République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 7594
11. Projet de loi de Mmes et M. Fabienne Blanc-Kühn, Micheline Calmy-Rey, Pierre-Alain Champod et Claire Torracinta-Pache en faveur d'essais-pilotes en matière d'assurance-chômage pour favoriser le partage du travail. ( )PL7594

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article 1

La présente loi a pour but d'encourager les essais-pilotes entrepris par le canton, avec l'appui de l'assurance-chômage fédérale, pour combattre le chômage par un partage du travail.

Art. 2

1 En cas de chômage élevé, général ou dans une branche particulière, le canton verse des allocations spécifiques et accorde des allégements fiscaux encourageant des essais-pilotes destinés à éviter le licenciement ou susciter l'engagement de personnes, par des programmes de réduction concertée du temps de travail.

2 Les essais-pilotes répondent aux conditions-cadres fixées par la présente loi.

3 Le canton sollicite l'appui de l'assurance-chômage fédérale aux essais-pilotes, au titre de l'article 110a de la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, du 25 juin 1982 (LACI).

Art. 3

1 La réduction concertée est réalisée lorsqu'un employeur ou une association d'employeurs conclut une convention collective de travail de branche ou d'entreprise avec une association de travailleurs représentative prévoyant une réduction significative du temps de travail.

2 La réduction doit atteindre, pour une partie ou pour tous les salariés concernés, au moins 10% et au maximum 50% de la durée hebdomadaire du temps de travail.

3 La convention collective doit être conclue pour une durée minimale d'un an, renouvelable.

4 Dans la fonction publique, la convention peut être remplacée par un accord-cadre analogue conclu entre les associations de travailleurs représentatives et l'autorité.

Art. 4

Les salariés concernés doivent accepter la convention collective ou l'accord-cadre, par un vote majoritaire.

Art. 5

1 L'employeur concerné augmente le nombre de personnes qu'il emploie ou renonce à des licenciements économiques avérés inévitables, proportionnellement à la réduction du temps de travail convenue.

2 Quand la convention collective ou l'accord-cadre existaient au préalable, le nombre des nouveaux emplois créés ou des licenciements évités figure dans un avenant.

3 Quand la convention collective ou l'accord-cadre sont créés pour favoriser le partage du travail, le nombre de nouveaux emplois créés ou des licenciements évités figurent dans le texte conventionnel.

Art. 6

1 Lorsque le but de la réduction est d'éviter des licenciements, les salariés concernés doivent en règle générale participer à des mesures de formation continue et de recyclage reconnues, permettant l'acquisition de nouvelles qualifications professionnelles.

2 Lorsque la réduction du temps de travail a pour but la création de nouveaux emplois, les partenaires sociaux peuvent prévoir la participation à des mesures de formation continue et de recyclage.

Art. 7

La convention collective ou l'accord-cadre règle, pour sa durée et à son échéance, les conséquences de la réduction du temps de travail sur les conditions de travail, dans le respect des usages salariaux et professionnels en vigueur dans le secteur économique concerné à Genève.

Art. 8

1 La réduction concertée du temps de travail selon la présente loi peut donner lieu, à titre d'essai-pilote, au versement d'allocations cantonales de chômage et à des allégements fiscaux cantonaux.

2 L'autorité compétente décide du montant des allocations et de l'importance de l'allégement.

3 Les allocations et les allégements sont accordés pendant un délai minimal d'un an, pouvant être prolongé de deux périodes d'un an, moyennant renouvellement de la convention collective ou de l'accord.

4 Le versement des allocations s'effectue d'avance mensuellement à l'employeur et prend fin à l'échéance de la convention collective.

Art. 9

1 Les licenciements économiques sont interdits pendant la durée de la convention collective ou de l'accord.

2 Si la réduction du temps de travail vise la création de nouveaux emplois, 70% de ceux-ci doivent être occupés par des personnes sans emploi, bénéficiaires ou non des prestations de l'assurance-chômage.

Art. 10

Les salariés dont le contrat de travail est résilié, pendant ou à l'échéance de la convention collective ou de l'accord-cadre, ont droit, moyennant accord de l'assurance-chômage fédérale, à une indemnité calculée sur le salaire assuré avant la réduction du temps de travail, lorsque celle-ci a entraîné une baisse de salaire.

Art. 11

L'employeur ayant enfreint la convention collective ou l'accord-cadre peut être tenu, par décision de l'autorité, de restituer les allocations versées et de rembourser au salarié l'éventuelle réduction de salaire intervenue.

Art. 12

1 L'office cantonal de l'emploi est l'autorité compétente.

2 La convention collective ou l'accord-cadre est soumis à l'office cantonal de l'emploi qui décide de l'octroi des allocations cantonales et des allégements fiscaux, à titre d'essai-pilote.

3 L'office consulte préalablement à sa décision une commission tripartite des essais-pilotes, par délégation du conseil de surveillance du marché de l'emploi, instauré par la loi sur le service de l'emploi et la location de services, du 18 septembre 1992.

Art. 13

1 Le Conseil d'Etat soumet la loi à une évaluation tous les 3 ans.

2 Il adresse au Grand Conseil un rapport des conclusions évaluant les mesures prises.

EXPOSÉ DES MOTIFS

A. Introduction générale

1. Les essais-pilotes

L'article 110a (nouveau) de la loi fédérale sur l'assurance-chômage et insolvabilité (LACT) permet dès le 1er janvier 1997 la conduite d'essais-pilotes de durée limitée dérogeant à la loi, dans la mesure où ils servent à expérimenter des nouvelles mesures concernant le marché du travail. Afin de clarifier notre démarche, nous nous permettons de citer l'article 110a de la LACI intitulé «Essais-pilotes»:

1 Après consultation de la commission de surveillance, l'organe de compensation peut autoriser des essais-pilotes de durée limitée dérogeant à la loi. De tels essais peuvent être admis dans la mesure où ils servent à expérimenter de nouvelles mesures concernant le marché du travail ou favorisent la flexibilisation du temps de travail pour maintenir des emplois ou en créer.

2 Des dérogations aux articles premier à 6, 8, 15, 18, 22 à 27, 30, 51 à 58 et 90 à 121 sont exclues.

3 Les essais-pilotes ne doivent pas entraver les droits des bénéficiaires de prestations prévus par la loi.

L'impossibilité de dérogation mentionnée vise les dispositions applicables de la législation sur l'AVS, le droit à l'indemnité, l'aptitude au placement, le travail convenable, l'étendue du droit à l'indemnité, les critères pour les indemnités journalières, la suspension du droit à l'indemnité, l'indemnité en cas d'insolvabilité, les dispositions d'organisation.

L'organe de compensation est compétent pour autoriser les essais-pilotes, mais il doit consulter au préalable la commission de surveillance. Vraisemblablement, il s'agit ici de la commission fédérale de surveillance du fonds de compensation (art. 89 LACI).

Les essais-pilotes ne doivent pas entraver les droits des bénéficiaires de prestations de la loi. Selon le Message du Conseil fédéral à l'appui de la deuxième révision partielle de la LACI, du 29 novembre 1993, page 28, cette disposition doit permettre aux autorités du marché du travail de «tester l'efficacité de mesures novatrices dans le cadre d'un projet-pilote».

2. Essais-pilotes et partage du travail

Il ne fait pas de doute, à cet égard, que le partage du travail constitue une idée novatrice méritant des essais-pilotes. En effet, la concrétisation de l'idée générale du partage du travail butte souvent sur deux pierres d'achoppement, la prise en charge du coût salarial en cas de réduction d'horaire, d'une part, et l'existence d'une réelle embauche compensatoire, d'autre part. L'objectif de la compensation du coût salarial supplémentaire a entraîné l'idée du «2e chèque» (Guy Aznar). Quant à l'embauche compensatoire elle ne peut guère s'imaginer que comme contrepartie, soit aux aides étatiques accordées en faveur de la réduction du temps de travail pour atténuer le chômage, soit à un sacrifice financier des travailleurs.

Toujours est-il que les efforts visant au partage du travail, c'est-à-dire de la réduction du temps de travail contre la création d'emplois, sont passés du stade de l'imagination à celui des premières réalisations. Ainsi, le Conseil régional de Rhône-Alpes a adopté récemment un dispositif d'aides aux entreprises réduisant le temps de travail de leurs employés et créant, parallèlement, de nouveaux emplois. Il s'agit d'une première en France. Les primes seront attribuées sur trois ans et peuvent atteindre jusqu'à 90 000 FF si les embauches correspondent à au moins 10% de l'effectif original.

Par ailleurs, et sur proposition de la formation politique UDF, l'Assemblée nationale française a adopté, le jeudi 30 mai 1996, une loi sur la réduction du temps de travail. Une entreprise réduisant de 10% ou de 15% la durée du travail et augmentant dans les mêmes proportions ses effectifs - le niveau étant maintenu durant deux ans - bénéficiera d'une réduction dégressive des charges (cotisations de Sécurité sociale) durant sept ans sur toutes les rémunérations des salariés concernés par la diminution des horaires. Cette réduction, cumulable avec une ristourne sur les bas salaires, sera de 40% la première année pour une réduction des horaires de 10% et de 30% les six années suivantes. L'allégement sera respectivement de 50% et de 40% pour une réduction de 15%er.

Nos références ne sont pas uniquement françaises et nous vous rappelons aussi le dépôt, en juin 1996, d'une motion socialiste concernant des mesures incitatives dans le but de favoriser des expériences de partage du travail.

Il serait tentant d'imaginer, sur le plan cantonal, la mise sur pied d'un programme général de partage du travail avec versement d'aides et d'une embauche compensatoire. Mais il serait également possible d'imaginer, à une échelle plus réduite, la mise sur pied d'essais-pilotes LACI visant le même objectif à une échelle expérimentale et partielle, applicable dans les secteurs publics et privés. Il ne fait pas de doute qu'il s'agirait là de mesures de marché du travail novatrices, pouvant être entreprises à titre expérimental dans le cadre de l'article 110a LACI. Leur mise en oeuvre nécessitera toutefois une volonté politique correspondante.

3. Les conventions collectives de travail (CCT) et les accords-cadres pour une réduction concertée du temps de travail

L'idée essentielle du présent projet de loi est de favoriser la réduction volontaire du temps de travail pour créer de nouveaux emplois ou éviter des licenciements. L'instrument de la réduction serait une CCT, approuvée par un vote majoritaire des salariés concernés. Dans la fonction publique, la CCT peut être remplacée par un accord-cadre avec les organisations syndicales représentatives.

La réduction du temps de travail s'accompagnera d'allocations cantonales de chômage spécifiques, avec le concours, si possible, de l'assurance fédérale, de même que des allégements fiscaux. Ce modèle de réduction doit entraîner une embauche compensatoire ou une renonciation avérée à des licenciements économiques.

Les coûts du modèle sont maîtrisables. L'assurance-chômage épargne des indemnités de chômage. Par ailleurs, il est vraisemblable que les cours de formation continue et de recyclage dispensés dans le cadre de tels programmes seront plus efficaces et adaptés, car beaucoup plus proches des besoins des salariés et de l'entreprise.

Le modèle entraînera, certes, des coûts pour l'employeur en raison de la réduction du temps de travail. Toutefois, les partenaires sociaux devront débattre de la répercussion de ces coûts, les aides cantonales étant destinées à les alléger. L'employeur aura néanmoins plusieurs avantages. Il s'épargnera le coût de plans sociaux. Les cours de formation et de recyclage lui permettront de limiter ses propres efforts, notamment pour l'initiation des salariés nouvellement engagés. Enfin, le non-licenciement associé à la formation permettront de renforcer l'identification et la motivation des salariés concernés avec leur travail, ce qui est source de gains de productivité pour l'entreprise.

Que se passera-t-il à la fin de la période de réduction du temps de travail? Dans la plupart des cas, on peut s'attendre à ce que la réduction soit maintenue et que les partenaires sociaux négocieront sur la répartition de la charge représentée par la fin des aides cantonales. L'idée essentielle de ce projet de loi est de lutter contre le chômage en favorisant la réduction volontaire du temps de travail pour créer de nouveaux emplois ou éviter les licenciements.

4. Partage du travail et liberté du commerce et de l'industrie

Il convient de souligner que le projet de loi ne vise pas, en tant que tel, un programme général de réduction du temps de travail. Il s'agit bien plutôt de mesures spécifiques de politique sociale, liées à l'assurance-chômage fédérale et cantonale. Ces mesures visent en effet à encourager les entreprises soit à engager des personnes sans emploi, soit à ne pas licencier des personnes déjà employées en associant les employeurs, l'Etat et les salariés à cet effort. A ce titre, ces mesures ne poursuivent pas un but de politique économique, visant à avantager certaines branches de l'activité lucrative ou certaines formes d'exploitation. Elles visent au contraire un but positif de politique sociale, soit la lutte concrète contre le risque du chômage. De plus, la mesure est temporaire. Enfin, la loi ne contient que des mesures non contraignantes, les allocations et allégements qu'elle prévoit constituant des mesures d'encouragement dans la lutte contre le chômage. A ce titre, elles sont sans autre autorisées.

Rappelons que Genève a toujours exprimé son attachement à l'Europe. Or, l'article 92 du Traité de Rome, visant à proscrire les aides étatiques aux entreprises, les admet pour les entreprises qui engagent des chômeurs ou créent des places de formation. L'aide publique peut s'élever jusqu'à 40% à 50% des salaires concernés. Les aides publiques visant à éviter les licenciements sont également envisageables, mais pendant une durée limitée, condition qui est réalisée en l'espèce. On relèvera également qu'il ne viendrait à personne l'idée de soutenir que la réglementation actuelle de la LACI sur les indemnités en cas de réduction de l'horaire de travail, c'est-à-dire le chômage partiel (art. 31-41 LACI), violeraient la liberté de commerce et d'industrie, Or, le principe d'indemnisation des essais-pilotes a d'évidentes analogies avec le chômage partiel.

B. Commentaire article par article

Article 1

Il s'agit d'un rappel de la disposition fédérale de la LACI (art. 110a) autorisant les cantons à la mise sur pied d'essais-pilotes. Ceux-ci pourraient être financés sous la forme de prêt de la Confédération.

Article 2

La notion de chômage élevé mérite d'être précisée; il a été admis qu'un taux de chômage général ou dans une branche particulière de 4% était un taux élevé.

Article 3

L'instruction permettant la réduction du temps de travail serait la convention collective de travail permettant ainsi d'assurer l'accord des partenaires sociaux et des travailleuses et travailleurs concernés. Afin de limiter des accords conventionnels prévoyant une réduction du temps de travail tout en bénéficiant d'aides cantonales, la durée de la CCT doit être d'une durée minimale d'un an.

Article 4

L'atout indispensable pour réaliser une diminution du temps de travail doit se faire avec l'accord explicite des travailleuses et travailleurs de l'entreprise ou de la branche; cette disposition remplit aussi les exigences posées par la loi fédérale sur l'information et la consultation des travailleurs dans les entreprises.

Article 5

L'employeur concerné, s'il est au bénéfice d'aides cantonales, doit s'engager sur le résultat, c'est-à-dire éviter des licenciements ou créer de nouveaux emplois. Cet article permet la vérification de l'essai-pilote de réduction du temps de travail.

Article 6

Cette disposition vise la mise à profit du temps libéré pour le recyclage et la formation; elle s'insère dans le même esprit que la nouvelle loi fédérale sur le chômage.

Article 7

Le niveau des salaires doit continué à être fixé dans le cadre des relations conventionnelles actuelles. La référence aux usages salariaux et professionnels réaffirme notre volonté de n'ouvrir la brèche à une baisse inconsidérée des salaires au prétexte que le taux de chômage est élevé dans une branche ou une entreprise, alors que, par ailleurs, ces mêmes entreprises seraient au bénéfice d'aides cantonales.

Article 8

Cette disposition a un caractère incitatif envers les entreprises. Toutefois les 2 mesures cumulées ne devraient pas dépasser la totalité de la perte salariale subie par les travailleuses et les travailleurs. Le financement de l'allocation cantonale est prévu par la somme de 10 millions de francs figurant dans le budget annuel du canton, le montant des allégements fiscaux restant à déterminer par l'autorité fiscale.

Article 9

La LACI prévoit le financement des essais-pilotes, mais la charge chômage est réduite par l'engagement de personnes préalablement chômeuses.

Article 10

Les indemnités chômage représentent actuellement 70 ou 80% du dernier salaire assuré. En cas de réduction du temps de travail, il se pourrait qu'une baisse de salaire ait été négociée, démontrant une démarche participative des travailleuses et des travailleurs; ces personnes seraient pénalisées financièrement en cas de perte d'emploi, leurs indemnités chômage étant calculées sur le salaire fixé après la diminution du temps de travail. Il convient donc de pouvoir interpeller l'autorité fédérale pour les plus bas salaires.

Article 11

Cette disposition affirme la nécessité de contrôler d'éventuels abus de la part d'employeurs peu scrupuleux.

Article 12

Cette disposition rappelle la nécessité de maintenir le contrôle paritaire, par le biais des conventions collectives de travail, sur l'ensemble de la branche économique concernée.

Préconsultation

Mme Fabienne Blanc-Kühn (S). Ce projet de loi est le résultat d'une étroite collaboration entre la Communauté genevoise d'action syndicale et le parti socialiste genevois.

M. Andreas Saurer. Ah, oui ?

Mme Fabienne Blanc-Kühn. Oui, Monsieur Saurer !

Il concrétise une nouvelle disposition de la loi fédérale, l'article 110 de la loi sur le chômage, autorisant les cantons à mettre sur pied des essais-pilotes de durée limitée, dans la mesure où ceux-ci expérimentent des moyens nouveaux concernant le marché du travail. Le but général visé est donc bien soit la création de nouveaux emplois soit le maintien d'emplois existants en évitant de licencier.

Ces essais ne doivent pas entraver les droits des bénéficiaires à l'assurance-chômage. L'idée essentielle est de favoriser la réduction volontaire du temps de travail pour créer de nouveaux emplois ou éviter des licenciements. L'instrument permettant la réduction serait une convention collective de travail approuvée par un vote majoritaire des salariés concernés.

Dans la fonction publique, la convention collective serait remplacée par un accord-cadre avec les organisations syndicales représentatives. La réduction du temps de travail s'accompagnera d'allocations cantonales spécifiques avec le concours, si possible, de l'assurance fédérale, de même que d'allégements fiscaux. Ce modèle de réduction doit entraîner une embauche compensatoire ou une renonciation à des licenciements économiques.

Si ce projet de loi peut être perçu dans le cadre de mesures défensives, comme le maintien d'emplois existants, il est offensif dans la volonté de faire préciser une nouvelle disposition fédérale, au demeurant très volontariste dans son but général, mais imprécise dans les modalités de financement des essais-pilotes, notamment.

Notre projet de loi en fait l'interprétation suivante :

La Confédération intervient financièrement par le biais des indemnités versées aux chômeuses et chômeurs, 70 ou 80% du dernier salaire, si des licenciements sont évités par la réduction du temps de travail dans une entreprise ou dans un secteur économique. L'éventuelle perte salariale pourrait être prise en charge par l'Etat.

D'autre part, beaucoup plus proches des salariés et de l'entreprise, les programmes de formation continue et de recyclage dispensés seront plus efficaces et plus adaptés. Les coûts du modèle sont donc maîtrisables. La réduction du temps de travail entraînera des coûts pour l'employeur, mais les partenaires sociaux auront la possibilité de débattre de la répercussion, les aides cantonales n'intervenant qu'en terme d'allégement ne se substituent pas à la volonté des travailleuses et des travailleurs et de l'entreprise. L'employeur s'épargnera le coût de plans sociaux.

Ce modèle de réduction du temps de travail aura une durée limitée, définie dans la convention collective de travail existante ou dans celle qui aura été négociée sur l'unique objet de la réduction du temps de travail. L'accord doit être négocié par les associations syndicales et patronales quand les relations conventionnelles existent. Dans le cas contraire, par l'assentiment du personnel et de l'entreprise.

La présidente. Nous sommes en débat de préconsultation, Madame !

Mme Fabienne Blanc-Kühn. Il ne s'agit pas de verrou mais bien de participation à l'accord des parties concernées.

Le but recherché est que la réduction du temps de travail soit maintenue, ce qui nécessitera un nouvel accord des partenaires sociaux sur la répartition de la charge financière préalablement assumée par l'Etat.

Ce projet de loi vise donc des mesures spécifiques liées à la politique sociale, à l'assurance-chômage, fédérale et cantonale. Il ne s'agit donc pas d'un programme de politique économique qui pourrait avantager certaines branches ou certaines formes d'exploitation, et il n'y a pas de violation de liberté de commerce et de l'industrie.

Nous vous demandons donc de voter ce projet de loi, et nous vous en remercions.

Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). Chaque poussée de chômage relance ce débat fondamental : qu'attend-on pour trouver des idées nouvelles afin de donner du travail à tous ? Le partage du travail est un concept très en vogue, mais pas encore suffisamment étayé par de nombreuses réalisations concrètes.

De ce fait, la formule est séduisante, mais elle fait apparaître certains obstacles dans sa concrétisation. Il existe des niches où l'action publique et celle des partenaires sociaux peuvent aider à mieux répartir le travail. Il faut saisir les opportunités pour soutenir les démarches innovantes.

Dans cet esprit, le projet de loi s'efforce d'attribuer des moyens financiers tels que des allocations spécifiques ou des allégements fiscaux, afin de créer des conditions favorables à ces nouvelles alternatives pour l'emploi. Mais il faut prendre conscience que cette proposition suscite des interrogations dans le monde économique et qu'elle représente un coût pour la République. Cependant, le sujet est capital : il est l'espoir de certains, le devenir d'autres et la réalité de demain.

Le groupe radical vous recommande de renvoyer ce projet en commission de l'économie, afin de débattre de sa forme.

M. David Hiler (Ve). Depuis déjà longtemps, dans les pays qui nous entourent, le débat sur le partage du travail est engagé. Les premières réalisations existent aussi, en particulier en Allemagne. La discussion est évidemment vive et difficile, parce que, tout le monde le sait aujourd'hui, ce n'est pas le principe du partage du travail qui pose problème, mais plutôt de savoir qui, entre guillemets, en paye le coût. Pour certains la réponse est assez simple - on l'a encore entendu récemment dans un débat : si l'on passe de quarante à trente-deux heures, il leur semble normal de payer trente-deux heures. Pour d'autres, au contraire, il faut continuer à payer quarante heures.

Poser le débat de cette manière c'est se condamner à l'échec, et pour longtemps. Partout où ce type de mesures est véritablement mis en oeuvre, on s'aperçoit qu'il y a compromis, que ce compromis est négocié et qu'il exige généralement une intervention à un titre ou à un autre des pouvoirs publics.

Bien que ne partageant pas forcément tout ce qui figure dans son exposé des motifs, nous sommes très favorables à ce projet de loi et, en tout cas, à son renvoi en commission de l'économie. Cela d'autant plus qu'il rejoint la deuxième invite de la motion que nous discuterons plus tard concernant la création, par l'Etat de Genève, d'un fonds permettant à l'Etat d'intervenir dans des négociations du secteur privé pour que des compromis en cours puissent aboutir.

Il faut savoir que cette question est extrêmement délicate. Le débat assez vif, mené à l'égard de certaines mesures, en France notamment, démontre qu'il faut discuter. Et c'est le bon moment de le faire, parce que ce débat est en train de prendre - avec un peu de retard, car la crise est arrivée à Genève plus tard qu'en France, tant mieux pour nous d'ailleurs - de l'ampleur. Il est passionnant du reste de voir le nombre d'articles qui paraissent en faveur ou contre le partage du travail.

La crise est là; elle s'installe. Par conséquent, nous devons nous pencher sur ce problème. Il est faux de prétendre qu'il n'y a pas d'expériences en la matière au sens strict sur le plan social. Il y en a, mais pas dans notre pays. De ce point de vue, je me permets de dire que tant le rapport du Conseil d'Etat sur le partage dans la fonction publique que celui du Conseil administratif de la Ville de Genève - qui est fait depuis plusieurs mois - devraient être maintenant «mis sur la table». En effet, ces informations sont extrêmement importantes, en particulier le document commandé par la Ville de Genève, qui comprend une synthèse de toutes les expériences qui ont été faites et qui sont documentées par des articles. Il faut absolument que nous parlions sur des bases concrètes.

Nous nous réjouissons donc du dépôt de ce projet de loi qui devra très probablement subir un certain nombre de modifications au sein de la commission de l'économie pour devenir parfaitement opérationnel.

M. Jean-Philippe Maitre, président du Conseil d'Etat. Le projet de loi 7594 ainsi que la motion suivante, 1123, posent en réalité le même problème. Ces deux objets cherchent, par des voies à la fois différentes et communes, à résoudre le problème qui est discuté aujourd'hui. Les avis sont assez contradictoires et tranchés. Il ne faut pas céder à la tentation de croire que le partage du temps de travail peut se décréter. Mais il ne faut pas céder non plus à la tentation d'être convaincu que l'immobilisme est la seule réponse dans ce domaine.

Nous amorçons un nouveau type de civilisation, et nous nous dirigeons vers une conception non de plein-emploi mais de pleine-activité, ce qui est bien différent. Dans ce contexte, selon les secteurs et de manière négociée, certaines hypothèses et réalisations peuvent parfaitement être considérées s'agissant du partage du temps de travail.

Pour le Conseil d'Etat, cette réflexion comporte deux volets : la fonction publique, pour laquelle le Conseil d'Etat peut intervenir en tant qu'employeur, et l'ensemble de l'économie privée, dans laquelle l'Etat peut intervenir comme catalyseur ou comme incitateur sur la base de dispositifs ou de mécanismes dont il pourrait disposer; il en existe quelques-uns. Ils sont d'une utilisation extrêmement difficile, mais ce n'est pas une raison pour renoncer à avancer. C'est certainement en renonçant à avancer que l'on rend les choses encore plus difficiles.

Nous avons choisi deux pistes :

Une réflexion a été menée s'agissant de la fonction publique, dans le cadre d'un groupe de travail paritaire, avec les syndicats représentatifs de la fonction publique. Un rapport a été effectivement rendu; il contient un certain nombre d'hypothèses toutes intéressantes, mais qui se heurtent à ces questions :

Quel est l'effort ? Qui le supporte ? Respectivement, qui le partage ?

En effet, il ne suffit pas de parler du partage du temps de travail; il est plus important et plus difficile de parler du partage de l'effort qui conduit à des solutions valables. Notre collègue, Guy-Olivier Segond, est en charge de ce dossier, en ce qui concerne le volet «fonction publique», et le Conseil d'Etat attend un certain nombre de propositions sur la suite qui sera donnée. Ces propositions sont liées, ce qui explique que cela prenne du temps, au débat que nous avons voulu engager de manière plus générale et pour lequel nous avons recours au Conseil économique et social. Vous savez que ce dernier est chargé d'un mandat concernant l'ensemble de cette problématique et des pistes qui peuvent valablement être explorées et qui pourraient être opérationnelles à Genève. Nous souhaitons qu'un large débat soit engagé par le Conseil économique et social. Il s'y est employé, et ce débat est aujourd'hui en cours. C'est d'ailleurs dans ce cadre que s'inscrit le mandat confié par la Ville de Genève pour faire l'inventaire de l'ensemble des solutions. C'est déjà un matériel très utile et très important pour la réflexion à mener.

Vous le savez, le Conseil économique et social ne pourra pas terminer ses travaux avant la fin de cette année ou le début de l'année prochaine. Dans ce contexte, on peut se demander s'il est opportun de renvoyer ces textes tels quels à la commission de l'économie. Cela pourrait être utile pour inviter les responsables de ce dossier du Conseil économique et social à venir devant la commission faire un premier point de la situation, afin que ce conseil puisse tenir compte d'un certain nombre de sensibilités, d'avis et, le cas échéant, de propositions faites par votre parlement.

Voilà les raisons pour lesquelles le Conseil d'Etat est d'accord que ces deux textes, le projet de loi 7594 et la motion 1123, soient renvoyés à la commission de l'économie.

Ce projet est renvoyé à la commission de l'économie.