République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 18 décembre 1997 à 17h
54e législature - 1re année - 3e session - 59e séance
M 976-A
Le Grand Conseil a adopté, le 16 février 1995, la motion citée en référence qui invite le Conseil d'Etat:
«à faire rapport sur les possibilités, en l'état actuel des connaissances, des MPR dans les domaines de la combustion et des transports».
Voici le point de la situation relative aux matières premières renouvelables.
1. Surfaces en Suisse et à Genève
Les surfaces réservées à la culture de matières premières renouvelables (MPR) sont, pour la Suisse et les années 1995, 1996 et 1997, les suivantes:
Cultures 1995 1996 19971
(ha) (ha) (ha)
Colza à des fins énergétiques 1 250 1 230 1 030
Colza à des fins techniques 342 440 390
Roseau de Chine 260 305 310
Kénaf 60 50 5
Tournesol 5 10 /
Chanvre 10 5 2
Consoude 3 9 /
Lin 6 15 12
Total 1 936 2 064 1 749
1 Il s'agit de chiffres provisoires susceptibles d'être légèrement modifiés.
On remarque que les surfaces de colza destinées à la fabrication de biocarburant sont restées stables en 1995 et 1996. En 1997, on observe une diminution de 200 hectares. Cette réduction est plutôt inattendue, surtout si l'on considère qu'en 1997 les agriculteurs ne pratiquant pas la production intégrée doivent exploiter le 5% de leur surface agricole en surface de compensation écologique s'ils entendent toucher les subventions liées à l'article 31a de la loi sur l'agriculture. Comme dans ce cas, les MPR sont considérées comme des surfaces de compensation écologique, on aurait pu s'attendre à une augmentation des surfaces de colza énergétique. Remarquons toutefois que l'office fédéral de l'agriculture a annoncé ce nouveau règlement en novembre 1996, soit après les semis de colza d'automne. L'effet incitatif de cette réglementation sera peut-être visible sur les surfaces de colza éner-gétique semées en 1997 et récoltées en 1998.
A Genève, 58 hectares de colza énergétique seront récoltés en 1997. Environ 30 hectares seront valorisés par la maison Agrogen, qui a mis au point un carburant à base d'huile de colza et d'additifs d'origine fossile, pouvant être utilisés dans les moteurs diesels conventionnels. Ce carburant est mélangé, à raison de 10%, avec du diesel conventionnel et mis en vente par le Cercle des agriculteurs à Genève. En 1996, environ 8 000 litres du carburant Agrogen ont été utilisés pour le mélange et vendus sur le canton. Agrogen fabrique également des lubrifiants à base d'huile de colza. Les 28 hectares restants sont transformés dans le canton de Vaud en ester méthylique de colza (biodiesel) par Eco Energie Etoy. Il est important de noter que les grains de colza récoltés sur Genève ne sont pas transportés à Etoy ou à Fribourg (Agrogen), mais que des échanges ont lieu entre les différents lieux de stockage. Cela est notamment important pour le bilan énergétique. A Etoy, la production de biodiesel a commencé début juillet 1996. Le chiffre d'un million de litres produits a été atteint fin février 1997 et la production journalière s'élève actuellement à environ 8 000 litres.
Les surfaces de colza destinées à des fins techniques, soit principalement la fabrication de lubrifiants, diminuent de 50 hectares en 1997. Ces lubrifiants à base d'huiles végétales peuvent être utilisés notamment pour le graissage des chaînes de tronçonneuses utilisées dans le domaine forestier. Cette diminution de 50 hectares pourrait être expliquée par le fait que les ventes de lubrifiants à base d'huiles végétales produites en Suisse ne sont plus à la hausse. Selon U. Weiss (Landi Zola), plusieurs facteurs peuvent expliquer ce résultat, notamment la concurrence des huiles végétales importées, dont le prix est relativement bas. Les ventes de lubrifiants à base d'huiles végétales pourraient de nouveau augmenter si l'Etat rendait obligatoire leur usage en forêt et autres zones sensibles. A Genève, une partie du colza cultivé sous contrat avec la maison Agrogen est destinée à la production de lubrifiants.
Après avoir augmenté de 45 hectares entre 1995 et 1996, la culture du roseau de Chine stagne puisque seuls 5 hectares supplémentaires ont été implantés en 1997. Cette faible augmentation semble être due aux difficultés que rencontrent les acquéreurs pour la commercialisation de leurs produits. De plus, un des principaux acquéreurs de roseau de Chine, une coopérative pour la technologie appliquée à la biomasse (GSB), était en difficulté financière en 1996 et a été contraint de demander à chaque sociétaire le versement de 1 000 F supplémentaires. Il semble que, dans le cas du roseau de Chine, des surfaces importantes ont été implantées avant d'assurer la commercialisation de produits rentables. Ainsi, une bonne partie de la récolte est actuellement utilisée comme paillage dans les cultures fruitières et de fraises. Cette utilisation, comme d'ailleurs celle du roseau de Chine comme substitut de tourbe, couvre juste les frais de production et ne permet pas aux acquéreurs de faire du bénéfice. Pour C. Henn (GSB), le roseau de Chine a pourtant sa place dans l'agriculture suisse; il souhaite que les surfaces gérées par la GSB passent de 200 hectares en 1997 à 1 000 hectares en l'an 2000. Des expérimentations sont actuellement en cours pour l'utilisation des fibres dans la fabrication par injection de matériaux composites. D'autre part, la firme Birosto met au point des granulats destinés à la fabrication de pièces par moulage ou injection. Cependant, C. Henn est d'avis que la combustion représentera à long terme l'utilisation principale du roseau de Chine. A Genève, environ 1,7 hectare de roseau de Chine sur les 4 hectares existants ont été récoltés en 1997. La récolte, soit environ 3,8 t/ha, a été utilisée pour le paillage de cultures de fraises. Notons également la culture sur le canton de 110 ares d'euphorbe. L'huile pouvant être tirée des graines de l'euphorbe est destinée à des fins techniques.
2. Résumé des principales conclusions du rapport «Evaluationde matières premières renouvelables en Suisse» pour les culturesayant une certaine importance à Genève
L'office fédéral de l'agriculture a demandé à la Station fédérale en économie et technologie agricole de Tänikon (FAT) et au bureau d'étude d'impact Carbotech à Bâle d'effectuer un bilan écologique et économique des matières premières renouvelables. Ces bilans ont été effectués en comparant les produits tirés de quelques matières premières renouvelables et les produits conventionnels correspondants en ce qui concerne la rentabilité et l'impact sur l'environnement. Le rapport final en allemand, avec un résumé en français, est disponible auprès de la FAT.
2.1. Colza destiné à la production de carburant
Bilan écologique
Ce bilan porte sur la production d'ester méthylique de colza pour l'utilisation comme carburant dans les moteurs diesels conventionnels. Le scénario de comparaison est l'utilisation de diesel conventionnel; la surface cultivée en colza est remplacée par une jachère verte.
A. Besoins en ressource et flux de substances
- Epuisement des ressources énergétiques: la production de biodiesel est jugée favorable, puisque le besoin en énergie non renouvelable est inférieur de 59% à celle dépensée pour le scénario de comparaison.
- Besoins en surface: le biodiesel n'est pas jugé significativement meilleur que le scénario de comparaison.
- Effet de serre: le biodiesel n'est pas jugé significativement meilleur que le scénario de comparaison, puisque les effets positifs de la réduction des émissions de CO2 sont contrebalancés par ceux négatifs d'une production plus importante d'hémioxyde d'azote (N2O) et de méthane (CH4).
- Formation d'ozone en basse altitude: le biodiesel n'est pas jugé significativement meilleur que le scénario de comparaison.
- Acidification des sols: la quantité de NOx dégagée lors de la combustion de diesel et de biodiesel est environ la même. Par contre, les deux scénarios se distinguent par une production plus importante d'ammoniac lors de la production de biodiesel, puisque du fumier est quelquefois apporté sur du colza et jamais sur une jachère verte. Par conséquent, la production de biodiesel est jugée moins favorable que le scénario de comparaison.
- Eutrophisation: la production de biodiesel est jugée moins favorable que le scénario de comparaison.
- Pollution de l'air: la production de biodiesel est jugée plus favorable que le scénario de comparaison, car la combustion du diesel dégage plus de NMVOC (composés organiques volatils ne contenant pas de méthane).
- Pollution de l'eau: la production de biodiesel est jugée moins favorable, à cause essentiellement des pratiques agricoles comme l'emploi de pesticides et l'épandage d'engrais. Rappelons ici que l'emploi de pes-ticides et l'épandage d'engrais sont interdits sur les jachères vertes.
- Pollution du sol: à cause des pratiques agricoles, la production de biodiesel est jugée moins favorable.
- Production de déchets: la production de biodiesel est jugée équivalente au scénario de comparaison.
Le tableau suivant résume la situation:
Rubriques Colza destiné Jachère verte
à la production et utilisation de diesel
de biodiesel conventionnel
Epuisement des ressources
énergétiques + -
Besoins en surface = =
Effet de serre = =
Formation d'ozone en basse
altitude = =
Acidification des sols - +
Eutrophisation - +
Pollution de l'air + -
Pollution de l'eau - +
Pollution du sol - +
Production de déchets = =
B. Fertilité du sol
- Erosion: la production de biodiesel est jugée un peu plus favorable. Le risque d'érosion plus important pour la jachère verte résulte d'une levée et d'une couverture du sol un peu moins rapides que pour le colza.
- Atteintes à la structure: les contraintes que doit supporter le sol sont plus importantes pour le colza que pour la jachère verte. Le danger d'un compactage du sous-sol est également plus important pour le colza, surtout lors des traitements au printemps quand le sol est humide.
- Etat chimique du sol: la culture du colza ou d'une jachère verte est jugée équivalente, sauf pour les métaux lourds, où l'apport de fumier sur le colza provoque une augmentation de chrome et de zinc (le fumier est réputé riche en ces deux éléments). Cette augmentation ne menace toutefois pas la fertilité du sol, si l'intervalle entre deux cultures de colza est de 5-6 ans.
- Etat biologique du sol: la culture du colza est jugée équivalente à celle de la jachère verte.
En résumé, on peut dire qu'en matière de protection du sol, les deux scénarios ne se distinguent pas significativement.
C. Influence sur la faune et la flore
L'influence de la culture de colza sur la flore est positive par rapport à une culture de blé et légèrement défavorable si on la compare avec une jachère verte. Les résultats concernant la biodiversité des araignées et des carabidés sont très bons pour le colza.
Economie d'entreprise
La rentabilité des cultures dépend avant tout de la politique agricole. Pour l'instant, et malgré la prime de 3 000 F par hectare, la culture de colza énergétique n'est financièrement pas intéressante pour l'agriculture, si on la compare par exemple à une culture de blé ou de colza alimentaire. Cependant, il est prévu dans le futur de ne plus différencier, au niveau de la production, le colza alimentaire du colza destiné à des fins énergétiques ou techniques.
Une prime unique d'environ 1 500 F sera octroyée pour la culture du colza, et les acquéreurs payeront le prix du marché, soit entre 60 et 80 c le kilo de graines de colza, quelle que soit son utilisation. Pour les acquéreurs de colza destiné à des fins techniques ou énergétiques, ce prix est trop élevé pour que la production de biodiesel ou de lubrifiants soit intéressante. L'office fédéral de l'agriculture (OFAG) entend donc favoriser la culture des matières premières renouvelables en subventionnant leur transformation. Par exemple, la transformation du colza en carburant serait subventionnée à raison de 20 c par kilo de graines. Il est donc clair que l'avenir de la culture du colza à des fins énergétiques et techniques ne dépendra plus des agriculteurs mais bien des acquéreurs et de l'OFAG.
Finances de l'Etat
Pour l'Etat, et si l'on compare la culture de colza énergétique avec une culture de blé, un hectare de colza signifie une dépense supplémentaire d'environ 2 000 F. Remarquons cependant que les coûts externes de l'utilisation de carburant fossile (ex. augmentation du taux de CO2 dans l'atmosphère, diminution des ressources) n'ont pas été pris en compte dans ce calcul.
Le procédé développé par la maison Agrogen n'a pas fait l'objet d'une évaluation dans le rapport de la FAT. Cependant, si l'on considère l'économie d'entreprise, les finances de l'Etat, l'impact sur la faune, la flore et la fertilité du sol, des différences importantes avec le biodiesel d'Etoy ne devraient pas apparaître. Par contre, au niveau du bilan énergétique, le procédé Agrogen pourrait être supérieur, puisqu'on économise l'énergie nécessaire à la transestérification. Si l'on examine l'impact sur les ressources, le carburant Agrogen contient des additifs d'origine fossile et n'est donc pas un carburant entièrement renouvelable. Notons également que les données concernant les émissions lors de la combustion ne nous sont pas connues pour le carburant Agrogen. M. Knopf, qui a mis au point ce carburant, insiste, lui, sur l'aspect sécuritaire. L'utilisation de ces carbutants réduirait par exemple le risque d'incendie des véhicules.
2.2. Colza destiné à la production de lubrifiants
Bilan écologique
Colza destiné à la production de lubrifiants face aux lubrifiants minéraux et à la jachère verte
Dans les grandes lignes, cette variante peut être considérée pour bien des aspects comme identique à la production de biocarburant. En effet, comme il s'agit dans les deux cas de la culture de colza, les impacts liés à l'activité agricole sont semblables (effet sur la fertilité du sol, influence sur la faune et la flore). Notons cependant que les lubrifiants à base d'huile végétale sont bien plus dégradables que leurs homologues minéraux. Cela prend toute son importance si l'on considère que chaque année, en Suisse, environ9 000 tonnes d'huiles minérales se dissipent dans l'environnement. Il s'agit par exemple de lubrifiants pour chaîne de tronçonneuse ou câble de téléphérique.
Economie d'entreprise et finances de l'Etat
Si l'on considère l'économie d'entreprise, cette variante serait un peu meilleure que la production de biocarburant, mais resterait moins intéressante qu'une culture de blé. Pour les finances de l'Etat, cette variante est meilleure que la production de biocarburant puisque les coûts supplémentaires par rapport à une culture de blé sont de l'ordre de 1 200 F par hectare.
3. Conclusion
En 1997, la Confédération était disposée à subventionner 3 000 hectares de matières premières renouvelables. Avec 1 750 hectares annoncés, on remarque que cette possibilité est exploitée à 58%. Ce chiffre montre le peu d'intérêt des agriculteurs ainsi que la difficulté qu'ont les acquéreurs à trouver une place sur le marché pour des produits possédant certes des avantages écologiques, mais qui restent souvent bien plus chers que leurs homologues non renouvelables. Ainsi, tant que le prix du pétrole restera à son niveau actuel et que les coûts externes (ex. enrichissement de l'air en CO2) ne seront pas chiffrés et compris dans le prix des produits non renouvelables, la production de matières premières renouvelables restera marginale.
D'autre part, signalons que les matières premières renouvelables coûtent cher à l'Etat en comparaison des avantages écologiques qu'elles apportent. Ainsi, une étude réalisée en Allemagne montre que la réduction de l'émission d'une tonne de CO2 coûte, par le biais de la production de biodiesel, 1 200 F. Toujours selon la même étude, l'extensification de l'agriculture permettrait également de réduire les émissions de CO2, mais à des coûts bien inférieurs.
C'est pourquoi il nous semble important que la culture de matières premières renouvelables soit la plus extensive possible. Remarquons quand même qu'avec le développement de la production intégrée et l'augmentation des surfaces de compensation écologique, l'agriculture suisse est déjà en voie d'extensification.
Le Conseil d'Etat vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, après avoir pris connaissance des explications et réponses qui précèdent, à prendre acte du présent rapport.
Débat
M. Roger Beer (R). J'ai lu avec beaucoup d'intérêt le rapport du Conseil d'Etat qui n'appelle pas de grands commentaires. Il soulève simplement quelques interrogations. J'espère que le nouveau chef du département prendra acte de ces réponses.
J'ai été étonné de lire que les surfaces de colza étaient considérées comme des surfaces de compensation écologique. J'imagine que c'est possible d'un point de vue énergétique, mais, d'un point de vue écologique pur, il ne faudrait tout de même pas qu'il y en ait trop.
Par ailleurs, je saisis l'occasion pour remercier M. le conseiller d'Etat d'avoir réintroduit le terme «forêt» dans le service. Ce rapport parle de combustion et de matières premières renouvelables, et j'ai été étonné de ne rien lire sur la forêt. Il faut quand même rappeler que le bois est une matière première renouvelable, comme l'eau, en Suisse. C'est à peu près la seule matière première naturelle. Il serait donc intéressant pour le Grand Conseil, dans un prochain rapport, de connaître quel est le potentiel énergétique en bois de feu ou en bois de combustion de la forêt genevoise.
Pour le reste, le groupe radical accepte ce rapport.
Mme Anne Briol (Ve). Les conclusions du rapport du Conseil d'Etat résume la problématique actuelle de l'utilisation des matières renouvelables. En effet, on peut y lire : «...tant que le prix du pétrole restera à son niveau actuel et que les coûts externes [...] ne seront pas chiffrés et compris dans le prix des produits non renouvelables, la production de matières premières renouvelables restera marginale.»
Cette situation n'est cependant pas une fatalité. Des solutions pour changer cet état de fait existent et ont déjà été proposées de nombreuses fois. Dans ce sens, une fois encore, nous voulons insister sur la nécessité d'établir les coûts réels de l'utilisation des matières premières, à court et à long terme, afin de mettre en place rapidement le principe du pollueur-payeur, indispensable à une transition vers le développement durable. En fixant les prix réels des matières premières, l'utilisation des matières premières renouvelables sera automatiquement encouragée sans coûter à l'Etat.
Quant aux conclusions du Conseil d'Etat relatives à l'importance des cultures extensibles des matières premières, nous ne pouvons que les partager.
Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.