République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 7 novembre 1997 à 17h
54e législature - 1re année - 1re session - 52e séance
PL 7750
LE GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève,
Décrète ce qui suit:
Article 1
La loi sur l'organisation judiciaire, du 22 novembre 1941, est modifiée comme suit:
TITRE IX (nouveau)
Médiateurs pénaux
Art. 156 (nouveau)
Le procureur général conclut, avec une ou plusieurs associations se consacrant statutairement à la médiation pénale, un accord aux termes duquel il peut charger une telle association de mettre en oeuvre un médiateur pénal, afin de rechercher une solution librement négociée entre des personnes en litige pour des faits susceptibles de constituer une infraction pénale.
Art. 157 (nouveau)
Avant d'entrer en fonction, le médiateur pénal prête devant le procureur général le serment suivant:
«Je jure ou je promets solennellement:
d'exercer ma mission dans le respect des lois, avec honneur, compétence et humanité,
de sauvegarder l'indépendance inhérente à ma mission,
de n'exercer aucune pression sur les personnes en litige afin d'obtenir leur adhésion à une entente qui ne serait pas librement négociée,
de veiller à ce que les personnes en litige concluent une entente libre et réfléchie,
de ne plus intervenir d'aucune manière dans la procédure une fois ma mission achevée,
de préserver le caractère secret de la médiation.»
Art. 158 (nouveau)
1 Le médiateur pénal exerce ses fonctions en toute indépendance et impartialité, sans exercer sur les personnes en litige une quelconque pression destinée à obtenir leur adhésion à une entente qui ne serait pas librement consentie.
2 Il doit se récuser dès lors que l'une des causes prévues aux articles 84 à 91 est réalisée.
3 L'association de médiation pénale veille au respect du présent article et désigne le cas échéant un nouveau médiateur pénal.
Art. 159 (nouveau)
1 Le médiateur pénal est tenu de garder le secret sur les faits dont il a acquis la connaissance dans l'exercice de ses fonctions et sur les opérations auxquelles il a procédé, participé ou assisté.
2 Il en va de même pour les organes et le personnel de l'association de médiation pénale.
3 L'article 11 du code de procédure pénale demeure réservé.
Art. 160 (nouveau)
1 Le médiateur pénal ne peut être entendu à quelque titre que ce soit sur les faits dont il a acquis la connaissance dans l'exercice de ses fonctions ou sur les opérations auxquelles il a procédé, participé ou assisté.
2 Le dossier du médiateur pénal est insaisissable.
Art. 2
Le code de procédure pénale, du 29 septembre 1977, est modifié comme suit:
Art. 115B (nouveau)
1 Le procureur général peut requérir une médiation en faisant appel à une association de médiation pénale.
2 L'association de médiation pénale convoque les personnes en litige, en mentionnant le caractère volontaire de leur participation. Une copie du présent article est en outre jointe à la convocation.
3 Le médiateur pénal mis en oeuvre par l'association fait périodiquement rapport de son activité au procureur général.
4 Le procureur général peut en tout temps demander à connaître l'évolution de la médiation et rappeler au besoin la procédure à lui.
5 Lorsqu'il estime que sa mission est achevée, le médiateur pénal transmet la procédure au procureur général. Si la médiation a abouti, il lui communique les termes de l'accord intervenu entre les personnes en litige et lui remet le cas échéant les preuves de son exécution. Dans le cas contraire, il se borne à constater l'échec de la médiation.
6 Il n'y a pas de retour de la procédure au médiateur pénal.
7 Quelle que soit l'issue de la médiation, nul ne peut ultérieurement se prévaloir devant une autorité pénale de ce qui a été déclaré devant le médiateur pénal.
Art. 197A (nouveau)
1 Le procureur général peut requérir une médiation en faisant appel à une association de médiation pénale.
2 L'article 115B, alinéas 2 à 7, est applicable.
Art. 3
Le Conseil d'Etat fixe l'entrée en vigueur de la présente loi.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Introduction
La médiation pénale peut se définir comme un processus consistant à rechercher, grâce à l'intervention d'un tiers, une solution librement négociée entre les parties à un conflit né de la commission d'une infraction pénale.
L'objectif premier visé par la médiation est la réparation du préjudice. Cependant, ce processus cherche aussi à responsabiliser l'auteur de l'infraction.
La médiation pénale existe déjà, notamment, en France et en Belgique.
L'article 41, alinéa 6, du code de procédure pénale français, introduit par une loi du 4 janvier 1993, prévoit que «le procureur de la République peut enfin, préalablement à sa décision sur l'action publique et avec l'accord des parties, décider de recourir à une médiation s'il lui apparaît qu'une telle mesure est susceptible d'assurer la réparation du dommage causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l'infraction et de contribuer au reclassement de l'auteur de l'infraction».
Ce texte a été complété par un décret du 10 avril 1996, précisant les modalités d'habilitation des personnes physiques ou morales désignées pour exercer la médiation. Ce décret mentionne que le médiateur, soumis au secret, doit satisfaire aux conditions suivantes:
- ne pas exercer d'activité judiciaire à titre professionnel;
- ne pas avoir fait l'objet d'une condamnation, incapacité ou déchéance inscrite au casier judiciaire;
- présenter des garanties de compétences, d'indépendance et d'impartialité.
En Belgique, l'article 216ter du code d'instruction criminelle introduit par la loi du 10 février 1994 dispose que «le procureur du Roi peut, sans préjudice des pouvoirs que lui attribue l'article 216bis, convoquer l'auteur d'une infraction et, pour autant que le fait ne paraisse pas être de nature à devoir être puni d'un emprisonnement correctionnel principal de plus de deux ans ou d'une peine plus lourde, l'inviter à indemniser ou réparer le dommage causé par l'infraction et à lui en fournir la preuve. Le cas échéant, le procureur du Roi convoque également la victime et organise une médiation sur l'indemnisation, ainsi que sur ses modalités».
Précisons que cette médiation n'est possible que pour autant que l'action publique n'ait pas été intentée, ce que la victime peut obtenir en se constituant partie civile. Quant à la notion d'indemnisation, elle doit être comprise dans une acception large, recouvrant aussi bien les excuses de l'auteur de l'infraction à la victime qu'une réparation en nature ou une indemnisation d'ordre pécuniaire.
A l'heure actuelle, il existe encore peu de recherches et d'évaluations sur l'application de ces normes, relativement récentes.
A Genève, le Groupement Pro Médiation, association créée en 1996 qui regroupe notamment l'Association genevoise pour la médiation familiale, l'Association romande contre le racisme et l'Association genevoise pour la médiation de quartier, est intervenu courant 1997 auprès du procureur général et du chef du département de justice et police et des transports pour que soit institutionnalisée la médiation pénale dans notre canton.
Le présent projet de loi est le résultat de cette démarche. Cette dernière a en effet reçu un accueil très favorable et le Conseil d'Etat entend lui apporter son plein appui, car il est convaincu que la médiation pénale représente une solution adéquate à la résolution de conflits relativement mineurs qui, en l'état du droit, aboutissent à un classement en opportunité par le Parquet.
Les dispositions que nous vous soumettons ont été rédigées avec le concours de M. Bernard Sträuli, chargé de cours au département de droit pénal de la faculté de droit, et ont été approuvées par M. le procureur général.
Commentaires article par article
Modification de la loi sur l'organisation judiciaire
Art. 156 Association de médiation
Si le procureur général reste libre de demander ou non une médiation pénale, dans un cas particulier, il est en revanche tenu de conclure un accord avec au moins une association, basée à Genève et se consacrant statutairement à la médiation pénale.
Une telle association existe déjà actuellement. Il s'agit de la Maison de la médiation, qui a ouvert ses portes le 1er janvier 1997 et est animée par le Groupement Pro Médiation. Cette Maison est un lieu neutre où pourront se pratiquer des médiations avec des médiateurs qualifiés.
Art. 157 Serment
Le serment résume la déontologie de la fonction de médiateur. Il est logique qu'il soit prêté devant le maître de l'action publique, soit le procureur général.
Art. 158 Indépendance et impartialité
L'adhésion pleine et entière de la victime et de l'auteur de l'infraction à l'accord proposé par le médiateur ou recherché en commun avec lui représente une condition essentielle de la réussite de la médiation.
Les articles 84 à 91 énoncent les causes de récusation des juges.
Art 159 Obligation de garder le secret
Une éventuelle violation de cette obligation pourra être réprimée en application de l'article 320 du code pénal suisse (secret de fonction).
L'article 11 du code de procédure pénale fait obligation à toute autorité, fonctionnaire ou officier public acquérant, dans l'exercice de ses fonctions, connaissance d'un crime ou d'un délit devant être poursuivi d'office, d'en aviser sur-le-champ le procureur général.
Art. 160 Témoignage et dossier
La confidentialité absolue, sous réserve de l'article 11 du code de procédure pénale, de la médiation constitue une autre condition essentielle de sa réussite. La médiation ne doit pas pouvoir être détournée de son but au profit d'une partie à la procédure pénale ou d'un tiers.
Modification du code de procédure pénale
Art. 115B Médiation
Cette disposition concrétise la faculté donnée au procureur général de recourir à la médiation.
La saisine de l'Association de médiation pénale par le procureur général est possible d'entrée de cause, ou à l'issue d'une enquête préliminaire.
L'accord de la victime ou de l'auteur de l'infraction n'est pas requis. Le procureur général est entièrement libre de recourir ou non à la médiation pénale, en fonction de son appréciation. Le résultat de la médiation ne limite en rien son pouvoir de décision quant à l'exercice de l'action publique.
Art. 196A
L'introduction de cette disposition donne au procureur général la faculté de saisir une association de médiation pénale également à l'issue de l'instruction préparatoire confiée au juge d'instruction.
La portée de cet article sera sans doute moindre, car le recours à la médiation sera le plus fréquemment décidé au début de la procédure, soit en application de l'article 115B. La rapidité d'intervention du médiateur permet en effet d'éviter que le conflit entre la victime et l'auteur de l'infraction ne s'envenime et, d'autre part, les délits qui auront nécessité une instruction préparatoire ne devraient que rarement entrer en ligne de compte pour une médiation.
Cependant, il n'est pas exclu que le recours à la médiation puisse s'avérer utile également à ce stade de la procédure, comme alternative à un classement pur et simple,
Au bénéfice des explications qui précèdent, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à adopter le présent projet de loi.
Ce projet est renvoyé à la commission judiciaire sans débat de préconsultation.