République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 18 décembre 1997 à 17h
54e législature - 1re année - 3e session - 59e séance
M 1157
LE GRAND CONSEIL,
considérant:
- le succès grandissant des outils informatiques dans la production, qu'elle soit pour l'industrie ou qu'elle soit pour les services;
- l'omniprésence du réseau Internet comme système de communication à l'échelle mondiale et cela aussi bien dans les entreprises que dans les foyers;
- la part médiocre réservée à l'enseignement de l'informatique selon la grille horaire élève genevois de novembre 1996 (1 heure par semaine et seulement en première année de collège);
- la nécessité de donner à nos gymnasiens une meilleure culture informatique,
invite le Conseil d'Etat
- à considérer l'informatique comme une partie intégrante de la culture générale de l'homme moderne;
- à définir une politique claire en matière d'enseignement de l'informatique à tous les échelons de la scolarité;
- à augmenter le temps consacré à l'enseignement de l'informatique aussi bien pour préparer nos élèves à exploiter et à produire au mieux avec les moyens informatiques que les informer des limites et des risques du recours systématique à l'informatique.
EXPOSÉ DES MOTIFS
L'évolution spectaculaire des moyens informatiques, l'amélioration perceptible de la convivialité de cet instrument, le développement remarquable des moyens de production et d'information par le biais de l'informatique... doivent nous rendre attentifs aux conséquences de cette évolution mais aussi à la nécessité de former nos élèves à cette nouvelle connaissance, à faire en sorte qu'elle soit une partie intégrante de leur culture.
Notre propos n'est ni racoleur, ni événementiel. Il se situe dans la continuité d'une action initiée il y a plusieurs années par des personnalités qui avaient pressenti cette orientation et qui avaient imaginé que l'enseignement devrait anticiper la demande de connaissance et non la rattraper.
Le 7 octobre 1981, dans une interpellation au Conseil fédéral, le conseiller national genevois Gilles Petitpierre intervenait sur le sujet et disait notamment:
«... Le Conseil fédéral estime-t-il que l'introduction de l'informatique à l'école peut se développer sans que des priorités soient définies?»
«... des organismes fédéraux, intercantonaux ou cantonaux, collaborent-ils avec les milieux de l'éducation et de la diffusion de la culture pour assurer la cohérence du développement dans la concertation?»
«A-t-on déjà étudié les moyens de prévenir le développement excessif d'une culture importée?»
Le Conseil fédéral répondait alors:
«... l'informatique est une nouvelle branche du savoir...»
«... la diffusion rapide des calculatrices électroniques a entraîné une forte demande en spécialistes de l'informatique, mais pose aussi des exigences nouvelles quant à la formation générale...»
«... L'informatique fait partie de la culture générale de l'homme moderne...»
«... les exigences particulières et l'importance de cette nouvelle matière nécessitent un soutien réfléchi des écoles et des enseignants aux niveaux cantonal et intercantonal... la responsabilité de leur réalisation dans les écoles est l'affaire des autorités cantonales en matière d'éducation...».
L'usage de l'informatique n'est pas une mode passagère, il ne fait que commencer.
Pour un petit pays comme le nôtre, le risque de dépendre toujours plus de programmes informatiques fabriqués à l'étranger est évident.
La commercialisation effrénée des moyens informatiques (machines ou programmes) est de nature à déshumaniser l'enseignement. Il n'est pas rare de voir des élèves ne plus aller à l'école, rester chez eux et y faire fonctionner leur appareil.
L'éducation est le moment privilégié de la formation sur les services offerts par l'informatique mais aussi sur les dangers de son utilisation. Si cette formation visant aussi bien à développer le sens critique à l'égard de l'informatique qu'à la démystifier fait défaut, la bonne utilisation de l'informatique et la prévention des dangers qui sont liés à son usage seront moins bien assurées.
Au vu de ce qui précède, qui n'est qu'une présentation édulcorée de la force de pénétration des moyens informatiques, est-ce réaliste de penser qu'une heure hebdomadaire de cours dispensés à nos gymnasiens de 1re année serait suffisante pour relever le défi ?
Nous ne le pensons pas et nous souhaitons que le débat se développe désormais au sein des autorités politiques, car il en va de l'avenir de nos jeunes et de celui de notre société.
Voilà les raisons pour lesquelles nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer cette motion à la commission de l'enseignement.
Débat
M. Hervé Dessimoz (R). Il est inutile de rappeler le développement de l'informatique. Chacun d'entre nous ayant reçu son PC portable, c'est dire si le sujet est d'actualité !
Le département de l'instruction publique a encouragé le développement de l'enseignement de l'informatique. Il est dit qu'il sera renforcé dans la nouvelle maturité.
Mais de quel enseignement parlons-nous ? De celui qui nous est proposé, à nous députés, à savoir l'apprentissage de l'exploitation de notre PC portable ? Certainement pas !
On apprend à nos enfants à pianoter sur un clavier, à exploiter des logiciels, à explorer les nombreuses possibilités offertes, mais qui leur enseigne les limites, les risques et les dérives du système ? Bien peu, et pour cause !
En effet, l'univers informatique est celui de nos enfants et ce sont eux qui, bien souvent, nous le font découvrir. C'est pourquoi nous devons agir.
Nous ne pouvons laisser nos enfants accéder à des services sans contrôle et, surtout, sans éducation préalable.
Les informations non contrôlées disponibles sur le réseau Internet sont dangereuses si elles sont consommées sans précaution. Le menu est riche et varié. Il est également truffé de perversités : sectes, sexe, politique, et j'en passe, tous sujets qui ne subissent pas de censure.
Ayant eu le privilège d'être associés aux travaux de certains spécialistes, M. Dupraz et moi-même avons décidé d'élargir la réflexion au plan politique. Nous avons retrouvé la trace des premiers débats tenus, le 7 octobre 1981, par le Conseil national sur le sujet, suite à une interpellation de notre ami Gilles Petitpierre. La remarquable réponse du Conseil fédéral fut : «L'informatique fait partie de la culture générale de l'homme moderne.»
Sans aucun esprit de polémique, M. Dupraz et moi-même vous proposons d'inviter la commission de l'enseignement à travailler sur le sujet et d'imaginer une nouvelle forme plus culturelle de l'apprentissage de l'informatique.
Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Je voudrais juste dire à M. le député Hervé Dessimoz que le Conseil d'Etat accueille avec satisfaction les invites de sa motion.
Qu'il me permette une remarque faite en toute gentillesse : avant que la commission ne conçoive un nouvel enseignement de l'informatique, je souhaiterais qu'elle soit informée, pour débattre sereinement, de ce qui est fait, de ce qui est prévu, de ce qui est mis sur pied, de ce qui est développé, ainsi que des concepts pédagogiques existants.
Beaucoup de réflexions ont été menées, beaucoup de projets ont été réalisés, d'autres sont mis en oeuvre, notamment dans le cadre de la nouvelle maturité.
Je propose donc que la commission soit informée de ce qui précède avant de passer au traitement de cette motion.
M. Jean-François Courvoisier (S). Deux arguments me choquent dans cette proposition de motion.
Le premier est de dire que l'informatique fait partie intégrante de la culture. L'informatique n'a rien à voir avec la culture. C'est un outil nécessaire comme le téléphone et la voiture.
Le deuxième doit ajouter que l'informatique fait partie de la culture non seulement de l'homme mais aussi de la femme moderne.
Ce sont là deux amendements que je propose.
M. Hervé Dessimoz (R). Madame la présidente Brunschwig Graf, mon collègue Dupraz et moi-même n'avons nullement l'intention d'interférer dans le mode de fonctionnement de la commission de l'enseignement. Il est tout à fait normal que vous soyez entendue et disiez exactement ce qu'il en est.
Notre motion est un simple postulat qui ne critique nullement le fonctionnement du département de l'instruction publique.
Mon collègue Courvoisier n'a rien compris. Notre motion explique que l'apprentissage de l'informatique ne se résume pas à la maîtrise d'un outil, mais qu'il est celui d'une culture. Le Conseil fédéral l'a clairement exprimé en 1981. Dans le même message, il annonçait qu'il déléguerait aux cantons les compétences spécifiques pour développer cette culture.
Par conséquent, je pars du principe qu'il nous faut, en l'occurrence, parler de culture, et non d'un simple apprentissage de l'informatique.
Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission de l'enseignement et de l'éducation.