République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 26 septembre 1997 à 17h
53e législature - 4e année - 10e session - 46e séance
PL 7692
En raison de la longueur exceptionnellede la séance 46 du 26 septembre 1997- près de 800 pages -le tiré à part sur le PL 7692 n'a pu être insérédans la base de consultation «Mémorial»
Préconsultation
M. Christian Ferrazino (AdG). Je dirai quelques mots sur le projet de loi, pour le moins incongru, qui nous est soumis ce soir.
Dans l'exposé des motifs, en page 89, il est dit que : «...le projet de loi qui vous est soumis part de l'hypothèse selon laquelle l'accélération et la simplification des procédures n'est réalisable que dans la mesure où elle est accompagnée d'une libéralisation de la législation...». Que cela est bien dit, Monsieur Joye ! En d'autres termes et plus simplement, si les lois n'existaient pas tout serait beaucoup plus simple ! (Rires.) Pour M. Vaucher, ce serait une bonne solution ! C'est parfois difficile de s'y retrouver, je vous l'accorde !
Mais le Conseil d'Etat ne va pas jusqu'à nous proposer l'abrogation pure et simple de la loi sur l'aménagement du territoire et de la loi sur les constructions... Il se contente donc de les «libéraliser» ! En d'autres termes et pour ceux qui ont pris connaissance de ce projet, aujourd'hui déterminer si un projet de construction est conforme aux normes fixées par notre législation ne devrait plus incomber, comme c'est le cas actuellement... (Brouhaha.) (La présidente agite la cloche.) ...au département des travaux publics et de l'énergie, mais au mandataire qui verrait ainsi - pour reprendre l'euphémisme utilisé dans l'exposé des motifs - «sa responsabilité renforcée».
Cela veut dire qu'il appartiendrait au mandataire, c'est-à-dire à l'architecte, qui a conçu le projet et qui entend le réaliser, de dire si oui ou non son projet est conforme aux exigences légales. On se demande bien à quoi peut encore servir le département des travaux publics et de l'énergie ! Peut-être que M. Joye veut nous convaincre qu'après son départ il n'est plus nécessaire de maintenir son département. C'est en tout cas ce qu'on peut comprendre en lisant cette nouvelle législation.
Alors on nous objectera que le département garde quand même une compétence : celle d'infliger des amendes ! En d'autres termes, on pourra construire n'importe quoi n'importe où, mais : «Attention... - nous dit cette nouvelle législation - ...vous pourrez «passer à la caisse», si d'aventure le département devait s'apercevoir que la construction déjà réalisée n'est pas conforme aux prescriptions légales.» Les promoteurs fortunés sont donc avertis qu'ils peuvent construire à tort et à travers... (L'orateur est interpellé par M. Vaucher.) Oui, Monsieur Vaucher, il n'est pas dans mon intention de résumer les projets qui nous sont soumis en cent cinquante pages...
La présidente. Un peu de silence, s'il vous plaît !
M. Christian Ferrazino. Mais voyez-vous, Monsieur Vaucher, cette mentalité, qui a peut-être cours dans certains pays, n'est pas la nôtre ! En effet, si des normes fixent les critères de construction, ce n'est pas pour embêter les constructeurs. C'est précisément pour permettre de préserver un certain nombre d'intérêts, l'intérêt général en l'occurrence qui doit primer l'intérêt particulier des constructeurs qui, finalement, n'a été que le seul souci de ceux qui ont rédigé ce projet de loi.
Alors, on nous dit, en fait, qu'il ne sera plus nécessaire de demander d'autorisations de construire. Les plans localisés de quartier donneront simplement une image directrice remplaçant l'autorisation de construire actuellement obligatoire. La seule sanction prévue dans cette loi vise à mettre le constructeur qui n'aurait pas respecté certaines normes à l'amende.
Je le répète, les constructeurs n'ont donc rien à craindre, si ce n'est qu'ils risquent d'avoir des amendes en cas de non-respect de la loi.
On nous dit aussi qu'il faut que les mandataires s'assurent - c'est assez extraordinaire ! - en responsabilité civile, parce que si d'aventure la construction qu'ils fabriquent devait mettre des tiers en danger il faudrait - c'est la moindre des choses - qu'une assurance couvre les dommages...
Je dois dire que vous allez un peu loin, Monsieur Joye ! Ce projet est totalement farfelu. (L'orateur est interpellé par M. Vaucher.) On vous écoutera tout à l'heure, Monsieur Vaucher ! Je sais que vous êtes le spécialiste des invectives...
La présidente. Chacun son tour... On demande la parole, Monsieur Vaucher !
M. Christian Ferrazino. Il vous suffit de lever la main, si vous avez deux ou trois mots à nous dire ! Nous vous écouterons avec beaucoup d'intérêt...
Ce projet est farfelu; il est uniquement conçu dans l'intérêt des constructeurs, au détriment total de l'intérêt général ! S'il fallait encore un exemple pour justifier la nécessité de changer de majorité, c'est bien celui-ci.
M. David Hiler (Ve). Il est effectivement nécessaire de revoir un certain nombre de lois, mais il est surtout nécessaire d'arriver à une construction plus cohérente, dans la mesure où la législation s'est complétée au fur et à mesure que de nouvelles préoccupations - qui sont les nôtres, d'ailleurs - apparaissaient.
Evidemment, nous rencontrons toujours la même difficulté, à savoir qu'il est nécessaire de changer et d'améliorer une situation et que le gouvernement, en l'occurrence le département des travaux publics et de l'énergie, propose en même temps un projet qui n'a rien de technique. Il s'agit d'un véritable transfert des rapports de force et des priorités. Le système proposé - c'est vrai - pour obtenir une autorisation de construire - pour ne prendre que cet élément - est absolument sidérant. Il ne peut - excusez-moi de le dire - séduire et favoriser que les milieux auxquels M. Joye appartient. Il est fait dans ce but, au détriment de l'intérêt public - c'est évident - et il comporte des risques tout à fait réels.
Par ailleurs, tout système basé sur la punition a posteriori, par le biais d'amendes, court le grand risque de ne pas être dissuasif. Vous le savez, Monsieur Joye - et c'est à raison que j'utiliserai cette comparaison - certains journaux envoient des photographes prendre des photos qu'ils n'ont pas le droit de prendre, et, chaque semaine, ils sont condamnés à de lourdes amendes par le Tribunal de Paris...
Une voix. Et ils reprennent des photos !
M. David Hiler. Et ils reprennent des photos... car, de toute façon, l'amende fait partie du budget de fonctionnement de leur journal ! C'est exactement ce qui se passera en matière de construction, d'autant plus que, de manière générale, l'application des lois à Genève, dans le cadre de la LCI, ne se caractérise pas par des amendes très lourdes, aujourd'hui déjà. On hésite beaucoup à infliger des amendes de caractère dissuasif, et la comparaison - vous devez le savoir, Monsieur Joye - avec les pays germaniques, en particulier, et même anglo-saxons, est tout à fait étonnante. Dans ces pays, lorsque vous enfreignez la loi, vous êtes mis sur la paille. Ce n'est pas le cas à Genève où on se montre d'une tolérance extrême, ce d'autant plus que les gens sont importants, ont de l'influence et, surtout, alimentent les caisses de certains partis...
Il est donc extraordinairement dangereux de vouloir utiliser un tel système. Ce faisant vous remettez réellement en cause la possibilité d'effectuer la nécessaire réforme qui s'impose pour simplifier et accélérer les procédures. Cette loi est inapplicable sur le plan technique, s'agissant des procédures, parce que vous avez réintroduit des désirs politiques - pourtant les experts vous avaient chaudement recommandé de les enlever - et nous vous en ferons la démonstration en commission. Mais, pour l'heure, au niveau des principes, ce que vous prévoyez en matière d'autorisations de construire est tout simplement inadmissible ! Il est véritablement impossible de songer un seul moment que nous puissions, à la fin du débat, accepter de pareilles choses !
M. Olivier Vaucher (L). En entendant les propos de M. Ferrazino, on constate qu'il n'y a rien de nouveau : il ne retient que ce qui l'intéresse des textes, et pas ce qui est essentiel.
Ce projet du Conseil d'Etat, que je salue et dont je salue l'énergie peut-être un peu trop grande, aura le mérite de dégorger le texte actuel qui paralyse totalement le domaine de la construction. Monsieur le député Ferrazino, ce n'est pas la première fois que je vous dis que vous avez à peu près vingt ans de retard... La spéculation, l'horreur de la construction, du bétonnage... c'est fini, Monsieur Ferrazino ! Vous le savez aussi bien que moi ! Il faut cesser de vous scléroser sur un passé qui n'existe plus !
Ce projet de loi va enfin permettre à notre commission de mettre en place un système plus léger, afin que l'économie reparte, et l'emploi avec. M. Hiler l'a relevé : certains aspects doivent peut-être être revus - ce sera le travail de notre commission - mais, et je le répète, ce projet a l'immense mérite de nous donner l'occasion d'effectuer un travail en profondeur tout à fait nécessaire pour améliorer la loi actuelle.
La présidente. Monsieur Meyll, n'interrompez pas le prochain intervenant !
M. Laurent Moutinot (S). En matière d'aménagement et de constructions, nous avons rencontré ce problème, dans un périmètre très restreint, pour l'Hôtel Métropole, pour l'Hôtel de Russie, pour la Caisse d'épargne et pour la traversée de la rade.
Tous ces problèmes ont agité longuement et douloureusement la République. Certains d'entre eux ont même conduit à la création de partis qui ont eu leur heure de gloire dans ce parlement. Ce que nous propose aujourd'hui M. Joye c'est de leur redonner leur place dans ce parlement... En effet, nous devons être clairs : si nous libéralisons la construction et l'aménagement du territoire dans le sens voulu par ce projet de loi, nous allons avoir un certain nombre de gratte-ciels à des endroits parfaitement incongrus, avec les réactions populaires légitimes et nécessaires qui s'ensuivront. Ces gratte-ciels ne seront par contre pas forcément tous démolis, et il en restera des traces détestables dans le patrimoine architectural.
Notre législation, Monsieur Joye, est le fruit, en la matière, d'une longue histoire, d'un certain nombre de batailles auxquelles nous avons d'ailleurs tous participé soit par le biais de la protection de l'environnement, soit par celui de la protection des locataires, soit par le développement des transports. Tous ces impératifs d'urbanisme sont extrêmement délicats, et vous voulez purement et simplement laisser l'arbitrage de ces intérêts aux promoteurs.
C'est effectivement - comme l'a dit M. Hiler - hallucinant, au point que les mots peuvent me manquer. On ne peut pas gérer ce problème ainsi. Sur le plan technique, vous voulez remplacer le contrôle a priori par le contrôle a posteriori. On ne peut pas agir de la sorte, lorsque le contrôle a posteriori s'exerce sur des objets d'importance comme une construction qui a coûté des dizaines de millions.
Alors, Monsieur Joye, si vous voulez faire un code d'urbanisme et que vous voulez, cas échéant, qu'il porte votre nom, c'est une bonne idée dans la mesure où l'on pourrait avoir, dans le même texte de loi - aujourd'hui, c'est un peu le «chenil», si vous me passez l'expression - l'ensemble du code d'urbanisme genevois, simplifié d'accord, mais libéralisé de la sorte pas du tout d'accord : ce serait parfaitement suicidaire pour Genève !
M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Vous avez probablement compris en parcourant ce projet de loi - à mon avis, certains orateurs ont dû le parcourir à grande vitesse... - qu'il va bien au-delà d'un toilettage des lois actuelles.
Nous voulons concrétiser une approche du droit de l'aménagement du territoire et des constructions très différente et beaucoup plus positive que celle qui prévaut actuellement.
Nous essayons d'alléger les textes, puisque le projet porte tant sur le droit de la construction que sur celui de l'aménagement du territoire, regroupant ainsi l'ensemble des dispositions légales dans une sorte de code général plus lisible que les textes actuels. Nous pensons que l'accélération et la simplification des procédures, ce qui est souhaité par tout le monde, ne sont possibles que si la législation de fond est repensée. Je sais que c'est une démarche douloureuse et difficile.
Je tiens à dire que je me suis entouré des conseils de personnes qui ont une très bonne réputation dans la République. Je leur fais confiance, malgré les critiques émises dans ce débat de préconsultation.
Si nous ne faisions pas cet effort de remaniement, il serait illusoire de trouver une solution à la lenteur et à la complexité des procédures qui ne sont, en définitive, que le prolongement naturel d'un droit affligé des mêmes défauts. Le projet de loi qui vous est soumis propose donc d'instaurer une législation au sein de laquelle la responsabilité et l'autonomie sont revalorisées.
Une lecture attentive du projet - je ne veux pas l'évoquer ici; on voit bien à certains exemples que vous n'avez pas lu le texte en entier - vous convaincra que les dispositions proposées conservent à l'Etat tout son pouvoir, mais mieux ciblé. Ainsi, plutôt que d'entretenir l'illusion selon laquelle l'Etat peut intervenir sur tout et en tout temps, ce qui dans les faits est impraticable et n'est pas fait, il redéfinit un champ d'intervention étatique crédible et énergique dans lequel l'Etat peut intervenir avec une rigueur accrue en cas d'abus et plus également rigoureux pour les projets importants en ce qui concerne les collectivités : stades, cinémas, zones protégées, etc.
En matière d'aménagement du territoire, les innovations qui sont apportées par le projet sont moins frappantes que celles qui ont trait au droit de la construction. Elles visent aussi à une économie des procédures applicables, à une concentration en amont du débat politique sur les projets et à une plus grande souplesse des normes régissant les zones de constructions.
Je sais que le débat concernant ce projet sera nourri. Les sujets abordés sont très importants, mais je voudrais quand même stigmatiser la façon dont vous avez voulu caricaturer ce projet de loi. La manière dont nous entendons régler les autorisations de construire par le biais de l'architecte concerne uniquement les villas individuelles. Je trouve un peu facile de tout englober, alors qu'il suffit de lire ce qui est écrit sur les plans localisés de quartier et la précision beaucoup plus grande avec laquelle ils seront exécutés pour vous en convaincre. Le but est de donner aux petites collectivités une compétence accrue dans un système qui fonctionne déjà très bien depuis des années, entre autres en France.
Monsieur Moutinot, vous m'étonnez vraiment en prétendant que l'Hôtel de Russie aurait succombé dans le cadre légal qui est prévu... Visiblement, vous n'avez pas lu le chapitre 6, qui indique bien que toutes les questions relatives aux plans des sites, à la protection des bâtiments dans le centre-ville sont conservées !
Les remarques émises me semblent un peu épidermiques, et je me réjouis de discuter de ce projet de loi en commission.
Ce projet est renvoyé à la commission d'aménagement du canton.