République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 22 janvier 1998 à 17h
54e législature - 1re année - 4e session - 1re séance
RD 288
Débat
M. Gérard Ramseyer, président du Conseil d'Etat. Je désire simplement rappeler quelques faits chronologiques dans le but d'éclairer le cheminement poursuivi par le gouvernement dans le cadre de la réforme de l'Etat.
Le 5 décembre 1996, nous indiquions dans quelle voie le Conseil d'Etat entendait s'engager, afin de valoriser le travail réalisé par Arthur Andersen SA.
Le 8 janvier 1997, le Conseil d'Etat décidait de nommer un groupe de projet destiné à assurer le suivi de l'audit global de l'Etat.
En février 1997, le Conseil d'Etat rendait public un premier document de synthèse intitulé «Un nouveau dialogue entre l'Etat et le citoyen», relatif à la mise en oeuvre concrète des différents chantiers relatifs à cette réforme. Les groupes constitués se sont ensuite mis au travail atteignant l'objectif fixé qui était de remettre leur rapport pour juin 1997. En même temps, la commission ad hoc du Grand Conseil, créée pour suivre l'évolution des travaux, entamait sa propre opération.
Le 22 septembre 1997, cette commission a fait le point sur l'évolution du dossier et défini les pistes ressenties comme priorités.
En septembre 1997 encore, le Conseil d'Etat publiait un second document intitulé «La réforme en marche», document qui renseignait sur l'état d'avancement des vingt-huit groupes de travail et des quarante-neuf projets retenus.
Enfin, dans son discours de Saint-Pierre du 8 décembre 1997, le Conseil d'Etat marquait clairement son intention de poursuivre la réforme indiquant, je cite : «L'état des lieux terminé, un diagnostic posé, plusieurs réformes sectorielles lancées et les axes de travail pour la plupart connus, voici venu comme prévu le temps de la concertation avec la population et avec la fonction publique.» Le Conseil d'Etat a ainsi rappelé que la réforme ne visait pas uniquement le coût des prestations de l'Etat, mais aussi et même surtout la qualité de ses prestations. A cet égard, le but visé consiste à disposer d'une administration cantonale toujours plus proche du citoyen grâce à une meilleure organisation du travail, à une simplification des structures et des procédures et à un contrôle plus rigoureux des dépenses par une meilleure connaissance des coûts et au recours accru à l'informatique par la généralisation du guichet unique.
Tel est l'état de la question à ce jour. Il me paraissait nécessaire de rappeler que nous poursuivons dans ce domaine une démarche claire, avec des objectifs précis, avec des délais qui, cependant, doivent être encore soigneusement évalués.
C'est aussi l'occasion pour le gouvernement de vous remercier, Mesdames et Messieurs les députés, pour la part importante que vous prenez à cette réforme.
M. Daniel Ducommun (R). Certains dossiers, on ne sait pas pourquoi, ne vont pas dès le départ... Rappelons-nous que personne dans cette salle ne voulait entendre parler d'audit !
Eh bien, aujourd'hui, malgré votre message entreprenant, Monsieur le président du Conseil d'Etat, cela ne va toujours pas. Permettez-moi, comme vous l'avez fait, un bref historique.
En février 1997 - c'est vrai - le Conseil d'Etat établit un rapport d'intention, suite à l'audit, que notre parlement s'empresse de remettre pour appréciation à une commission ad hoc, que j'ai eu - en toute modestie - le plaisir et l'honneur de présider. Cette commission s'est réunie et a travaillé dans un certain flou, il faut bien le dire. Néanmoins, plus de dix séances ont permis de dresser un inventaire des priorités susceptibles de rendre plus rationnelle la réforme entreprise par le gouvernement... Donc, Monsieur le président, de vous aider dans votre mission.
Nous proposons des structures de contrôle de gestion plus efficaces; nous proposons des pistes d'économies en orientant la démarche sur les doublons Etat/communes, ou encore la politique et l'organisation des achats. Nous proposons encore de reparler rapidement du statut de la fonction publique. Et là, ô surprise, le Conseil d'Etat publie aujourd'hui un nouveau rapport de suivi sans nous avoir consultés à aucun moment sur l'état de nos réflexions et de nos travaux relatifs, Monsieur le président, au rapport précédent.
Moi, je veux bien qu'il y ait séparation des pouvoirs dans cette République... Néanmoins, lorsque cela prend une telle ampleur, il ne s'agit plus d'un manque de cohérence, mais d'un dysfonctionnement ! Figurez-vous, Monsieur le président, qu'en fin de compte nous souhaitons ardemment cette réforme. Et, pour la réaliser, la coordination entre l'exécutif et la commission ad hoc est nécessaire.
Espérons que la suite de ce dossier se développera d'une façon différente, afin que nos travaux puissent servir enfin à la prospérité de «la patrie qui nous a confié ses destinées».
M. Pierre-François Unger (PDC). Après les conclusions comptables de la maison Arthur Andersen, il y a quelques mois, suite à l'audit général de l'Etat, le présent rapport nous propose de prendre de la hauteur. Davantage que des chiffres, on nous parle d'une philosophie pour la refonte de l'Etat. Et c'est une bonne chose.
Les attentes et les besoins des citoyens ont énormément évolué durant ces dernières années; cela est vrai aussi bien au niveau de l'offre des prestations que de la qualité des services.
Dans ce contexte, l'Etat est contraint à l'excellence, devant faire mieux avec moins, et deux pistes doivent être suivies :
Celle des économies sur laquelle le précédent Conseil d'Etat s'est déjà engagé, économisant quelque 2 milliards en quatre ans.
Celle d'une réforme de l'Etat en profondeur sur laquelle il nous est donné de nous prononcer aujourd'hui.
De toute évidence - et je ne partage pas tout à fait l'avis de mon préopinant - il n'appartient pas au parlement - nous l'avons dit et redit - de se prononcer sur l'organisation interne de l'administration. C'est du ressort du gouvernement - c'est clair - et la constitution est limpide à cet égard.
Le Conseil d'Etat nous propose une réforme basée sur la simplicité, la proximité, l'efficacité : voilà autant d'objectifs auxquels nous ne pouvons que souscrire. Laissons le gouvernement réformer cette administration et s'acquitter ainsi de la tâche que la constitution lui a confiée.
Dans ce nouveau cadre de travail, le Conseil d'Etat devra accroître la responsabilité des services et donc des collaborateurs. Il faudra limiter les hiérarchies pour favoriser la communication et la collaboration entre les services. Il faudra passer des pyramides hiérarchiques à des systèmes plus organiques.
Et c'est sur ce point que le rôle du Grand Conseil devra adapter son fonctionnement. Le Grand Conseil devra se doter d'outils de contrôle autrement performants que ce que peut faire notre actuelle commission des finances. Une commission de gestion s'impose, qui ait accès au rapport de l'inspectorat cantonal des finances et qui ait de réels pouvoirs, compétences et outils de «controlling» nécessaires à une gestion rigoureuse du denier public. Cela passera, entre autres, par une analyse soigneuse du coût des prestations et par une analyse fine de la répartition des tâches entre Etat et communes, dans le respect du principe de subsidiarité.
C'est à ce prix que l'Etat pourra se permettre de maintenir son rôle social, sans risquer la faillite dans laquelle on finirait par tout perdre.
Mme Alexandra Gobet (S). Monsieur le président, c'est lundi que notre commission recevra Mme Micheline Calmy-Rey. Nous espérons que cette séance va inaugurer une ère nouvelle - nouvelle au plan de la communication entre vous et nous...
Bien que la gestion du personnel relève - c'est vrai - de la compétence de l'exécutif, nous n'aimerions pas passer ce soir sans souligner qu'à notre avis cette ère nouvelle de communication doit également être appliquée aux relations entre le personnel et le Conseil d'Etat. Car, enfin, même si les réformes sont structurelles et financières, elles ne pourront être couronnées de succès, à nos yeux, que si elles sont comprises et voulues par le personnel qui les mettra en oeuvre.
Nous aimerions également voir le Conseil d'Etat faire preuve d'un peu plus de détermination lorsqu'il s'agit de réformer la fonction achat de l'Etat de Genève, tant il est vrai qu'après les deniers consacrés aux charges du personnel ce poste est le deuxième plus important sur lequel une économie pourrait être faite, de façon à financer d'autres prestations.
Nous n'entendons pas redire ce que les préopinants ont déjà souligné. Nous vous faisons donc confiance pour que nos relations soient améliorées et que ce rapport sur la réforme de l'Etat de Genève, qui, pour l'instant, est votre rapport, devienne également... le nôtre !
M. David Hiler (Ve). J'ai déjà, à quelques reprises et au nom des Verts, eu l'occasion de dire : oui, l'Etat doit être réformé, mais nous devons prendre le temps de nous mettre d'accord sur le type de réformes à mettre en oeuvre.
Jusqu'à présent, nous avons tout de même constaté quelques lacunes dans la manière dont le dossier a été géré. En effet, si le but de cette réforme était de rapprocher l'Etat du citoyen, elle n'a certainement pas abouti à ce que le Conseil d'Etat soit plus proche du parlement, ni du personnel.
J'ai encore en tête, Monsieur Ramseyer, une séance d'audition du personnel. Nous nous sentions très solidaires, au fond, parce que parlementaires et représentants du personnel de l'Etat et de l'ensemble des associations - pas seulement les représentants du Cartel - nous nous trouvions dans la même situation, à savoir qu'il ne vous semblait pas vraiment important d'informer ni de discuter avec nous.
La commission vous a transmis un certain nombre de messages. Si j'ai bien compris, c'était une question de méthodologie. En fait, vous venez de nous dire qu'après le dépôt du deuxième rapport l'étape de la concertation commençait. Alors, moi je veux bien croire à votre bonne foi, et j'imagine donc que nous allons pouvoir commencer à discuter. Mais il faut prendre au sérieux les avertissements qui ont déjà fusé dans les interventions précédentes.
Certes, l'administration relève de la compétence du Conseil d'Etat. Dans certains cas, toutefois, il faut une majorité pour modifier des lois, et je ne crois pas que cette grande réforme se fera sans le parlement. En outre, il est certain que cette réforme ne se fera pas sans qu'une partie significative du personnel de l'Etat y adhère. Or, jusqu'à présent, il faut bien dire que si on avait voulu faire en sorte qu'il n'y adhère pas, on ne s'y serait pas pris autrement...
Nous souhaitons donc, pour notre part, que ce dossier soit remis tranquillement à plat et, surtout, que soient définis clairement les éléments qui font partie de la réforme de l'Etat, mais qui peuvent être traités différemment : introduction de primes ou non dans la fonction publique, etc. Il faut trancher immédiatement ces questions de fond avant d'instaurer quoi que ce soit, et cela doit faire l'objet d'un large débat, me semble-t-il.
Nous espérons donc que les choses se passeront mieux qu'avant, car si elles devaient continuer à se passer aussi mal, eh bien il n'y aura tout simplement pas de réforme ! Je ne sais pas si c'est le souhait du Conseil d'Etat. Si tel n'est pas le cas, il devra radicalement changer de méthode et donner l'exemple à la fonction publique. Pour le moment, si cette dernière suit votre exemple, elle ne changera rien du tout. Elle reviendra en arrière, en utilisant les méthodes d'il y a vingt ans.
M. Christian Grobet (AdG). Au nom de l'Alliance de gauche, nous adhérons aux propos qui viennent d'être tenus par les préopinants, notamment par M. Hiler, dont nous partageons l'analyse.
Le rapport évoqué date d'un certain temps, puisqu'il a été présenté avant les élections. A l'époque, nous avions - les Verts, les socialistes et l'Alliance de gauche - fait une conférence de presse pour exprimer notre avis au sujet de cette démarche de dernière heure par laquelle le Conseil d'Etat tentait de montrer qu'il se préoccupait de la question. La principale solution étant d'imaginer qu'on allait résoudre le problème par une réorganisation des départements... C'était jouer au jeu des «chaises musicales», si vous me permettez cette comparaison. Comme l'a dit M. Hiler, cette affaire a été bâclée, sans consultation du personnel; elle n'était qu'un feu de paille à la veille des élections. Il faut maintenant reprendre ce problème sérieusement.
Notre Grand Conseil a la mission de contrôler la gestion du pouvoir exécutif dans le cadre de notre système institutionnel de la séparation des pouvoirs, et il doit pouvoir effectivement exercer cette mission fondamentale. C'est un point essentiel.
Nous vous rappelons que l'Alliance de gauche a déposé, je crois il y a presque deux ans maintenant, un projet de loi que nous avons évoqué dans la commission ad hoc traitant de ces questions. Il vise à créer, comme c'est le cas à l'Assemblée fédérale, à côté de la commission des finances dont la mission devrait se limiter - elle est déjà bien lourde - à l'examen du budget et des projets d'investissements, une commission de gestion dont le seul rôle serait de contrôler la gestion du Conseil d'Etat et de l'administration.
Faut-il encore que cette commission, dans un parlement de milice comme le nôtre, puisse exercer effectivement sa tâche ! En effet, déjà aujourd'hui, suivant à quel département il s'adresse, le parlement ne peut pas exercer son travail, car il y a rétention d'informations. Il faut donc que le parlement puisse s'appuyer sur un service compétent.
L'audition du contrôle financier de l'Etat, lors de la dernière séance de la commission ad hoc qui s'est tenue il y a dix jours, a été particulièrement instructive. On a pu apprendre comment ce service qui comprend actuellement une vingtaine de personnes - c'est vraiment le minimum et on peut se féliciter que le Conseil d'Etat envisage d'augmenter ses effectifs pour arriver à la moyenne des autres grands cantons - effectue un travail extrêmement important.
Mais, Mesdames et Messieurs les députés, la commission des finances - on l'a vu - n'a pas connaissance du travail de ce contrôle financier... C'est tout juste s'il est possible d'obtenir une liste des rapports qui ont été établis par cette commission ! Le responsable du contrôle financier de l'Etat a montré que ce service fait un travail extrêmement important. Il a indiqué qu'il était parfaitement libre de ses mouvements, mais on a le très net sentiment que, en fait, il n'y a pas de suite...
Par la bouche de ce haut fonctionnaire - c'est du reste très intéressant - on a appris que nombre des suggestions faites par le contrôle financier de l'Etat - qui est rattaché au département des finances et qui dépend donc du Conseil d'Etat - suite aux dysfonctionnements relevés par ce service ces dernières années, avaient été rendues publiques... Par qui, Mesdames et Messieurs les députés ? Par le rapport Arthur Andersen ! Voilà des gens qu'on a payé quelques millions de francs et qui ont pu, au fond, utiliser le travail fait par un excellent service de l'Etat, mais qui était resté en l'état... L'Alliance de gauche avait mis en évidence certains dysfonctionnements à travers des motions, notamment la gabegie qui régnait au département des finances - M. Unger a trouvé le terme encore poli... Nous avons retrouvé les différents éléments, que nous avions dénoncés dans des motions, ainsi que nos analyses dans le rapport Arthur Andersen, et nous nous sommes félicités de constater que nos avis recevaient ainsi un certain brevet d'authenticité...
Permettez-moi finalement de dire qu'on a payé fort cher une expertise alors qu'on aurait peut-être pu - c'est par là qu'il aurait fallu commencer - analyser correctement les rapports du contrôle financier et se baser sur eux, plus modestement, comme l'ont dit M. Hiler et M. Unger.
Mais - et j'en finirai par là - l'essentiel en ce qui nous concerne, c'est que le contrôle financier de l'Etat réponde au Conseil d'Etat mais, bien entendu, également et de manière exhaustive, au Grand Conseil devant une commission de gestion qu'il faudrait créer. Nous estimons, en fait, puisque c'est notre tâche de contrôler le bon fonctionnement de l'administration et la gestion du Conseil d'Etat, que ce contrôle financier - il devrait rapporter bien entendu aussi bien au Conseil d'Etat qu'au Grand Conseil - devrait dépendre en priorité du Grand Conseil.
C'est du reste ce que nous demandons à travers le projet de loi qui a été déposé par l'Alliance de gauche, et nous espérons qu'il pourra être traité en priorité, pour que, au-delà des discours, nous disposions enfin d'un instrument de travail efficace nous permettant effectivement de cerner les problèmes concrets qui se posent au fonctionnement de l'administration.
Ce rapport est renvoyé à la commission de l'audit de l'Etat, RD 272.