République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 23 janvier 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 4e session - 3e séance
M 1169
EXPOSÉ DES MOTIFS
Le projet Cadiom ne peut être analysé sur le plan énergétique uniquement. Il est lié aussi, et étroitement, à la politique des déchets que l'on entend mener dans les années à venir.
En effet, la question qui se pose en politique énergétique stricto sensu est de savoir si Cadiom pourrait trouver suffisamment de preneurs de chaleur à un prix suffisamment bas pour être rentable. S'il l'est, il serait alors aberrant de continuer à perdre toute cette chaleur dans le Rhône, les poissons n'ayant pas besoin de chauffage.
Mais dès lors qu'on aborde le problème d'un point de vue plus global, qui englobe la politique des déchets sur les 20 prochaines années, les choses se compliquent singulièrement: le vote de 1987 du Grand Conseil de construire deux grands fours de 50 Gcal/h chacun a été, tous le reconnaissent aujourd'hui, une erreur. Seuls les écologistes avaient raison: les fours se sont avérés surdimensionnés, puisque aujourd'hui on ne brûle que 240 000 tonnes par an au lieu des 380 000 tonnes prévues par MM. Lancoud et Grobet. Nous avons ainsi perdu 50 millions en fumée. Pourquoi? Parce que les possibilités de recyclage et de compostage avaient été sous-évaluées (délibérément, c'est l'une des raisons du licenciement de M. Lancoud suite au rapport Thélumée) et aussi parce que les entreprises se sont mises à produire différemment. Par exemple, des emballages plus fins, à l'exemple de la Migros qui, en passant aux nouveaux berlingots, a diminué la quantité de déchets incinérables par litre de lait vendu d'un facteur 10 ! Bien. Mais tout cela c'est du passé, me direz-vous?
Non, parce que nous pourrions bien être en train de refaire la même erreur: Cadiom tel qu'il est projeté maintenant fait le pari que nous allons continuer à brûler des déchets en grande quantité: (130 000 t/an dans les fours 5 et 6, soit 58 MW thermiques: page 17 du rapport technique). Mais ces prévisions ne tiennent pas compte d'une éventuelle future réduction de la quantité de déchets incinérés. Depuis 10 ans, le tonnage des déchets à incinérer a fondu de 30% par rapport aux prévisions de M. Lancoud. Est-il envisageable de parier aujourd'hui sur une réduction d'encore 50% d'ici20 ans? Et dans ce cas que deviendra Cadiom, qui a besoin de déchets à brûler pour chauffer Onex? Nous ne savons pas sur quelles projections raisonnables nous appuyer. Nous ne pouvons savoir si Cadiom pourrait se justifier ou non, ni si ce projet risque de freiner les efforts de recyclage et de méthanisation. N'oublions pas que l'incinération est fondamentalement polluante, même en lavant et filtrant les fumées.
L'alternative, si Cadiom ne devait pas se justifier, pourrait être de construire 2 gros CCF (couplages chaleur-force) à Onex. Cette construction pourrait prendre moins de temps que Cadiom. Il serait dès lors aussi utile d'avoir plus d'informations sur cette possibilité en termes d'économie d'énergie et de pollution.
C'est pour ces raisons que nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, de réserver un bon accueil à notre motion, sachant que le rapport complémentaire demandé ne retarde en rien le projet, puisqu'il peut être élaboré conjointement à l'étude de Cadiom.
Débat
M. Chaïm Nissim (Ve). L'étude du projet Cadiom, voté il y a six mois par le Grand Conseil, proposait de chauffer des immeubles à Onex en récupérant la chaleur de l'usine des Cheneviers.
A priori, cette idée était bonne; le Grand Conseil était d'accord. Mais, dans la motion 1169, nous vous demandons de ne pas vous contenter d'une étude strictement énergétique.
La question de savoir si l'on peut obtenir de la chaleur à 3,2 centimes par kWh à l'entrée d'Onex est certes importante, mais insuffisante : cette première étude doit impérativement être complétée par une étude sur le problème des déchets.
A la page 17 du projet technique Cadiom, est indiquée une légère hausse du tonnage des déchets à incinérer qui passerait de 244 000 à 260 000 tonnes en quelques années.
Or, brûler les déchets pollue, Mesdames et Messieurs les députés ! Il y a un mois, j'ai commencé à me poser des questions sur la dioxine et les furanes qui sortent des cheminées des Cheneviers. Au début, j'ai interrogé les gens du DIER, l'ancien département de M. Haegi. On me répondait avec légèreté qu'un seul gramme de dioxine était émis tous les cent huit ans. Par la suite, un message laissé sur mon répondeur apportait un rectificatif : il s'agissait d'un seul gramme tous les quatre cent sept ans.
Mais en reprenant la documentation d'Ecotox, j'ai constaté que les deux informations étaient fausses : il y a un gramme de dioxine grosso modo chaque année, et même un peu plus certaines années.
Un gramme de dioxine, c'est énorme, Mesdames et Messieurs les députés ! Aujourd'hui, dans plusieurs pays industrialisés, notamment en Hollande et aux Etats-Unis, le lait des femmes en contient, si bien que les autorités sanitaires de nombreux pays occidentaux ont hésité, pendant des années, à recommander aux femmes de cesser l'allaitement. Si le lait des femmes contient trop de dioxine, cela provient à 80% des usines d'incinération qui brûlent des PVC.
Actuellement, la situation s'améliore un peu en Suisse depuis l'installation des nouveaux filtres Denox aux Cheneviers qui filtrent aussi la dioxine, mais il en reste encore énormément. La situation est donc préoccupante au niveau sanitaire.
Ces informations démontrent la nécessité d'une double étude globale pour examiner aussi bien l'aspect strictement énergétique que l'aspect déchets.
Si l'étude Cadiom arrive à démontrer qu'avec moins de déchets incinérés elle reste encore viable - on passerait de 244 000 tonnes à 200 000, par exemple, puisqu'on a prévu de recycler et de composter une partie des déchets - nous serons contents de voter ce projet.
Si, par contre, nous sommes obligés de brûler davantage de déchets - ce qui est envisagé dans le projet voté - je crains que les députés de l'Alternative ne le refusent, lorsqu'il reviendra dans deux ou trois mois devant le Grand Conseil.
Je vous invite donc à renvoyer cette proposition de motion au Conseil d'Etat.
Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). En septembre 1997, je suis déjà intervenue pour soutenir le projet Cadiom. A cette date, on soulignait l'urgence d'entrer en matière sur la concrétisation de ce chauffage à distance.
Cinq mois plus tard, on se retrouve avec une proposition de motion invitant le Conseil d'Etat à effectuer une étude complémentaire. Pourquoi ralentir encore le processus, alors qu'un nombre considérable de chaufferies publiques et privées d'Onex sont au bout du rouleau et doivent être changées ? Faudra-t-il se passer de Cadiom et de sa solution énergétique avant-gardiste ?
Le groupe radical, devant le frein que représente cette démarche, refuse cette motion.
M. Alain-Dominique Mauris (L). Effectivement, cette motion est la réplique de la motion 1152, présentée le 2 octobre 1997 à ce parlement.
Cadiom pose également de nombreuses autres questions qui pourront être soulevées lors de la remise de l'étude. Parmi elles, la possibilité de confier aux Services industriels l'exploitation du réseau Cadiom, puisqu'ils pratiquent depuis trente ans le chauffage à distance. Aussi, pourquoi créer deux réseaux avec deux pilotes différents ?
Mais revenons à la problématique des déchets soulevée par cette motion. Les Cheneviers sont partiellement financés par les communes qui ont la responsabilité de récupérer les déchets sur leur territoire et de les apporter à l'usine.
L'ancien Conseil d'Etat avait mis sur pied une commission pour restructurer cette usine et lui donner un statut d'autonomie. Mais dans les deux derniers budgets que nous avons étudiés, aucune ligne n'est consacrée à ce sujet.
Depuis l'élection du nouveau gouvernement, la commission ne s'est plus réunie. Serait-ce la volonté du Conseil d'Etat de revenir en arrière ? Selon les déclarations du président Cramer, il est envisagé de réduire de 50% les déchets ménagers incinérés. Les communes sont perplexes et se demandent comment les frais fixes vont être couverts. La problématique des déchets a un coût que les communes aimeraient connaître.
Les Cheneviers collectent aussi un grand nombre de déchets autres que ménagers. A cet égard, une projection pourrait être intéressante, afin de savoir comment ils seront récoltés et utilisés dans cette usine.
Pour répondre à toutes les questions posées par cette motion, le groupe libéral vous recommande d'auditionner les communes qui désirent informer non pas le Conseil d'Etat mais directement les commissaires, si cette motion était renvoyée à la commission de l'environnement, et pour autant que cela ne retarde pas la réalisation du projet Cadiom.
M. Pierre Vanek (AdG). Nous avons déjà eu deux débats sur ce sujet, à l'occasion du projet de loi et de la motion. Il est donc probablement inopportun et inutile d'ouvrir à nouveau un grand débat.
Mme de Tassigny demande pourquoi attendre et revenir cinq mois plus tard avec une motion. La réponse est simple : à l'époque, la majorité de ce Grand Conseil n'a pas voulu entrer en matière sur cette question qui, nous l'avons dit et le répétons, reste pertinente. Cadiom ne peut pas être réalisé uniquement sous l'angle énergétique. Il faut prendre en compte l'aspect des déchets, c'est une évidence.
Quant aux autres questions sur la mise en oeuvre de Cadiom et les conditions de son exploitation, au moment du vote du projet de loi, nous avons inclus un amendement qui a été accepté et qui assurait que l'ensemble du projet reviendrait devant ce Grand Conseil pour que nous puissions avoir connaissance des conditions d'exploitation proposées, des montages financiers et de l'ensemble du contexte de ce projet.
Je vous propose donc, pour ne pas perdre plus de temps, de renvoyer cette excellente motion au Conseil d'Etat.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Pour répondre à M. Mauris : cette motion n'est pas une réplique mais une «duplique». Il s'agit en effet de la même motion que celle que nous avons déposée il y a quelques mois.
J'aimerais rappeler à Mme de Tassigny que nous ne sommes pas opposés au projet Cadiom et n'entendons pas ralentir son étude. Au contraire, c'est maintenant qu'il faut faire cette analyse, conjointement, pour éviter de devoir se poser de nouvelles questions sur la faisabilité de ce projet, en fonction de l'évolution de la politique d'incinération des déchets au moment où elle reviendra devant notre Grand Conseil.
Ce serait un comble de devoir augmenter les quantités de déchets à incinérer pour assurer le fonctionnement de Cadiom ! Il faut donc se poser toutes ces questions en même temps, car si on travaille par palier, on ralentit le processus.
Cette motion a été élaborée dans les bureaux de l'OCEN avec le plein accord de M. Genoud qui connaît bien la problématique et a pris conscience de la nécessité de se poser ces questions pour éviter une perte de temps.
Pour ces raisons, nous sommes revenus avec la même motion. Dans un souci de rapidité et d'efficacité, en tenant compte de tous les aspects de l'étude, nous demandons qu'elle soit renvoyée directement au Conseil d'Etat.
M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Le texte de la motion déposée de même que les propos des différents intervenants montrent bien la complexité du débat autour de la problématique des déchets traités aux Cheneviers. Dans ce débat, trois thèmes reviennent.
Le premier, c'est le thème général qui devrait englober toute cette problématique : il s'agit de savoir comment nous traitons les déchets à Genève et, plus fondamentalement, ce que nous faisons pour en diminuer la quantité, les trier, les traiter.
Le second, c'est le thème des Cheneviers, cette installation dont nous connaissons tous les qualités et les défauts, et notamment les problèmes liés à son surdimensionnement. Comme l'a rappelé M. Mauris, elle fait l'objet d'un certain nombre de projets, notamment d'autonomisation.
Le troisième est lié aux deux premiers, c'est celui de Cadiom.
Ces trois thèmes sont abordés dans la proposition de motion et l'ont été également lors des diverses interventions. Comme le dit justement Mme Reusse-Decrey, on ne peut pas séparer artificiellement ces trois sujets. Ils doivent être abordés simultanément, car c'est la seule façon d'avoir un débat de fond permettant de prendre des décisions en ce qui concerne à la fois l'avenir du traitement des déchets à Genève et celui des Cheneviers, Cadiom n'étant qu'une partie de cette vaste problématique.
La difficulté de cette problématique est bien ressortie des différentes propositions faites : les intervenants ont demandé que cette proposition de motion soit renvoyée au Conseil d'Etat; qu'elle soit refusée; qu'elle soit renvoyée en commission.
A ce stade du débat - il faudrait que nous puissions apporter une réponse écrite à cette motion et, sur la base de cette réponse, que nous puissions engager une discussion de fond. Dans le département dont j'ai la charge, nous prenons très au sérieux vos questions. Si l'on doit fixer deux ou trois priorités de notre action l'une, comme l'a annoncé le Conseil d'Etat, concerne la renaturation des cours d'eau - nous l'avons annoncé dans le discours de Saint-Pierre - l'autre, la question des déchets, notamment le programme à établir pour réduire la quantité.
Il s'agit donc d'un débat prioritaire pour notre département, et c'est avec plaisir que je répondrai par écrit à la motion pour vous dire où nous en sommes de nos réflexions.
Dans le même temps, puisqu'il y a déjà au sein de la commission de l'environnement une motion portant sur un thème semblable ne traitant pas spécifiquement de Cadiom mais des Cheneviers, je vous inviterai, Mesdames et Messieurs les députés, à inscrire cette motion à l'ordre du jour, de sorte que vous puissiez aussi procéder à certaines auditions en commission, comme l'a proposé M. Mauris. Il y aurait ainsi une démarche complémentaire.
Vous pourriez dès maintenant faire les demandes d'audition au sujet d'une motion dont est actuellement saisie la commission et, simultanément, les services du département pourraient travailler à une réponse à votre question sur Cadiom.
Je préfère que nous procédions ainsi. Cela nous permettrait de ne pas perdre de temps, répondant ainsi à la préoccupation de Mme de Tassigny. Au cas où nous estimerions finalement que la bonne solution c'est Cadiom, nous ne perdrons pas de temps pour sa réalisation en répondant simultanément, par écrit, à la motion.
C'est une façon de répondre à toutes les interrogations légitimes qui se sont exprimées et de vous montrer que nous souhaitons que ce dossier soit traité avec sérieux et rapidité.
En ce sens, nous acceptons volontiers que cette motion nous soit renvoyée immédiatement.
M. Chaïm Nissim (Ve). J'avais peur de ne pas avoir très bien compris ce double renvoi, mais, grâce à la dernière phrase du conseiller d'Etat Cramer, je comprends mieux !
Formellement, nous renvoyons cette motion au Conseil d'Etat et, dans le même temps, rien n'empêche la commission de l'environnement d'étudier ce texte.
Effectivement, le Conseil d'Etat devra répondre simultanément à cette motion et au projet Cadiom qui lui a été renvoyé voilà six mois, ce qui n'empêche pas la commission de l'environnement de se pencher sur ce problème.
Le président. Il a été demandé formellement de renvoyer cette motion à la commission de l'environnement. Maintenez-vous cette demande, Monsieur le député Mauris ? C'est le cas.
Mise aux voix, la proposition de renvoyer cette proposition de motion à la commission de l'environnement et de l'agriculture est rejetée.
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
MOTION
sur une étude complémentaire à l'étude du projet Cadiom
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- le rapport sur le projet de loi 7606 de M. le député Hervé Burdet, sur l'étude d'un projet de récupération de la chaleur de l'usine des Cheneviers, dans le but de chauffer Onex (Cadiom), rapport accepté en septembre 1997;
- que l'étude envisagée se place sur le plan strictement énergétique, alors que la question de la politique à long terme des déchets (20 ans) n'est abordée que marginalement;
- le refus par l'ancien Grand Conseil, majoritairement hostile aux thèses du développement durable, d'accepter une étude complémentaire sur l'aspect déchets,
invite le Conseil d'Etat
à accompagner l'étude énergétique Cadiom d'un rapport complémentaire, portant sur la politique des déchets. Ce rapport devrait répondre, entre autres, aux questions suivantes:
1. Quelle réduction du tonnage de déchets à incinérer aux Cheneviers peut-on raisonnablement envisager dans les années à venir ? Quels seraient les possibilités respectives du recyclage, de la méthanisation et des productions alternatives?
2. La construction et l'exploitation de Cadiom ne risque-t-elle pas de prétériter une telle politique de réduction des incinérations?
3. Quels seraient les scénarii possibles sur 20 ans (croissance ou décroissances des incinérations aux Cheneviers, construction de CCF ou de chaufferies traditionnelles à Onex) et leurs incidences sur l'environnement?
4. Quelles productions de courant indigène pourraient, le cas échéant, compenser la baisse de production électrique due à Cadiom?