République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 26 septembre 1997 à 17h
53e législature - 4e année - 10e session - 45e séance
RD 283
Le présent rapport concerne le réacteur Superphénix à Creys-Malville, dont le décret permettant la remise en fonction de Superphénix a été annulé par le Conseil d'Etat français le 28 février 1997. Finalement, la fermeture de cette installation a été annoncée, le 16 juin 1997, par le Premier ministre français Lionel Jospin. Le présent rapport fait le point de la situation et répond aux motions 484, 699, 736, 740, 940, toutes relatives à cet objet. Il se présente de la manière suivante:
Sommaire:
1. Préambule 7134
1.1. Remarques préliminaires 7135
1.1.1. 1976: Construction du réacteur Superphénix 7135
1.1.2. L'article 160 C, alinéa 5, de la constitution genevoise 7135
2. La période de décembre 1986 au 11 juillet 1994 7136
2.1. Premier démarrage en décembre 1986 7136
2.2. Les actions entreprises par le Conseil d'Etat genevois
en 1989 7136
2.3. Conséquence de la durée de l'arrêt de Superphénix 7137
2.4. La procédure d'autorisation de création des installations nucléaires de base 7137
2.5. Changement de vocation de Superphénix 7137
3. La période du 11 juillet 1994 à février 1997 7138
3.1. Le décret du 11 juillet 1994 et le redémarrage de la centrale 7138
3.2. Le dossier juridique 7138
3.3. Les autres actions du gouvernement genevois 7140
4. Conclusion 7143
5. Annexes 7144
1. Préambule
Depuis le début de l'année 1997, les événements se sont précipités en ce qui concerne Superphénix à l'arrêt depuis le 24 décembre 1996. C'est ainsi que, sur le plan juridique, le Conseil d'Etat français (la plus haute juridiction administrative française) a annulé le 28 février 1997 le décret d'autorisation de création de Superphénix. Cette décision a pour effet de supprimer le cadre légal qui doit impérativement exister pour que le réacteur puisse être remis en marche.
Sur le plan politique, les élections législatives anticipées du 1er juin 1997 ont modifié le paysage politique avec l'instauration d'un régime de cohabitation droite (président) - gauche (gouvernement). Le 19 juin 1997, M. Lionel Jospin, nouveau Premier ministre, annonçait officiellement, dans son discours de politique générale prononcé devant l'Assemblée nationale, la fermeture définitive de Superphénix. Cette décision a été accueillie avec une vive satisfaction par le gouvernement genevois, qui continuera de suivre avec attention l'évolution de ce dossier.
Le conseiller d'Etat genevois, chef du département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales.
Partant de ce constat et considérant que cinq motions, quatre antérieures au 20 octobre 1994 (voir Annexe n° 1) et une datée du 20 octobre 1994, sont encore en suspens, le Conseil d'Etat entend faire le point de la situation sur ce dossier, et répond par la même occasion aux motions suivantes:
- motion 484 du 21 janvier 1988: motion de Mme Françoise Saudan concernant une expertise sur la sécurité offerte par le surgénérateur Superphénix à Creys-Malville;
- motion 699 du 17 janvier 1991: motion de Mmes Elisabeth Reusse-Decrey et Micheline Calmy-Rey concernant le surgénérateur de Creys-Malville;
- motion 736 du 31 mai 1991: motion de Mmes et MM. Jacques-André Schneider, Micheline Calmy-Rey, Jean-Pierre Rigotti et Françoise Saudan relative au surgénérateur de Creys-Malville;
- motion 740 du 13 septembre 1991: motion de Mmes et M. Micheline Calmy-Rey, Sylvia Leuenberger, Erica Deuber-Pauli et Jean-Claude Genecand concernant Creys-Malville;
- motion 940 du 20 octobre 1994: motion de Mme et MM. Geneviève Mottet-Durand, Hervé Burdet, Roger Beer, Thomas Büchi et Claude Blanc concernant le redémarrage de la centrale de Creys-Malville.
Dans ce document, il est donc procédé à un compte rendu des démarches entreprises par le Conseil d'Etat genevois de manière succincte pour la période décembre 1986 - 11 juillet 1994 et de manière plus détaillée pour la période du 11 juillet 1994 à février 1997. Par ailleurs, en ce qui concerne la période 1989 - octobre 1994 une note d'information détaillée (intitulée «Note d'information du département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales au Grand Conseil relative au dossier du réacteur Superphénix à Creys-Malville») a été diffusée, le 20 octobre 1994, au Grand Conseil et traite notamment des volets suivants: le volet technique, le volet sûreté et le volet incident ou accident à Creys-Malville: quelle est l'organisation prévue en cas de catastrophe? Cette note figure en annexe (Annexe n°1) du présent rapport et donne une radiographie de la situation à fin 1994.
1.1. Remarques préliminaires
A titre de remarques préliminaires, deux rappels s'imposent: celui de la date de construction du réacteur et celui du cadre juridique sur lequel le gouvernement genevois a fondé son action.
1.1.1. 1976: Construction du réacteur Superphénix
C'est à partir de 1976 que la construction de Superphénix à Creys-Malville a été entreprise. Ce réacteur est un prototype industriel de la filière des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium. Sa puissance thermique brute est de 3000 MWth et sa puissance électrique de 1 200 MWe, assurée par deux groupes turbo-alternateurs de 600 MWe chacun.
1.1.2. L'article 160 C, alinéa 5, de la constitution genevoise
Le canton de Genève a inscrit dans sa constitution, à la suite d'une votation populaire au mois de décembre 1986 - soit huit mois après la catastrophe de Tchernobyl - un article 160 C dont l'alinéa 5, première phrase, a la teneur suivante: «Les autorités cantonales s'opposent par tous les moyens juridiques et politiques à leur disposition à l'installation de centrales nucléaires, de dépôts de déchets hautement et moyennement radioactifs et d'usines de retraitement sur le territoire du canton et au voisinage de celui-ci.» C'est sur la base de ce mandat constitutionnel que l'autorité gouvernementale genevoise s'est fondée pour s'opposer à Superphénix.
2. La période de décembre 1986 au 11 juillet 1994
Quatre des cinq motions citées ci-dessus ont été déposées entre 1988 et 1991 et invitaient le Conseil d'Etat genevois à agir face à la perspective d'une remise en marche du surgénérateur Superphénix à Creys-Malville.
2.1. Premier démarrage en décembre 1986
Exploité par la société NERSA (Centrale nucléaire européenne à neutrons rapides SA), dans laquelle EDF est associée à divers partenaires de la Communauté européenne, le Centre nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Creys-Malville a démarré, à 10% de sa puissance, le 7 septembre 1985 pour atteindre sa puissance maximale le 9 décembre 1986.
Le fonctionnement du réacteur Superphénix a, depuis décembre 1986, été marqué par les incidents de fuite du barillet de transfert de combustible en avril 1987 et de pollution du sodium primaire, en juin 1990, conduisant à l'arrêt du réacteur le 3 juillet 1990.
L'exploitation de la centrale de Creys-Malville - qui a débuté en 1986 - se caractérise par un fonctionnement couplé au réseau électrique pendant environ 7 400 heures, représentant l'équivalent de 174 jours à pleine puissance et à la production brute de 4,54 milliards de kWh.
2.2. Les actions entreprises par le Conseil d'Etat genevois en 1989
En 1989, le Conseil d'Etat genevois a recouru successivement contre le décret du 10 janvier 1989 du Premier ministre de la République française, modifiant le décret du 12 mai 1977 autorisant la création par la société NERSA d'une centrale nucléaire à neutrons rapides sur le site de Creys-Malville. Il a également recouru contre les décisions de redémarrage et de montée en puissance.
Ces procédures ont été un succès du point de vue juridique puisque le Conseil d'Etat français avait donné gain de cause à Genève. Dès lors, il n'existait plus de décision gouvernementale ou administrative valables permettant le redémarrage de Superphénix qui était à ce moment-là à l'arrêt, suite à de nouveaux problèmes.
A cette occasion, le gouvernement genevois avait indiqué qu'il ne relâcherait pas ses efforts pour assurer la sécurité de la population et faire appliquer le principe constitutionnel susmentionné. C'est ainsi que, trois ans plus tard, il allait à nouveau utiliser la voie juridique pour s'opposer à Superphénix, comme nous le verrons ci-dessous.
2.3. Conséquence de la durée de l'arrêt de Superphénix
Le réacteur était donc à l'arrêt depuis le 3 juin 1990. Compte tenu de la durée de l'arrêt de Superphénix, d'une durée supérieure à deux ans, la reprise du fonctionnement du réacteur était soumise à la procédure administrative qui conduit à la signature d'un décret d'autorisation de création d'une installation nucléaire de base.
2.4. La procédure d'autorisation de création des installations nucléaires de base
En octobre 1992, l'exploitant NERSA a déposé une nouvelle demande d'autorisation. La procédure d'instruction de cette demande a comporté une enquête publique et une analyse technique des dossiers accompagnant la demande. L'Etat de Genève a pu faire part de ses observations lors de l'enquête publique qui s'était déroulée du 30 mars 1993 au 14 juin 1993. Cette procédure a abouti à la promulgation du décret du 11 juillet 1994.
2.5. Changement de vocation de Superphénix
Un événement d'importance a eu lieu au début de l'année 1994, celui de la décision de changer les orientations de Superphénix, et cela en plein déroulement de la procédure d'autorisation de création commencée en octobre 1992 pour se terminer le 11 juillet 1994.
En effet, le 22 février 1994, le gouvernement français décide que Superphénix ne sera plus exploité comme une centrale nucléaire chargée de produire de l'électricité, mais deviendra un réacteur consacré à la recherche et à la démonstration dans le cadre d'un programme de recherche soumis à un contrôle de haut niveau.
La recherche sur l'utilisation du plutonium et la réduction des déchets radioactifs à longue durée de vie constituent deux objectifs prioritaires.
3. La période du 11 juillet 1994 à février 1997
Au cours de cette période et conformément au mandat constitutionnel qui lui a été donné, le Conseil d'Etat a entrepris diverses démarches pour s'opposer au redémarrage de Superphénix.
3.1. Le décret du 11 juillet 1994 et le redémarrage de la centrale
Le décret d'autorisation de création signé le 11 juillet 1994 constitue la renaissance juridique de Superphénix. C'est sur cette base que s'est fondée la décision de redémarrage du 3 août 1994 et les décisions ultérieures de montée en puissance. Le redémarrage effectif de la centrale a eu lieu le 4 août 1994.
3.2. Le dossier juridique
Les démarches judiciaires entreprises par le Conseil d'Etat de la République et canton de Genève concernant ce dossier ont été les suivantes:
1. Le canton a recouru successivement contre:
- le décret d'autorisation de création du réacteur Superphénix du 11 juillet 1994, du Premier ministre français, recours pilote de ce dossier;
- la décision de redémarrage de la centrale du 3 août 1994 qui a été prise trois semaines après le décret précité;
- la décision du 7 novembre 1994 autorisant la montée en puissance de la centrale jusqu'à 30%;
- la décision du 22 août 1995 de montée en puissance de Superphénix à 30% et ce en l'état des difficultés qui étaient apparues entre la précédente décision du 7 novembre 1994 et celle du 22 août 1995;
- la décision du 1er février 1996 d'autoriser la montée en puissance à 60%;
- la décision du 15 octobre 1996 d'autoriser la montée en puissance jusqu'à 90%.
Dans chacun de ces recours, le Conseil d'Etat genevois a conclu à l'annulation des décisions.
2. Le décret d'autorisation de création du 11 juillet 1994 a été directement attaqué devant le Conseil d'Etat français, seule autorité compétente en la matière s'agissant d'une décision du gouvernement français.
3. Les décisions du 3 août 1994, du 7 novembre 1994 et du 22 août 1995 ont été attaquées préalablement auprès du Tribunal administratif de Grenoble. Dans ces trois cas, le Tribunal administratif de Grenoble, par ordonnance du 9 février 1995 pour les deux premiers recours, et par ordonnance du 12 janvier 1996 pour le troisième recours, a renoncé à statuer et a tout simplement renvoyé l'affaire au Conseil d'Etat appelé à examiner le décret pilote.
Les décisions du 22 août 1995, du 1er février 1996 et du 15 octobre 1996 ont été, quant à elles, directement attaquées devant le Tribunal administratif de Paris. En effet, par ordonnance du 20 mars 1996, le Conseil d'Etat français a désigné le Tribunal administratif de Paris comme juridiction compétente pour l'examen des recours contre les décisions susmentionnées.
Tous ces recours n'ont fait l'objet d'aucune instruction car ils étaient, en quelque sorte, «bloqués» par l'affaire pilote devant le Conseil d'Etat français. Le Tribunal administratif de Paris ne pouvait rien décider avant qu'une décision ne soit prise sur le décret.
4. Le recours déposé par le canton de Genève, tendant à l'annulation du décret pilote, a connu son dénouement le 28 février 1997. Il a fait l'objet d'échanges d'écritures durant l'année 1996 et, le 21 février 1997, le commissaire du gouvernement, chargé de présenter le point de vue de l'intérêt général, rendait ses conclusions devant la section du contentieux du Conseil d'Etat français entre les parties concernées.
5. Ce sont des conclusions favorables à l'annulation du décret pilote qui ont été présentées. En effet, Mme le commissaire Denis-Linton s'est prononcée pour l'annulation dudit décret.
La demande d'autorisation de démarrage avait été faite afin que Creys-Malville puisse produire de l'électricité. Une enquête publique a été entreprise à cet effet en 1993 auprès de la population qui a pu donner son avis à ce sujet. Le 11 juillet 1994, le décret gouvernemental a autorisé le démarrage de Creys-Malville, non pas pour produire de l'électricité, mais pour devenir un centre d'expérimentation, voire un incinérateur de déchets nucléaires. Le commissaire du gouvernement a considéré que l'enquête publique n'a pas pu se dérouler normalement, puisque la population n'a pas eu la possibilité de se prononcer sur Creys-Malville en tant que centre d'expérimentation, voire d'incinérateur de déchets nucléaires.
Mme le commissaire s'est penchée également sur le passage de la centrale dans les années 2004 de la surgénération à la sous-génération et considère que cette mutation nécessitera un nouveau décret du gouvernement et non de simples décisions ministérielles.
6. Le Conseil d'Etat français qui, il faut le souligner, n'est en rien lié par les conclusions du commissaire, s'est prononcé sur le décret pilote le 28 février 1997.
7. La décision du Conseil d'Etat français annule le décret du 11 juillet 1994 en toutes ses dispositions donnant ainsi entière satisfaction au gouvernement genevois. Le moyen retenu est celui tiré de l'irréductible décalage entre la demande d'autorisation de redémarrage et les objectifs que poursuivait alors NERSA, et le décret du 11 juillet 1994 qui affirme le caractère de prototype du réacteur de Creys-Malville, et lui assigne désormais un objectif de recherche et de démonstration.
8. En ce qui concerne les autres recours déposés contre les décisions de redémarrage et de montée en puissance, le Tribunal administratif de Paris a annulé, le 5 mai 1997, ces décisions. En effet, celles-ci ont perdu tout fondement juridique à partir du moment où le décret du 11 juillet 1994 a été annulé.
3.3. Les autres actions du gouvernement genevois
1. Les instances de coopération transfrontalière
Le Comité régional franco-genevois (CRFG)
Dans le cadre des instances de coopération transfrontalières et notamment aux séances plénières du Comité régional franco-genevois (CRFG), les membres du Conseil d'Etat ont informé la délégation française, coprésidée par le préfet de la région Rhône-Alpes, des démarches juridiques que le gouvernement genevois entreprenait.
La Commission mixte franco-suisse de sûreté des installations nucléaires
Cette Commission a été créée à la fin de l'année 1989. Elle a pour but d'échanger des informations dans les domaines concernant la sûreté des installations nucléaires. Elle est coprésidée, du côté suisse, par le directeur suppléant de l'office fédéral de l'énergie (OFEN) et, du côté français, par le directeur de la Sûreté des installations nucléaires (DSIN).
Lors des séances annuelles de la commission, le représentant genevois membre de cette commission a rappelé la position de Genève en ce qui concerne le redémarrage de Superphénix.
Cette commission a tenu sa séance à Genève les 5 et 6 juin 1997 et au sujet du dossier Superphénix, l'information a porté sur des aspects techniques à savoir sur les travaux et les contrôles réalisés pendant l'arrêt en cours. En ce qui concerne l'avenir de Superphénix, le coprésident français a indiqué que, du point de vue technique, suite à l'annulation du décret par le Conseil d'Etat le 28 février 1997, la modification de la configuration du coeur du réacteur n'a pas été mise en oeuvre. Quant à la décision d'une éventuelle fermeture de la centrale, le co-président français ne disposait pas, en date du 5 juin 1997, d'information officielle confirmant ou infirmant cette éventualité.
2. La Commission locale d'information (CLI)
En 1994, dans le cadre d'un échange de correspondance du président du département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales (DIEAR) avec le Premier ministre français alors en fonction, M. Edouard Balladur, celui-ci a invité le canton de Genève à déléguer un représentant à la commission locale d'information auprès de la centrale française de Creys-Malville.
Depuis le mois de juillet 1994, un représentant genevois, M. Jean-Claude Landry, écotoxicologue cantonal, siège dans la commission susmentionnée. Les CLI ont été mises en place, sur l'initiative du gouvernement français, en 1981, auprès de chaque grand équipement énergétique lorsque leur création répond aux souhaits des élus et des populations concernées.
Dans sa dernière séance qui s'est tenue le 5 juin 1997, la commission locale d'information de Creys-Malville a fait le point sur l'actualité du site et a donné des précisions sur une campagne d'information des populations sur les risques majeurs dans le département de l'Isère. Cette campagne devrait se dérouler durant le second semestre 1997.
3. «Superphénix un risque comme un autre?»
C'était le titre de la conférence organisée le 31 mai 1995 à Zurich en réponse à un postulat de la commission CEAT. A cette occasion, une intervention écrite de M. Claude Haegi, conseiller d'Etat, a été portée à la connaissance des participants. Il y rappelle notamment les contacts qu'il a eus, avec des membres du gouvernement français en 1993 et 1994, au sujet de ce dossier.
4. Correspondance avec les autorités fédérales
Au nom du gouvernement genevois, le président du DIER a eu, tout au long de ces années, des échanges de correspondance avec les autorités fédérales, et le dernier en date concerne le rapport de la commission scientifique chargée d'évaluer les capacité de Superphénix comme outil de recherche.
Une des recommandations de ce rapport, publié le 20 juin 1996, demande «que soit créé un Conseil scientifique chargé d'examiner l'activité scientifique menée à Superphénix. Il devrait comprendre une moitié au moins des membres extérieurs aux partenaires du PAC (Programme d'Acquisition des Connaissances). Il donnerait un avis sur les programmes projetés et sur les expériences réalisées.»
Dans un courrier adressé à Berne, à l'office fédéral de l'énergie (OFEN), le 2 septembre 1996, le canton de Genève demande au vice-président de la Commission franco-suisse de sûreté des installations nucléaires de bien vouloir entreprendre des démarches auprès de ses homologues français, afin que des personnalités scientifiques suisses ou européennes puissent faire partie de ce Conseil. Les Français n'ont pas encore fait connaître leur prise de position au sujet de cette requête malgré une relance adressée par l'Etat de Genève à l'OFEN le 7 février 1997.
5. Une conférence européenne sur le thème «Les installations nucléaires, la sécurité et la démocratie locale et régionale»
En 1993, dans le cadre du Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux (CPLRE) du Conseil de l'Europe à Strasboug qu'il préside actuellement, M. Claude Haegi a fait adopter à l'unanimité une résolution préconisant «une étude sur les responsabilités des collectivités locales et régionales lorsque les installations nucléaires ou de dépôt de matières premières radioactives sont en service ou doivent être construites et mises en service sur leur territoire ainsi qu'une étude sur une meilleure consultation des populations concernées».
L'organisation d'une conférence européenne qui s'est déroulée du 24 au 26 juin 1997 à Göteborg, en Suède, sur le thème de «la sécurité nucléaire et de la démocratie locale et régionale» s'inscrit dans les préoccupations de cette résolution. Le communiqué de presse publié à l'issue de cette conférence et ci-annexé (Annexe 2) souligne que la sécurité reste l'objectif prioritaire dans ce domaine.
6. Les appuis à l'opposition du Gouvernement genevois à Superphénix
L'action entreprise par le Gouvernement genevois depuis l'automne 1994 a été soutenue par le canton de Vaud.
A Genève, la Ville et des communes se sont également manifestées et ont soit soutenu l'action du gouvernement genevois (Vernier, Veyrier et Versoix), soit se sont engagées financièrement et conjointement avec d'autres villes et associations dans les procédures de recours engagées contre Superphénix (Lancy, Chêne-Bougeries, Confignon, Cartigny, Russin, Puplinge, Chêne-Bourg, Meyrin, Thônex, Avully).
4. Conclusion
La fermeture et le démantèlement d'une centrale nucléaire, qu'il s'agisse d'un surgénérateur comme Superphénix ou d'un réacteur classique d'EDF à eau sous pression, contient du combustible radioactif et des structures irradiées. Aussi l'arrêt et le démantèlement seront-ils très longs.
Un plan de mesures devra être mis sur pied pour que la décision officielle du 19 juin 1997, annoncée par le Premier ministre français de fermer Superphénix, soit effective.
Le gouvernement genevois ne relâchera pas ses efforts pour que la sûreté de l'installation demeure la priorité absolue du gouvernement français.
5. Annexes
ANNEXE 1
Note d'information
du département de l'intérieur, de l'environnementet des affaires régionales
au Grand Conseil
relative au dossier du réacteur Superphénix à Creys-Malville
20 octobre 1994
Introduction
Le dossier relatif au réacteur Superphénix de la centrale de Creys-Malville est constitué d'un nombre importants d'éléments: les éléments historiques, techniques, ceux relatifs à la sûreté et à la recherche, comme ceux constituant la demande d'autorisation du 27 octobre 1992 déposée par NERSA.
L'information donnée ici s'articule autour:
- d'un volet technique comprenant un rappel historique, les nouvelles orientations données à Superphénix, le programme d'acquisition des connaissances;
- d'un volet sûreté comprenant la demande d'expertise extérieure formulée par le Conseil d'Etat genevois, la description des faits s'étant produits lors de l'arrêt de la centrale, le contenu du rapport d'évaluation d'EDF et les demandes du Gouvernement genevois aux instances concernées;
- d'un volet traitant des procédures, notamment des recours déposés par le Conseil d'Etat genevois auprès du Conseil d'Etat français et auprès du Tribunal administratif de Grenoble;
- d'un volet sur le redémarrage;
- d'un volet sur l'organisation en cas de catastrophe.
La demande d'autorisation de 1992 se fonde sur un bilan considéré par l'exploitant comme étant globalement positif. Du point de vue technique, l'expérience d'exploitation a confirmé que la plupart des choix étaient justifiés. En ce qui concerne la radioprotection, les doses reçues par les travailleurs étaient plus faibles que celles reçues par les travailleurs des centrales classiques. Quant à l'environnement, il n'a pas été remarqué d'impacts supérieurs aux normes admissibles.
L'impact économique régional est considéré comme «notable» et correspond à 2 600 emplois directement ou indirectement induits par la présence de la centrale.
Malgré ce constat rassurant, le Conseil d'Etat, et à travers lui le peuple genevois, admet difficilement le risque présenté par Creys-Malville et agit conformément à l'article 160C de la constitution genevoise pour s'opposer à cette installation.
Le dernier chapitre de la présente note s'inscrit dans le cadre du dépôt au Grand Conseil de deux motions: la motion 938, du 29 août 1994, concernant le redémarrage de la centrale de Creys-Malville et la motion 940, du 30 août 1994, concernant Superphénix à Creys-Malville.
Ce document montrera pourquoi et comment le Gouvernement genevois agit.
Pour cela, un certain nombre de rappels sont nécessaires.
A. Le volet technique
I. Rappel historique
1. 1976: Construction du réacteur Superphénix
C'est à partir de 1976 que la construction de Superphénix à Creys-Malville a été entreprise.
Ce réacteur est un prototype industriel de la filière des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium. Sa puissance thermique brute est de 3 000 MWth et sa puissance électrique de 1 200 MWe, assurée par deux groupes turbo-alternateurs de 600 MWe chacun.
1.1. Les réacteurs de la filière à neutrons rapides
Pour expliquer en quelques lignes le fonctionnement des réacteurs à neutrons rapides (RNR), une comparaison avec les réacteurs à eau sous pression (REP) s'impose. Ces derniers équipent les centrales nucléaires «classiques» comme par exemple, en France, celles du Bugey ou de Fessenheim. A la base, on rappellera que l'énergie nucléaire est l'énergie produite par la fission, c'est-à-dire la rupture en des noyaux de plus petite taille, du noyau d'un élément dit fissile. Des neutrons sont émis lors d'un tel processus, la chaleur dégagée par le phénomène correspond à une perte de matière selon la célèbre formule E = mc2 qui formalise ce principe.
Dans les REP, pour augmenter les chances des neutrons de provoquer la fission des noyaux d'uranium 235 fissiles, on utilise un modérateur, l'eau, qui fait tomber d'un facteur important leur vitesse initiale. Dans les réacteurs dits «à neutrons rapides», au contraire, afin de favoriser la transformation de l'uranium 328 en plutonium, on ne ralentit pas les neutrons. De ce fait, pour que la réaction en chaîne soit entretenue, il faut une plus forte densité de matière fissile dans le coeur. La puissance thermique par unité de volume du coeur étant plus importante, il convient de mettre en oeuvre un fluide caloporteur qui, tout en ayant la propriété de ne pas ralentir les neutrons, présente une très bonne conductivité thermique; le sodium possède, entre autres, ces deux qualités essentielles.
2. De décembre 1986 à juillet 1990
Exploité par la société NERSA (Centrale nucléaire européenne à neutrons rapides SA), dans laquelle EDF est associée à divers partenaires de la Communauté européenne, le Centre nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Creys-Malville a démarré, à 10% de sa puissance, le 7 septembre 1985 pour atteindre sa puissance maximale le 9 décembre 1986.
Le fonctionnement du réacteur Superphénix a, depuis décembre 1986, été marqué par les incidents de fuite du barillet de transfert de combustible en avril 1987 et de pollution du sodium primaire, en juin 1990, conduisant à l'arrêt du réacteur le 3 juillet 1990.
L'exploitation de la centrale de Creys-Malville - qui a débuté en 1986 - se caractérise par un fonctionnement couplé au réseau électrique pendant environ 7 400 heures, représentant l'équivalent de 174 jours à pleine puissance et à la production brute de 4,54 milliards de kWh.
II. Nouvelles orientations données à Superphénix
Par décision du 22 février 1994, le gouvernement français a décidé de faire de Superphénix un réacteur consacré à la recherche et à la démonstration.
Voici, pour mémoire, un extrait du communiqué de presse du Premier ministre relatif à cette décision:
«Le Gouvernement décide que Superphénix ne sera plus exploité comme une centrale nucléaire mais deviendra un réacteur consacré à la recherche et à la démonstration.
Ce réacteur s'insérera dans l'effort de maîtrise de la filière nucléaire. La recherche sur l'utilisation du plutonium ainsi que dans le cadre de la loi du 30 décembre 1991 relative à la gestion des déchets radioactifs, la réduction des déchets radioactifs à longue durée de vie issus de retraitement des combustibles des réacteurs nucléaires, constituent les deux objectifs prioritaires. Superphénix apportera, de plus, une contribution essentielle à la définition de réacteurs du futur destinés à brûler une plus grande partie de l'uranium naturel qui n'est aujourd'hui utilisé qu'à proportion de l'ordre de 1%.
Le réacteur évoluera le plus rapidement possible vers la sous-génération afin de limiter les quantités de plutonium produites.»
En application de cette décision du Premier ministre du 22 février 1994, l'article 3 du décret d'autorisation de création du 11 juillet 1994 prescrit que:
«Compte tenu du caractère prototype de l'installation, celle-ci sera exploitée dans des conditions privilégiant explicitement la sûreté et l'acquisition des connaissances, dans un objectif de recherche et de démonstration. En conséquence, la production électrique du réacteur ne pourra être soumise aux exigences d'approvisionnement du réseau électrique.»
Avant d'entrer plus en détail sur les points relatifs au programme d'acquisition des connaissances et à la sûreté, une précision s'impose sur la signification de la phrase:
«En conséquence, la production électrique du réacteur ne pourra être soumise aux exigences d'approvisionnement du réseau électrique».
La mission de Creys-Malville ne sera plus de produire en priorité de l'électricité. Cependant Creys-Malville continue et continuera à produire de l'électricité. En effet, si le réacteur fonctionne pour acquérir des connaissances et consommer du plutonium, par principe, il continuera de produire de l'électricité. Mais cette production découlera dorénavant des exigences du programme de recherche. En d'autres termes, cela signifie qu'EDF ne pourra pas demander à NERSA de fournir une énergie donnée sur son réseau électrique.
III. Le Programme d'acquisition des connaissances
Concernant l'acquisition des connaissances, le programme défini par le CEA (Commissariat à l'énergie atomique), EDF et NERSA a été approuvé le 13 juillet 1994 par M. François Fillon, ministre de la Recherche, après évaluation de deux personnalités scientifiques, MM. Dautray et Detraz. Ceux-ci avaient remis en date du 31 mai 1994 leur rapport d'évaluation au ministre de la Recherche.
L'information dont nous disposons à ce sujet ressort de documents, établis sous forme de tableaux synoptiques, remis à M. Jean-Claude Landry, écotoxicologue cantonal, lors de la réunion de la Commission locale d'information de Creys-Malville dont on reparlera plus loin.
1. Contenu
Ce programme comporte trois objectifs complémentaires:
1. exploiter un prototype pour acquérir une expérience industrielle;
2. qualifier les solutions techniques pour consommer le plutonium;
3. étudier la possibilité d'incinérer les actinides mineurs qui sont des déchets radioactifs de longue vie formés par irradiation du plutonium 239 et 241.
Voyons un peu plus en détail à quoi correspondent ces trois objectifs:
1. Prototype industriel
Le but est d'acquérir une expérience industrielle et de suivre les performances en fonctionnement:
- de divers types de combustibles;
- des systèmes et composants: circuits sodium primaires et secondaires, générateur de vapeur, chaîne de manutention;
- de l'inspection en service;
et d'analyser de façon approfondie les anomalies.
2. Consommation de plutonium (sous-génération)
La démonstration est attendue à deux niveaux:
- conversion progressive du coeur du mode surgénérateur en mode sous-générateur;
- qualification sur des assemblages entiers de solutions techniques développées dans le projet CAPRA (voir ci-dessous).
3. Transmutation des actinides mineurs
Un triple but est poursuivi ici:
- confirmer la capacité des RNR (réacteurs à neutrons rapides) à l'incinération;
- préciser les performances de cette solution;
- montrer la compatibilité de deux démarches: la consommation de plutonium et celle de l'incinération des actinides.
L'activité de Creys-Malville s'inscrira désormais dans ce «programme d'acquisition de connaissances». La conception de ce programme vise donc à définir l'évolution de trois coeurs successifs et à anticiper les caractéristiques du combustible qui sera utilisé dans le coeur sous-générateur.
Pour la première fois au monde, un réacteur à neutrons rapides de taille industrielle fonctionnera en sous-génération.
Ainsi, les grandes lignes de ce programme consistent à acquérir des connaissances technologiques pour les appliquer à la future génération de réacteurs à neutrons rapides et à participer à la conception d'un sous-générateur plus performant.
Il sera introduit dans le coeur de Creys-Malville des éléments de combustible précurseurs conçus dans le cadre du projet CAPRA (Consommation Accrue de Plutonium dans les Rapides), projet du CEA qui doit définir les réacteurs à neutrons rapides à grande capacité de sous-génération (consommation de plutonium).
2. La sûreté
Selon l'article 3 du décret, le prototype Creys-Malville sera exploité dans des conditions privilégiant la sûreté. Sur la teneur de ces conditions, le gouvernement genevois, par l'intermédiaire de son président chargé du dossier, a demandé à M. Edouard Balladur, Premier ministre français, par lettre du 21 septembre 1994, que des informations complémentaires lui soient données.
3. Le calendrier du programme d'acquisition des connaissances
Ce calendrier prévoit:
- pour fin 1995, le chargement expérimental d'assemblages spéciaux pour tester la consommation de plutonium (projet CAPRA) et le chargement d'un assemblage comprenant un à deux kilos de neptunium qui fait partie des actinides;
- fin 1996, début 1997, la mise en place du coeur n° 2 et le chargement des assemblages expérimentaux;
- de 1997 à 1999, de nouveaux assemblages seront introduits pour tester la consommation de plutonium;
- fin 2000, il sera procédé à la mise en place du coeur n° 3 en vue de faire fonctionner le réacteur en sous-génération de plutonium.
Il faudra donc attendre l'an 2000 pour passer à la sous-génération. En effet, le premier coeur toujours en place ne permet qu'un fonctionnement en surgénération. Le 2e coeur, qui sera mis en place fin 1996-début 1997, produira autant de plutonium qu'il en consommera; on sera alors dans une phase de régénération. Le passage à la sous-génération interviendra lors du chargement du 3e coeur, en l'an 2000.
4. Suivi de la mise en oeuvre du programme d'acquisition des connaissances
Dans une lettre du 7 juillet 1994 adressée au président du gouvernement genevois en réponse à sa lettre du 2 mai 1994, le Premier ministre français, M. Edouard Balladur, précise qu'une commission scientifique suivra la mise en oeuvre du programme d'acquisition des connaissances et remettra chaque année un rapport à la Commission nationale d'évaluation instituée par la loi du 30 décembre 1991 relative à la gestion des déchets radioactifs. M. Balladur souligne qu'il est favorable à ce que ce rapport annuel soit communiqué aux autorités du gouvernement genevois «[...] de façon à recueillir vos éventuels commentaires [...]». Dont acte.
B. Le volet sûreté
I. L'expertise extérieure
Lors de sa séance du mois d'avril 1994, le Grand Conseil a pris connaissance du contenu de la lettre adressée par le président du Conseil d'Etat genevois à M. Edouard Balladur.
Cette lettre avait été rédigée sur le conseil de M. Michel Barnier, ministre de l'Environnement, rencontré pour parler de ce dossier une première fois à Chamonix en présence de Mme Ruth Dreifuss, conseillère fédérale, au mois de novembre 1993 puis, une seconde fois, à Paris, le 22 mars dernier. Dans ce courrier, il est demandé qu'une expertise extérieure soit mise sur pied afin de s'assurer que toutes les mesures de sécurité seraient remplies pour le redémarrage.
M. Balladur a opposé, par lettre du 7 juillet 1994, une fin de non-recevoir car dit-il «[...] cela signifierait une remise en cause du savoir-faire de l'autorité de sûreté nucléaire».
La réponse de M. Balladur concernant l'expertise extérieure a extrêmement déçu le gouvernement genevois. En effet, l'expertise extérieure de la sûreté du site est un des seuls moyens d'obtenir des garanties concernant la fiabilité de la centrale.
Par l'intermédiaire de son président, le gouvernement genevois, a, par lettre du 21 septembre 1994, attiré une nouvelle fois l'attention de M. Balladur sur ce point: «[...] nous avons vivement regretté la fin de non-recevoir que vous avez opposée à notre requête qui tendait à ordonner une expertise extérieure. L'objectif de celle-ci était d'obtenir l'avis d'une instance neutre dans l'évaluation de la sûreté de l'installation. Nous nous permettons d'insister sur cet aspect essentiel de la sûreté. En effet, il nous semble que, compte tenu des risques exceptionnels inhérents à toute installation prototype, risques auxquels sont exposées les populations de plusieurs pays, une expertise de ce type serait de nature à lever certaines ambiguïtés.»
II. L'arrêt de la centrale
Pendant la période du 3 juillet 1990 à celle du 3 août 1994, Superphénix n'a pas fonctionné.
1. La centrale de Creys-Malville a-t-elle été à l'arrêt pendant quatre ans ?
De 1990 à 1994, Creys-Malville a tourné. En effet, on n'aurait pas pu l'arrêter totalement car le sodium doit être maintenu à l'état liquide.
Nous savons que le combustible est resté dans le réacteur, les barres de contrôle étant baissées. Il s'ensuit que les neutrons émis par le combustible ne pouvait pas produire de réaction nucléaire en chaîne car ils étaient absorbés par les barres de contrôle. C'est donc dans cette configuration que la sûreté la plus élevée était obtenue.
Il est important de noter que c'est la première fois qu'ont pu être observés le comportement et le vieillissement d'un stock de 5 tonnes de plutonium. Cette expérience a prouvé que le plutonium ne vieillissait pas aussi rapidement que les calculs théoriques l'avaient montré. Il s'agit donc d'une économie de fait de ce combustible.
L'opération aurait conduit à des risques infiniment plus importants si le coeur du réacteur avait été vidé de son contenu. Il aurait fallu, en effet, laisser refroidir le combustible, puis le sortir élément par élément et le transporter dans des systèmes adéquats en des lieux à définir. Cette opération de transport et de stockage en un autre lieu que le coeur du réacteur aurait conduit inéluctablement à la prise d'un risque bien supérieur à celui qui a été endossé lors de l'arrêt de la centrale entre 1990 et 1994.
Pendant cette période d'arrêt, la centrale ne produisait, bien entendu, plus d'électricité.
Le bilan des heures de travail s'établit, quant à lui, ainsi: 1,8 million d'heures de travail dont 1 million consacrées au problème des feux de sodium et 800 000 aux autres travaux.
Lorsqu'on demande l'arrêt de Superphénix, il s'agit en fait plus que cela; ce que l'on demande réellement c'est son démantèlement.
2. Le démantèlement
Le démantèlement comporte trois phases:
- Enlèvement du combustible. L'enceinte du réacteur est fermée. On vidange le sodium des circuits primaires et secondaires (niveau I).
- Confinement plus poussé par isolement des principaux constituants.
- Démontage des composants en conservant les seules installations nécessaires au démontage complet ultérieur (niveau II).
- Démontage complet des installations. Le site est complètement libéré. Tous les éléments sont évacués vers un lieu de stockage adapté (niveau III).
3. Les assurances reçues en matière de sécurité
L'Etat de Genève n'a cessé de s'opposer au redémarrage de Superphénix compte tenu des dangers qu'une telle installation fait courir à la population qu'elle soit française, suisse, voire européenne.
Lors de l'entretien que le président du gouvernement genevois avait eu, le 22 mars 1994, avec M. Michel Barnier, ministre de l'Environnement, celui-ci lui avait assuré qu'aucune concession ne serait faite en matière de sécurité et que les plus grandes exigences devaient être exécutées.
Ces assurances ont récemment été mises à mal par la prise de connaissance du rapport d'évaluation d'EDF (Evaluation de la préparation du démarrage/CNPE (Centre nucléaire de production d'électricité) de Creys-Malville/avril 1994) ainsi que de la réponse de NERSA, datée du 10 juin 1994.
III. Le rapport d'évaluation d'EDF
1. Le rapport d'évaluation d'EDF
Le CNPE de Creys-Malville, afin de s'assurer de sa capacité à démarrer et à exploiter l'installation à l'arrêt depuis quatre ans, a engagé un programme de vérifications internes.
Il a également demandé à l'Inspection nucléaire (IN) d'EDF de réaliser une évaluation avant le démarrage. Celle-ci s'est déroulée du 11 au 15 avril 1994. L'inspection nucléaire d'EDF a rendu son rapport d'évaluation le 26 mai dernier. Ce dernier a été porté sur la place publique bien qu'il soit en réalité un document interne.
Venons-en maintenant à son contenu.
Après avoir passé en revue les atouts du site, l'Inspection nucléaire d'EDF estime que des corrections sont nécessaires sur 6 points. Les voici succinctement résumés:
1. Les contrôles avant remise en exploitation de chaque système ne sont pas suffisants.
2. La connaissance de l'état réel de l'installation par la conduite est difficile.
3. La prévention du risque incendie classique n'est pas assez efficace.
4. La pression du temps réel est généralement très forte, y compris en salle de commande.
5. Les prestataires non EDF ne font pas l'objet d'une surveillance suffisante de leurs aptitudes et de la qualité des travaux.
6. L'exhaustivité des contrôles du chef d'exploitation et la complémentarité apportée par les vérification de l'ingénieur de sûreté ne sont pas établies.
En conséquence, l'Inspection nucléaire formule 4 recommandations et 14 suggestions afin de réunir les conditions d'une exploitation sûre.
Certes, ces 18 injonctions ne sont pas toutes du même degré d'importance. Mais, dans une centrale nucléaire dans laquelle on exploite un surgénérateur, aucun point ne peut être considéré comme mineur.
2. La réponse de NERSA
Par courrier du 10 juin 1994, NERSA écrit à l'Inspection nucléaire d'EDF concernant cette évaluation de la préparation du démarrage. Cette lettre n'a fait que renforcer les inquiétudes suscitées par la lecture du rapport puisque NERSA indique qu'elle traitera trois des problèmes avant le redémarrage et le reste après .
Selon les récentes déclarations de M. André-Charles Lacoste, directeur de la Direction de sûreté des installations nucléaires (DSIN), le gouvernement français n'a pas eu connaissance de ce rapport d'évaluation d'EDF, en ajoutant qu'il ne s'agissait que d'un document parmi d'autres dans ce dossier.
Face aux assurances en matière de sécurité que le président du gouvernement genevois avait reçues en son temps, des interventions, que ce soit du côté suisse ou du côté français, s'imposaient.
3. .
Le contenu du rapport d'évaluation d'EDF a suscité de vives inquiétudes. Le président du Conseil d'Etat genevois a interpellé, à ce sujet, diverses personnalités politiques concernées par ce dossier.
3.1. Lettre adressée à M. Adolf Ogi, conseiller fédéral
Dans la lettre qu'il a adressée à M. Adolf Ogi, conseiller fédéral, le 10 août 1994, le président du Conseil d'Etat déclare:
«Je suis stupéfait de découvrir que, dans le rapport susmentionné (le rapport EDF), les experts d'EDF ont émis 4 remarques et 14 suggestions touchant 18 carences liées à la sécurité et de constater que la NERSA n'en retient que 3 avant la remise en activité de la centrale... J'espère que, compte tenu de ces faits nouveaux, le Conseil fédéral sortira de la réserve qu'il a observée jusqu'à présent afin de tout entreprendre pour assurer comme on le doit la sécurité de la population de notre région.»
Dans son courrier du 30 août 1994, M. Ogi répond sur l'attitude de réserve du Conseil fédéral, en contestant cette allégation et en énumérant de manière exhaustive tous les contacts que lui et ses prédécesseurs ont eus avec leurs homologues français au sujet du dossier Superphénix.
Il précise que: «Suivant l'expérience que nous avons eue et que nous continuons toujours à avoir, je ne vois aucune raison de mettre en doute les conclusions des autorités françaises de sûreté des installations nucléaires concernant la sûreté de Superphénix à Creys-Malville, ni d'ailleurs les décisions du gouvernement français sur ce dossier.»
Il poursuit: «Quant au rapport EDF, vous avez demandé au directeur suppléant de l'Office fédéral de l'énergie et coprésident de la Commission franco-suisse de sûreté des installations nucléaires, que cette dernière soit formellement saisie de ce dossier. Ceci a été fait et vous obtiendrez prochainement par ce canal les assurances que vous demandez.»
La réponse de M. Ogi s'inscrit, dans sa teneur, dans la même ligne que la réponse du Conseil fédéral du 3 octobre 1994 faite au Conseil national, suite au dépôt d'une question ordinaire urgente sur la remise en service du surgénérateur de Creys-Malville. En effet, à cette occasion, le Conseil fédéral a fait savoir qu'il estime que le réacteur Superphénix ne pose pas à la population suisse un risque supérieur à ceux qu'elle accepte communément, et que, par conséquent, il n'interviendra pas auprès du gouvernement français, ni ne s'associera aux démarches judiciaires entreprises.
3.2. Lettre adressée au président suisse de la Commission franco-suisse de sûreté des installations nucléaires
Le canton de Genève étant membre de la Commission franco-suisse de sûreté des installations nucléaires, le président du gouvernement genevois a écrit - comme cela est indiqué dans la lettre du 30 août 1994 de M. Ogi (voir ci-dessus) - en date du 9 août 1994, au président suisse de ladite commission qui est également le directeur suppléant de l'office fédéral de l'énergie, en lui demandant de saisir la commission de ce dossier.
Dans sa réponse du 11 août 1994, le président suisse de la commission annonce qu'il transmet le dossier au coprésident français de la commission qui se chargera de répondre directement à la requête genevoise visant à obtenir des assurances quant aux mesures prises conformément aux recommandations contenues dans le rapport EDF.
3.3. Lettre adressée à M. Paul Bernard, préfet de la région Rhône-Alpes
Dans cette missive, datée du 11 août 1994, le président du gouvernement genevois demande également un complément d'information sur le rapport d'évaluation d'EDF et la non-exécution par NERSA, avant le redémarrage, des mesures proposées. Par ailleurs, il ajoute: «Nous nous permettons de vous demander si les conditions ne sont pas réunies pour que votre gouvernement réexamine ce dossier et que, dans l'immédiat, il accepte de suspendre son autorisation de redémarrage.»
Dans sa réponse du 22 septembre 1994, le préfet de la région Rhône-Alpes signale à son tour que la Commission mixte franco-suisse de sûreté des installations nucléaires a été saisie de ce problème. Par ailleurs, il indique que, de manière générale, les experts ont jugé que ce rapport d'évaluation ne remettait pas en cause la décision de redémarrage de la centrale.
3.4. La réponse de la Commission mixte franco-suisse de sûreté des installations nucléaires
. .
- Le rapport EDF est le résultat d'un audit interne, procédure habituelle chez EDF comme chez bon nombre d'entreprises industrielles. L'exploitant en tant que premier responsable de la sûreté des installations se doit d'en contrôler par lui-même la sûreté.
- Ce rapport technique n'est pas plus «secret» que tout rapport interne à n'importe quelle entreprise.
- La DSIN a pris connaissance du rapport avant le redémarrage de Superphénix.
- Sur la base du rapport, l'exploitant a pris certaines mesures touchant la sûreté de l'installation. La DSIN en a contrôlé la mise en oeuvre avant d'autoriser le démarrage.
- Le contenu du rapport ne modifie aucunement l'opinion des experts, membres de la Commission mixte franco-suisse de sûreté des installations nucléaires, sur la sûreté de Superphénix.
Le gouvernement genevois est surpris de la tiédeur des propos de la Commission mixte franco-suisse car, dans ses conclusions, celle-ci n'évoque que des problèmes de procédure. Le seul point faisant allusion à la sûreté n'apporte aucune réponse satisfaisante quant aux garanties attendues sur la sûreté de l'installation.
C. Les procédures
I. La procédure d'autorisation de création du 27 octobre 1992, le décret du 11 juillet 1994 et l'autorisation de redémarrage du 3 août 1994
Depuis l'intervention du président du Conseil d'Etat devant le Grand Conseil au mois d'avril dernier, les événements se sont précipités. La procédure d'autorisation de création permettant la renaissance juridique de Creys-Malville a été déclenchée par le dépôt par l'exploitant NERSA, le 27 octobre 1992, d'une demande d'autorisation de création. Celle-ci a abouti à la publication au Journal officiel de la République française, du décret du 11 juillet 1994 autorisant la création du réacteur Superphénix.
Comme le gouvernement genevois l'avait pressenti à ce moment-là, le feu vert pour le redémarrage allait être donné rapidement. C'est effectivement ce qui s'est produit puisque, le 3 août 1994, M. Gérard Longuet, ministre de l'Industrie, et M. Michel Barnier, ministre de l'Environnement, ont autorisé le redémarrage du réacteur à neutrons rapides Superphénix, à Creys-Malville.
II. Les recours
Par l'intermédiaire de l'avocat qu'il a mandaté à Paris, le Conseil d'Etat genevois vient de déposer deux recours:
1. Recours contre le décret d'autorisation de création du 11 juillet 1994
Rédigé sous forme de requête sommaire, un recours a été déposé, le 12 septembre 1994, auprès du Conseil d'Etat français (le Conseil d'Etat français est la seule autorité compétente s'agissant d'une décision du gouvernement français) et vise à annuler purement et simplement le décret d'autorisation de création.
Cette requête sommaire, qui soulève différents griefs à l'encontre de ce décret notamment des vices de forme dans la procédure d'autorisation de création qui aboutit à la signature dudit décret, sera complétée par un mémoire ampliatif. Dans la requête sommaire, les arguments avancés pour obtenir l'annulation du décret sont seulement esquissés et seule la voie de l'approfondissement permet d'insister sur tel ou tel moyen et éventuellement de renoncer à tel ou tel autre. Le dépôt de la requête sommaire ouvre un délai de quatre mois pour établir ce mémoire ampliatif.
2. Recours contre la décision de redémarrage effective de Superphénix du 3 août 1994
Egalement rédigé sous forme de requête sommaire, ce recours a été envoyé le 13 septembre 1994 au Tribunal administratif de Grenoble et vise à obtenir l'annulation de la décision du 3 août 1994 autorisant le redémarrage effectif de la centrale de Creys-Malville.
L'argument principal de cette requête est fondé sur le décret d'autorisation de création du 11 juillet 1994. Celui-ci devant être annulé, par voie de conséquence, la décision de redémarrage, prise en application dudit décret, sera également annulée. Un délai de quatre mois est aussi ouvert pour produire des écritures complémentaires.
Par ordonnance du 26 septembre 1994, le Tribunal administratif de Grenoble a ordonné le renvoi de la requête présenté par le gouvernement cantonal genevois au Conseil d'Etat français. Il a ainsi donné suite à la demande de renvoi, pour raison de connexité entre les deux recours, formulée par le canton de Genève dans le cadre de cette requête. Le Conseil d'Etat français statuera donc à la fois sur le recours contre le décret et sur celui contre la décision de redémarrage.
Dans ces deux procédures, le gouvernement genevois a renoncé pour le moment à déposer des conclusions tendant au sursis à exécution.
En effet et d'expérience, on sait que, dans des contentieux difficiles et aux conséquences politiques et économiques considérables comme celui-ci, il y a un danger de voir le Conseil d'Etat français écarter par ordonnance la requête de sursis par une décision non motivée, ce qui, ensuite, laisse très largement illusoire le recours car les cas où ledit Conseil a finalement annulé une décision après avoir, par ordonnance, rejeté les requêtes tendant à son sursis, sont extrêmement rares.
De plus, il semble que jamais le Conseil d'Etat français n'a prononcé un sursis s'agissant d'une décision ayant autorisé la création d'une centrale. En conclusion, pour le moment, le Conseil d'Etat genevois garde ce moyen d'intervention en réserve, en fonction de l'évolution de la situation.
III. La Commission locale d'information de Creys-Malville
Dans sa réponse au Conseil d'Etat genevois, du 7 juillet 1994, M. Edouard Balladur, Premier ministre français, annonce qu'un expert représentant l'Etat de Genève pourra être associé aux travaux de la Commission locale d'information de Creys-Malville.
Voici une brève information au sujet de cette commission:
- Création de la commission
En 1981, le Gouvernement français a décidé de faciliter la mise en place auprès de chaque grand équipement énergétique d'une commission d'information lorsque sa création répond aux souhaits des élus et des populations concernées.
La mise en place de cette commission n'est donc pas imposée, l'initiative en revient au Conseil général du département d'implantation, à savoir, dans notre cas, le département de l'Isère.
- Nomination et composition
Le président et les membres de la commission sont désignés par le président du Conseil général, soit pour l'Isère: M. Alain Carignon. La commission est composée d'élus (maires, conseillers généraux, parlementaires). Par ailleurs, la possibilité de participer à cette commission est offerte aux représentants des unions locales des principales organisations syndicales, des milieux industriels et agricoles, et des associations agréées de protection de l'environnement. Dans certains cas des personnalités, notamment des universitaires, sont également nommées pour en faire partie.
- Mission de la commission
La mission de la commission est à la fois une mission d'information et une mission de suivi de l'impact des grands équipements.
Participation de Genève
Dès que le président du gouvernement genevois a eu connaissance de la possibilité pour Genève de désigner un expert pour participer à cette commission, soit le 11 juillet 1994, date de réception de la lettre de M. Balladur, il a immédiatement pris tous les contacts nécessaires pour que l'Etat de Genève soit représenté à la séance suivante de la commission qui était fixée huit jours plus tard, le 19 juillet 1994.
C'est ainsi qu'il a délégué M. Jean-Claude Landry, écotoxicologue cantonal et membre de la direction générale de l'Environnement, en tant qu'expert représentant l'Etat de Genève.
Lors de cette séance de la Commission locale d'information de Creys-Malville, présidée par M. Gérard Dezempte, du Conseil général de l'Isère, les principaux sujets traités ont été ceux ayant trait au décret d'autorisation de création, au programme d'acquisition des connaissances et au programme prévisionnel de démarrage. Une documentation relative à ces sujets a été remise aux participants.
Cette réunion a permis à M. Landry de rencontrer M. André Lacroix, directeur de la centrale, et d'établir un contact avec lui. Des entretiens ont eu lieu ultérieurement par téléphone en fonction des événements concernant ce dossier.
D. Le redémarrage
I. A quel stade en est-on du programme prévisionnel de redémarrage?
Creys-Malville a donc redémarré le 4 août dernier.
1. Les étapes prévisionnelles du redémarrage
Le programme prévisionnel de démarrage se répartit sur vingt et une semaines. Un arrêt est programmé à l'issue de ces vingt et une semaines.
La 2e semaine, des essais physiques à une puissance inférieure à 3% sont réalisés.
La 3e semaine, il est pratiqué un test de la pureté du sodium avec une montée en puissance jusqu'à 15%.
La 7e semaine, il est procédé à un couplage thermohydraulique du réacteur avec les turbines de production d'électricité.
De la 7e à la 9e semaine la montée en puissance jusqu'à 50% se fait en quatre paliers successifs.
Dès la 14e semaine, il est prévu un passage - en trois paliers - au palier d'endurance à puissance limitée (80%).
Lors de la dernière phase, soit les 20e et 21e semaines, le passage à la puissance de 100% se fera en deux paliers.
2. Découverte d'une anomalie
Onze semaines se sont écoulées depuis le redémarrage. Le programme s'est déroulé normalement jusqu'au début de la semaine du 12 septembre 1994. Le 16 septembre 1994, on a appris l'existence d'une anomalie relative à une baisse anormale de pression d'argon qui a été détectée dans l'un des huit échangeurs de chaleur entre le sodium primaire et le sodium secondaire.
Les cloches où se font ces échanges de chaleur ont un volume de 20 m3. Elles sont sous pression d'argon, gaz rare, inerte, qui empêche le sodium de réagir avec l'air, par exemple. La pression de l'argon est de 1,5 bar. La baisse de pression constatée est de l'ordre de quelques millibars par jour.
L'examen de ces micro-fuites d'argon est terminé et une solution a été apportée au problème. Ces faits ont été présentés à l'autorité de sûreté, la DSIN.
Superphénix fonctionne à une puissance de 3%. NERSA attend de la DSIN l'autorisation de monter en puissance jusqu'à 30%. A ce stade, l'énergie produite pourra être injectée dans le réseau EDF.
E. Incident ou accident à Creys-Malville: Quelle est l'organisation prévue en cas de catastrophe?
En cas d'accident ou d'incident à Creys-Malville, il convient d'examiner l'organisation prévue pour faire face à cette situation de crise, tout d'abord sur place, en France, puis en Suisse et à Genève.
I. L'organisation en cas de catastrophe en France
1. L'organisation au niveau local
Il existe deux responsables opérationnels dans la situation de crise:
- l'exploitant de l'installation nucléaire accidentée, responsable de la sécurité à l'intérieur du site qui déclenche un plan d'urgence appelé plan d'urgence interne (PUI). Il alerte les autorités, dont le préfet et l'autorité de sûreté, dès qu'il a connaissance d'un accident intéressant son installation;
- le préfet est chargé de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et l'ordre public à l'extérieur du site. En cas d'accident, il déclenche le plan particulier d'intervention (PPI), plan d'urgence établi pour le site nucléaire concerné. Il dispose de l'ensemble des moyens publics et privés, matériels et humains, et en assure la mise en oeuvre et la coordination. Il veille à l'information des populations et des élus.
2. L'organisation au niveau national
Les ministères concernés prennent toutes dispositions pour permettre au préfet de prendre les décisions qui lui incombent, notamment en lui fournissant, comme le fait également l'exploitant, les informations et avis susceptibles de lui permettre d'apprécier l'état de l'installation, l'importance de l'incident ou de l'accident, et les évolutions possibles.
Parmi les principaux intervenants, il faut citer, au Ministère de l'intérieur, la direction de la sécurité civile. Celle-ci intervient en liaison avec la direction générale de la police nationale lorsque l'ordre public est concerné, pour la mise en oeuvre des mesures de prévention et de secours destinées à assurer la sauvegarde des personnes et des biens.
II. L'organisation en cas de catastrophe en Suisse
Les autorités françaises compétentes ayant connaissance de l'accident doivent alerter sans délai, leurs voisins suisses pour qu'en fonction des informations communiquées, ceux-ci puissent à leur tour prendre les dispositions qui s'imposent.
1. Le niveau fédéral
1.1. Information du CODIS (Paris) à la CENAL (Zurich)
Une convention internationale (l'Accord franco-suisse sur les échanges d'informations en cas d'incident ou d'accident pouvant avoir des conséquences radiologiques, signée le 30 novembre 1989, entrée en vigueur le 18 janvier 1990) et plus précisément l'échange de lettres du 30 novembre 1989 concernant cette convention exige que la CENAL soit informée à temps sur l'accident par les organes français:
«II. A. En cas d'accident à conséquences radiologiques se produisant dans les centrales françaises de Fessenheim, du Bugey et de Creys-Malville (donc avec déclenchement en France d'un plan d'urgence), le CODIS (Centre opérationnel de la direction de la sécurité civile du Ministère de l'intérieur) est chargé d'alerter la Centrale nationale d'alarme (CENAL) à Zurich.»
La CENAL est donc, en principe, informée à temps sur tout événement pouvant avoir des conséquences sur sol suisse pour lui permettre, en cas d'accident à conséquences radiologiques se produisant à Creys-Malville, d'avertir le canton de Genève sis à 70 km à vol d'oiseau du site de la centrale.
2. Le niveau cantonal
2.1. La CENAL informe Genève
Dès qu'elle a connaissance des informations transmises par le CODIS, la CENAL a le devoir d'informer immédiatement le canton de Genève. Il en va de même pour les CODIS des deux départements voisins.
2.2. Genève dispose d'un canal d'information transfrontalier
En effet, Genève dispose d'un canal d'information transfrontalier puisque l'arrangement régional franco-suisse sur l'information réciproque en cas de catastrophe ou d'accident grave signé le 17 février 1994 entre le canton de Genève, la préfecture de l'Ain et celle de la Haute-Savoie prévoit que:
«Vu la nécessité d'établir une procédure rapide d'information réciproque et d'une coordination des moyens engagés en cas de catastrophe;
[...]
Article 1
Il est établi une liaison permanente par téléphone et par fax entre la centrale cantonale d'engagement et d'alarme (CECAL) de la police genevoise et les Centres opérationnels des Services départementaux d'incendie et de secours de l'Ain (CODIS 01) et de la Haute-Savoie (CODIS 74), laquelle devra faire l'objet d'un test mensuel.»
Lors de conditions météorologiques stables, c'est-à-dire par vent faible, Genève pourrait être atteinte par le nuage radioactif dans les douze heures qui suivent un accident à la centrale nucléaire de Creys-Malville. Par vent du sud-ouest, le nuage, plus dispersé certainement, mettra moins de temps.
2.3. A Genève, le plan ISIS est déclenché
A Genève, le plan ISIS (Intervention Secours Information lors de Sinistre) est déclenché. Le règlement cantonal (F 4 4) concernant l'intervention, les secours et l'information lors de sinistre, entré en vigueur le 19 août 1988, explique de manière détaillée la procédure d'intervention.
La Cellule atomique chimique (AC), dont le chef est M. Jean-Claude Landry, analyse la situation et propose les mesures à prendre au poste de coordination des opérations (PCO) voire au poste de coordination d'intervention (PCI).
Ces mesures dépendront, pour l'essentiel, des informations et des décisions prises par la CENAL, seule autorité compétente en la matière sur le plan suisse.
3. Les mesures
Le plan d'intervention prévoit une série de mesures de protection des populations.
3.1. Alerte et alarme de la population
Trois éléments la composent:
- le déclenchement des sirènes de la protection civile;
- la mise à l'abri de la population qui s'enferme chez elle ou au lieu de travail;
- l'information diffusée à la population par RSR1 et les radios locales.
3.2. Mesures préventives
3.2.1. Absorption de comprimés d'iode
L'ingestion de comprimés d'iode est indiquée uniquement en cas d'accident grave survenant dans une centrale nucléaire avec échappement d'iode radioactif et sur ordre des autorités.
En se mettant dans un abri, on protège l'organisme de la radiation directe. En complément à cette mesure, l'ingestion de comprimés d'iode présente une protection de la thyroïde contre l'iode radioactif inhalé.
En ce qui concerne l'approvisionnement de la population en comprimés d'iode, il faut savoir qu'à Genève, un concept cantonal de distribution des comprimés a été élaboré.
Les comprimés d'iode sont remis à l'autorité communale (Genève est actuellement en train de réaliser cette étape assurée par la Protection civile sous la responsabilité du pharmacien cantonal) qui, dans une première phase, organisera le stockage des comprimés dans un local qu'elle désignera.
Ce sont les communes qui s'organiseront pour pouvoir procéder à la remise des comprimés d'iode dans les douze heures suivant l'ordre donné par la Centrale nationale d'alarme.
3.2.2. Préparation à l'occupation des abris
Selon l'évolution de la situation, une préparation à l'occupation des abris peut être envisagée; ces travaux seraient effectués par la Protection civile (les généralistes des communes et plus particulièrement les détachements de spécialistes chargés de l'assistance).
3.3. Exécution des mesures ordonnées par le Conseil fédéral ou la CENAL
Elles concernent en particulier l'alimentation, l'agriculture et la protection des eaux.
Dans ce cadre, il sera vraisemblablement procédé à la distribution d'eau potable et à la mise en place d'un rationnement des denrées alimentaires.
On se trouverait alors dans une situation dite de nécessité qui conduirait à la mise sur pied de l'Etat-major cantonal de crise qui travaillerait en étroite collaboration avec les troupes de l'arrondissement territorial 14.
Dans la mise en oeuvre de ces mesures, il faudra aussi tenir compte de l'accueil des réfugiés, des déplacements de population et de la lutte contre les contaminations.
Conclusions
Fort du mandat constitutionnel qui lui a été attribué, le gouvernement genevois est intervenu, intervient et interviendra chaque fois qu'il le peut, pour faire connaître son opposition à Superphénix et aux installations nucléaires localisées dans la région franco-suisse.
Les craintes exprimées par de nombreuses personnalités scientifiques, politiques et par la population notamment genevoise à l'encontre de Superphénix sont particulièrement compréhensibles, face à une centrale nucléaire prototype qui aggrave considérablement les risques par rapport à des centrales classiques.
Superphénix a subi une mue puisque d'une centrale destinée à produire de l'électricité elle va devenir un réacteur prototype pour la recherche et la démonstration. Il n'est pas prouvé que cette transformation en diminue les dangers.
Cependant le nucléaire est là et il déploie ses effets bien après qu'on a cessé d'exploiter les centrales (jusqu'à 25 000 ans peuvent être mis en jeu pour le plutonium 239). Nous sommes donc condamnés à vivre avec ce problème pour des siècles encore.
Ce constat nous impose de maîtriser les risques et de poursuivre les recherches qui nous permettront d'y parvenir. Pour offrir aux populations la meilleure sécurité il ne suffit pas de prévoir des plans en cas de catastrophe, au demeurant indispensables.
Il faut donc soutenir les travaux des équipes spécialisées qui vont dans le sens d'une gestion plus sûre des centrales nucléaires existantes ou anciennes et de la gestion des déchets.
L'énergie nucléaire est un problème de société. Cette production énergétique a été développée alors qu'elle n'était pas totalement maîtrisée. Plus rien de nouveau ne peut être raisonnablement entrepris dans de telles conditions. De nouvelles dispositions internationales s'imposent. Malheureusement les risques les plus grands ne sont pas à Creys-Malville. Nous devons aussi y penser !
Annexe 2
Conférence européenne sur la sécurité nucléaire
et la démocratie locale et régionale
organisée par le Congrès des pouvois locaux etrégionaux du Conseil de l'Europe et
par le Comité des Régions de l'Union européenne
(Göteborg, Suède, 24-26 juin 1997)
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe (CPLRE) et le Comité des Régions de l'Union européenne ont organisé conjointement une conférence présidée par M. Bengt Mollstedt, élu de Göteborg (Suède), sur le thème «La sécurité nucléaire et la démocratie locale et régionale». Du 24 au 26 juin 1997, elle a réuni à Göteborg des élus et des spécialistes des problèmes liés à l'énergie nucléaire:
Les centrales nucléaires et leur exploitation ainsi que le stockage des déchets suscitent des craintes légitimes dans les populations, plus particulièrement depuis que des catastrophes nucléaires se sont produites. Si les événements de Three Miles Island et de Tchernobyl sont connus, d'autres, comme ceux d'Oural en 1957, ont été tenus secrets pendant très longtemps.
Les populations et les élus locaux et régionaux concernés ont souvent été tenus à l'écart des processus de décision. Afin de combler ce «déficit démocratique», le conseiller d'Etat Claude Haegi, membre du gouvernement genevois en charge notamment de l'environnement et de la sécurité civile, a fait adopter une résolution, en 1993, par le CPLRE dont il est l'actuel président.
Cette résolution visait à favoriser la mise en place de meilleures procédures en matière de contrôle de la sécurité et la correction d'un «déficit démocratique» dans la consultation des collectivités locales et régionales. La conférence de Göteborg en est une concrétisation.
A l'ouverture de la conférence, M. Claude Haegi a eu l'occasion de présenter, à titre d'exemple, l'action engagée par le gouvernement genevois, sur la base d'un mandat constitutionnel, à l'encontre du décret de renaissance juridique de Superphénix à Creys-Malville, action couronnée de succès.
«La sécurité est l'objectif prioritaire» a déclaré le président du Congrès. C'est pourquoi il insiste pour que le contrôle permanent des installations se fasse sur la base de démarches scientifiques et technologiques rigoureuses, mais en plus indépendantes des pouvoirs politiques et économiques.
M. Claude Haegi a dit vouloir demander, dans le cadre du démantèlement envisagé de Superphénix, la création d'une commission ad hoc permettant d'associer les différents acteurs concernés par cette opération. Elle devrait comprendre notamment des représentants des pouvoirs locaux et régionaux parmi lesquels se trouverait le canton de Genève.
Tous les aspects de la sécurité nucléaire liés à la démocratie locale et régionale ont été abordés durant ces trois jours. On peut retenir trois points:
1. Longtemps encore, nous serons confrontés à la production d'énergie électrique d'origine nucléaire alors que des moratoires sont décrétés pour y mettre un terme, ou tout au moins, en limiter le développement. Une des conséquences résultant de cette double contrainte est - et sera - la modernisation des réacteurs en fin de vie pour une production énergétique viable à long terme, dans le cadre d'une sûreté améliorée. Ce temps de répit devra permettre la mise en route de systèmes intégrés de production d'énergie (gaz naturel, énergie solaire, valorisation des déchets ménagers, biogaz des stations d'épuration, pompes à chaleur, chauffage à distance) mis en parallèle avec toutes les économies possibles.
2. Les déchets nucléaires peuvent être gérés dans des conditions sûres en aménageant des dépôts dans des formations géologiques adéquates. Or, l'adhésion des populations concernées manque. La seule solution pour arriver à un consensus solide ne pourra être trouvée que dans le cadre de trois principes: la transparence, la participation et le développement économique diversifié et durable.
3. La sécurité transfrontalière peut être gérée par le biais de commissions bilatérales entre les Etats à condition qu'elles soient doublées de comités locaux ou régionaux dont les missions seraient d'observer que les mesures de sécurité soient suivies, de s'informer sur leur renforcement, de répondre aux interrogations des populations locales, de s'informer sur les plans d'urgence en cas d'accident.
Une déclaration finale ponctue ces travaux et demande notamment la mise en place d'une véritable procédure européenne de contrôle de la sécurité de l'ensemble des installations des pays membres du Conseil de l'Europe qui devrait permettre de garantir une totale neutralité ainsi qu'une indépendance absolue vis-à-vis des producteurs d'énergie.
La large diffusion de cette déclaration permettra dans les mois à venir de poursuivre le débat sur un thème qui touche l'avenir de l'humanité au sein des deux institutions européennes.
Débat
M. Pierre Vanek (AdG). Nous pouvons nous féliciter, sur tous les bancs de ce parlement, de ce que le Conseil d'Etat et les autres collectivités publiques aient pu, grâce à la mobilisation des citoyennes et des citoyens, contribuer au résultat que l'on sait : la décision du nouveau gouvernement français d'arrêter ce réacteur.
Monsieur Haegi, je voudrais juste vous poser une question au sujet du communiqué de presse, annexé au rapport, diffusé à l'issue de la conférence de Göteborg à laquelle vous participiez, je crois.
A la page 38, je lis : «M. Claude Haegi a dit vouloir demander, dans le cadre du démantèlement envisagé de Superphénix, la création d'une commission ad hoc permettant d'associer les différents acteurs concernés par cette opération. Elle devrait comprendre notamment des représentants des pouvoirs locaux...».
Etant nous-mêmes un «pouvoir local», j'aimerais connaître la composition de cette commission et le service après-vente, en quelque sorte, de l'excellente intervention de l'Etat de Genève contre Malville. Le fait qu'il y ait eu, en France, une décision politique de fermer la centrale Superphénix ne signifie pas que tous les problèmes soient réglés pour autant. Ils persistent sur les plans de la technique, de la sécurité et, au niveau de la région, de l'économie en termes d'emplois.
Notre solidarité doit aller au-delà de la fermeture et s'exercer sur le suivi. Je ne voudrais pas que nous considérions la décision politique française comme ayant bouclé définitivement ce dossier. Le renvoi de ce rapport à une commission vous permettrait, peut-être, de nous donner des réponses plus complètes qu'en plénière.
Voilà mes questions, Monsieur Haegi.
M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. Ce dossier n'est pas fermé à Genève. Vous avez raison, Monsieur Vanek, une annonce politique ne règle pas un problème aussi important que celui d'un surgénérateur.
L'existence de celui-ci s'inscrira dans un temps particulièrement long, quoi que nous entreprenions sur place.
Comme le rapport le relate, j'ai pris l'initiative d'écrire à Mme le ministre de l'environnement pour lui demander des informations sur son programme d'arrêt, afin de mieux apprécier la portée réelle de la décision politique annoncée.
J'ai reçu la réponse que Mme le ministre avait attentivement lu mon courrier, noté mon souhait d'être informé de l'évolution de cette affaire et qu'elle ne manquera pas d'y donner suite. Cette lettre est datée du 7 août.
J'ai demandé que le dossier de Creys-Malville soit inscrit à l'ordre du jour du dernier Comité franco-genevois. L'ordre du jour doit être établi d'un commun accord. Le représentant français n'a pas souhaité que ce point figure à l'ordre du jour car, du côté gouvernemental français, on argue d'une période de réflexion devant conduire certaines études, sinon à leur terme, du moins au niveau qui permet de passer de la volonté exprimée à une certaine concrétisation. Bien que ma démarche fût unilatérale, j'ai fait protocoler dans les «divers» que Genève attendait des informations à ce sujet.
D'une manière générale, je ne conçois pas que nous puissions traiter des risques majeurs - pas seulement celui du nucléaire - sans surveillance au niveau international. Ce n'est plus de l'ingérence dans la mesure où ces risques touchent des populations vivant au-delà de nos frontières. C'est la raison pour laquelle, à la conférence de Göteborg - qui faisait suite à une résolution que j'avais fait voter dans le cadre du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe - j'ai eu l'occasion d'évoquer nos préoccupations concernant toute une série d'installations. Superphénix n'est d'ailleurs pas celle qui nous inquiète le plus, par rapport à d'autres dont l'état de délabrement vous est connu.
Monsieur le député, ce dossier n'est pas fermé. Nous continuerons à le suivre avec toute l'attention voulue.
Je ne crois pas qu'un renvoi en commission soit utile aujourd'hui. Il faut attendre d'être informés sur les dispositions pratiques que prendra le gouvernement français.
La présidente. Maintenez-vous votre demande de renvoi en commission, Monsieur Vanek ?
M. Pierre Vanek (AdG). Ce n'est pas une question très importante, Madame la présidente. Il s'agit d'un point de procédure.
Mon idée était de souligner que le dossier restait ouvert avec le renvoi du rapport devant une commission qui pourrait obtenir rapidement des compléments d'information.
Toutefois, la réponse de M. Haegi est satisfaisante. Nous pouvons donc prendre acte de ce rapport et revenir en temps utile sur cet objet.
Le sens de mon intervention était politique. Je vois que nous nous accordons à penser que le dossier, pour Genève, est loin d'être clos et qu'il faut poursuivre notre intervention, afin d'assumer nos positions jusqu'au bout.
Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.