République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 24 avril 1997 à 17h
53e législature - 4e année - 5e session - 16e séance
PL 7583
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article 1
La loi sur les exercices des droits politiques, du 15 octobre 1982, est modifiée comme suit:
Art. 54, al. 4 (nouveau)
4 Pour l'élection du Conseil d'Etat, les liens d'intérêts décrits à l'article 24, alinéa 4, sont publiés dans la Feuille d'avis officielle simultanément à la publication des listes de candidats.
Art. 102 A (nouveau)
1 Les conseillers d'Etat déclarés élus doivent faire connaître à la chancellerie d'Etat s'ils acceptent les fonctions qui leur sont confiées, dans les huit jours qui suivent leur élection s'ils sont présents dans le canton, et dans le délai d'un mois s'ils sont absents. A cette occasion, le conseiller d'Etat déclaré élu doit indiquer par écrit:
a) s'il assume une fonction publique salariée ou un autre emploi rémunéré ou s'il exerce une quelconque activité lucrative;
b) s'il est propriétaire d'une entreprise, y compris sous forme d'actions, parts sociales ou participations, ou s'il exerce dans une entreprise, soit directement, soit par une personne interposée, une influence prépondérante;
c) s'il siège dans un conseil d'administration, un conseil de fondation ou au sein d'organes de direction ou de surveillance, d'une société commerciale ou poursuivant des activités économiques, d'un établissement ou d'un groupe d'intérêts;
d) s'il a des dettes ou s'il fait l'objet d'une procédure pénale, civile ou administrative;
e) s'il a pris les dispositions nécessaires pour mettre fin dans les six mois à son emploi ou à l'activité lucrative qu'il exerce, y compris à toute activité ou pouvoir de représentation dans son entreprise, et pour renoncer à ses activités au sein de conseils d'administration, autres conseils et organes de direction ou de surveillance, au sens de l'alinéa c.
2 Les renseignements communiqués à la chancellerie d'Etat par les conseillers d'Etat déclarés élus sont immédiatement transmis au bureau du Grand Conseil pour que ce dernier s'assure, avant la prestation de serment des conseillers d'Etat, qu'ils remplissent les conditions d'éligibilité et de respect des dispositions constitutionnelles applicables aux incompatibilités de fonctions ainsi que les conditions de l'alinéa 1.
Art. 2
La loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève, du 13 septembre 1985, est modifiée comme suit:
Art. 224, al. 3 (nouvelle teneur)
3 De surcroît, cette commission se prononce sur les cas d'incompatibilités des députés, des conseillers d'Etat et des membres du pouvoir judiciaire. A cet effet, elle reste en charge jusqu'à la première séance du Grand Conseil de la législature suivante et s'assure du respect des règles d'incompatibilités applicables aux députés, aux conseillers d'Etat et membres du pouvoir judiciaire. Elle est en droit d'entendre ces derniers et d'exiger qu'ils produisent tout document utile, notamment relatif à l'entreprise dont un conseiller d'Etat est propriétaire en tout ou partie. La commission fait rapport au Grand Conseil.
EXPOSÉ DES MOTIFS
A la suite du dépôt de notre motion 1115 sur la politique dérogatoire du département des travaux publics et de l'énergie, il est apparu, à la lecture de la presse, que la situation du bureau d'architectes de M. Philippe Joye ne respectait pas les règles constitutionnelles en matière d'incompatibilités de fonctions des conseillers d'Etat et que le Conseil d'Etat avait connaissance de cette situation illégale depuis un certain temps déjà. Aucune déclaration officielle de ce dernier n'avait, toutefois, été faite jusqu'à son communiqué de presse du 12 février 1997 traitant notamment de notre motion et rien ne pouvait officiellement laisser penser qu'il y avait une défaillance, avec les conséquences que cela pourrait impliquer.
Il ressort, en effet, que la situation du bureau d'architectes de M. Philippe Joye n'était effectivement pas en ordre, puisqu'il a, semble-t-il, pris des dispositions, l'année dernière seulement, pour régulariser la situation, ce que nous ignorions au moment du dépôt de notre motion qui était fondée sur des informations résultant d'annuaires officiels publiés début 1995 et début 1996. A cet égard, il semble que la situation de ce bureau ne soit toujours pas en ordre, puisque, selon certaines informations, M. Philippe Joye détiendrait 49% des actions de la société anonyme qu'il a créée (curieusement à Fribourg pour une entreprise genevoise qui devrait payer ses impôts dans notre canton), ce qui lui permet de maintenir une influence qu'on peut qualifier de prépondérante, surtout que son ancien employé ne détiendrait qu'une part minoritaire des action et que 2% de celles-ci seraient détenues par une tierce personne, semble-t-il à titre fiduciaire.
Le Conseil d'Etat devra donner toutes indications utiles à ce sujet et indiquer, dans l'hypothèse d'actions détenues à titre fiduciaire, le nom du propriétaire économique, afin de s'assurer qu'il ne s'agit pas de M. Joye ou d'un membre de sa famille.
Par ailleurs, M. Joye a-t-il réglé le pouvoir de représentation de son bureau vis-à-vis des tiers, puisque dans «Le Savoir» il était indiqué comme étant la seule personne disposant du pouvoir de représentation. Plus concrètement, s'est-il occupé de la gestion de son bureau où il semble s'être rendu à diverses reprises? a-t-il signé des documents pour le compte de son bureau au terme du délai de six mois à compter de son élection dont il disposait pour mettre fin à ses activités privées conformément à l'article 106, alinéa 6, de la constitution?
Mais au-delà de ces questions qui complètent celles contenues dans notre motion, on s'aperçoit que les règles constitutionnelles votées par le peuple genevois en 1961 sur les incompatibilités de fonctions du Conseil d'Etat n'ont pas fait l'objet d'une loi d'application et il n'y a aucune autorité qui a été formellement désignée pour s'assurer du respect de ces règles, ni de celles - identiques - applicables au Conseil administratif de la Ville de Genève, approuvées par le peuple en 1974.
Certes, il appartient au Conseil d'Etat de veiller au respect des lois et par conséquent au respect des règles sur les incompatibilités de fonctions, mais on sait que l'autosurveillance n'est jamais aisée. Face aux lacunes de la loi et en s'inspirant des exigences applicables à l'élection des députés et des juges, il nous paraît en conséquence souhaitable de compléter les articles 54 et 102 A de la loi sur l'exercice des droits politiques, d'une part pour que les liens d'intérêts des candidats à l'élection du Conseil d'Etat soient rendus publics comme c'est devenu le cas pour l'élection des députés au Grand Conseil, d'autre part pour qu'au moment de l'acceptation de son élection, le conseiller d'Etat déclaré élu donne un certain nombre de renseignements sur sa situation et les dispositions qu'il a prises pour respecter les règles constitutionnelles sur les incompabilités de fonctions dont la portée est précisée dans le texte de loi proposé.
Des renseignements complémentaires doivent en outre être communiqués sur l'état des dettes des conseillers d'Etat au moment de leur élection, le cas échéant en cours de mandat, et sur l'existence d'éventuelles procédures pénales, civiles ou administratives. A ce sujet, nous tenons à préciser qu'il n'y a, en principe, aucun déshonneur d'avoir des dettes et relevons que, lors d'une récente campagne électorale à l'occasion d'une élection complémentaire au Conseil d'Etat, un candidat avait accepté de fournir des explications complètes sur l'état de ses dettes et leur origine.
On doit bien admettre à ce sujet que la connaissance des dettes d'un magistrat peut présenter un intérêt public, car celles-ci pourraient entraîner des liens de dépendances inappropriés, voire avoir des suites pénales. Il n'est pas inutile de rappeler à ce sujet que les candidats aux élections du pouvoir judiciaire doivent produire une attestation de l'office des poursuites (article 60 de la loi d'organisation judiciaire), indication qui, au demeurant, ne permet pas de connaître l'état d'endettement réel de la personne concernée. Il est donc légitime qu'un conseiller d'Etat donne des indications sur l'état de ses dettes, surtout si elles n'ont pas été totalement réglées contrairement à ce que certains indices pourraient laisser croire, et M. Joye qui s'est beaucoup exprimé ces derniers temps, tout en refusant de s'expliquer publiquement au sujet de ses dettes malgré leur caractère délicat, doit donner des explications complètes, indépendamment de l'obligation que le présent projet de loi propose d'instituer.
Enfin, vu les difficultés que le Conseil d'Etat peut éprouver pour garantir le respect des règles relatives aux incompatibilités de fonctions vis-à-vis de collègues ou d'amis politiques, il semble légitime de confier cette tâche à une autre autorité, en l'occurrence le Grand Conseil, qui est chargé de contrôler de manière générale l'activité du Conseil d'Etat. C'est pourquoi nous proposons de confier cette tâche, comme celle relative aux juges (dont le régime des incompatibilités est en cours de discussion à la commission législative), à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil, déjà chargée de veiller au respect des règles relatives aux incompatibilités de fonctions des députés, d'où notre proposition de compléter l'alinéa 3 de l'article 224 à cet effet. A noter qu'il conviendra également de légiférer pour le contrôle des incompatibilités de fonctions des membres du Conseil administratif de la Ville de Genève après avoir consulté cette dernière à cet effet.
Au bénéfice des explications qui précèdent, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à réserver un bon accueil au présent projet de loi.
Préconsultation
M. Jean Spielmann (AdG). Le projet de loi que nous déposons a pour objet de compléter les règles constitutionnelles et légales sur les incompatibilités de fonctions.
Un magistrat qui se devait de montrer l'exemple a commis de graves manquements envers les règles sur l'incompatibilité en vertu desquelles un conseiller d'Etat peut rester propriétaire de son entreprise pour autant qu'elle ne bénéficie pas de commande de l'Etat et qu'il n'y déploie plus d'activité. Le Conseil d'Etat, comme il l'a reconnu lors d'une dernière séance, a été incapable de les faire respecter.
Comme les autres responsables de départements, le chef des travaux publics et de l'énergie avait six mois à compter de son élection pour cesser toute activité dans son bureau d'architecte, et ce bureau ne pouvait pas bénéficier de mandat de l'Etat. Enfin et surtout, ce responsable ne devait pas traiter les dossiers d'autorisation de construire concernant directement ou indirectement son bureau ou les dossiers des clients de son bureau.
Nous le savons, ces règles n'ont pas été respectées. Le bureau du chef du département est resté inscrit au registre du commerce de Genève jusqu'en août 1996. Comme le précisait l'extrait du registre du commerce, M. Joye était le seul autorisé à représenter son bureau et à traiter.
A Fribourg, le bureau de M. Joye était toujours inscrit au registre du commerce jusqu'à deux jours après la convocation de la conférence de presse, le 10 avril 1997. On retrouve là également une série de problèmes, puisqu'il était le seul à pouvoir traiter et signer pour ce bureau, ce qui est totalement illégal.
Contrairement à ce qui été affirmé dans cette salle, plus particulièrement lors de la séance du 20 février, les affaires de la société Schuler n'ont pas été réglées il y a une année, mais seulement le 21 février, soit deux jours après la parution des articles de presse.
Il y a eu poursuite des activités et, ce qui est plus grave, M. Joye a traité des demandes d'autorisation concernant directement ou indirectement son bureau ou ses clients. Il est notoire que son bureau a été mandaté peu de temps avant les élections pour traiter des problèmes immobiliers de la famille Latsis et du roi Fahd d'Arabie à Collonge. Avec un autre architecte qui n'était visiblement qu'un prête-nom, il a continué de s'occuper de ce projet après les élections.
Le Conseil d'Etat a été saisi très tardivement de la décharge des dossiers. Sa décision n'a été communiquée que dans la dernière séance du Grand Conseil et n'a été prise qu'en août 1996. Il y a encore d'autres problèmes liés à ses activités, mais le problème de fond est de savoir comment sont traités les problèmes d'incompatibilité. Au-delà des questions posées dans la motion, on s'aperçoit que les règles constitutionnelles sur les incompatibilités de fonctions du Conseil d'Etat votées par le peuple genevois en 1961 n'ont pas fait l'objet d'une loi d'application. Aucune autorité n'a été formellement désignée pour assurer le contrôle et le respect de ces règles, identiques à celles du Conseil administratif de la Ville de Genève et approuvées par le peuple en 1974.
Dans l'une de mes dernières interventions, j'avais précisé qu'un certain nombre d'entre nous se trouvait sous le coup des règles d'incompatibilité avec des mesures très différenciées selon l'appartenance et un acharnement particulier envers les élus de notre groupe. M. Meyll, qui donnait quelques heures de cours sur les vélomoteurs au CEPIA, a été expulsé de ce Grand Conseil au nom de ces règles, alors que, dans d'autres cas, on est incapable de les faire respecter.
Ces différentes explications et motivations suffisent à justifier le renvoi en commission et l'examen par le Grand Conseil d'une loi d'application sur les incompatibilités du Conseil d'Etat. Il est indispensable de préciser la mise en place, les responsabilités et le fonctionnement d'une législation. Cela doit être clairement établi avant les élections, afin que chaque député, conseiller d'Etat ou conseiller administratif soit traité avec égalité. Il est inacceptable que la loi ne soit pas appliquée par ceux-là mêmes qui sont en charge de la faire respecter.
Je vous remercie de renvoyer ce projet de loi en commission.
M. Pierre-Alain Champod (S). Ce projet de loi de l'Alliance de gauche a pour objectif de rendre plus transparents les liens d'intérêts qui peuvent exister entre les différentes activités des conseillers d'Etat.
Le conseiller d'Etat qui n'a pas respecté la constitution prévoyant expressément la liquidation d'une entreprise dans un délai de six mois n'est pas étranger au dépôt de ce projet de loi.
Sans reprendre les propos tenus lors d'une précédente séance du Grand Conseil sur cette problématique, il nous semble important de relever qu'au-delà de la situation particulière de M. Joye la population doit être renseignée sur la situation professionnelle et financière de ses élus.
Le fait d'avoir des dettes n'est pas forcément incompatible avec le mandat à l'exécutif d'un gouvernement, mais la transparence est de mise. La population doit être sûre qu'en aucun cas l'élu ne subisse de pressions de la part de ses créanciers.
Si l'on veut éviter des dérives populistes et l'abstentionnisme, il ne peut être que bénéfique - pour l'image des responsables politiques qui n'ont pas très bonne presse - d'avoir plus de transparence. Il en va de notre intérêt à tous dans ce Grand Conseil.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste soutiendra le renvoi de ce projet à la commission des droits politiques.
Ce projet est renvoyé à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil.
La séance est levée à 23 h 15.