République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 18 septembre 1997 à 17h
53e législature - 4e année - 9e session - 40e séance
M 1145
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- qu'il est nécessaire, devant les difficultés que rencontre un nombre croissant de personnes démunies, qu'une aide sociale adaptée et active soit offerte pour l'ensemble du canton, et cela en coordination avec les communes;
- que, depuis de nombreuses années, les prestations sociales sur le territoire de la Ville de Genève sont dispensées par divers services communaux et cantonaux en parallèle, et de manière le plus souvent non concertée;
- que, compte tenu des problèmes financiers que traversent nos collectivités publiques, il est indispensable d'utiliser les deniers publics de manière optimale;
- qu'en 1996, une modification de l'article 14 de la loi cantonale sur l'assistance publique donne compétence à l'Hospice général «d'appliquer la politique sociale définie par le Grand Conseil et le Conseil d'Etat» et que, par conséquent, cette institution est désormais habilitée à assurer une coordination de l'aide au niveau cantonal,
demande au Conseil d'Etat
- de faire l'inventaire des prestations sociales offertes sur le territoire cantonal;
- de faire une étude particulière sur les prestations financières supplémentaires offertes sur le territoire des communes et, en particulier, de la Ville de Genève; de faire des propositions concrètes de répartition des tâches entre les services sociaux communaux et l'Hospice général;
- d'assurer la coordination entre les diverses prestations sociales financières offertes plus généralement sur le territoire cantonal, de tenir compte, dans ce cadre, des initiatives privées et de les encourager.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Dans les années 1920-1930, la Ville de Genève a mis en place des prestations sociales pour ses habitants.
Celles-ci étaient de deux natures: en espèces et sous forme d'appui social essentiellement, puis infirmier.
En espèces, existaient alors non seulement des prestations financières mais également des apports matériels par des «magasins ou établissements» de la Ville.
Sur le plan social, des aides étaient apportées soit directement par un service social de la Ville, soit par des offices proches de la Ville tels que le Bureau d'aide sociale, pour ne citer qu'une institution.
Aux environs de 1935, le canton a développé, à son tour, des prestations sociales, notamment par l'adoption de la loi cantonale sur les prestations complémentaires et sociales qui ont été intégrées en 1987-1988 aux prestations complémentaires à l'AVS-AI, et cela pour deux raisons: d'une part, la Confédération prenait en charge le 30% (actuellement 10%) de ces prestations; d'autre part, par simplification et pour éviter d'avoir deux législations parallèles.
Durant toutes ces années, la Ville de Genève a, elle aussi, développé ses prestations sociales, notamment par un réseau de services sociaux de quartier, des immeubles avec encadrement infirmier et d'autres prestations annexes attribuées directement à ses bénéficiaires, soit à des institutions semi-privées ou privées travaillant sur le territoire de la Ville.
Toutes ces démarches parallèles, et par ailleurs fort louables, ont abouti à ce que nombre de prestations peuvent être allouées simultanément aux bénéficiaires potentiels et sans aucune concertation. Il en résulte que les bénéficiaires les plus habiles obtiennent des prestations faisant double usage et les autres - la majorité - ne savent pas où s'adresser dans le dédale des offices sociaux.
Depuis la modification de la loi cantonale sur l'assistance intervenue en 1996, l'Hospice général est responsable de mettre en place la politique sociale du canton. Dès lors, il apparaît logique qu'il coordonne l'ensemble des activités sociales du canton et des communes de manière à avoir une utilisation cohérente et rationnelle des ressources affectées à cet effet.
Vu ce qui précède, il est indispensable d'uniformiser la répartition de ces prestations sociales, et cela pour les raisons suivantes:
- les bénéficiaires auront un interlocuteur central, à savoir l'Hospice général, où ils pourront s'adresser en cas de besoin, charge à celui-ci de leur indiquer leur service social de proximité;
- une réallocation de toutes ces ressources doit être effectuée de manière à éviter les «doublons» et à utiliser de manière optimale les ressources du secteur social.
Débat
Mme Micheline Spoerri (L). L'enchevêtrement des circuits d'attribution de prestations sociales est devenu aujourd'hui extrêmement complexe. Si bien qu'en dehors du département de l'action sociale - et encore, peut-être que M. le président du département se pose également quelques questions ! - plus personne n'y voit vraiment clair : ni le pouvoir politique que nous sommes censés représenter ni les bénéficiaires censés avoir recours à ces prestations.
Il semble cependant que quelques personnes habiles et motivées pour entrer dans cette nébuleuse s'y retrouvent souvent mieux que ceux qui en ont véritablement besoin. Loin de nous l'idée de porter atteinte à l'image de services et instances chargés de produire et d'attribuer des prestations sociales et financières, mais il nous paraît plus que jamais indispensable que la vocation sociale de l'Etat s'exerce équitablement. Tout d'abord, parce que le nombre de personnes démunies et les difficultés qu'elles rencontrent sont en recrudescence; ensuite, parce que dans le même temps les problèmes financiers des collectivités publiques sont tels que nous devons utiliser les deniers publics de façon optimale.
La transparence de l'offre sociale est donc indispensable. C'est la raison pour laquelle nous demandons un inventaire des prestations sociales offertes sur le territoire cantonal. A des fins d'efficacité, il est également souhaitable de redéfinir la répartition des tâches entre services sociaux, communaux et l'Hospice général. En effet, l'évolution historique brièvement évoquée dans notre exposé des motifs montre bien la complexité de cette répartition. En particulier, il nous semble que le service social de la Ville devrait redéfinir sa mission en concertation avec l'Hospice général pour répartir les responsabilités sur le territoire de la Ville.
Enfin, nous souhaitons être assurés que le rôle de coordinateur de l'Hospice général est réellement exercé, c'est le motif de notre troisième invite. Voilà pourquoi nous avons déposé cette motion - nous l'avons déposée également au Conseil municipal de la Ville de Genève - et nous vous proposons de la renvoyer directement au Conseil d'Etat.
M. Pierre-Alain Champod (S). Le groupe socialiste ne trouve pas totalement inintéressant ce qui est demandé dans cette motion. En revanche, il émet des réserves en ce qui concerne les intentions des motionnaires. On le sait, le groupe libéral souhaite faire des économies, notamment dans le domaine social, et n'a jamais été un grand défenseur des prestations sociales... (L'orateur est interpellé.) J'assume tout à fait, Monsieur Vaucher !
L'exposé que vient de faire Mme Spoerri a renforcé nos craintes dans la mesure où, effectivement, les libéraux craignent toujours que des gens n'abusent du système. Il existe probablement quelques profiteurs - c'est inévitable lorsqu'il y a prestations - mais la perte pour l'Etat n'a aucune commune mesure avec celle due à la fraude fiscale. Il faut remettre les choses à leur place !
Si cette motion a pour but de diminuer les inégalités entre les prestations accordées par les communes, nous ne pouvons être que d'accord. De même, pour la répartition : si elle vise à une meilleure efficacité, une clarification des tâches entre l'Hospice général et les communes, nous sommes également d'accord.
En revanche, si le but de cette motion est de supprimer des prestations municipales, notamment celles de la Ville de Genève, nous ne pouvons que nous y opposer. En effet, si nous prenons l'exemple des bénéficiaires de l'OCPA, de nombreuses communes leur versent un complément. Il serait effectivement rationnel que l'ensemble des communes se mette d'accord sur un montant et que celui-ci soit versé directement par l'OCPA, qui enverrait chaque année une facture aux différentes communes. Cela diminuerait les frais, ne serait-ce que ceux d'envoi de ces différentes prestations communales.
Mais il faut savoir que de nombreuses communes sont opposées à un tel système. Certaines souhaitent garder une certaine opacité autour des prestations qu'elles versent à leurs communiers. Quelques communes, notamment la Ville de Genève, ont un règlement fixant les conditions pour obtenir des prestations, leurs montants et la voie de recours. Mais lorsqu'on demande à la plupart des autres communes selon quels critères elles versent des prestations, la réponse est la suivante : «Cela ne vous regarde pas... On décide de cas en cas...». Il n'existe pas de règlement accessible au public ou aux professionnels de l'action sociale et, bien sûr, aucune voie de recours. C'est purement le fait du prince.
Avec une meilleure répartition des tâches entre l'Hospice général et les communes - la Ville de Genève, par exemple, qui est la plus grande commune et probablement celle qui a le service social le plus développé - on ne ferait pas forcément de grandes économies. En effet, les personnes suivies par les travailleurs sociaux de la Ville de Genève - elles ne bénéficient pas de prestations financières, mais reçoivent notamment une aide psychosociale et, pour l'organisation, de l'aide et des soins à domicile - doivent continuer d'être prises en charge.
On pourrait imaginer que les travailleurs sociaux de l'Hospice s'en occupent, mais, dans ce cas, soit les communes devraient verser une subvention à l'Hospice soit il s'agirait d'un transfert de charges des communes vers l'Etat, via la subvention à l'Hospice. On sait que la situation financière de la majorité des communes est bien meilleure que celle du canton.
S'il peut paraître rationnel qu'une partie de l'aide financière soit concentrée à l'Hospice général, avec des modalités de transfert de charges entre les communes et l'Hospice, en revanche, les services sociaux des communes pourraient développer un travail de collectivité, notamment en liaison avec les centres de loisirs par rapport à la délinquance dans des quartiers comme Onex, Lancy, etc., avec les clubs des aînés pour l'animation des personnes du troisième âge et avec le SASCOM pour des séances d'information et des actions de prévention dans le domaine de la santé.
Avec toutes ces réserves, nous ne nous opposerons pas au renvoi au Conseil d'Etat.
M. Gilles Godinat (AdG). Nous pouvons adhérer à deux objectifs de cette motion. Le premier est la transparence à laquelle nous sommes toujours favorables, notamment dans le domaine des prestations; il serait utile d'avoir une information plus claire sur l'ensemble des acteurs concernés dans le domaine de l'aide sociale. Le second est la coordination et une plus grande rationalité. Mais nous ne sommes pas dupes quant aux intentions de fond. En effet, un parti qui se propose en période électorale de vider les caisses de l'Etat et qui voudrait nous donner des leçons sur la gestion... (Brouhaha.) Franchement, j'ai quelques doutes... Mais je ne veux pas vous faire de procès d'intention.
Nous sommes d'accord d'étudier les données pour déterminer la qualité de l'aide sociale à Genève et combler les manques qui sont nombreux.
M. Bernard Lescaze (R). Cette motion nous apparaît quelque peu curieuse. Elle est intéressante, certes, et nous sommes d'accord de la renvoyer pour étude et examen attentifs à la commission des affaires sociales. C'était, je crois, le premier but des motionnaires.
Cela étant, je ne serai pas comme M. Champod qui me paraissait possédé par son sujet; je me livrerai donc à quelques considérations générales qui rejoindront malgré tout un peu les propos de certains préopinants.
Nous ne pouvons pas cacher notre surprise dans le groupe radical, lorsque nous voyons qu'un parti qui prône à juste titre la défense de l'autonomie communale propose, au fond, de rapatrier l'essentiel des services sociaux à l'Etat, plus particulièrement à l'Hospice général. Cette institution vient de faire l'objet d'une assez vive attaque de la part d'un membre de la députation libérale qui lui reprochait de dépenser 61 millions de salaires pour 102 millions de distribution de subventions, en oubliant d'ailleurs les autres charges assumées par l'Hospice général, comme le président de cette institution l'a très justement fait remarquer.
Il s'agit de savoir de quel côté l'on se trouve. Actuellement, la Ville de Genève souhaite se décharger sur le canton d'un certain nombre d'objets relativement coûteux. Et le canton est en partie favorable, en partie réticent. En revanche, en ce qui concerne les prestations sociales communales, la Ville n'a fait aucune démarche dans ce sens, bien au contraire. Malgré mon avis personnel, elle a accepté d'aider l'Hospice général à entretenir une maison dans le canton de Vaud qui profitait à tout le canton mais qui était payée presque exclusivement par les deniers de la Ville.
Toujours est-il que cette municipalité entend aujourd'hui conserver son service social, comme la plupart des communes. Il est vrai que c'est dans la commune que l'on connaît le mieux les gens, que le service social de proximité est le plus assuré et que probablement les abus les plus criants - quand il y en a - sont le mieux évités.
Donc, sur les objectifs de la motion - transparence et coordination - on ne peut qu'être d'accord. Mais sur le transfert de l'ensemble des prestations financières à l'Hospice général qui deviendrait une sorte d'immense mammouth social, on ne peut qu'être réservé. (Commentaires.) Il n'y a pas de doublon, car les centres sociaux de quartier de la Ville de Genève partagent des locaux avec l'Hospice général pour faire des économies, mais ils n'ont ni les mêmes tâches ni ne répondent aux mêmes besoins.
En conséquence, il s'agit d'être extrêmement prudents. Il m'apparaît à l'évidence que les motionnaires libéraux n'ont pas pris contact avec le magistrat radical des affaires sociales à la Ville de Genève; il fait pourtant partie, à ma connaissance, de la même majorité. C'est pourquoi nous accueillons cette motion avec beaucoup de réserve en la renvoyant toutefois à la commission des affaires sociales.
Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve). Nous sommes d'autant plus d'accord avec le renvoi de cette motion à la commission des affaires sociales que cette même commission a adressé voilà six ans une motion au Conseil d'Etat lui demandant de faire le bilan des revenus déterminants qui ouvrent des droits à toutes les prestations sociales dans ce canton; tant il était déjà évident, il y a six ans, au moment où nous réécrivions la loi sur l'assurance-maladie obligatoire et où nous refaisions la loi sur l'OCPA que nous recréions un nouveau revenu déterminant. C'est-à-dire que nous ajoutions à l'opacité de tout le système, comme vous l'avez dit, Madame Spoerri.
Depuis lors, nous avons ajouté des strates à l'opacité. A défaut de connaître toutes les situations qui ouvrent des droits, nous avons ajouté d'autres définitions, d'autres revenus déterminants. Récemment, j'ai dit ici qu'il fallait au minimum un assistant social avec au minimum un ordinateur pour s'y retrouver.
Je crois que cette situation est inacceptable. La commission des affaires sociales s'en est déjà souciée, mais n'a pas obtenu de réponse. Nous allons boucler la boucle et renvoyer cette motion à la même commission.
Dans l'intervalle, l'audit de l'Etat a tenu les mêmes propos et recommandé d'examiner quels étaient les revenus qui ouvraient les droits dans ce canton, car le système était beaucoup trop compliqué. Il s'est développé historiquement dans tous les sens et plus personne ne s'y retrouve. Pour vouloir défendre ce genre de prestations, l'opacité n'est pas une bonne solution. Je pense comme vous : il faut que l'on puisse savoir ce qu'il en est des prestations sociales.
Le groupe des Verts est d'accord avec le renvoi en commission. Simplement, il reprend les mêmes critiques - ou ce que vous appelez des procès d'intention, mais ça n'en est pas, car vous avez quand même fait des interventions à ce sujet - à savoir que pour les auteurs de la motion c'est un moyen de rechercher des économies supplémentaires. Je partage quant à moi l'avis qu'il y a probablement des exceptions, mais nous ne les traiterons pas comme étant la règle.
Je vous rappelle qu'il y a eu des efforts faits pour une réponse unique, notamment en innovant avec les CAS, les centres d'action sociale de quartier, parce que nous voulons obtenir cette réponse et cette transparence non pas seulement à l'égard des décideurs ou des législateurs, mais à l'égard surtout de ceux qui peuvent et doivent en être les bénéficiaires, à savoir l'ensemble de la population.
D'autre part, M. Segond en a fait son cheval de bataille de la campagne actuelle, et la discussion est entièrement ouverte pour déterminer ce qu'est un revenu minimum d'aide sociale dans ce canton.
Pour cette raison-là, cette motion est extrêmement intéressante à condition de ne pas être dupes des motifs qui ont animé ses auteurs.
Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission des affaires sociales.