République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 7533-A
6. Rapport de la commission judiciaire chargée d'étudier le projet de loi de MM. Olivier Lorenzini, Pierre-François Unger et Bénédict Fontanet modifiant le code de procédure pénale (indemnisation des personnes détenues ou poursuivies à tort) (E 3 5). ( -) PL7533
Mémorial 1996 : Annoncé, 5729. Projet, 7656. Renvoi en commission, 7663.
Rapport de M. Christian Grobet (AG), commission judiciaire

La commission judiciaire a traité du projet de loi déposé le 11 octobre 1996 par les députés Olivier Lorenzini, Pierre-François Unger et Bénédict Fontanet lors de ses séances des 6 mars, 10 et 17 avril 1997.

Rappelons que ce projet de loi avait été déposé à la suite de certaines décisions de la Cour de justice confirmées par le Tribunal fédéral, allouant des indemnités à des personnes détenues à tort paraissant insuffisantes par rapport à la durée d'emprisonnement des personnes en cause, qui avait atteint plusieurs mois, alors que, par la suite, elles avaient été acquittées en audience de jugement.

Les décisions avaient été rendues sur la base de l'article 379 du code de procédure pénale, introduit dans le nouveau code de procédure adopté le 29 septembre 1977 par le Grand Conseil. Le principe de l'octroi d'une indemnité à la personne détenue à tort, même en l'absence de faute d'un juge, constituait à l'époque, indiscutablement, une nouveauté bienvenue et courageuse. Le législateur avait, toutefois, exprimé certaines craintes face à cette nouveauté dont il ne pouvait mesurer les conséquences financières éventuelles pour l'Etat. C'est la raison pour laquelle le Grand Conseil, en l'absence d'une casuistique qui aurait pu le guider, a considéré préférable de prévoir à l'alinéa 2 de l'article 379 LPP une restriction à l'ampleur de l'indemnité pouvant être allouée à la personne ayant été détenue à tort, en stipulant «le juge détermine l'indemnité en observant les limites fixées par le Conseil d'Etat».

Ce dernier adopta le 6 juillet 1983 un règlement prévoyant des indemnités maximales selon les cas pouvant donner lieu à une indemnisation maximale de 10 000 F, laquelle pouvait toutefois être majorée dans certains cas exceptionnels. Le Conseil d'Etat décida, toutefois, de supprimer cette possibilité et modifia en conséquence son règlement avec effet au 16 avril 1992.

Mme Antoinette Stalder, présidente de la Chambre pénale de la Cour de justice, entendue par la commission judiciaire, devait préciser que c'est à la suite de cette modification réglementaire que la Cour de justice, par réaction, adopta comme principe d'indemnisation l'octroi d'un montant forfaitaire de 100 F par jour de détention à tort, quelle que soit la situation de la personne en cause, mais jusqu'à un montant maximum de 10 000 F (conformément au règlement du Conseil d'Etat), de sorte que les personnes détenues pour une durée de temps supérieure à 100 jours n'étaient plus indemnisées au-delà de 10 000 F. Mme Stalder ne cacha pas que la Cour de justice avait retenu ce «tarif» dans l'espoir que le Tribunal fédéral casserait l'une de ses décisions et simultanément le règlement du Conseil d'Etat, ce qui ne fut pas le cas, puisque le Tribunal fédéral confirma systématiquement (et tout récemment encore) les désisions d'indemnisation de la Cour de justice, même lorsque la période de détention à tort avait été particulièrement longue.

Il faut reconnaître que la question est délicate à résoudre, du fait que l'article 379 LPP prévoit une indemnisation non seulement pour les détentions illicites, ce qui implique une faute de la part d'un magistrat judiciaire, mais également pour les détentions injustifiées, ou qui seraient devenues injustifiées avec le temps, ce qui va bien au-delà de la responsabilité civile ordinaire, fondée sur la faute, qui peut dans ce second cas être couverte par l'assurance-responsabilité civile contractée par l'Etat.

Mme Christine Junod, présidente du Collège des juges d'instruction, également entendue par la commission judiciaire, a fort bien résumé la situation par rapport à la détention préventive, qui est principalement en cause dans le cadre des cas de détention à tort. Voici ce que Mme Junod a déclaré: «Les magistrats en charge des dossiers pénaux ne sont pas totalement libres, notamment en ce qui concerne la détention préventive. Cette dernière n'est, en effet, pas une décision arbitraire, mais une décision motivée par la qualification du Parquet. Ce dernier peut demander:

- une enquête de police;

- une instruction, laquelle permet une arrestation.

Mme Junod rappela que le code de procédure pénale genevois est le plus libéral de Suisse. Il ne laisse pas beaucoup de choix au juge d'instruction. Quand ce dernier doit se déterminer sur les charges contre une personne détenue et si les charges sont suffisantes, il a l'obligation d'inculper cette personne. La raison en est que l'inculpation rend le débat contradictoirepour toutes les parties (c'est-à-dire accès au dossier, assistance d'un avocat, instruction à charge et décharge). Dès ce moment, les inculpés peuvent être mis en détention préventive. Les critères sont:

- la gravité de l'infraction;

- le risque de réitération;

- le risque de collusion;

- le risque de fuite.

Mme Junod estime que la détention ne constitue pas une solution de facilité. C'est la même chose pour la Chambre d'accusation, laquelle est composée de deux juges laïcs assesseurs. La Chambre d'accusation peut intervenir à plusieurs moments pendant l'instruction. Toute personne détenue a en effet le droit de demander sa mise en liberté en tout temps.

Mme Junod a relevé que des motifs de sécurité peuvent inciter un magistrat à faire détenir quelqu'un: ça n'est donc pas un motif de «facilité». Par exemple, le juge d'instruction peut entreprendre des contrôles bancaires ou fiscaux, ce qui peut - à terme - éventuellement entraîner un dommage. Car, jusqu'au jugement, l'inculpé demeure détenu à raison de charges suffisantes. En revanche, c'est la présomption d'innocence qui prévaut au moment du jugement; ainsi, s'il existe un «doute raisonnable», il n'y a pas d'autre solution que l'acquittement. La notion de «charges suffisantes» est donc tout à fait indépendante de celle de «culpabilité».

Mme Junod en conclut que, sans être reconnu coupable à terme, quelqu'un peut être lésé dans ses intérêts.

Quant à la disposition du code de procédure pénale qui fait l'objet du projet de loi 7533 Mme Junod précise que le but de la loi est l'allocation d'une indemnisation, mais non d'une réparation. La question est donc de savoir jusqu'où on va. Le projet de loi veut déplafonner le système.

Mme Junod souligne qu'un des éléments qui causent le dommage à une personne est constitué des informations qui ressortent de la presse. Les seules personnes qui sont tenues au secret sont en effet les magistrats et les policiers. Ainsi, les parties n'ont pas l'interdiction d'alerter la presse ou de faire de la publicité. Or, cette permissivité est un des facteurs qui peuvent causer un dommage à l'inculpé. A ce sujet, on pourrait réfléchir à la nécessité d'étendre le secret de l'instruction à l'ensemble des parties.

Mme Antoinette Stalder, dont l'audition était particulièrement intéressante comme présidente de la juridiction appelée à statuer sur les demandes d'indemnités, précisa que les détentions illégales étaient très rares et que la plupart des cas, pas si nombreux, ayant donné lieu à indemnisation étaient des détentions injustifiées.

Selon elle, le nombre des indemnisations allouées ces dernières années est le suivant:

1993: 17

1994: 8

1995: 15

1996: 18

Quant au montant total des indemnités allouées, le département de justice et police et des transports a donné les indications suivantes:

Dédommagements et indemnités à des tiers

Rubrique budgétaire 410100.319.71

Evolution de 1990 à 1996

 1990 1991 1992 1993 1994 19951 19962

 100 409,40 F 65 607,40 F 180 084,15 F 75 970,25 F 224 541, F 520 349,65 F 227 378,35 F

1 Montant sans le report du dépassement 1994 (174 541, F) et l'affaire OPF (2 031 764,75 F).

2 Montant provisoire au 10 décembre 1996.

Mme Antoinette Stalder devait, toutefois, préciser que, dans la grande majorité des cas, les indemnités allouées étaient inférieures au maximum autorisé et que seules quelques indemnisations avaient été allouées pour un montant supérieur à 10 000 F avant que le règlement du Conseil d'Etat ne soit modifié, étant précisé qu'il n'a pas eu d'effet rétroactif, de sorte qu'un certain nombre de demandes ont été jugées, après le 16 avril 1992, en vertu de l'ancien droit, dont celle de M. Hoyos.

C'est la raison pour laquelle Mme Antoinette Stalder, qui a peur des conséquences financières pour l'Etat du projet de loi 7533, préconise - comme Mme Junod - d'en revenir au régime précédent qui donnait toute satisfaction et donnait une large latitude au juge quant aux circonstances à prendre en considération dans le cadre de l'octroi d'une indemnité pour détention à tort. A défaut, elle recommande de légiférer en s'inspirant de l'article 122 de la loi fédérale de procédure pénale. Cette position est également partagée par l'Association des juristes progressistes qui, lors de son audition, a fait part de son désaccord avec le projet de loi 7533 et de son souhait de maintenir les articles 379 et 380 LPP actuels avec un déplafonnement de la limite de 10 000 F, tout en accordant ses faveurs à un tarif d'indemnisation de 100 F par jour pour mettre tout le monde sur un pied d'égalité

En définitive, la majorité de la commission judiciaire refusa le projet de loi 7533 par 6 voix (2 R, 1 Ve, 3 AdG) contre 4 (2 DC, 2 L) et 4 abstentions (3 L, 1 S) au profit d'un amendement à l'alinéa 2 de l'article 379 LPP accepté par 9 oui (3 L, 2 R, 1 Ve, 3 AdG) contre 3 non (2 L, 1 DC) et 2 abstentions (1 S, 1 DC) et ayant la teneur suivante:

«Le juge détermine l'indemnité dont le montant ne peut dépasser 10 000 F. Si des circonstances particulières l'exigent, notamment en raison d'une détention prolongée, d'une instruction compliquée ou de l'ampleur des débats, l'autorité de jugement peut - dans les cas de détention - allouer à titre exceptionnel une indemnité supplémentaire.»

Cet amendement apporté à l'article 379 LPP actuel revient, en fait, à l'ancien régime, mais en insérant la limite de 10 000 F dans la loi plutôt que dans un règlement pouvant être modifié à l'initiative du seul Conseil d'Etat. Le montant maximum de l'indemnité, qui s'est avéré suffisant dans la très grande majorité des cas, est donc maintenu. La loi précisera, toutefois, comme le règlement le faisait jusqu'en 1992, que le juge peut, dans des circonstances exceptionnelles, notamment lors d'une détention très longue, octroyer une indemnité supplémentaire, mais dans les cas de détention uniquement. A noter que la commission judiciaire n'a pas voulu instituer dans la loi un tarif de 100 F par jour de détention, selon le système appliqué depuis 1993 par la Cour de justice.

La commission n'a donc pas voulu admettre le principe d'une indemnité pleine et entière en cas de détention à tort, qui aurait pu conduire au versement d'indemnités très importantes, sans même atteindre les montants hallucinants octroyés dans de tels cas aux Etats-Unis, mais s'est ralliée au principe de l'indemnité équitable, qui tiendra compte des circonstances du cas d'espèce. La commission a, en outre, complété cette règle d'une disposition complémentaire susceptible de favoriser une aide en nature, qui pourrait compléter ou remplacer l'octroi de l'indemnité financière à la personne intéressée, car il est apparu, notamment à l'audition de M. Giovanni Chicherio, du service social de la prison, que c'était souvent d'un appui psychosocial que les détenus avaient prioritairement besoin tant en prison qu'à leur sortie de celle-ci. L'alinéa 2 est complété du texte suivant:

«Le juge peut décider d'un autre mode de réparation du préjudice subi ou de tout autre appui nécessaire au requérant.»

C'est finalement à l'unanimité que la commission judiciaire, convaincue après les auditions rappelées ci-dessus qu'il convenait de maintenir les règles actuelles d'indemnisation des personnes détenues à tort en intégrant simplement dans la loi la disposition réglementaire du plafonnement de l'indemnité à 10 000 F, avec la possibilité toutefois d'allouer une indemnité complémentaire dans les cas exceptionnels où cela se justifierait, vous propose, Mesdames et Messieurs les députés, d'adopter les articles 114 B, alinéa 4, 379 et 380 LPP ci-après, adaptés au complément précité et complétés d'une disposition transitoire selon le projet de loi ci-après, en lieu et place du projet de loi 7533 dont elle recommande le rejet.

(PL 7533)

PROJET DE LOI

modifiant le code de procédure pénale

(indemnisation des personnes détenues ou poursuivies à tort)

(E 3 5)

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article 1

Le code de procédure pénale du 29 septembre 1977 est modifié comme suit:

Art. 114 B, al. 4 (nouvelle teneur)

4 Il peut allouer une indemnité équitable en observant les limites fixées par l'article 379.

Art. 379, al. 2 (nouvelle teneur)

2 Le juge détermine l'indemnité dont le montant ne peut pas dépasser 10 000 F. Si des circonstances particulières l'exigent, notamment en raison d'une détention prolongée, d'une instruction compliquée ou de l'ampleur des débats, l'autorité de jugement peut - dans les cas de détention - allouer à titre exceptionnel une indemnité supplémentaire. Le juge peut décider d'un autre mode de réparation du préjudice subi ou de tout autre appui nécessaire au requérant.

Art. 380, al. 2 et 3 (nouvelle teneur)

2 La demande est instruite selon les règles de la procédure civile accélérée. La cour établit d'office les faits.

3 La demande est formée par une requête déposée au greffe, en double exemplaire, par l'accusé ou ses ayants droit.

Art. 2

La présente loi est applicable avec effet rétroactif aux demandes sur lesquelles il n'a pas encore été définitivement statué.

ANNEXE

Secrétariat du Grand Conseil

Proposition de MM. Olivier Lorenzini, Pierre-François Unger et Bénédict Fontanet

Dépôt: 11 octobre 1996

PL 7533

PROJET DE LOI

modifiant le code de procédure pénale(indemnisation des personnes détenues ou poursuivies à tort)

(E 3 5)

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article 1

Le code de procédure pénale, du 29 septembre 1977, est modifié comme suit:

Art. 114 B, al. 4 (nouvelle teneur)

4 Il peut allouer une indemnité équitable en tenant compte notamment du dommage économique et moral subi par le plaignant.

Art. 379, al. 2 (nouvelle teneur)

2 Le juge détermine l'indemnité en tenant compte notamment du dommage économique et moral subi par l'accusé, ainsi que du nombre de jours de détention.

Art. 2

La présente loi est applicable avec effet rétroactif aux plaintes et aux requêtes sur lesquelles il n'a pas encore été statué.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames etMessieurs les députés,

Vous avez certainement été frappés par certaines décisions récentes de la Cour de justice de Genève, confirmées par le Tribunal fédéral et portant sur l'indemnisation des personnes détenues ou poursuivies à tort; ces décisions ont fait l'objet à juste titre de nombreux articles critiques dans la presse.

Le principe de l'indemnisation des personnes détenues ou poursuivies à tort est prévu par l'article 379 du code de procédure pénale qui renvoie au Règlement du 6 juillet 1983 (modifié le 1er avril 1992) du Conseil d'Etat fixant la limite de diverses indemnités prévues par le code de procédure pénale (ci-après: le Règlement).

Le Règlement (article 1) fixe une échelle d'indemnisation des personnes poursuivies ou détenues à tort allant de 1 000 F à 10 000 F, selon la juridiction qui a prononcé un acquittement ou un non-lieu.

La Cour de justice de Genève a jugé qu'une telle distinction viole le principe de l'égalité de traitement et que le maximum de 10 000 F doit s'appliquer, quelle que soit l'autorité pénale qui a statué.

La jurisprudence a en outre consacré la solution selon laquelle toute détention indue (absence de vice formel, mais procédure se terminant par un acquittement ou un non-lieu) entraîne à elle seule une indemnisation de base de 100 F par jour, cette indemnité journalière étant, conformément à l'article 36 de la constitution genevoise, de 150 F en cas de détention illicite (vice formel tel qu'absence de titre valable de détention).

A relever que le problème de la détention n'est qu'un des aspects entrant en ligne de compte le cas échéant lorsqu'il s'agit de fixer l'indemnité revenant à une personne poursuivie à tort. Il se trouve que nombreux sont les cas dans lesquels une indemnisation de 10 000 F paraît d'une part dérisoire au regard du préjudice économique (perte d'un emploi, de sa situation, frais de justice et d'avocats) et moral (atteinte à la dignité, à la vie privée) subi, et d'autre part injustice et constitutif de violation du principe de l'égalité de traitement et de l'interdiction de l'arbitraire.

Les deux exemples (réels) qui suivent tendent à démontrer le résultat choquant découlant du système actuellement en vigueur:

1. Monsieur X, soupçonné d'avoir été l'auteur d'actes d'ordre sexuel, fut poursuivi par la justice pénale genevoise, procédure dans le cadre de laquelle il fut détenu à titre provisoire pendant 140 jours.

 Durant son séjour en prison, il a fait l'objet d'articles de presse le décrivant sous un jour déshonorant. Il demanda à deux reprises - mais en vain - sa mise en liberté provisoire par-devant la Chambre d'accusation.

 En outre, il subit une importante perte de salaires (plus de 25 000 F) durant toute cette période et dut prendre en charge les frais et honoraires de son avocat (plus de 50 000 F).

 Monsieur X fut acquitté (mis totalement hors de cause) par arrêt de la Cour correctionnelle siégeant avec le concours du jury, en date du7 décembre 1995.

 Le tort moral de Monsieur X (compte non tenu du facteur de la détention) peut être raisonnablement estimé à 50 000 F.

 Si la demande d'indemnisation de Monsieur X - actuellement pendante - est accueillie favorablement, il obtiendra dans le meilleur des cas un montant de 10 000 F qui ne couvrira même pas l'indemnité de base de 14 000 F découlant des seuls 140 jours de détention indument subis(140 jours au tarif de 100 F par jour).

 Quid du solde de 4 000 F découlant - selon la jurisprudence - de la seule détention indue ?

 Quid du tort moral subi par Monsieur X (environ 50 000 F) ?

 Quid de son dommage économique (environ 75 000 F) ?

2. Monsieur Y, soupçonné d'avoir commis 6 brigandages, est poursuivi à Genève pour ces infractions.

 Il fut détenu durant 250 jours, avant d'être acquitté par arrêt de la Cour de cassation du 15 juin 1993 (annulant l'arrêt rendu le 25 janvier 1993 par la Cour correctionnelle siégeant sans le concours du jury et l'ayant condamné à une peine de 30 mois d'emprisonnement).

 Il subit en outre une perte de salaire durant cette période (environ 35 000 F) et dut assumer des frais d'avocats non négligeables pour sa défense (environ 10 000 F).

 Monsieur Y subit de plus un tort moral du fait qu'il a été considéré comme un criminel par l'opinion publique.

 Sa demande d'indemnisation fut accueillie favorablement sur le plan du principe. Toutefois, Monsieur Y n'obtint qu'une indemnisation totale de 10 000 F par arrêt de la Chambre pénale du 30 juin 1995.

 Ainsi, cette indemnité ne couvre que les 100 premiers jours de détention, les 150 jours suivants étant effectués «gratuitement», pour ne s'en tenir qu'au seul problème de la détention indue.

 Inutile de dire qu'au surplus une telle solution fait totalement abstraction du préjudice économique et moral subi par Monsieur Y.

Ces deux exemples démontrent combien la situation actuellement préconisée par le Règlement du Conseil d'Etat est choquante.

Selon le système en vigueur, une personne détenue indûment durant une période de 100 jours recevra le même maxium de 10 000 F qu'une autre qui a effectué, par exemple, deux ans de prison préventive pour rien; c'est déjà insupportable.

Mais il est à proprement parler intolérable que quelqu'un poursuivi à tort et reconnu innocent, et qui aurait par hypothèse perdu sa situation, ne se voie octroyer qu'une aumône de 10 000 F pour solde de compte.

Justice doit rimer avec responsabilité; si l'Etat poursuit et emprisonne sans raison, il doit en assumer toutes les conséquences; il n'est pas admissible d'en faire supporter une partie à celui ou celle qui a été lavé des soupçons pesant sur lui.

Le Tribunal fédéral, il est vrai, considère qu'il n'est «pas contraire au droit à l'égalité de traitement d'opérer une distinction selon le montant à allouer et d'admettre qu'en dessus du seuil ainsi fixé, ledit objectif(ndlr: protéger des finances publiques contre les conséquences d'une indemnisation) exclut une indemnisation proportionnée et adaptée aux circonstances propres de chaque cas» (arrêt paru dans la «Semaine judiciaire», 1995, pages 285 et suivantes, en particulier page 291).

Ainsi, l'Etat a le privilège de priver une personne de sa liberté, soit de l'un des droits les plus fondamentaux, et de causer des dommages importants, sans par la suite être tenu de le réparer.

Rappelons tout de même que nous vivons dans un Etat de droit où règne le principe selon lequel celui qui cause un préjudice doit le réparer !

Le Tribunal fédéral, sans remettre toutefois en cause la décision citée ci-dessous, a tout de même admis que «(...) dans le canton de Genève, le citoyen poursuivi et détenu à tort pour être ensuite libéré se voit imposer par l'Etat une contribution particulièrement lourde - en raison de la compensation relativement faible qu'il peut espérer obtenir - si on la compare au traitement beaucoup plus favorable qui lui est assuré dans de nombreux autres cantons qui couvrent les frais de procès du prévenu libéré et lui reconnaissent des indemnités sans maximum pour sa détention. En l'état toutefois, le droit fédéral ne s'y oppose pas et seule une intervention législative cantonale pourrait mettre un terme à cette disparité» (ATF S. du 17 octobre 1995 pages 8 et suivantes, c'est nous qui soulignons).

Mesdames et Messieurs les députés, il ne fait pas de doute que la balle est aujourd'hui dans notre camp et qu'il nous appartient d'être fidèles à nos valeurs et d'assumer la responsabilité qui est la nôtre en mettant un terme à une situation pour ainsi dire absurde.

Parallèlement à la question pratique de l'indemnisation, il est aussi d'autres considérations qu'il sied également de relever.

En effet, il ne faut pas oublier que la poursuite et la détention à tort résultent de décisions prises par des juges sur la base de dossiers parfois fragiles, même si le métier qu'ils font n'est souvent pas facile, loin s'en faut.

Ces décisions, même prises à tort, n'ont a priori aucune conséquence pour des magistrats à qui il arrive de choisir la solution de facilité et de sécurité en ordonnant la poursuite ou la détention.

Si l'Etat devait indemniser, soit dans nombre de cas de manière plus généreuse qu'actuellement, les juges deviendraient certainement plus prudents, notamment en matière de mise et de maintien en détention, et notre système judiciaire, plus respectueux des droits fondamentaux des intéressés.

Qu'il s'agisse de poursuite ou de détention à tort, ou d'interventions de la police, les problèmes causés par la situation en vigueur et les arguments développés ci-dessus sont comparables, raison pour laquelle le projet deloi qui vous est soumis vise les trois situations, soit la modification de l'arti-cle 114 B) et de l'article 379 CPPG.

Ce sont là, Mesdames et Messieurs les députés, les considérations qui tendent à éclairer et à motiver ce projet de loi, et en vertu desquelles nous espérons que ce dernier sera accueilli favorablement.

Premier débat

M. Christian Grobet (AdG), rapporteur. Ce rapport nécessite quelques remarques complémentaires que je me permets d'ajouter. Nous devons nous prononcer sur une question délicate.

En 1977, lors de l'adoption du nouveau code de procédure pénale, le Grand Conseil avait admis le principe d'une indemnisation pour les personnes détenues ou poursuivies à tort. Cette nouveauté dans notre législation était importante. Toutefois, il était difficile d'estimer l'impact financier de cette indemnisation. A l'époque, le Grand Conseil avait considéré plus sage de laisser le Conseil d'Etat régler cette question par voie réglementaire, ce que fit ce dernier, le 6 juillet 1983, en adoptant un règlement prévoyant des indemnités ne dépassant pas la somme de 10 000 F, quelle que soit la durée de détention à tort. Cependant, dans certains cas exceptionnels, il était possible qu'une indemnité plus importante soit accordée par l'autorité judiciaire. Ce système fut appliqué pendant un certain nombre d'années.

J'ignore si les sommes allouées par l'autorité compétente - en l'occurrence, la Cour de justice - furent trop élevées dans certains cas, mais le Conseil d'Etat a considéré devoir modifier son règlement en limitant le montant à un maximum de 10 000 F sans possibilité de dérogation. Cette modification réglementaire, intervenue en 1993, sauf erreur, a mis la Cour de justice dans l'embarras, car il s'est avéré que cette limite absolue était trop stricte pour un certain nombre de cas.

Mme Antoinette Stalder, présidente de la section traitant ce genre de situations, a imaginé de fixer un tarif forfaitaire de 100 F par jour de détention, quelle que soit la nature de cette dernière - si vous me permettez cette expression - et quelle que soit la personne en cause. Cette solution paraît équitable. Toutefois, il est vrai que le préjudice n'est pas le même selon les situations. En effet, si un artisan est emprisonné à tort et que son entreprise doit ensuite être fermée, le dommage n'est pas le même que pour un employé.

Cette indemnité forfaitaire a posé des problèmes, étant donné que, de surcroît, la somme maximale de 10 000 F était atteinte après un certain temps d'emprisonnement. Par conséquent, selon ce système, certaines personnes auraient pu bénéficier d'une indemnité supplémentaire, mais elles ne le pouvaient pas en raison de cette limite maximale.

Le Tribunal fédéral a été saisi de plusieurs recours qu'il a systématiquement rejetés. Cette attitude a provoqué le dépôt d'un projet de loi par nos collègues, MM. Lorenzini, Unger et Fontanet, qui ont voulu changer ce système et donner la possibilité d'indemniser - d'une façon relativement généreuse - les personnes détenues ou poursuivies à tort.

Après de longues discussions en commission et suite à l'audition de deux magistrats - Mme Junod, présidente du Collège des juges d'instruction, et Mme Antoinette Stalder, présidente de la Cour de justice - il est apparu que la solution la plus simple était de revenir dans la loi à la situation antérieure qui prévalait sous forme de règlement, c'est-à-dire de maintenir le plafond de l'indemnisation à 10 000 F, mais de prévoir qu'elle pouvait dépasser ce montant dans des cas exceptionnels.

Par ailleurs, sur la suggestion de Mme Fabienne Bugnon, il a été prévu d'introduire dans le projet de loi, en dehors de l'indemnisation financière, d'autres formes de dédommagement en nature, ajoutant ainsi un complément au régime antérieur.

Les membres de la commission n'ont pas voulu se prononcer sur le maintien ou non du système mis en place par la Cour de justice, à savoir un montant forfaitaire de 100 F par jour pour toute personne détenue à tort, système mis en pratique - nous a expliqué Mme Stalder - avec l'arrière-pensée qu'il permettrait au Tribunal fédéral de casser l'ancien règlement du Conseil d'Etat.

En commission, une majorité favorable à la fixation d'une somme forfaitaire d'indemnisation par jour de prison ne s'est pas dégagée. Il nous a donc paru plus sage de laisser la Cour de justice apprécier, de cas en cas - puisqu'elle dispose de la possibilité d'évaluer les critères concernant l'octroi d'une indemnité - si une telle indemnité doit être versée, ce droit n'étant pas absolu.

Je vous invite à voter la solution adoptée par la majorité de la commission.

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Je remercie M. Grobet d'avoir rappelé dans son rapport que la discussion en commission avait porté sur l'aspect de la réparation morale et de l'aide à l'insertion, plutôt que sur la réparation financière.

En ce qui concerne cette dernière, notre groupe se rallie à la position de la commission, convaincu par les différentes auditions et rassuré par les propos entendus. Légiférer ainsi que le proposait le groupe démocrate-chrétien n'a pas lieu d'être. En effet, comparer le préjudice financier à la perte financière impliquerait forcément d'instaurer un système de réparation inégal et une justice à deux vitesses. Par contre, l'idée d'assouplir le barème de plafonnement de 10 000 F, en raison de circonstances particulières, nous semble bienvenue et pouvant répondre à la question des détentions injustifiées et longues.

On pense bien sûr à l'affaire Hoyos. A ce sujet, Monsieur le rapporteur, Monsieur le président, il faut apporter une rectification au rapport. En effet, la famille de M. Hoyos nous a contactés en nous rappelant que la demande de M. Hoyos n'avait pas encore été jugée, bien qu'il soit fait état du jugement de cette demande dans le rapport. La famille tient beaucoup à ce que soit précisé le fait que cette demande n'a toujours pas été jugée.

En ce qui concerne la réparation morale qui ne faisait pas partie de la proposition du projet de loi, mais dont les membres de la commission judiciaire ont accepté de débattre, nous sommes satisfaits qu'elle ait pu être prise en compte, même si nous aurions souhaité aller plus loin et proposer des mesures de réinsertion plus claires. L'audition de l'ancien assistant social de la prison nous a confirmé que l'argent seul ne pouvait être une réparation suffisante en regard du préjudice subi. En effet, une aide sociale et un soutien psychologique sont autrement plus adaptés aux besoins des détenus, tant en prison qu'à leur sortie. Ce constat étant valable pour les personnes détenues à tort, comme pour les autres d'ailleurs.

L'ajout décidé par la commission dans l'article 379, alinéa 2, nouvelle teneur libellé ainsi : «Le juge peut décider d'un autre mode de réparation du préjudice subi ou de tout autre appui nécessaire au requérant.» nous paraît être une bonne formule. Bien qu'elle n'ait pas rencontré l'enthousiasme des juges, nous espérons qu'ils n'hésiteront pas à en faire usage.

M. Michel Halpérin (L). Le rapport de la commission judiciaire sur ce projet relatif à l'indemnisation des personnes détenues ou poursuivies à tort est, à mon sens, un des grands échecs psychologiques et moraux de notre travail parlementaire.

La présentation, qui vous en a été faite par M. Grobet, est exacte. Toutefois, je suis surpris - comme je l'ai été en commission - d'entendre, par exemple, Mme Bugnon - qui se félicite, à bon droit, de ce que l'on ait complété les mesures réparatrices d'une réflexion et d'une ouverture sur d'autres possibilités que celles financières - estimer qu'ainsi le projet va.

Je me souviens, Madame, que, lors du débat de préconsultation, il y a environ un an, vous aviez qualifié ce projet de modeste. Dans votre esprit, il l'était en raison du manque de ces mesures d'accompagnement. Mais il me semble qu'il l'était aussi, car il paraissait tellement évident à chacun d'entre nous, comme, par exemple, aux auteurs du projet, nos collègues du parti démocrate-chrétien, qu'il était temps que justice rime avec responsabilité. Je pense reprendre fidèlement les mots d'un des auteurs du projet, le député Fontanet.

A la même occasion, la représentante du parti socialiste avait dit : «Ce projet est bienvenu, car il mènera enfin à la mise en conclusion d'un véritable scandale.» Et voilà que, aujourd'hui, le scandale ne dérange plus personne. Quoi, Mesdames et Messieurs, dans cette ère où nous vivons, où chacun est responsable, de plus en plus, de ce qu'il fait et de ce qu'il ne fait pas, nous avons décidé, essentiellement pour des motifs financiers qui consistent à préserver la caisse de l'Etat - objectif louable en tous les cas de mon point de vue - qu'il n'était pas nécessaire ni raisonnable de faire supporter à la justice de notre pays - qui n'est pourtant pas mauvaise - la responsabilité des décisions qu'elle prend !

Ainsi, là où n'importe quel conducteur de tram ou d'automobile assume les responsabilités qui sont liées à l'exercice d'une activité difficile et parfois dangereuse pour les autres, les juges, qui ont un pouvoir littéral de vie ou de mort sur chacun d'entre nous, car ils ont la faculté en décidant de nous arrêter, à tort ou à raison, de briser définitivement nos destins - quand je parle de destin je ne pense pas seulement au destin matériel, mais au destin familial, social remis en question. On peut tout briser en un instant pour une erreur d'appréciation de jugement, et il n'y a plus de réparation à la mesure de cela. Quoi, face à une injustice de cet ordre, nous venons corriger un règlement qui nous paraissait honteux il y a un an, en disant que, finalement, 10 000 F, pour des gens qui ont été victimes d'un enfermement long, passibles de la Cour d'assise, est une réparation satisfaisante !

Madame Bugnon, vous avez cité, tout à l'heure, le cas de M. Hoyos. Mais sans aller dans ces extrémités où, si j'ai bonne mémoire, un homme est resté quatre ans en prison avant d'être acquitté, nous avons des dizaines d'exemples de personnes qui restent des jours, des semaines ou, parfois, des mois en détention préventive qui ne sera pas sanctionnée par un jugement de culpabilité.

Nous acceptons que ces gens qui ont été arrachés à leur milieu familial, à leurs entreprises, perdent du même coup leur salaire, parce que la moindre des choses pour un employeur est de se fier à l'appréciation d'un juge et, par conséquent, de sanctionner par cette autre aggravation qu'est la perte de l'emploi celui qui a apparemment démérité !

Eh bien, tout cela ne compte pour rien, et nous trouvons aujourd'hui benoîtement, le coeur en fête, que 10 000 F avec une petite augmentation ou une grande augmentation si les circonstances l'exigent, c'est acceptable. Mais c'est une honte, Mesdames et Messieurs les députés ! C'est le contraire d'une société civilisée. Alors quoi, nous donnons des responsabilités à des magistrats qui sont formés pour cela, qui sont assermentés pour cela; nous leur permettons d'exercer sur nous les pouvoirs que j'ai décrits et quand ils se trompent - parce que malheureusement cela arrive parfois - nous nous satisfaisons de cette espèce d'accident de la vie ! C'est la faute à pas de chance ! C'est comme de ne pas attraper un cancer au mauvais moment. Finalement, on est tombé entre les pattes d'un magistrat quand il ne fallait pas. On y a contribué ou on n'y a pas contribué. C'est une erreur ou ce n'en est pas une. C'est légitime ou c'est illicite, mais c'est tant pis. Allez vous rhabiller ! Si la Cour est sympathique, elle augmentera le plafond que nous fixons à 10 000 F... En réalité tout ce que nous avons fait dans ces travaux de la commission est de dire que le plafond de 10 000 F serait fixé par nous au lieu du Conseil d'Etat et qu'il pourrait être dépassé dans les cas exceptionnel.

Mais, Mesdames et Messieurs, n'estimez-vous pas avec moi que pour n'importe quel employé de catégorie modeste, passer deux mois en prison, cela vaut plus que 10 000 F. Si vous n'êtes pas de cet avis, votez le rapport de la majorité ! Si vous partagez mon sentiment et mon indignation, je vous invite à renvoyer ce texte à la commission judiciaire pour qu'elle se mette sérieusement à travailler sur un problème fondamental.

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Je n'ai pas l'intention de répondre à Me Halpérin, dont les connaissances sont bien connues. Je désire faire une simple remarque.

Cette loi ne prévoit pas de réparer un dommage, mais d'accorder une indemnité. C'est cette précision que Mme Junod est venue apporter en commission. D'ailleurs, le Conseil d'Etat s'était ému de cette situation. Peu de temps avant que ne soit déposé ce projet de loi, nous avions interpellé le Palais pour discuter et remettre en question cette indemnisation, qui, dans certains cas, nous paraissait choquante. Mais, après ce que M. le député Halpérin vient de dire, on se demande si cette loi est bien celle qu'il faut transformer. Car celle-ci ne prévoit pas de réparer un quelconque dommage subi. D'autres voies de droit existent pour s'en prendre à l'Etat, au cas où quelqu'un estimerait avoir subi un dommage.

Le travail en commission n'a porté que sur cette indemnisation, ceci avec deux différences essentielles. La première concerne le dépassement du plafond de 10 000 F; la deuxième, la mise à disposition du lésé d'autres mesures que l'argent en réparation du mal causé. Voilà le dilemme ! Je vous engage à voter ce projet de loi tel qu'il vous est proposé, car il reflète bien le travail en commission. Si l'on veut ouvrir un débat sur le problème de la responsabilité de l'Etat face aux justiciables qui, par hypothèse, auraient été mal jugés et auraient subi un dommage, il s'agit d'un autre problème - celui de la réparation des dommages - et tel n'est pas notre propos, ce soir.

M. Christian Grobet (AdG), rapporteur. Je confirme les dires de M. Ramseyer. Monsieur Halpérin, il ne s'agit pas de cas impliquant la magistrature en ce qu'elle aurait pu commettre une faute - ceux-là pourraient éventuellement tomber sous le coup de la loi sur la responsabilité de l'Etat - mais il s'agit de cas de personnes détenues, sans qu'aucune erreur de la part de cette dernière n'ait été commise. Comme vous le savez, il existe des cas où, par suite de procédure, un détenu réussit à atteindre la prescription et n'est pas condamné.

Comme les juges l'ont exprimé, une personne peut être emprisonnée à titre provisoire. A Genève, ce genre d'emprisonnement est sujet au contrôle de la Chambre d'accusation. Ainsi, une personne arrêtée n'est pas à la merci de la décision d'un juge. Ces cas sont relativement complexes et il est assez facile de faire un plaidoyer tel que le vôtre.

La commission est convaincue du fait que la limite fixée à 10 000 F n'est pas satisfaisante et, de l'avis des juges, qu'elle a conduit à l'application d'un régime paralysant. La réintroduction de l'ancien système permettrait de résoudre les cas particuliers, dont le nombre - il faut bien le dire - est restreint. En effet, il serait faux de laisser croire en ces lieux que les cas où des personnes ont été emprisonnées, à tort pendant plusieurs années, sont nombreux. Le cas Hoyos en est un, c'est vrai. Toutefois, ce dernier a finalement été acquitté sur la base des indications données par un magistrat. Je pensais que son cas avait été réglé et je prends acte, au passage, qu'il ne l'est pas. Par voie de conséquence, la disposition transitoire prévue dans la loi sera applicable - avec effet rétroactif - aux plaintes et aux requêtes sur lesquelles il n'a pas encore été statué. D'ailleurs, il serait bon de compléter cette disposition transitoire en notant : «...sur lesquelles il n'a pas encore été statué à la date du 4 décembre 1997», date à laquelle nous voterons cette loi. On pourrait soutenir également que la date de son entrée en vigueur, dans deux mois ou deux mois et demi, pourrait faire foi, mais ce serait déjà dommage.

Il est intéressant de noter que les magistrats auditionnés devant la commission ont déclaré que l'ancien texte leur donnait entière satisfaction. A ce sujet, j'avoue ne pas comprendre les propos de M. Ramseyer lorsqu'il dit avoir débattu de cette question avec le pouvoir judiciaire. Monsieur Ramseyer, le Conseil d'Etat pouvait, de longue date, modifier de lui-même ce règlement. C'est parce que vous n'avez rien fait que des députés ont déposé un projet de loi qui a conduit à la modification législative proposée ce soir. Alors, pourquoi modifier le texte précédent puisqu'il donnait satisfaction ?

Il est bien entendu, Monsieur Halpérin, que si, dans un an ou deux, le texte que nous allons voter ne donne toujours pas satisfaction, sa révision pourra être envisagée. En l'état, il nous paraît plus sage de réintroduire l'ancienne règle qui avait permis de règler, de manière satisfaisante, les demandes d'indemnité.

Mme Fabienne Bugnon (Ve). En réponse à votre leçon de morale, je vous dirai, Monsieur Halpérin, que vous avez bonne mémoire et que, en effet, j'ai dit en débat de préconsultation que ce projet était modeste, et je l'ai répété ce soir. J'ai exprimé ma satisfaction de constater que ma proposition avait été prise en compte : celle d'offrir d'autres mesures qu'un simple dédommagement financier pour la réparation du tort moral.

Je ne parviens pas à comprendre pourquoi ce projet - qui fut déposé à grands renforts médiatiques par MM. Lorenzini, Unger et Fontanet - n'a jamais été défendu par eux en commission. Jamais on ne les y a vus et ils ne sont pas là ce soir. S'ils y sont, on ne les a pas entendus. Quant à vous, Monsieur Halpérin, je n'ai aucun souvenir d'avoir ouï pareilles envolées en commission. Je trouve la leçon de morale un peu excessive.

Une voix. Bravo !

M. Michel Halpérin (L). Madame la députée Bugnon, je ne peux pas grand-chose pour aider à votre mémoire, mais j'ai voté contre ce projet avec la décence que commandaient mes fonctions de président de la commission.

Le problème est bien celui évoqué par M. Grobet, à savoir la différence entre une indemnisation et une réparation. Elle tient tout simplement dans le fait que les juges ont un devoir de fonction. Si un juge d'instruction a le sentiment qu'un homme a commis une infraction, il doit l'inculper. S'il pense qu'il est dans une situation de réitération ou de danger de fuite, il doit l'arrêter ou, en tout cas, il peut le faire. Si le juge s'aperçoit qu'il s'est trompé, trois semaines, deux mois ou un an et demi plus tard et que, avec lui, s'est trompée la Chambre d'accusation, la vie de l'homme en question est broyée. On lui explique alors qu'il a droit à une indemnité parce que le juge accomplit un devoir de fonction et qu'accomplir un devoir de fonction n'est pas une faute.

Mesdames et Messieurs les députés, c'était justement le coeur du débat. Lorsque les auteurs du projet ont voulu que l'on instaure une indemnité équitable qui tienne compte, je cite approximativement et de mémoire : «du dommage économique et moral» c'était dans l'idée que l'on répare et non pas simplement que l'on indemnise. En effet, il est facile de s'excuser après coup en disant : «Je me suis trompé; vous avez fait un an de taule et je vous indemnise.» On sait que la réparation n'est pas possible...

Lorsqu'un architecte se trompe dans ses calculs et que le bâtiment s'effondre, il en est responsable. Bien sûr, il ne l'a pas fait exprès - tout comme le juge qui ne fait pas exprès de martyriser son détenu - mais le résultat est là. Je ne vois pas comment, face à des actes d'autorité, on peut se montrer moins exigeant qu'à l'égard des actes de compétence ordinaires de l'architecte, de l'ingénieur, du médecin ou de tout autre qui assume la responsabilité de ses actes au quotidien.

Par conséquent, nous devons dire à la commission judiciaire que ce n'est pas ce que nous attendions d'elle. Bien sûr, Monsieur Grobet, il n'y a pas eu trop de cas. On en a compté environ une quinzaine par an. Mais, Mesdames et Messieurs les députés, quinze destins individuels comptent pour vous ou vous sont-ils indifférents ? Dans mon esprit, ils comptent !

Par conséquent, si nous proposions à la présidente de la Cour de justice et aux autres magistrats la possibilité de dépasser la somme de 10 000 F pour ces quelques destins individuels - c'est ce qu'ils désiraient - et, en sus - comme l'a demandé Mme Bugnon - on leur accorderait les moyens d'une réparation d'une autre nature, je ne vois pas en quoi nous les briderions, Monsieur Grobet ? Nous ne diminuerions pas leur pouvoir; au contraire, nous l'augmenterions. Mais nous ne donnerions pas l'image ridicule d'être à peu près la seule République d'Europe où l'on considère encore que c'est un mal nécessaire de pouvoir être traité ainsi par des magistrats...

M. Jean Opériol (PDC). Je ne suis pas membre de la commission qui a traité ce projet de loi et je ne suis pas juriste, mais je trouve honteux de douter des intentions des auteurs du projet de loi. A mon sens, ce débat ne doit pas se situer dans une perspective droite/gauche, mais sur les plans humain et de la justice. Personnellement, je me fiche des arguties juridiques, mais j'écoute avec infiniment de plaisir le discours de M. Halpérin.

Il faut, Mesdames et Messieurs les députés, placer ce débat sur le plan humain. Un homme, victime d'une erreur judiciaire, emprisonné à tort, ressort meurtri du cachot. Il subit un préjudice moral, d'abord - le plus grave - et, ensuite, économique, comme l'a relevé M. Halpérin. Il est «grillé», car il a été en prison. Il a été suspecté, et toute la population a un doute le concernant. Par exemple, on dira peut-être demain que M. Grobet est un voleur. Vous serez blanchi, Monsieur Grobet, mais la moitié de la population aura des doutes à votre sujet et votre réputation sera définitivement entachée; cela sur la base d'une simple erreur.

Sincèrement, ce débat doit être un débat d'hommes et de femmes responsables d'une justice sereine. Le moins que l'on puisse faire, ce soir, est de suivre la démarche des auteurs du projet de loi et, en tout cas, de le renvoyer en commission, car la dimension humaine qu'il recouvre n'a été que très partiellement prise en compte.

M. Christian Grobet (AdG), rapporteur. Actuellement, un certain nombre de personnes revendiquent une indemnité supérieure à 10 000 F. Elles vont certainement être déboutées par le Tribunal fédéral, mais cette loi peut leur permettre de l'obtenir. En reportant cette décision - alors que nous avons été saisis du projet de loi de MM. Lorenzini, Unger et Fontanet le 11 octobre 1996, il y a plus d'un an - vous risquez de les empêcher de toucher une indemnité supérieure à 10 000 F. Je regrette que ce projet de loi n'ait pas pu être voté au mois de septembre, malgré son caractère d'urgence évident. Toutefois, si ce projet de loi s'avère insuffisant, il sera toujours possible d'en proposer un autre, à l'avenir.

Mise aux voix, la proposition de renvoyer ce rapport à la commission judiciaire est rejetée.

Mis aux voix, ce projet est adopté en premier débat.

Deuxième débat

Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que l'article 1 (souligné).

Art. 2 (souligné)

M. Christian Grobet (AdG), rapporteur. Je propose de compléter l'article 2, de la manière suivante :

«La présente loi est applicable avec effet rétroactif aux demandes sur lesquelles il n'a pas encore été définitivement statué à la date de son acceptation le 4 décembre 1997.»

Le président. A quelle page figure votre amendement ?

M. Christian Grobet, rapporteur. Il figure à la page 7; je vous le fais apporter, Monsieur le président.

Afin de s'assurer, Monsieur Vaucher, que toutes les demandes sur lesquelles il n'a pas été statué, à ce jour, soient prises en compte. La loi n'entrant en vigueur que dans deux mois, l'idée est qu'elle soit applicable, dès aujourd'hui, 4 décembre 1997, à toutes les demandes sur lesquelles il n'a pas été statué à ce jour. Ceci dans l'intérêt des demandeurs d'indemnités.

Le président. Je mets donc aux voix l'amendement proposé par M. Grobet, dont la teneur est la suivante :

«La présente loi est applicable avec effet rétroactif aux demandes sur lesquelles il n'a pas encore été définitivement statué à la date de son acceptation le 4 décembre 1997.»

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Mis aux voix, l'article 2 (souligné) ainsi amendé est adopté.

Troisième débat

M. Michel Halpérin (L). Je n'abuserai pas de la patience de cette assemblée, mais je suggère au Conseil d'Etat de revoir d'urgence sa copie, car même avec la loi que vous venez de voter, Mesdames et Messieurs les députés, le règlement n'est pas satisfaisant.

En effet, il plafonne par juridiction. Ainsi, celui qui est victime d'une intervention injustifiée de la police a droit à 1 000 F au maximum; celui qui est acquitté par le Tribunal de police à 2 500 F; par la Cour correctionnelle à 5 000 F. Tout cela est archaïque et n'a aucun sens.

Le Conseil d'Etat devrait diminuer les catégories et se contenter de prendre acte de notre volonté. Il faut que l'indemnisation soit proportionnelle à la détention et non pas à la juridiction devant laquelle on se trouve.

Ensuite, je propose, toujours respectueusement, au Conseil d'Etat, s'il doit faire une liste des juridictions concernées, d'y inclure le Tribunal de la jeunesse parce que les jeunes aussi, Mesdames et Messieurs les députés, ont le droit d'être indemnisés si on les maltraite.

Une voix. Très bien !

M. Christian Grobet (AdG), rapporteur. Je souscris aux propos de M. Halpérin. En effet, la loi l'emporte sur le règlement. Toute cette question était régie par voie réglementaire, Monsieur Halpérin. La question se trouve incluse dans la loi et la loi l'emporte sur le règlement.

A mon avis, les dispositions réglementaires que vous venez de citer - qui feraient une distinction en matière de détention sur la nature de la juridiction - ne sont pas compatibles avec le texte de loi. L'ayant droit peut demander une indemnité pour toute détention à tort, quelle que soit la juridiction. M. Halpérin a raison, il faut que le Conseil d'Etat modifie son règlement, mais, même en l'absence de modification - je le dis pour le Mémorial et pour l'autorité judiciaire - notre volonté est celle que vous venez d'indiquer. A mon avis, l'autorité de justice devra tenir compte de la loi et non pas d'un règlement devenu obsolète.

Ce projet est adopté en troisième débat, par article et dans son ensemble.

La loi est ainsi conçue :

(PL 7533)

LOI

modifiant le code de procédure pénale

(indemnisation des personnes détenues ou poursuivies à tort)

(E 3 5)

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article 1

Le code de procédure pénale du 29 septembre 1977 est modifié comme suit:

Art. 114 B, al. 4 (nouvelle teneur)

4 Il peut allouer une indemnité équitable en observant les limites fixées par l'article 379.

Art. 379, al. 2 (nouvelle teneur)

2 Le juge détermine l'indemnité dont le montant ne peut pas dépasser 10 000 F. Si des circonstances particulières l'exigent, notamment en raison d'une détention prolongée, d'une instruction compliquée ou de l'ampleur des débats, l'autorité de jugement peut - dans les cas de détention - allouer à titre exceptionnel une indemnité supplémentaire. Le juge peut décider d'un autre mode de réparation du préjudice subi ou de tout autre appui nécessaire au requérant.

Art. 380, al. 2 et 3 (nouvelle teneur)

2 La demande est instruite selon les règles de la procédure civile accélérée. La cour établit d'office les faits.

3 La demande est formée par une requête déposée au greffe, en double exemplaire, par l'accusé ou ses ayants droit.

Art. 2

La présente loi est applicable avec effet rétroactif aux demandes sur lesquelles il n'a pas encore été définitivement statué à la date de son acceptation le 4 décembre 1997.