République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1153
17. Proposition de motion de MM. Chaïm Nissim et Andreas Saurer sur la politique de la drogue. ( )M1153

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- les récentes descentes de police chez Artamis et à la cave à Chanvre notamment;

- que cette nouvelle attitude contraste singulièrement avec la politique constructive et tolérante qui primait jusqu'ici dans le domaine des drogues douces;

- qu'en bonne démocratie il n'est pas sain qu'un juge et un conseiller d'Etat décident seuls d'une politique en matière de drogues douces;

- que derrière la politique de la drogue c'est toute une philosophie, une culture politique qu'il s'agit de créer ensemble, avec les consommateurs et non pas contre eux,

invite le Conseil d'Etat

à définir une politique claire et cohérente dans ce domaine des drogues douces (chanvre...) et à en informer le Grand Conseil dans un rapport.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Bien que la présente motion ne s'adresse qu'aux drogues douces, on ne peut pas passer sous silence les autres drogues, drogues dures, drogues légales, de même qu'on ne peut pas ignorer les liens qui existent entre nos politiques sociales et nos politiques des drogues. Abordons donc brièvement le problème global.

La question des drogues agite depuis 30 ans les milieux les plus larges. Au niveau des drogues dures interdites, les mafias profitent de la prohibition pour faire de très juteuses affaires. On estime que le trafic des drogues interdites représente le 2e chiffre d'affaires au niveau mondial, juste derrière le commerce des armes. En s'appuyant sur cette seule constatation, on aurait tendance à prôner une décriminalisation complète des drogues dures et une mise sous surveillance médicale des drogués les plus malades. Mais ce problème n'a, hélas, pas de solution simple, les a priori politiques, les problèmes culturels sont légion, et l'émotion est vive dès qu'on est mis en présence d'un drogué: Ne risquons-nous pas d'aggraver le problème en décriminalisant? Quelle marge de manoeuvre avons-nous au regard de la loi fédérale? A peine croit-on entrevoir une solution qu'aussitôt l'impression de soulagement se dissipe: Qui sont les drogués? Des victimes ou des ennemis de notre société? Qu'est-ce qu'une drogue? Pourquoi en autoriser certaines et en interdire d'autres? Qu'est-ce que l'accoutumance et à quoi s'accoutume-t-on? Que signifie la transgression pour un adolescent, pour un drogué? Dans quelle société voulons-nous vivre?

L'une des voies vers une possible solution à ces questions complexes serait de n'aborder la question que progressivement, c'est ce queM. Kissinger appelait, au Proche-Orient, la politique des petits pas: essayons de définir une politique relativement consensuelle dans le domaine des drogues douces déjà, pour les autres nous verrons plus tard. Or, c'est justement dans ce domaine moins émotionnel des drogues douces que la politique actuelle se montre pleine de contradictions: elle vient de connaître un virage à 180 degrés, elle vient de passer d'une relative tolérance à la répression totale, sans qu'un débat, ni au parlement ni ailleurs, n'ait même abordé la question !

C'est à cette question de la politique des drogues douces que nous devrions essayer de répondre ensemble, Mesdames et Messieurs les députés.

Débat

M. Chaïm Nissim (Ve). Je regrette l'absence de M. le conseiller d'Etat Ramseyer. Notre motion ayant été inscrite à l'ordre du jour des objets du DASS, elle se trouve, en quelque sorte, à cheval sur deux départements. Cela arrive souvent et c'est regrettable.

Notre motion demande au Conseil d'Etat, notamment à M. Ramseyer, de définir une politique en matière de drogues douces. Je pensais naïvement, Monsieur Segond, que votre département était plutôt chargé du grave problème des drogues dures... (Exclamations.)

Je suis heureux de vous entendre. Nous désirons cette politique, car nous avons remarqué un changement notable en ce qui concerne les drogues douces. Nous avons suivi avec attention et amitié l'expérience d'Artamis. Une information était donnée aux personnes achetant du chanvre. Elles étaient prévenues contre les drogues dures. Le chanvre, vendu à des prix intéressants, était de très bonne qualité et n'était pas mélangé à de l'opium.

Cela nous paraissait une politique de prévention, avec des explications et des informations aux consommateurs, donc une politique porteuse d'avenir. Tout à coup, un virage à 180° s'est produit : les forces de police sont intervenues et des arrestations ont eu lieu.

Nous demandons des explications sur ce manque de cohérence. Il pourrait être décidé, par exemple, de réaliser des montants de vente moindres que ceux d'Artamis, mais en conservant l'essentiel : la qualité du produit et l'information aux consommateurs.

M. Gilles Godinat (AdG). Notre groupe soutient cette proposition de motion qui ne manque pas d'intérêt. Il est, en effet, nécessaire de clarifier les éléments du débat en vue d'une politique de prévention crédible en matière de drogues douces.

Il est utile de rappeler que les drogues douces ne sont pas plus nocives que l'alcool et le tabac, bien au contraire ! Ces données fondamentales méritent d'être rappelées.

Par conséquent, nous sommes favorables à une politique de prévention, et non à une politique de répression en la matière.

Je ne veux pas lancer le débat sur les drogues douces, mais je vous rappelle qu'elles sont utilisées médicalement en cas de douleurs chroniques. Il est donc nécessaire d'avoir un rapport clair du Conseil d'Etat sur la question.

M. Guy-Olivier Segond, conseiller d'Etat. MM. Saurer, Nissim et Godinat demandent une politique claire et cohérente en matière de drogues douces.

La politique du canton de Genève l'est déjà : elle consiste à appliquer la loi fédérale sur les stupéfiants, selon les textes et leur interprétation par les services juridiques de la Confédération. Elle peut se résumer ainsi :

- Le chanvre utilisé en vue d'extraire des stupéfiants est soumis à la loi fédérale sur les stupéfiants. Il est interdit de ce fait.

- Lorsque le chanvre n'est pas utilisé pour l'extraction de stupéfiants, il est soumis à la loi sur les denrées alimentaires, pour autant que sa teneur en tétrahydrocannabinol soit inférieure à 0,3%. Au-delà de ce taux, on ne peut pas en fabriquer.

Néanmoins, des valeurs limites particulières existent, selon le type de denrée alimentaire. Ainsi - vous admirerez l'étendue de mes connaissances - l'huile de grain de chanvre ne peut pas contenir plus de 50 mg de thc par kilo.

Pour la fabrication de cordages ou d'oreillers, il est possible d'utiliser du chanvre à teneur plus élevée, d'où le soupçon concernant son utilisation : par exemple, Monsieur Nissim, des gens éventrent leur oreiller, acheté à un prix élevé, pour en fumer le contenu ! (Rires.)

Contrairement a ce que dit la publicité des initiants de «Jeunesse sans drogue», il n'y a actuellement, selon les renseignements qui me sont donnés, aucun médicament à base de chanvre enregistré en Suisse. Pour le reste, la loi fédérale sur les stupéfiants prévoit que toute personne qui désire en faire le commerce doit être mise au bénéfice d'une autorisation délivrée par l'autorité compétente. L'Office fédéral de la santé publique considère qu'une telle autorisation n'est pas nécessaire pour une personne qui vend des produits respectant les exigences de la loi sur les denrées alimentaires.

Celui qui fait commerce de chanvre sous forme de thé devrait, en principe, avoir un certificat d'analyse le renseignant sur la teneur en thc du lot qu'il vend, ceci essentiellement dans l'intérêt du consommateur : du thé contenant plus de 5% de thc provoque des effets immédiats. Si vous avez essayé, vous devez le savoir !

Pour le reste, la loi fédérale portant sur la lutte contre l'abus des stupéfiants contient des dispositions pénales. Je vous les lis pour vous montrer que les juristes ont pratiquement pensé à tout :

Dans la section IV, article 19, de cette loi fédérale, il est précisé que «Celui qui, sans droit, cultive des plantes à alcaloïdes ou du chanvre en vue de la production de stupéfiants, celui qui fabrique, extrait, transforme, prépare, entrepose, expédie, transporte, importe, exporte, passe en transit, offre, distribue, vend, fait le courtage, procure, prescrit, met dans le commerce, cède, provoque à la consommation, révèle des possibilités de s'en procurer ou d'en consommer, celui-ci est puni de l'emprisonnement ou de l'amende. Dans les cas graves, la peine sera la réclusion ou l'emprisonnement pour une année au moins. Elle pourra être cumulée avec l'amende jusqu'à concurrence d'un million de francs.» D'autre part, la législation fédérale prévoit que «la poursuite pénale incombe aux cantons.» A Genève, elle est du ressort exclusif des autorités judiciaires. Le Conseil d'Etat est innocent, même si vous avez peine à le croire !

M. Andreas Saurer (Ve). Permettez-moi de faire quelques remarques à la suite de l'intervention de M. Segond.

J'admire, évidemment, vos connaissances en chimie et vos définitions du chanvre. J'apprécie également les directives de la loi fédérale en la matière.

Cela étant, vous avez raison, sur le plan juridique, le Conseil d'Etat est innocent dans cette affaire. Ce n'est ni vous ni M. Ramseyer qui avez ordonné cette opération de police. Néanmoins, un certain climat ambiant a été créé par les interventions d'un certain conseiller d'Etat.

J'approuve entièrement, Monsieur Segond, votre politique et celle de votre prédécesseur en matière de drogues dures. En revanche, les drogues douces, le haschich en l'occurrence, ne posaient pas un problème politique jusqu'à maintenant.

Les interventions intempestives de M. Ramseyer ont suscité les mesures prises par les autorités judiciaires, parce qu'elles ont créé un espace politique permettant à ces dernières d'appliquer la loi avec une extrême rigueur.

Je regrette que l'on ne respecte plus la proportionnalité, notion très importante de l'application du droit, surtout à Genève.

Le Conseil d'Etat a, sans doute, une politique commune, mais que l'on ne nous raconte pas des histoires ! Les interventions de M. Ramseyer sont diamétralement opposées aux vôtres, Monsieur Segond ! Il n'y a donc pas de cohérence.

Cette attitude facilite naturellement l'intervention de la magistrature, de M. Bertossa, etc. Nous ne pouvons que le regretter, car elle crée un problème qui n'a pas lieu d'être.

M. Chaïm Nissim (Ve). Deux mots pour dire que je me range à l'avis de mon camarade Saurer.

Monsieur Segond, le but de notre motion n'était pas d'entendre le récitatif de la loi fédérale. Nous pouvons la lire nous-mêmes.

Son but était de vous inciter à définir une politique cantonale, si possible homogène, en matière de drogues douces.

Vous ne nous en avez rien dit. Vous nous avez lu la loi fédérale, puis avez précisé que c'est le Parquet, et non le Conseil d'Etat, qui applique la loi. C'est l'évidence même !

Votre intervention signifie que le Conseil d'Etat n'a rien à voir, n'a pas à définir de politique : il doit suivre la loi fédérale ! En réalité, les choses ne se passent pas ainsi. En dépit de vos divergences, vous pouvez imaginer, entre conseillers d'Etat, une politique en matière de drogues douces consistant à prévenir et à informer.

C'est cela le message de notre motion.

La présidente. Je mets aux voix la proposition de motion.

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Mise aux voix, cette proposition de motion est rejetée par 35 non contre 27 oui.

La présidente. Je vous invite à cesser là nos travaux, puisque nous sommes tous invités à la fête du Caré à 19 h. Je précise que vous devrez passer par la route de Malagnou, la route de Chêne étant fermée, selon l'information de Mme Catherine Passaplan. Nous reprendrons nos travaux à 20 h 30.

 

La séance est levée à 18 h 45.