République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 26 septembre 1997 à 17h
53e législature - 4e année - 10e session - 45e séance
M 1151
LE GRAND CONSEIL,
considérant:
- que ces étangs sont un site remarquable;
- qu'ils constituent un lieu de promenade agréable;
- que la chasse sur ce site est dangereuse;
- que ces étangs représentent un atout ornithologique,
invite le Conseil d'Etat
à présenter une requête auprès des autorités françaises pour que ce site à la frontière du canton soit classé réserve naturelle.
EXPOSÉ DES MOTIFS
La commune de Veyrier regroupe des sites qui sont de merveilleux coins de promenade pédestre. Ces étangs se trouvent à une centaine de mètres de la frontière, et on y accède par le hameau de Sierne. La période de la chasse représente un danger pour les promeneurs. En effet, ces étangs sont peuplés d'oiseaux et la faune, en général, y est très abondante, ce qui incite les chasseurs à s'y livrer à un véritable massacre.
Ce site doit être un lieu de promenade transfrontalier et un chemin doit être aménagé de Sierne à Etrembières, le long de l'Arve.
Débat
M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. Je me réfère à ce qui vient d'être dit pour relever ceci :
Avec cette motion, votre parlement entend créer une réserve naturelle en France, sans avoir l'élémentaire courtoisie de contacter les autorités concernées avant d'accomplir ce geste public, parce que parlementaire !
La réaction de Mme le maire de la commune d'Etrembières ne s'est pas fait attendre : elle a déclaré à la télévision qu'il s'agissait de méthodes inhabituelles, de pratiques inusitées.
Maintenant que j'ai compris en quoi consistait votre cadeau à la population genevoise, je vous dirai, Madame la députée, que c'est encore plus fort ! Pour l'an 2000, vous entendez offrir à la population genevoise des espaces naturels se trouvant dans un autre pays. Il faut le faire !
Dieu sait si je défends, avec un certain discernement, les espaces naturels qui doivent l'être ! C'est pourquoi je vous invite à observer la retenue qui s'impose vis-à-vis des autorités d'une autre commune ou d'un autre pays. Ce n'est pas en se comportant de cette manière que nous faciliterons la vie transfrontalière qui ne peut s'épanouir que dans un respect réciproque, et surtout pas en dictant aux autorités voisines ce qu'elles doivent faire pour aménager un territoire plus vaste que notre canton.
Il faut protéger la nature des deux côtés de la frontière, mais il faut aussi la rendre accessible à une population qui souhaite en profiter.
M. John Dupraz (R). Je m'étonne du dépôt de ces deux motions, ce d'autant plus que les relations franco-genevoises ne sont pas au beau fixe. Des difficultés ont surgi dans le secteur agricole et les échanges de part et d'autre de la frontière.
Nos voisins français sont exaspérés par vos démarches qu'ils considèrent comme des atteintes à leur souveraineté.
Je regrette que vous ne le compreniez pas ! En posant les problèmes de cette façon, vous démontrez que vous n'avez pas le sens des relations. Vous pourriez très bien entreprendre des démarches similaires par le biais d'organisations de protection de la nature et déposer, par écrit, une requête auprès du Conseil d'Etat. Celui-ci aurait alors la possibilité d'aborder la question au sein de la commission franco-genevoise.
Agir par voie de motion, vu son caractère contraignant pour le Conseil d'Etat s'il entend respecter le règlement - mais cela est une autre affaire ! - c'est le désobliger et offenser nos voisins français.
Si vous persistez dans cette voie, vous allez tout mettre par terre et empêcher le Conseil d'Etat de réaliser du bon travail, dans la concertation franco-genevoise, en matière de protection de l'environnement.
Je suggère le retrait de la motion par ses auteurs et l'option d'une requête écrite, plus diplomatique, auprès du Conseil d'Etat. Je suis sûr qu'elle sera bien reçue, et que M. Haegi ne se fera pas faute d'en parler lors d'une prochaine rencontre des commissions de travail franco-genevoises.
Soutenir cette motion serait catastrophique. Ce serait braquer les gens !
M. Max Schneider (Ve). Certes, la formulation de l'invite de cette motion n'est pas des plus diplomatiques.
Néanmoins, l'idée est bonne et pourrait, sans autre, être soumise pour analyse au Conseil régional franco-genevois.
Je n'ai pas signé cette proposition, car je ne me représente pas.
Les députés qui suivront ce dossier appartiendront sans doute à la représentation genevoise au sein du Conseil régional franco-genevois. J'espère que celle-ci, lors de la prochaine législature, regroupera les représentants de tous les partis.
Je ne m'oppose pas à la présentation, par l'entremise du Conseil d'Etat, d'un tel projet au Conseil du Léman ou au Conseil franco-genevois. Il peut revêtir la forme d'un souhait et être discuté, sans agressivité, avec nos voisins français. Des personnes, de l'autre côté de la frontière, accepteront volontiers la mise en réserve naturelle de certains territoires.
Actuellement, les députés de ce Grand Conseil ne peuvent pas recueillir les signatures d'élus locaux, en France voisine, pour soutenir leurs motions. Par contre, notre exécutif, quand il se rend de l'autre côté de la frontière pour nous représenter, peut cosigner, avec les Français, au nom de Genève. Je cite un exemple frappant : quand des dizaines de milliers d'oppositions se sont élevées contre l'autoroute du Chablais, un membre de l'exécutif genevois a cosigné, en France, la demande de cette autoroute. De quel droit ? Qui l'a mandaté pour signer cette demande avec des Français du même bord politique ? Cette autoroute n'a jamais été plébiscitée par ce Grand Conseil. Il n'empêche qu'un membre de l'exécutif genevois ne s'est pas gêné de soutenir la demande, alors que le Conseil d'Etat français, lui-même, l'avait rejetée.
L'invite de cette motion est peut-être mal formulée, mais notre exécutif, durant ces derniers quatre ans, ne s'est pas privé d'intervenir dans les affaires de la France voisine.
De plus, cette invite n'est pas contraignante. Elle peut susciter un dialogue sur la création d'une zone naturelle. C'est pourquoi je vous prie de renvoyer cette motion à la commission des affaires régionales pour que nos collègues la reformulent et prennent contact, d'une manière plus diplomatique, avec leurs homologues français.
Mme Claire Chalut (AdG). Je m'étonne de la réaction de M. Haegi. Cette motion ne signifie pas que nous occuperons militairement la Haute-Savoie après-demain ! Que nous enverrons l'armée pour assurer la sauvegarde des étangs !
Le mot «requête» est peut-être déplacé, mais nous ne trouvons pas toujours les mots justes.
Il s'agit, tout de même, d'une demande écrite. A partir de là, et contrairement à ce que pense M. Dupraz, le Conseil d'Etat peut utiliser tous ses moyens diplomatiques pour discuter de la question dans le cadre du Conseil du Léman.
Dans un esprit régional, voire européen, je ne vois pas pourquoi l'on ne pourrait pas approcher nos amis français. Eux nous diraient ce qu'ils pensent, et, s'ils décidaient de ne pas donner suite, nous ne pourrions, évidemment, pas aller plus loin.
Il faut oser, de temps à autre, sinon on n'obtient jamais rien !
Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). J'aimerais savoir, Monsieur Haegi, si le fond vous gêne autant que la forme.
Dans d'autres dossiers, vous avez fait preuve de beaucoup de dureté envers nos voisins français. Je pense notamment au projet d'usine d'incinération des déchets de Bellegarde.
Moi, habitante de Russin, j'ai été choquée par votre dureté et la condamnation sans appel de l'initiative, prise par Bellegarde, de décentraliser la destruction des déchets dans la région. Vous préfériez les centraliser chez nous pour des raisons marchandes que je comprends aisément.
Les étangs d'Etrembières se trouvent à cent mètres de la frontière et vous avez, en l'occurrence, un sens extrêmement précis de cette délimitation. Votre sens juridique prédomine peut-être. J'aimerais m'attarder un moment sur ce morceau de territoire.
Imaginez que vous quittez ce magnifique hameau de Sierne, miraculeusement préservé, pour descendre vers les étangs d'Etrembières. Vous les longez et vous revenez en passant par le cimetière israélite de Veyrier. Vous aurez vu une petite merveille : un des derniers étangs subsistant dans notre région. Pourquoi ? Parce que la zone d'Etrembières fut longtemps déshéritée, alors que tous nos étangs - ceux de Troinex, de la vallée de l'Aire, de Bossey, de la Seymaz - ont été asséchés par des grands travaux dans les années 20 et 30. Ce qui fait que nous n'avons plus de roselières, de réserves de pêche et d'oiseaux que sur les bords du Léman.
Si beaucoup de sites ont été préservés sur les rives du Léman, de même que les eaux du lac lui-même, c'est souvent grâce aux douces pressions exercées à partir de Genève.
Dans le cadre de l'aménagement régional du territoire - je parle d'un dossier important de coopération transfrontalière géré au sein du CRFG - il est parfaitement loisible d'inscrire cette préoccupation et de veiller à la conservation des étangs d'Etrembières.
De plus, les riverains suisses y sont favorables, notamment ceux de Veyrier, de même que leurs conseils administratifs et municipaux.
C'est pourquoi, au nom même de ce qui fonde la collaboration transfrontalière en matière d'aménagement du territoire, nous vous demandons d'accepter le renvoi de cette motion en commission. Elle pourra y être modifiée, puis rendue dans des termes diplomatiques, juridiquement acceptables par vous, Monsieur Haegi, et aptes à soutenir vos efforts pour une authentique collaboration transfrontalière. Elle effacera des limites ne servant qu'à affirmer des souverainetés nationales, cela pour le plus grand bien des riverains résidant de part et d'autre de la frontière.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Mon intervention sera extrêmement brève, puisqu'elle va dans le sens de celles de M. Schneider, et Mmes Chalut et Deuber.
Je trouve la réaction de M. Dupraz démesurée par rapport à cette petite zone naturelle. Nous intervenons sans arrêt auprès des autorités françaises pour des conventions de travail, des impôts à la source, des transports en commun.
Par conséquent, intervenir pour créer une zone naturelle ne devrait poser aucun problème. De plus, nos voisins seront très heureux de collaborer avec nous à ce projet.
Je soutiens le renvoi de la motion en commission. Ceux qui s'offusquent de son libellé auront ainsi tout loisir de le corriger.
M. Henri Gougler (L). Même si j'ai la conviction profonde que ces étangs doivent être protégés, je pense que Mme Chalut n'a ni vu ni entendu Mme le maire d'Etrembières à la télévision. Elle était grandement offusquée de ce que l'on se permette, à Genève, d'avoir des visées de réserve naturelle sur un terrain français sans en avoir parlé à qui que ce soit.
Cet impair monumental doit être corrigé. J'ignore si un renvoi en commission permettra de modifier les choses, mais les députés qui ont rédigé cette motion doivent revoir leur copie et envoyer une requête au Conseil d'Etat, comme cela vient d'être dit.
M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. M. Dupraz n'a pas exagéré. Nous avons une vie sociale et économique qui dépasse les frontières de notre canton et nous essayons de gérer cet espace dans la meilleure intelligence possible.
Le Salève est une montagne véritablement «genevoise» : les Genevois s'y rendent et certains y sont propriétaires. Mais il faut tout de même prendre quelques précautions.
M. Dupraz a raison de vous suggérer de retirer votre motion et d'envisager une autre démarche plus diplomatique. Votre motion ne décrit pas un site de qualité pour inciter à en faire un bon usage. Vous invitez clairement le Conseil d'Etat «à présenter une requête auprès des autorités françaises pour que ce site à la frontière du canton soit classé réserve naturelle.» Une réserve naturelle avec toutes les contraintes que cela signifie ! De plus, votre exposé des motifs précise : «Ces étangs se trouvent à une centaine de mètres de la frontière, et on y accède par le hameau de Sierne. La période de la chasse représente un danger pour les promeneurs.» On peut être pour ou contre la chasse, mais si vous voulez engager une discussion avec les autorités françaises, c'est un point qu'il faut éviter de soulever, sinon vous n'aurez aucune chance d'obtenir des réactions positives.
Enfin, la conclusion de l'exposé des motifs est des plus impératives : «Ce site doit être un lieu de promenade transfrontalier et un chemin doit être aménagé de Sierne à Etrembières, le long de l'Arve.»
Je reconnais que nous ne parlons pas d'un projet extraordinaire, mais il est des erreurs à ne pas commettre. Ceux qui estiment qu'une autre voie serait plus propice ont parfaitement raison. C'est pourquoi il serait opportun que vous retiriez votre motion, à moins que la majorité ne la refuse. Cela ne veut pas dire que le sujet ne sera pas repris.
M. Chaïm Nissim (Ve). Au vu des photos distribuées par ma collègue Erica Deuber, ce Grand Conseil devrait être unanime à voter pour qu'on entreprenne des démarches.
Nous pouvons renvoyer la motion en commission ou l'amender ici même en invitant le Conseil d'Etat à entreprendre des démarches auprès des autorités françaises pour que le site soit classé réserve naturelle.
Je suis convaincu que ce Grand Conseil suivra ma proposition. Preuve en est la liste des résultats de l'intergroupe que je viens de trouver sur les bancs de l'Entente. Il s'avère que les partis de l'Entente ont décidé de renvoyer la motion 1151 à la commission de l'environnement.
Je tenais quand même à vous rappeler la décision de votre intergroupe, Mesdames et Messieurs les députés de l'Entente ! Claude Haegi faisait peut-être partie de l'intergroupe ! Lisez bien votre lettre, Monsieur Claude Haegi !
C'est incroyable ! Vous vous crispez, alors que vous avez de magnifiques photos d'étangs situés à la frontière. Nous pourrions faire une démarche gentille, polie, comme nous en avons fait d'autres, à propos de Creys-Malville, par exemple. Vous vous en souvenez certainement, Monsieur Haegi, les membres du Conseil d'Etat nous disaient... (Rires.) ...Ce n'est pas mon voisin Pierre Kunz... (Rires.)
Je vous recommande donc, Mesdames et Messieurs les députés de l'Entente, de voter unanimement le renvoi de cette motion à la commission de l'environnement.
Mme Erica Deuber-Pauli (AdG). Si j'avais su que ces photos étaient disponibles ce soir, je les aurais distribuées en début de séance. M. Yves Zehfus, très attaché à la préservation de ces étangs et représentant les intérêts de la commune de Veyrier, les avait préparées à votre intention.
Ces étangs méritent d'être mis en valeur. Apparemment, ils ne sont pas en danger immédiat, mais vu les dégâts environnants, provoqués surtout par les carrières, on se demande s'ils résisteront longtemps encore aux attaques de la civilisation. Actuellement, la commune de Veyrier se préoccupe de la sécurité des promeneurs, la chasse étant ouverte.
Je distribue les photos de M. Zehfus en vous priant de les garder pour un débat futur.
M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. Ces belles photos montrent un site superbe et prouvent que nous n'avons pas besoin de légiférer, à Genève, pour que le territoire français atteigne cette qualité. C'est encore plus choquant d'agir dans ce sens quand on est soi-même témoin d'une réussite. Allez contempler ces lieux, mais dispensez-vous de prendre d'autres mesures, ces photos sont parlantes !
M. Pierre Meyll (AdG). Des relations directes existent entre les exécutifs, Monsieur le conseiller d'Etat Haegi. J'en veux pour preuve ce qui s'est passé entre Divonne et le canton de Vaud. Des améliorations transfrontalières ont eu lieu, et je me demande si nous ne pourrions pas discuter de cet objet en commission. L'invite, peu diplomatique, serait reformulée et pourrait être présentée au Conseil régional, avec l'appui du Grand Conseil.
Je suis persuadé que si le législatif vous appuie, les résultats que vous obtiendrez n'en seront que meilleurs.
Mieux vaut préserver une réserve trop tôt que trop tard ! Ces photos représentent un site en l'état, et je pense nécessaire de faire en sorte qu'il le reste définitivement.
Ce serait tout de même une bonne chose d'intervenir avant la survenue de dégâts irrémédiables. Monsieur le conseiller d'Etat, nous avons agi ainsi pour Divonne et les marais.
M. Olivier Vaucher (L). Je connais fort bien ces marais pour les avoir longuement observés, il y a quelques années.
Je propose, en toute logique, que les motionnaires demandent, par écrit, au conseiller d'Etat intéressé d'organiser une séance avec les Français, afin de démontrer notre intérêt pour cette région.
M. Jean-Claude Genecand (PDC). Nous faisons montre d'une attitude soudainement craintive vis-à-vis des Français. N'oublions pas que nous entretenons des relations avec eux, et surtout que le gouvernement genevois leur a rétrocédé un milliard sur les impôts prélevés !
Nos relations sont donc concrètes et ne se bornent pas à des échanges épistolaires.
A défaut d'être bien rédigée, cette motion propose une solution pour intervenir sans offusquer Mme la mairesse d'Etrembières.
L'objet étant important, je suis pour le renvoi de la motion en commission, afin d'en revoir la présentation. Monsieur le président, vous pourriez y exposer vos points de vue.
M. Max Schneider (Ve). Ce parlement a le droit d'interpeller soit le Conseil d'Etat, soit le Conseil régional franco-genevois, et ce droit devra être affirmé plus fermement au cours de la prochaine législature.
Le rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil concernant la politique régionale et européenne et la coopération au développement - point 68 : RD 282 - dégage deux priorités arrêtées, dans le cadre du projet Interreg, par les autorités genevoises et le Conseil régional franco-genevois :
1. le métro léger;
2. la réhabilitation des rivières.
Pourquoi ne pas y inclure cet étang ?
Je vous propose un renvoi en commission pour modifier l'invite et inclure cette région et ses étangs dans la deuxième priorité.
La présidente. Je mets aux voix la proposition de renvoyer cette proposition de motion à la commission de l'environnement et de l'agriculture.
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
Le sautier compte les suffrages.
Mise aux voix, la proposition de renvoyer cette proposition de motion à la commission de l'environnement et de l'agriculture est adoptée par 36 oui contre 32 non.