République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 13 juin 1997 à 17h
53e législature - 4e année - 7e session - 30e séance
PL 7611
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article 1
1 Sont partenaires au sens de la présente loi 2 personnes reconnues comme tels par l'autorité compétente.
2 La reconnaissance est accordée sur requête commune de 2 personnes qui:
a)
sont majeures;
b)
sont capables de discernement;
c)
ne sont pas mariées, ni déjà partenaires au sens de la présente loi;
d)
sont domiciliées dans le canton ou s'apprêtent à y prendre domicile;
e)
s'engagent à faire ménage commun;
f)
se reconnaissent mutuellement le droit de partager la demeure commune et
g)
s'engagent à contribuer chacune dans la mesure de ses moyens aux besoins de leur ménage et à se prêter assistance et secours.
3 Les engagements doivent résulter d'un acte écrit. Cet acte peut être signé devant un officier d'état civil.
4 L'officier d'état civil du domicile genevois de l'un des requérants est compétent pour enregistrer les engagements et accorder la reconnaissance.
5 La commune délivre une attestation de partenariat sur demande de l'un des partenaires.
Art. 2
1 Il est mis fin au partenariat par déclaration commune ou unilatérale de l'un des partenaires faite devant l'officier d'état civil de leur domicile ou du lieu de leur ménage commun. L'officier constate la date de la déclaration de résiliation qui prend effet le même jour.
2 La commune est compétente pour révoquer la reconnaissance des partenaires dès lors que l'une de ses conditions fait défaut, notamment en cas d'absence prolongée de vie commune.
3 La suspension de la vie commune en vue de fréquenter une école ou motivée par le service militaire, le placement dans un hospice, un hôpital, une maison de détention ou toute autre institution ainsi que le transfert du ménage commun des partenaires hors du canton, ne constituent pas des motifs de révocation de la reconnaissance.
Art. 3
1 Les dispositions légales et réglementaires concernant les conjoints s'appliquent par analogie aux partenaires dans tous les domaines régis par le canton.
2 Le canton reconnaît le statut de partenaire de toute personne enregistrée comme tel ou au bénéfice d'un certificat de vie commune dans un autre canton ou pays.
Art. 4
1 A défaut de stipulation contraire les dispositions du code civil suisse concernant le régime de la séparation de biens (art. 247 à 251CCS) s'appliquent par analogie à la jouissance et à l'administration des biens des partenaires.
2 Le partenaire titulaire du bail ou propriétaire du logement commun ne devra sans le consentement exprès de l'autre partenaire ni résilier le bail, ni aliéner le logement commun, ni affecter par d'autres actes les droits dont dépend celui-ci. Les obligations envers le bailleur et les droits de celui-ci sont réservés.
3 Cette obligation cesse à l'expiration d'un délai de6 mois au moins après enregistrement officiel de la déclaration ou décision mettant fin au partenariat.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Les modes de vie ont subi ces dernières décennies en Suisse comme ailleurs de profondes mutations qui ont conduit à un décalage croissant entre le droit et la réalité sociale.
Le mariage n'est, de loin, plus la seule forme de vie en commun pour deux personnes. Les communautés familiales composées des parents et enfants de plusieurs générations ont presque disparu. De nombreux ménages familiaux formés par des couples mariés ne vivent plus avec des enfants âgés de moins de 18 ans. Le nombre des divorces augmente. De plus en plus de personnes choisissent de vivre en communauté avec d'autres personnes ou de partager à deux le «toit, la table et le lit» ou seulement le «toit et la table» sans convoler en mariage. Quant au «concubinage homosexuel il tend à se normaliser». Selon un sondage effectué en Suisse en juin 1995, une majorité des personnes interrogées est favorable à l'égalité des droits des homosexuels.o
Or, aucune de ces formes de vie commune ne fait l'objet d'une réglementation, voire d'une attention quelconque de la part du législateur suisse, ce qui expose ceux et celles qui les ont choisies à des difficultés majeures. Ce n'est qu'en matière de saisie pour dettes ou d'assistance publique que l'Etat, non sans une certaine hypocrisie, reconnaît de facto la vie commune hors mariage en réduisant par exemple les prestations de l'Hospice général et de l'assistance juridique d'une personne qui partage son appartement avec un partenaire dont on peut attendre qu'il contribue à son entretien, ou en matière de prétentions alimentaires après divorce, puisque celles-ci s'éteignent à l'égard d'un ex-conjoint qui vit en concubinage depuis cinq ans ou plus (ATF 109 II 188 et suivants).
Le présent projet de loi ne vise pas à réglementer toutes les formes de vie commune hors mariage mais à offrir à ceux et à celles qui ont choisi de vivre à deux sans se marier, qu'ils soient de même sexe ou de sexe opposé, les aménagements nécessaires à l'épanouissement et la protection de leur communauté et les mêmes avantages fiscaux qu'aux couples mariés.
Deux personnes qui vivent ensemble sans être mariées se voient confrontées tous les jours à des réglementations qui font obstacle à l'épanouissement de leur vie commune tandis que les conjoints mariés bénéficient de nombreux aménagements et facilités même s'ils ne vivent plus sous le même toit, n'ont pas d'enfants ou ne sont plus unis que par le parchemin qui consacra leur union.
Ainsi, seul le conjoint marié et les «proches», membres de la famille, sont autorisés selon la loi actuelle à Genève à entourer le mourant à l'hôpital «sans contrainte d'horaire et dans un environnement approprié» ou à s'opposer à un internement psychiatrique ou encore à obtenir du médecin traitant des informations sur l'état de santé du malade tandis que le ou la partenaire qui partage la vie, le toit et peut-être même le lit du malade est privé-e de ces aménagements et traité-e en étranger-ère. La vie intime des deux partenaires non mariés n'est pas protégée et peut être exposée lors d'un procès civil, pénal ou administratif, car seul le conjoint marié ou divorcé et les proches, membres de la famille, peuvent refuser de témoigner. Quant aux statuts de la Caisse de pension des fonctionnaires du canton de Genève, ils n'autorisent pas la désignation du partenaire de vie comme bénéficiaire privilégié des prestations. Enfin, selon la législation cantonale actuelle, le survivant non marié doit s'acquitter au décès de sa compagne ou de son compagnon de vie, s'il a été institué héritier et que les héritiers légaux ne s'opposent pas au testament, d'un impôt sur la succession pouvant aller jusqu'à 54% alors que le conjoint sans enfant n'est taxé qu'à 9%, même si, par hypothèse, il ne partage plus depuis longtemps le même toit que le défunt.
Un souci élémentaire d'humanité exige que, dans tous ces domaines, la personne qui partage votre vie soit assimilée à un «conjoint».
Le présent projet de loi ne touche pas aux domaines des permis de séjour, de l'adoption ou du droit des successions, qui sont de la compétence exclusive de la Confédération. Toutefois, il n'est pas nécessaire d'attendre une réglementation de la vie en commun hors mariage au niveau fédéral pour accorder aux partenaires non mariés, qui vivent ensemble et se promettent aide et assistance, les mêmes facilités qu'aux conjoints mariés dans tous les domaines qui sont régis par le droit cantonal. Le présent projet de loi ne vise qu'à compléter la législation cantonale en étendant aux partenaires non mariés, dûment enregistrés auprès de l'officier d'état civil, les droits et obligations qu'elle confère ou impose aux conjoints mariés. Il s'agit donc de l'exercice par le canton d'une constellation de compétences cantonales, et en l'occurrence en vue d'adapter la législation existante à l'évolution des esprits.
Rappelons que le canton de Berne a adopté récemment une disposition qui va dans le même sens. L'article 13, alinéa 2, de sa nouvelle constitution garantit en effet à chacun «la liberté de choisir une autre forme de vie en commun». Le professeur Walter Kälin et Urs Bolz commentent cet article comme suit:
«L'alinéa 2 consacre un nouveau droit fondamental. Le mariage n'est (plus) la seule forme de vie en commun pour un couple. C'est pourquoi l'alinéa 2 consacre le droit d'opter pour une autre forme de vie en commun. Ce droit n'appartient pas uniquement aux partenaires de sexes différents. C'est dire que les communautés d'homosexuels ou de lesbiennes bénéficient également de la garantie de l'alinéa 2. De l'avis de la commission, seules les formes de vie en commun durables sont visées par l'alinéa 2. L'article 10, alinéa 1, protège les autres formes de partenariat des discriminations. (...) L'article 13 va plus loin que l'article 10, alinéa 1, notamment en ce sens qu'il laisse entendre que les formes de vie en commun doivent être préférées à la vie en solitaire.»
«Le législateur cantonal est naturellement lié par le droit fédéral dans ce domaine également. Par conséquent il faut se référer au Code civil suisse et non à l'article 13, alinéa 2, pour savoir si les couples d'homosexuels peuvent se marier ou adopter des enfants (voir message concernant la garantie de la Constitution, FF 1994 I 407). Seules les formes de vie en commun ne violant pas le droit pénal sont garanties.»
Les Länder allemands de Brandebourg, Thuringue et Berlin consacrent eux aussi dans leur constitution la protection des communautés de vie hors mariage. Une proposition analogue a été approuvée par la majorité de la Commission constitutionnelle d'Allemagne en vue d'une modification de la loi fondamentale allemande. Aussi bien la Cour constitutionnelle allemande que la Cour suprême hollandaise ont jugé que, si les couples homosexuels ne sont certes pas autorisés à se marier, l'absence de législation accordant à ce genre de partenariat une reconnaissance juridique pouvait être contraire à la constitution. La Cour constitutionnelle italienne a, quant à elle, invité le législateur en juin 1993 déjà à créer les conditions légales de la reconnaissance des communautés de vie hors mariage.o La Hongrie connaît depuis fort longtemps une loi sur «la vie commune» qui accorde aux couples non mariés vivant de manière continue une communauté de vie et de lit à peu près les mêmes droits et obligations qu'aux conjoints mariés. Suite à un arrêt de la Cour constitutionnelle hongroise du 8 mars 1995,o le Parlement hongrois a décidé le 21 mai 1996 d'étendre cette loi aux partenaires homosexuels.o En 1994, l'Espagne a institué l'égalité de traitement des partenaires non mariés d'un défunt avec les conjoints mariés pour la reprise d'un bail.o A ce jour, 70 communes des Pays-Bas, 35 villes ainsi que les régions de Valence et des Asturies en Espagne,o Pise,o Anverso et six districts de Paris ont créé des institutions sous la dénomination de «certificat de vie commune» ou «partenariat enregistré» ouvertes aux couples non mariés faisant ménage commun, avec des conséquences juridiques diverses.
Compétences cantonales
La compétence de légiférer en matière civile appartient à la Confédération (art. 64, al. 2, Constitution fédérale). Le droit des personnes et de la famille, en particulier le mariage et l'adoption, relève typiquement du droit civil. Il est admis que la Confédération a épuisé sa compétence et que les cantons ne peuvent plus légiférer dans ce domaine. Les avis sont toutefois partagés quant à savoir si les cantons conservent dans ce domaine, en vertu de l'article 6, alinéa 1, du Code civil suisse (CSS) la compétence d'édicter des règles de droit public, c'est-à-dire des dispositions servant principalement (mais non exclusivement) l'intérêt général pour autant que l'intérêt public soit pertinent et qu'elles n'éludent pas le droit civil ni n'en contredisent le sens ou l'esprit. Le projet de loi satisferait en tout cas à ces conditions puisqu'il ne touche pas au domaine du mariage et de l'adoption et poursuit un intérêt public aussi légitime que celui qui tend, par exemple, à promouvoir l'égalité entre l'homme et la femme.
Cependant, l'institution sociale du «partenariat enregistré« ne relève à notre avis pas de l'article 6, alinéa 1, CCS puisque les dispositions proposées n'y attachent aucun effet de droit civil et ne touchent pas au mariage. Il ne s'agit pas non plus d'un passage obligé pour être autorisé à vivre ensemble, puisque deux personnes vivant ensemble restent libres de requérir ou non l'enregistrement de leur vie commune. Ce projet de loi relève du seul domaine des compétences cantonales (fonction publique, fiscalité, santé, instruction, procédure civile, administrative et pénale, assistance publique, etc.) que les cantons peuvent réglementer comme ils l'entendent en tenant compte de la réalité sociale. Ils peuvent faire dépendre des droits et obligations dans ces domaines-là d'une situation patrimoniale ou sociale particulière, par exemple du nombre des enfants, ou encore de l'existence ou de l'absence de vie commune, ce qui se fait déjà en matière d'assistance publique. L'enregistrement des personnes qui souhaitent bénéficier de la loi ne sert qu'à garantir une certaine sécurité juridique dans son application, car sans enregistrement il serait difficile de déterminer sans risque d'arbitraire qui satisfait aux conditions fixées par la loi pour bénéficier de ses avantages, si deux personnes vivent ensemble de manière durable, s'ils ont pris des engagements de solidarité entre eux, etc. On peut enfin relever qu'en donnant son approbation au nouvel article 13, alinéa 2, de la Constitution bernoise, entrée en vigueur le 1er janvier 1995, qui garantit «la liberté de choisir une autre forme de vie en commun», le Conseil fédéral a reconnu aux cantons la compétence de légiférer pour protéger certaines formes de vie commune hors mariage de toute discrimination.
Méthodes
Deux méthodes s'offrent au législateur pour atteindre le but visé par le projet de loi, à savoir conférer sur le plan cantonal aux partenaires reconnus les mêmes droits et obligations qu'aux conjoints. La première méthode consiste à décréter que toutes les dispositions cantonales légales et réglementaires concernant les conjoints s'appliquent par analogie aux partenaires, ce qui signifie que les droits et obligations qu'une loi ou disposition cantonale accorde ou impose à un conjoint marié sont automatiquement accordés ou imposés aussi aux partenaires reconnus au sens de la nouvelle loi qui prime les dispositions légales antérieures. C'est la voie choisie ici (voir art. 3, al. 1). Elle est la plus simple et la plus concise. L'autre méthode consiste à rechercher dans la législation cantonale et dans les règlements et dispositions statutaires des établissements publics les éléments qui visent à accorder aux conjoints des droits et obligations particuliers sur le plan cantonal et d'ajouter après chaque occurrence de «conjoint»: «et partenaire reconnu». Il appartiendra à notre avis à la commission de se déterminer sur la méthode à adopter.
Il serait également possible d'accompagner la modification de la loi par une modification de la constitution à l'image de ce qui a été fait dans le canton de Berne, certes à l'occasion d'une révision totale. Ainsi on pourrait par exemple compléter l'article 2B de la Constitution genevoise qui dispose que «la famille est la cellule fondamentale de la société. Son rôle dans la communauté doit être renforcé», par une disposition qui pourrait avoir la teneur suivante: «Les formes de vie en commun hors mariage sont protégées; les conjoints et partenaires reconnus sont égaux en droit; la loi règle les conditions de reconnaissance des partenaires». Mais nous pensons que cela n'est ni nécessaire ni utile puisque la modification légale souhaitée, n'ayant aucune incidence sur le droit civil, ne porte pas atteinte à la prééminence du rôle de la famille.
Commentaire article par article
Article 1: L'emploi dans la législation cantonale des termes partenariat ou partenaires renvoie à une notion dont le contenu doit être précisé. La solution proposée consiste à accorder, sur demande, une reconnaissance officielle aux relations hors mariage de deux personnes lorsque certaines conditions, limitativement énumérées à l'alinéa 2 de la loi, sont respectées. Parmi ces conditions figure un engagement formel d'assistance mutuelle car l'extension aux partenaires des facilités accordées aux conjoints ne nous paraît justifiée qu'en raison d'une communauté de vie fondée sur la solidarité.
L'autorité la plus appropriée pour enregistrer cet engagement de solidarité, vérifier si les conditions du partenariat sont réalisées et accorder la reconnaissance nous semble être l'officier d'état civil de la commune de domicile genevoise de l'un des partenaires qui sera aussi compétent pour délivrer l'attestation de partenariat nécessaire pour faire valoir les droits qui y sont attachés. L'un des deux futurs partenaires devra déjà être domicilié à Genève avant de pouvoir obtenir la reconnaissance par un officier d'état civil de notre canton.
Article 2: Le partenariat prend fin soit parce que les conditions énumérées à l'article 1, alinéa 2, de la loi ne sont plus remplies, ce qui entraînera la révocation de sa reconnaissance par la commune, soit parce que les partenaires décident de se séparer. Et comme il faut être deux pour vivre ensemble, il suffira qu'un seul des partenaires déclare à l'officier d'état civil vouloir mettre fin à la communauté de vie pour que le partenariat prenne fin. Si les effets liés à la reconnaissance du partenariat, comme par exemple les avantages fiscaux ou les facilités de visite dans les hôpitaux, prennent fin le jour de la révocation ou déclaration de résiliation, d'autres effets subsisteront jusqu'à l'échéance d'un certain délai. Ce sera le cas des droits liés à l'usage du logement (voir art. 4, al. 3), car il est inconcevable qu'un partenaire puisse mettre sa compagne ou son compagnon à la porte par une simple déclaration unilatérale. Quant aux effets patrimoniaux ils subsisteront, comme en matière de liquidation du régime matrimonial ou d'une société, jusqu'à l'issue d'une procédure de liquidation des biens.
Article 3: Cet article constitue le corps de la loi. Il définit les effets liés à la reconnaissance des partenaires.
Article 4: Cet article règle, d'une part, les effets patrimoniaux de la communauté des partenaires en renvoyant à des dispositions du droit civil fédéral concernant les conjoints. Mais celles-ci ne s'appliqueront qu'à titre subsidiaire si les partenaires n'ont pas pris d'autres dispositions et seulement à titre de droit cantonal supplétif. D'autre part, il institue une interdiction de droit public faite aux partenaires de résilier le bail, d'aliéner le logement commun ou de restreindre par d'autres actes juridiques les droits dont dépend le logement commun. Cette interdiction ne prendra fin que six mois après la fin du partenariat. En outre, elle ne déploiera d'effets qu'entre les deux partenaire, et ne pourra pas être opposée au bailleur, puisque le droit cantonal ne peut restreindre des droits civils de celui-ci régis exclusivement par le droit fédéral (Code des obligations) mais liera les partenaires entre eux. En d'autres termes, le partenaire qui est seul titulaire du bail du logement commun pourra valablement résilier celui-ci, sans l'accord de l'autre partenaire, mais il s'exposera à devoir réparer le préjudice subi par le partenaire lésé du fait de la résiliation non autorisée par celui-ci du bail.
Pour toutes ces raisons, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir renvoyer le présent projet en commission pour examen plus approfondi.
Préconsultation
M. René Longet (S). Vous l'aurez compris, c'est un projet de loi qui introduit au sein de ce parlement un thème de société, un thème qui pose les problèmes politiques d'une façon à laquelle nous ne sommes pas nécessairement accoutumés. Ce problème de société touche de nombreux habitants de ce canton, au-delà de leurs préférences politiques et partisanes, au-delà de leur âge, au-delà de leur nationalité, au-delà de leur sexe. Ces habitants comptent sur nous - élus de la population, c'est notre rôle d'être à l'écoute - pour résoudre les problèmes concrets qu'ils subissent dans leur vie de tous les jours.
Mesdames et Messieurs, dans notre société libérale - sur ce plan, nous, socialistes, sommes en accord avec une conception libérale de l'existence; je dis bien sur ce plan... - les individus choisissent et le projet de loi est le reflet... (Brouhaha.) ...de la liberté de choix; des choix de vie faits par les personnes qui composent une société. Des individus parfaitement honorables choisissent de vivre seuls - mieux vaut être seul que mal accompagné, dit-on parfois. D'autres choisissent la voie séculaire, millénaire du mariage...
Nous sommes tous conscients que ces deux situations n'épuisent pas le sujet. Vivre seul n'est pas nécessairement satisfaisant. (Brouhaha.) Bien, j'attends un peu que cela se calme...
La présidente. Nous continuons !
M. René Longet. Vivre seul n'est pas forcément un choix; vivre marié, non plus. Alors, c'est à nous de prendre acte de l'évolution de la société et de considérer aussi que, si nous sommes nombreux ici à avoir choisi la forme du mariage, cette forme ne se signale pas, statistiquement en tout cas, par un taux de succès spectaculaire. Ce n'est pas à nous de dire comment les gens doivent organiser leur vie; c'est encore leur libre choix.
C'est cela la société civile dans sa créativité et sa liberté. Tout à l'heure, les libéraux avaient l'air de penser qu'ils ne se sentaient pas concernés par cette réflexion, mais, je le répète, la créativité de la société libérale devrait aussi vous concerner ! Cette créativité a réagi concrètement en inventant de nouveaux modes de vie, de nouveaux modes de fonctionner. Certaines personnes - plus nombreuses que vous ne le pensez - qu'elles soient du même sexe ou non - j'insiste sur ce point - partagent des biens, un logement, une vie ou une partie de la vie sans pouvoir ou vouloir choisir la seule forme du mariage. C'est ce problème que nous devons non régler mais assumer, dans la justice.
Voilà quelques décennies, dans de nombreux cantons, cette forme de vie qui s'appelait autrefois le concubinage était réglementée par la négative. Il était interdit de vivre ensemble sans être marié. Aujourd'hui nous sommes passés par une phase où cela ne regarde plus le législateur, et plus aucun canton en Suisse ne gère cet état de chose par la négative. Maintenant, nous devons réglementer certains états de fait de façon positive, en constatant que le fait de vivre ensemble crée des droits, des obligations, que l'on ne peut pas casser comme cela; crée des proximités qu'il faut reconnaître. Il faut accompagner les personnes malades et être considéré comme un proche, comme un partenaire. Il faut savoir que des personnes ont acquis des biens ensemble et il faut reconnaître la propriété de ces biens tout autant que ceux qui ont signé des contrats. Il faut que la législation mette en forme ce que la vie a créé, la vie de notre société d'aujourd'hui, ni plus ni moins.
Encore un mot. J'ai entendu ce commentaire : il ne s'agit aucunement d'un mariage bis, ni de faire comme si les gens étaient mariés, une sorte de mariage au rabais. Cela ne nous intéresse aucunement. L'objectif est de reconnaître les situations telles qu'elles sont et de faire droit à la réalité. Il est peut-être possible de résoudre les problèmes autrement. La seule chose que nous ne pourrions pas admettre serait de ne pas les résoudre du tout.
Nous vous proposons de traiter la suite en commission.
M. Bernard Lescaze (R). J'aimerais vous convaincre de la nécessité d'un tel projet de loi. En effet, cette loi est nécessaire pour différentes catégories de personnes et pas seulement celles auxquelles certains pensent immédiatement. (Rires.) Un certain nombre de personnes âgées ne souhaitent pas se marier pour des raisons évidentes. Elles vivent ensemble et ont besoin, en fin de vie, d'avoir quand même, d'une certaine manière, une reconnaissance des liens qu'elles ont eus. Ne serait-ce que pour elles, ce projet de loi est nécessaire.
Il est vrai que les compétences cantonales dans ce domaine sont très faibles. Il est vrai également que les initiateurs de ce projet souhaitent que ce type de partenariat ait des droits et des devoirs, notamment des devoirs en matière fiscale. Il n'est pas question de ne donner que des droits.
Je dois le dire, j'ai été stupéfait de lire, il y a quelque temps, dans un grand quotidien de la place, la déclaration, sous la plume d'un journaliste que je pensais mieux inspiré, selon laquelle le seul but du mariage était la procréation et la survie de l'espèce... (Rires et remarques.)
Une voix. Des noms ! Qui a la plume inspirée ? (Rires.)
M. Bernard Lescaze. A ceux qui ironisent sur les buts du mariage je rappellerai que le député Hiler a lui-même répondu dans le même journal, le lendemain, que le nombre d'enfants nés hors mariage ne cessait, à Genève même, de s'accroître.
Je pourrai continuer en vous donnant non pas un cours de droit romain - vous vous ennuieriez tous - mais en vous signalant qu'à d'autres époques que la nôtre existaient différents liens juridiques du mariage, et que certains liens du mariage en droit romain étaient absolument indissolubles, notamment la confarreatio pour le mariage des patriciens; il y avait d'autres types d'union moins strictes telles que le coniubium. Il n'y a donc aucune raison que notre société ne soit pas aussi imaginative.
Bien entendu, nous n'en sommes pas là. Ce soir, nous proposons de modifier ce qui est de notre compétence cantonale de manière tout à fait modeste, mais malgré tout innovatrice et créatrice. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande de faire bon accueil à ce projet. Pour une fois, c'est un projet de loi qui ne coûtera rien à l'Etat et à la collectivité, mais il rendra de grands services à de très nombreux citoyennes et citoyens qui payent des impôts.
Je vous remercie de le renvoyer à la commission judiciaire.
M. Bénédict Fontanet (PDC).
M. Olivier Lorenzini. Dis la vérité, Ben ! (Rires.)
M. Bénédict Fontanet. J'ai bien commencé la séance, je tâcherai de bien la finir ! J'essayerai d'être plus sérieux; le ton adopté par M. Lescaze m'apparaît plus judicieux que la franche rigolade à laquelle m'invite le président du groupe démocrate-chrétien, qui, chacun le sait, ne manque pas d'humour et de finesse... N'est-ce pas, mon cher Olivier ? (Rires.)
M. David Hiler. La finesse !
M. Bénédict Fontanet. Ce projet de loi nous interpelle certes, mais il nous surprend un peu. En effet, on nous dit que le mariage est quelque chose de particulièrement compliqué et difficile et qu'il est insupportable de se marier. Je peux comprendre qu'il y ait des réfractaires, mais le droit du mariage a quand même beaucoup évolué ces dernières années. Il est relativement simple de se marier, il est relativement simple - et il le sera plus encore bientôt - de divorcer. (L'orateur est interpellé par M. Dupraz.) Quelqu'un dans ce Grand Conseil pourra-t-il une fois expliquer à M. Dupraz que les avocats ne sont pas subventionnés contrairement aux agriculteurs ? (Rires et applaudissements.) Avec la grande gueule qu'il a, M. Dupraz a vraiment raté sa vocation ! John, tu viens quand tu veux chez moi à l'étude pour y faire un stage, mais tu seras payé comme les stagiaires normaux : sans subvention ! (Rires.)
M. John Dupraz. Mon fils est en train de passer ses examens !
La présidente. On va recibler le débat ! Si vous permettez, nous parlions de partenariat !
M. Bénédict Fontanet. S'agissant des couples hétérosexuels en tout cas, le fait de se marier ou non est un choix. Il est un peu curieux que certains veuillent faire supporter ce choix à la société. En effet, de l'institution du mariage découlent aujourd'hui de nombreuses conséquences juridiques dans le domaine du droit de la sécurité sociale notamment, dans celui du droit de la famille, et en instituant en lieu et place un mariage bis ou ter, Monsieur Lescaze, on complique quand même singulièrement la tâche des autorités qui sont censées appliquer tout le tissu de lois existantes.
Alors, d'accord, on peut vouloir se marier ou non. J'estime que c'est un choix. J'en ai fait l'expérience et, pour l'instant, je ne la regrette pas. Cela ne me semble pas si compliqué...
Une voix. Et Claude Blanc !
M. Bénédict Fontanet. Claude Blanc ignore totalement de quoi il s'agit ! (Rires.) Inventer un concept difficile à cerner dans les faits comme celui du partenariat pour imposer un certain nombre de choses qui engendreraient toute une série de conséquences résultant d'autres législations est un exercice périlleux ! Ce sont les autorités et la société qui supporteront les conséquences d'un choix de type personnel, ce qui n'est pas juste. Cela me surprend, et je ne suis pas certain - je ne veux pas faire de juridisme, ce soir, et je serais bien incapable de citer les auteurs romains que M. Lescaze cite avec beaucoup d'érudition - qu'il soit possible d'inventer une sorte de mariage bis.
Alors, refaisons le droit du mariage au plan fédéral ! Inventons d'autres pistes ! Mais je ne crois pas souhaitable de le faire pour les couples hétérosexuels.
Les couples homosexuels n'ont pas ce type de choix; après tout, même si ce n'est pas un choix de leur part, je ne crois toutefois pas qu'il faille mettre une institution spécifique en place. Mais je suis sensible à l'aspect droit des successions et à celui de la sécurité sociale en matière de rentes pour des personnes qui ont passé toute une vie ensemble. Il m'apparaît que les conséquences de notre législation - de droit fiscal notamment - sont excessives et qu'il n'est pas normal, lorsque l'un des deux partenaires d'un couple homosexuel vient à décéder, que l'autre doive payer 54% d'impôts sur les biens qui lui sont légués si les dispositions nécessaires n'ont pas été prises au préalable.
S'agissant des autres, soit des couples hétérosexuels, je pars du principe qu'il s'agit d'un choix et que ceux qui choisissent de continuer à vivre sans se marier doivent en assumer les conséquences, parce qu'après tout cela n'est quand même pas aussi insurmontable que cela !
Une voix. Absolument ! (Rires.)
M. Olivier Lorenzini. Bravo !
M. David Hiler (Ve). Il ne nous incombe pas de décider quelle est la bonne ou la mauvaise manière de vivre ensemble. Nous sommes forcément à la traîne de l'évolution sociale réelle dans certains cas, et, à un moment donné, cette évolution s'étant imposée sans que personne n'ait fait de grands discours, simplement parce que c'est le choix de nombreuses personnes, il faut en tirer les conséquences.
Il est vrai qu'un certain nombre de couples, qu'il s'agisse de couples hétéro ou homosexuels - ou même d'autres types d'associations - ont des liens solides et doivent aussi, ayant vécu longtemps ensemble, avoir un certain nombre de droits. Nous devons introduire ces droits dans la législation et les consacrer. C'est dans ce sens que vont les choses, même si, comme le pense M. Fontanet, il y a un modèle unique reconnu par l'Etat et que les autres sont des modèles tolérés, mais non reconnus par l'Etat, puisqu'ils sont - c'est ce qu'il sous-entend - quelque peu déviants par rapport à une norme.
Evidemment, vous comprendrez bien que les écologistes ne peuvent pas suivre ce genre de raisonnement... Je ne vous ferai pas un dessin ! Nous souhaitons vivement que ce projet soit renvoyé en commission, et, surtout, qu'il soit adopté dans des délais raisonnables. Je crois, en effet, que ce parlement compte une majorité de députés qui sont prêts à aller de l'avant et à consacrer une évolution de fait. On voit mal comment un retournement pourrait se produire ces prochaines années.
M. Armand Lombard (L). Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je ne suivrai pas M. Hiler dans ses conclusions, parce que je crois que chaque société a sa vie à créer, ses structures à établir, une voie médiane à tracer indiquant la direction dans laquelle elle veut évoluer. Les sociétés ont leurs règles à poser pour indiquer aux gens cette direction et dans quel sens va évoluer la société.
Bien sûr, et là je suis encore M. Hiler, la société doit évoluer. Par conséquent, ces règles doivent évoluer aussi pour confirmer la direction qui est prise. Ce que faisaient les Romains, Monsieur Lescaze, ça m'est assez égal, et je ne les prendrai pas en exemple, moi-même. Parce qu'à force de permettre à leur société toutes les expériences, toutes les diversions et, finalement, toutes les perversités, l'empire romain, je vous rappelle dans quel état il a terminé et dans quels jeux lubriques il a réussi à s'enfiler... (Rires.)
La reconnaissance de couples non liés par les liens du mariage nous paraît sortir de la ligne poursuivie par notre société, et compliquer singulièrement, sans raison véritable, son fonctionnement et la clarté de son développement.
La stratégie à long terme de notre société, c'est d'établir des règles ouvertes, mais strictes, de vivre, d'améliorer la vie de tous et de survivre par la procréation... (L'orateur est interpellé.) Oh, ne faites pas les mijaurées ! C'est bien le cas ! Qu'elles sont mijaurées ces socialistes !
La stratégie du projet de loi me semble être beaucoup plus limitée. Il s'agit simplement de tenter de permettre à toutes sortes de formations de couples de jouir d'avantages fiscaux et matériels dans la société. Pour moi, ce n'est pas l'objectif de vie d'une société à long terme. Ce sont des améliorations ou des arrangements intérieurs.
Bien sûr, il appartient à chacun de savoir comment il va vivre. Pour nous, le mode de fonctionnement que nous choisissons est celui d'une société qui vivra selon les règles du mariage et qui poursuivra ainsi. A l'évidence, dans les accommodements possibles, on pourra prévoir des modalités, afin de régler des problèmes - pas mineurs pour les gens qui les vivent - mais mineurs par rapport aux objectifs de la société tels que ceux que M. Fontanet a très bien décrits. Pour ceux-là peut-être faudrait-il aller en commission pour les régler.
Pour ma part, je dois avouer que l'aspect fondamental de ce projet m'est totalement contraire et que, par conséquent, je m'y opposerai.
M. Gilles Godinat (AdG). Je dois avouer que je suis un petit peu surpris, Monsieur Lombard. Vous avez effectivement l'air de préférer le partenariat économique, voire bancaire...(Rires.) ...au partenariat naturel et social de la société civile. Je suis un peu choqué, je vous l'avoue, de voir qu'un parti prétendument libéral, qui porte une étiquette voulant mettre en avant la liberté, soit aussi restrictif, normatif, voire calviniste sur les bords... (Rires.) Dans la logique d'un parti qui prône la liberté, je trouve cela quelque peu contradictoire et paradoxal !
En ce qui me concerne et en ce qui concerne probablement notre groupe, nous sommes favorables à l'auto-organisation; nous sommes favorables à l'émancipation, et nous pensons que les gens sont assez grands pour savoir ce qu'ils doivent faire.
Nous sommes ici pour discuter des règles, mais les principes qui doivent nous guider sont : l'égalité de traitement, la démocratie et le respect de chacun.
Une voix. Bravo !
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Unis non pas pour le meilleur et pour le pire, mais pour la circonstance, quelques députés proposent d'offrir aux hétérosexuels et homosexuels un statut présentant les mêmes avantages que le mariage.
Le débat promet d'être chaud. S'il n'est certes pas interdit de réfléchir aux différentes propositions qui sont faites par les auteurs de ce projet de loi - évolution des moeurs oblige - il faudra se garder de ne pas tomber dans le travers consistant à faire passer les gens qui oseront encore se marier pour des marginaux ! (Rires.)
Quoi qu'il en soit, ce projet de loi renvoyé en commission devra faire l'objet d'une étude très approfondie. A notre sens, il conviendra tout d'abord de vérifier, au niveau juridique, la conformité du projet de loi par rapport au droit fédéral. Il conviendra ensuite d'évaluer les incidences financières et fiscales des différentes propositions, car, contrairement à divers avis exprimés, il ne nous paraît pas évident que ce projet de loi soit neutre au sujet des finances.
Ce projet est renvoyé à la commission judiciaire.
La présidente. Allons-nous traiter encore le point 36 ?
Des voix. Oui ! Non !
La présidente. Il me semble que nous pourrions le faire ! Je fais cette proposition. Vous êtes peu nombreux, donc nous ne traiterons pas le point 36.
La séance est levée à 23 h 10.