait son activité à la fin du mois de janvier 1998 pour raisons économiques.
Les opérateurs et les caissières du cinéma, avec l'appui de deux anciens membres du collectif Spoutnik (programmation cinématographique à l'Usine), décident alors de créer une coopérative pour reprendre l'exploitation de La Strada.
Rendez-vous est immédiatement pris avec la régie Moser, Vernet et Cie pour signer un bail. La régie exige le versement sur son compte d'une garantie équivalente à douze mois de loyer dans les quatre jours. Le dépôt est effectué sur le compte bloqué d'une étude d'avocats le 19 novembre. Ce mode de faire déplaît à la régie qui rompt les négociations.
La régie choisit un autre repreneur dont l'identité est tenue secrète et les projets ne sont pas connus. La coopérative porte alors l'affaire à la connaissance du public et lance une pétition. Un comité de soutien, constitué de personnalités du monde culturel, s'est créé pour soutenir les efforts de la coopérative.
Le 14 janvier enfin, le Conseil municipal de la Ville de Genève adopte à une très large majorité une résolution du même type que celle qui vous est proposée aujourd'hui.
Les auteurs de la présente résolution sont parfaitement conscients que l'Etat n'est pas en mesure de décréter le maintien de l'activité de La Strada. La régie est effectivement libre de signer un bail avec qui bon lui semble. Nous n'entendons pas non plus engager l'Etat dans la voie du subven-tionnement du projet de la coopérative, ce que cette dernière n'a d'ailleurs jamais demandé.
Cela ne doit pas empêcher notre Grand Conseil d'exprimer un point de vue sur cette question qui préoccupe les amoureux de cinéma de notre canton et les milieux culturels. Cette prise de position encouragerait le Conseil d'Etat à proposer ses bons offices aux parties ou à rechercher d'entente avec le Conseil administratif de la Ville de Genève une autre solution pour que la coopérative puisse développer son projet.
Les cinémas se sont certes multipliés à Genève et dans la région ces dernières années. Mais le nombre de salles proposant des films d'auteur est en constante diminution. Avec La Strada, Genève perdrait l'un de ses quatre écrans « arts et essais ». L'augmentation du nombre de salles risque donc d'aller de pair avec un appauvrissement de la diversité de la programmation. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous demandons de faire bon accueil à ce projet de résolution.
Débat
M. David Hiler (Ve). Les députés ont certainement eu l'occasion de prendre connaissance de ce dossier, qui ne leur avait d'ailleurs probablement pas échappé, puisqu'il a été largement évoqué dans la presse.
En substance, voici les faits. L'actuel exploitant du cinéma La Strada en arrête l'exploitation. Le bail a été résilié au mois de novembre, et il s'est trouvé que les opérateurs, les caissières et un certain nombre d'animateurs du cinéma de l'Usine, le cinéma Spoutnik, souhaitaient reprendre cette exploitation.
Pour des raisons qui ne sont pas extrêmement claires, la régie a estimé qu'elle préférait faire un autre choix. Le problème est que nous possédons à Genève quatre écrans de la catégorie dite «art et essai». Avec la disparition du cinéma La Strada, ils ne seront plus que trois. Mais il se trouve que ces trois écrans appartiennent à un seul exploitant. Il suffirait que cet exploitant cesse son activité pour que nous nous trouvions sans films d'auteurs en début de carrière à Genève. En effet, le terme «art et essai» peut paraître très élitaire, mais «art et essai» c'est Almodovar, il y a quelques années, iIl faut peut-être le rappeler. C'est Woody Allen, il y a quelques années de plus. Ce sont tous les films qui n'embrasent pas le grand public au départ et qui ne disposent pas de support publicitaire.
Alors, au moment où le nombre de salles augmente singulièrement à Genève et dans sa région, nous pourrions nous trouver dans une situation difficile. A savoir avec beaucoup moins de salles qu'il y a dix ans pour présenter ce type de films. C'est pourquoi il nous paraît utile que toutes les démarches puissent être tentées. Le Conseil municipal de la Ville de Genève est allé dans ce sens, à une très large majorité. Il nous semble important que le Grand Conseil manifeste aujourd'hui cette volonté et que, le cas échéant, le Conseil d'Etat, à son tour, entreprenne des démarches. C'est notre souhait et nous vous invitons à voter cette résolution.
M. Alain-Dominique Mauris (L). Les libéraux n'ont malheureusement pas été sollicités pour signer cette résolution. Nous vous recommandons de la soutenir car le cinéma d'art et d'essai à Genève est important. Comme le rappelait M. Hiler, s'il existe d'autres salles de projection que celle de La Strada, il ne faut pas s'en contenter pour autant.
Le cinéma d'art et d'essai propose une culture libre, en dehors des monopoles du cinéma commercial, qui, lui, répond bien sûr à d'autres nécessités et véhicule d'autres valeurs. La solitude financière assortie certainement d'inexpérience en matière de gestion peut conduire à la disparition de salles y consacrant leur programmation.
Le groupe libéral soutient cette résolution et prétend que les projections de ce type peuvent aussi s'avérer rentables. Le cinéma d'art et d'essai est innovant, créatif. Il interpelle; il est souvent provocateur, parfois déroutant. Et de dénonciation en remise en question du présent, il nous ouvre des fenêtres sur un nouvel horizon. (Vifs applaudissements.)
Mise aux voix, cette résolution est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat.
Elle est ainsi conçue :
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève
considérant :
- la fermeture annoncée pour la fin du mois de janvier du cinéma La Strada ;
- le risque de disparition du cinéma d'art et d'essai à Genève ;
- la volonté des employés du cinéma La Strada, regroupés en coopérative, de poursuivre la programmation actuelle ;
- les garanties financières apportées par la coopérative, couvrant une année de loyer de la salle ;
- la pétition de soutien signée à ce jour par plus de 2300 personnes ;