République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 23 janvier 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 4e session - 3e séance
IU 426
M. Gérard Ramseyer, président du Conseil d'Etat. Depuis deux ans, l'histoire de la Suisse est l'objet d'un difficile débat qui nous contraint à revisiter notre passé, et tout particulièrement celui de la Suisse des années 1933 à 1945.
Je maintiens que cet examen ne doit pas être abordé par le biais d'une démarche faite d'agitation médiatique, voire politicienne, ne serait-ce que par respect pour les millions d'êtres humains ayant perdu la vie, alors que les droits de l'homme étaient bafoués comme jamais.
Bon nombre de nos concitoyennes et concitoyens ont été choqués par certaines révélations historiquement documentées relatives à l'attitude d'une certaine Suisse au cours du dernier conflit mondial. Ce débat a connu son lot d'outrances et de contrevérités. Il est d'ailleurs intéressant de constater que la plupart des faits reprochés aujourd'hui à la Suisse officielle étaient connus et documentés il y a plus de vingt ans.
En 1975, le sociologue Werner Rings ainsi qu'en 1983 l'historien Hans-Ulrich Jost furent parmi les premiers à mettre en lumière dans leurs ouvrages au caractère de sérieux incontestable les questions relatives à l'attitude des autorités suisses face à l'afflux de réfugiés juifs dès 1938, à l'or de la Banque nationale, sans parler des accords de Washington.
En déclarant qu'il y a une indécence dans l'enthousiasme de certains à noircir complaisamment les façades de notre passé et en qualifiant ce procédé de malsain, j'ai souligné que s'il est juste que nous nous penchions avec gravité sur ces années de crise, il est en revanche attristant de constater qu'à côté de ce nécessaire travail d'introspection nous ayons vu éclore des polémiques stériles et des coups médiatiques hors de propos.
Il est certes impératif de rétablir la vérité, mais qu'on cesse de la travestir après l'avoir éventuellement costumée. Les Suisses d'aujourd'hui doivent savoir ce qu'ils doivent à la génération de celles et ceux qui avaient 20 ans en 1939 et qui ont sacrifié leur jeunesse pour nous permettre de vivre la nôtre.
Vous m'autoriserez, en guise de conclusion, à citer l'historien genevois Antoine Fleury qui s'exprimait l'an dernier après avoir donné le point de vue de l'historien devant la commission des affaires bancaires et financières du congrès américain sur le contenu du rapport Eizenstadt. Il se disait «frappé par l'outrance de certains propos et la dramatisation de certaines situations donnant de la Suisse une perspective en trompe-l'oeil comme si tous les Suisses avaient été des profiteurs.»
C'est contre de telles perceptions d'une Suisse diabolisée qu'il convient de réagir les uns et les autres, en sachant raison garder.
Cette interpellation urgente est close.