République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 29 mai 1997 à 17h
53e législature - 4e année - 6e session - 22e séance
GR 169-1
5. Rapport de la commission de grâce chargée d'étudier le dossier de la personne suivante :
Mme E. B. , 1969, Maroc, sans profession, recourt contre le solde de la peine d'expulsion judiciaire qui prendra fin au mois de février 1998.
M. Pierre Meyll (AdG), rapporteur. Tout d'abord, je vous demande de bien vouloir excuser mon retard à la séance précédente et survenu pour des raisons indépendantes de ma volonté.
La présidente. Monsieur le député, vous êtes excusé par tout le département... (Rires.)...parlement, excusez-moi !
M. Pierre Meyll, rapporteur. Ça commence bien ! Voici le cas de Mme E. B.. Cette dame a été surprise dans une voiture - avec celui qui deviendra son fiancé - au cours d'une intervention de la brigade, dite d'intervention. Cette dame n'ayant pas pu fournir de papiers aux policiers qui lui demandaient de justifier sa présence, ils se sont rendu compte qu'elle était entrée clandestinement en Suisse et y séjournait depuis un mois. Il s'agit donc d'une infraction à la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers. Par ordonnance du juge d'instruction du 1er février 1995, elle a été condamnée à trente jours d'emprisonnement, dont deux jours subis, à un sursis de trois ans et à trois ans d'expulsion. Il lui reste donc à subir vingt-huit jours d'emprisonnement et trois ans d'expulsion judiciaire.
Le 31 janvier 1995, la recourante a fait l'objet d'une interdiction d'entrée par la justice fédérale, valable jusqu'au 31 juillet 2000. Son recours contre la décision d'entrée en Suisse est pendant devant le Conseil d'Etat. Le Parquet s'en remet à l'appréciation du Grand Conseil, ce qui tend à prouver qu'il n'est pas défavorable au cas de Mme E. B..
L'homme avec lequel elle a été surprise a fait une demande en mariage auprès de la Ville de Genève, qui a été accordée jusqu'au 30 avril. Elle n'a pas pu être concrétisée, puisque l'arrêt d'expulsion est toujours valable. En ce sens, la recourante a fait les démarches nécessaires par l'intermédiaire de la Fondation suisse du service social international, dont la juriste a demandé que l'expulsion soit ramenée d'une année, de telle sorte qu'elle puisse revenir à Genève pour y épouser M. M. qui se porte garant de l'entretien de cette dame.
Je n'ai pu atteindre que M. M. pour la bonne raison que cette dame est toujours au Maroc. Leur situation est peu pratique, car, en raison des différences de religion, le fiancé ne peut se rendre au Maroc pour y visiter sa future femme et, lorsqu'ils désirent se voir, le lieu de leur rencontre se situe en Allemagne.
J'étais d'avis que l'on pouvait accorder la grâce, considérant qu'il s'agissait «d'un regroupement de fiançailles», que les démarches étaient suffisamment avancées pour que l'on puisse considérer que le mariage se ferait et pour lequel M. M. s'engageait fermement. Il a les moyens de l'entretenir, étant lui-même pilote auprès de compagnies privées.
La majorité de la commission de grâce n'était pas de cet avis, et on m'a chargé de faire un rapport qui diverge de celui de la commission de grâce, à peu de voix près.
Je reste à votre disposition pour toute autre question complémentaire en sachant que la commission est défavorable à l'accord de la grâce, contrairement au rapporteur.
Mme Claire Chalut (AdG). Je trouve que c'est chèrement payer une rencontre dans une voiture, et ma question est de savoir si la recourante a commis d'autres délits relevant du code pénal. (Remarque de M. Vaucher.) Monsieur Vaucher, ce n'est pas à vous que je pose la question ! (Rires.) Le rapporteur me répondra, car il a vu le dossier. Si vous voulez être tout à fait franc, Monsieur Vaucher, trente jours de prison c'est très cher payer pour une partie de jambes en l'air !
Une voix. Oh !
Mme Claire Chalut. Je partage l'avis du rapporteur, car à mon avis si dans le dossier rien ne figure comme quoi la recourante aurait volé ou tué, je trouve abusif la manière dont elle a été condamnée.
M. Daniel Ducommun (R). Je dois faire part à l'assemblée du point de vue de la majorité de la commission qui propose le rejet du recours. Nous avons là un cas d'activité de prostitution illégale. Il y a une interdiction de séjour, mais néanmoins le travail pour cette personne paraît être bien intéressant, ce que je peux comprendre !
Il y a une promesse de mariage avec le sieur M. et cette continuité me paraît d'une grande logique. Et nous, ce soir, nous sommes prêts à accorder la grâce de la peine d'expulsion !
Tout cela reflète une bien grande tolérance, Madame la présidente. Il s'agit d'un dangereux précédent si notre assemblée prend ce pli-là, car les cas déjà traités ont fait l'objet d'une application beaucoup plus rigoureuse des droits de ce parlement. Je vous invite donc à rejeter ce recours.
M. Pierre Meyll (AdG), rapporteur. Ecoutez, Monsieur Ducommun, j'ai pris contact avec M. M.. Bien que je ne l'aie pas vu, il m'apparaît tout à fait sincère. Ce que vous pensez - si on veut lire entre les lignes de votre discours - c'est que le souteneur va épouser sa professionnelle. Alors, ce n'est certainement pas le cas et, en l'occurrence, il s'agit d'un citoyen suisse majeur, vacciné qui sait à quoi il s'expose. En l'occurrence il ne semble pas du tout se trouver dans ce genre d'exercice. Il est vrai que la recourante a vécu durant un mois à Genève dans des conditions que vous pourriez considérer comme immorales. Mais ce n'était pas de la prostitution au sens où vous l'entendez. D'ailleurs le fait que le Parquet ne prend pas de décision est une indication plutôt favorable.
A mon avis, nous n'avons pas à nous poser en moralisateurs, et nous devons accorder la grâce, considérant même que la grâce que nous pourrions accorder pourrait peut-être ne pas avoir de suite, compte tenu de la décision fédérale. La moindre des choses est que nous puissions accorder cette grâce, de telle sorte que les deux fiancés puissent se retrouver. Si cela vous déplaît, c'est votre affaire, mais en ce qui me concerne, je ne retiens pas les arguments que vous avez avancés.
M. Chaïm Nissim (Ve). J'ai également assisté à cette séance de la commission de grâce et j'ai compris - bien sûr je peux me tromper, puisque je ne connais pas les gens en cause - qu'il ne s'agissait pas d'un souteneur proposant le mariage, mais d'un client. A partir du moment où il m'a semblé comprendre que si elle pouvait se marier avec ce client, elle aurait l'occasion de changer de vie - ce qui pour moi est une chose extrêmement importante - cet espoir m'a incité à la clémence. Je vous invite à voter la grâce. (Commentaires.)
Mis aux voix, le préavis de la commission (rejet du recours) est rejeté.
Des voix. Non ! (Vacarme.)
La présidente. Le vote était tout à fait clair, je ne reviens pas sur la décision !
M. Olivier Lorenzini (PDC). Je vous demande de faire un vote assis et levé !
La présidente. Ecoutez, c'était tout à fait clair, il n'y avait que quelques voix défavorables et toutes les autres étaient d'accord. Nous sommes au point 20 de l'ordre du jour !
M. Olivier Lorenzini. Un vote assis et levé. (Vacarme.)
La présidente. C'est décidé, on passe au point 20 de notre ordre du jour !