République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 20 février 1997 à 17h
53e législature - 4e année - 3e session - 6e séance
PL 7570
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
CHAPITRE 1
Dispositions générales
Article 1
1 Il est créé une société anonyme de droit public (ci-après: société) au sens de l'article 763 du code des obligations.
2 Elle a son siège à Genève.
Art. 2
1 La société a pour but de financer les petites et moyennes entreprises en capitaux à long terme, en garantissant les risques encourus par un organisme financier, ou par apport direct de capital, à tous les stades du développement de l'entreprise. La société travaille en collaboration avec l'office genevois de cautionnement mutuel et avec le département de l'économie publique.
2 La société investit pour au moins 60% dans de nouvelles entreprises porteuses de projets innovateurs qui ont leur siège à Genève. Pendant les 3 premières années d'existence, cette proportion peut être inférieure à cette limite, mais doit dépasser 45%.
Art. 3
1 L'investissement dans une entreprise ne doit pas dépasser 20% des actifs propres de la société.
2 La société investit dans des entreprises:
a) qui ne sont pas cotées en bourse; sont réservés les cas où la cotation intervient auprès de bourses spéciales pour petites et moyennes entreprises;
b) qui ne sont pas détenues à hauteur de plus de 25% ou plus du capital et des droits de vote par une entreprise ou conjointement par plusieurs entreprises qui emploient plus de 100 personnes;
c) dont les responsables ne participent pas au financement de la société;
d) dont les responsables s'engagent à assurer le respect des normes en vigueur en matière sociale, environnementale et de développement durable.
Art. 4
La surveillance du respect des prescriptions légales cantonales est de la compétence du Conseil d'Etat.
CHAPITRE II
Fonds propres
Art. 5
1 Le capital social de la société est divisé en actions nominatives.
2 Le canton et les communes souscrivent au capital de départ.
3 Le capital social est ouvert à d'autres acteurs publics ou privés.
4 Les actionnaires s'engagent par convention, si la situation de la société le rendait nécessaire, à augmenter leur participation.
CHAPITRE III
Organisation
Art. 6
Les organes de la société sont:
a) l'assemblée générale des actionnaires;
b) le conseil d'administration de la société;
c) l'organe de révision.
Art. 7
La gestion de la société est confiée à la Banque cantonale de Genève.
Art. 8
L'assemblée générale des actionnaires est l'organe suprême de la société. Elle détermine la politique générale de la société et veille à la réalisation de son but, tel que défini à l'article 2. Elle surveille l'activité du conseil d'administration de la société et la gestion de la banque cantonale.
Elle dispose notamment des compétences suivantes:
a) elle adopte et modifie les statuts de la société. Le Conseil d'Etat constate par arrêté que les statuts ou leur modification sont conformes à la présente loi;
b) elle approuve le rapport annuel et les comptes annuels, après avoir pris connaissance de l'organe de révision;
c) elle détermine l'emploi du bénéfice et la répartition des pertes;
d) elle nomme l'organe de révision;
e) elle élit les membres du conseil d'administration, à l'exception des membres de droit.
Art. 9
Le conseil d'administration de la société exerce la surveillance par délégation de l'assemblée générale.
Il se compose de 17 à 19 membres et comprend:
a) un membre par parti représenté au Grand Conseil;
b) un membre de la direction de la Banque cantonale attaché à la gestion de la société;
c) les représentants des autres actionnaires, dont 3 représentants des communes, un de la Ville de Genève, un des communes suburbaines et un des communes rurales.
Art. 10
1 Les administrateurs représentant les actions nominatives détenues par le canton de Genève sont désignés par le Grand Conseil.
2 L'administrateur membre de la direction de la Banque cantonale est désigné par le conseil d'administration de la banque.
3 Les administrateurs représentant les actions nominatives détenues par la Ville de Genève sont désignés par le Conseil municipal de la Ville de Genève.
4 Les administrateurs représentant les actions nominatives détenues par les autres communes sont désignés par l'Association des communes genevoises selon des modalités définies par celle-ci.
Art. 11
La société est contrôlée par un organe de révision indépendant nommé par l'assemblée générale.
CHAPITRE IV
Statut fiscal
Art. 12
La société est exonérée des impôts cantonaux et communaux sur le bénéfice et le capital, ainsi que de la taxe professionnelle.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Pour naître ou procéder à une étape importante de son développement, une entreprise a besoin de capitaux à long terme. Très souvent, l'entrepreneur qui est à l'origine du projet, ne disposant pas de moyens suffisants, doit chercher un financement à l'extérieur.
En raison de la crise et de l'accélération de la concurrence, les améliorations de la productivité et une partie des marges bénéficiaires sont utilisées pour améliorer la compétitivité des entreprises, si bien que la situation de celles qui sont en mesure d'investir est souvent rendue aléatoire par un fort endettement. De plus, pour cause de problèmes rencontrés sur les marchés immobiliers, les banques ont augmenté leurs provisions et aujourd'hui, certains y voient une relation de cause à effet avec les restrictions considérables des crédits accordés aux petites et moyennes entreprises. Enfin, le soutien aux entreprises nouvelles ou en transformation demande un grand travail de suivi et comporte des risques élevés. Cela décourage les investisseurs qui n'interviennent qu'à partir de certains seuils et crée ainsi des lacunes pour les petits projets.
Face à cette situation, les pouvoirs publics se sont donné des instruments d'intervention par, notamment, des cautionnements et autres crédits relais. Il manque toutefois à cette panoplie tout l'aspect fonds capital-risque, c'est-à-dire en définitive la participation directe au capital d'une entreprise, moyennant, bien sûr, la définition de critères adéquats. Une telle participation a aussi pour avantage de permettre la recherche de financements complémentaires aux financements publics impliquant banque cantonale, caisses de pension et associations professionnelles.
Le projet de loi qui vous est soumis propose donc la création d'une société anonyme de droit public qui a pour but de financer les petites et moyennes entreprises en capitaux à long terme, soit en garantissant les risques encourus par un organisme financier, par exemple une banque, soit par apport direct de capital à tous les stades du développement de l'entreprise. L'objectif est volontairement large puisqu'il comprend aussi bien le financement de la phase qui précède la création de l'entreprise que le financement du développement et du marketing d'une entreprise qui débute (start up), le capital d'expansion, de transition, le financement du rachat d'une entreprise existante ou celui d'une entreprise en difficulté dans le but de la restructurer.
Notre projet prévoit, bien entendu, que le canton ou les communes participent au financement du fonds mais ouvre aussi la possibilité de financements extérieurs et n'exclut pas que ces financements puissent être majoritaires. En effet, nous constatons que les caisses de pension disposent de capitaux importants. Un pourcentage, même très minime, de ces capitaux permettrait de financer de nombreuses PME-PMI en création ou en restructuration. Un objectif de ce projet est de drainer de l'argent du 2e pilier vers les entreprises. A notre avis, les caisses de pension n'investissent pas dans les PME-PMI pour trois raisons:
- elles obtiennent des bons rendements sur d'autres marchés;
- le capital-risque, comme son nom l'indique, est un placement risqué;
- elles n'ont souvent pas des moyens nécessaires pour évaluer les chances de réussite d'une entreprise en création.
Ce projet de loi propose de créer une «interface» entre les caisses du 2e pilier et les entreprises à la recherche de fonds. Cette «interface» permet de limiter les risques par un fonds commun et décharge les caisses du 2e pilier du travail d'évaluation des entreprises.
En ce qui concerne les conditions générales, nous nous sommes inspirés des travaux de la commission de l'économie et des redevances du Conseil national et plus particulièrement du rapport de sa sous-commission «capital-risque». Pour ce qui touche à la gestion de cette société, il nous est apparu raisonnable de la confier à la banque cantonale qui dispose de structures et de personnes qualifiées pour évaluer les demandes. De plus, cette nouvelle tâche s'inscrit parfaitement dans le mandat constitutionnel donné à la Banque cantonale de Genève (BCG), à savoir: «La BCG a pour but principal de contribuer au développement économique du canton et de la région» (art. 177, al. 2, de la constitution).
Ce projet complète les mesures d'allégement fiscal en discussion à Berne et les projets à l'étude au Grand Conseil. Le projet de loi 7457-A qui est inscrit à l'ordre du jour du Grand Conseil propose notamment que l'Etat cautionne des prêts, mais il ne prévoit pas le financement du capital-risque, ce qui est l'objectif principal du présent projet.
Mesdames et Messieurs les députés, les principaux problèmes que rencontrent aujourd'hui les entreprises sont des problèmes d'accès au crédit et ces problèmes sont plus importants pour les petites et moyennes entreprises que pour les autres. Il nous paraît raisonnable de tenter d'aider à la recherche de solutions dans la mesure où la création d'entreprises nouvelles, la promotion de nouveaux produits ou tout simplement le maintien et la valorisation des productions et des savoir-faire existants participent directement de la dynamique économique et de la création d'emplois. Notre projet s'inscrit naturellement dans cette logique et nous vous remercions d'ores et déjà de lui faire bon accueil.
Préconsultation
Mme Micheline Calmy-Rey (S). Considérant la phase de récession dans laquelle nous vivons, je pense que vous serez tous d'accord avec moi...
Une voix. Non !
Mme Micheline Calmy-Rey. Si ! ...pour dire que les petites et moyennes entreprises jouent un rôle stabilisateur sur l'emploi.
Un rapport européen, publié il y a peu de temps, révèle qu'il se crée en Suisse moins de PME que dans le reste de l'Europe et que la Suisse figure en queue de peloton pour l'aide aux PME.
D'ailleurs une conférence de presse de l'Association des petites et moyennes entreprises de Genève révélait que, selon une enquête faite auprès de ses membres, environ un quart d'entre elles estimait qu'elles n'existeraient plus dans un an si la situation et le climat économique demeuraient ce qu'ils sont aujourd'hui et que leur principal souci, dans l'immédiat, était l'accès aux crédits.
Aujourd'hui, les banques ne prêtent plus, ou presque. Elles diminuent, voire suppriment, des lignes de crédit, et les restrictions considérables de crédits appliquées aux PME s'appliquent aussi aux nouvelles entreprises ou à celles en transformation qui comportent un gros travail de suivi et des risques élevés.
Face à cette situation, l'intervention de l'Etat est légitime. Ce dernier est d'ores et déjà intervenu et se trouve sur le point de le faire à nouveau. En automne dernier, il a voté une loi pour recapitaliser l'Office genevois de cautionnement mutuel, et il votera, sous peu - le projet figure à notre ordre du jour - une loi de soutien aux PMI prévoyant le cautionnement et le subventionnement d'une partie des intérêts.
L'originalité et l'aspect complémentaire de notre projet, par rapport à d'autres, résident dans la participation directe. La société d'économie mixte que nous proposons devient un partenaire partageant risques et profits, a contrario du prêt traditionnel.
La participation directe a aussi l'avantage de permettre le financement complémentaire par des solutions mixtes qui peuvent impliquer des banques, des assurances, des caisses de pension ou d'autres investisseurs privés, par exemple.
Le but de ce projet est d'encourager les investisseurs à placer leur argent dans des entreprises en création ou en transformation et, notamment, d'encourager les caisses de pension. Ces dernières disposent de capitaux importants. Si elles investissaient, ne serait-ce qu'un faible pourcentage de leur fortune dans le capital-risque, nous ne connaîtrions pas le problème que nous évoquons aujourd'hui.
Si elles ne le font pas, elles et d'autres, c'est que rien ne les y incite aujourd'hui. En effet, les risques sont élevés; les rendements sur les autres marchés sont intéressants et, enfin, elles manquent de personnes compétentes pour évaluer les chances de succès d'une entreprise. La société que nous proposons est donc une sorte d'interface entre les investisseurs potentiels et les PME, avec l'avantage de diluer le risque et d'éviter les difficultés d'évaluation.
Quelques mots encore sur la société elle-même. Son objectif est large et englobe l'apport de capitaux à tous les stades du développement de l'entreprise, avant même que l'entreprise débute. Ces étapes sont appelées : seed-money, start up, capital d'expansion, de transition, rachat par des employés ou par des cadres. Toutes les étapes possibles - vous l'avez vu - figurent dans les buts du projet de société.
Les conditions générales de l'investissement sont reprises des travaux de la commission «économies et redevances» du Conseil national. Il nous a paru intéressant, en effet, de jouer la complémentarité avec le projet du Conseil national. L'objectif de ce dernier est d'alléger la fiscalité des investisseurs participant à une société de capital-risque reconnue. Nous avons donc tenu à respecter les conditions posées sur le plan national pour la reconnaissance d'une société de capital-risque en les intégrant dans le projet que nous vous proposons. La charge fiscale fédérale des investisseurs sera par conséquent allégée dans la mesure prévue par le Conseil national.
Deux remarques pour terminer. Nous avons choisi la forme d'une société de droit public pour garantir une structure démocratique ouverte et possédant une représentation convenable des collectivités. J'avoue que le conseil d'administration est un petit peu trop fourni. Nous l'avons fait nombreux pour donner de la place aux investisseurs privés et, éventuellement, leur donner une certaine importance. Mais nous restons prêts à discuter du nombre des membres du conseil d'administration.
Enfin, nous avons choisi sciemment de confier la gestion de cette société à la Banque cantonale, en étant bien conscients qu'elle devra renforcer ses équipes pour être en mesure d'évaluer les projets de capital-risque. Mais nous avons préféré cette solution à une autre, partant de zéro et recréant complètement une structure d'évaluation et de gestion d'une société de capital-risque. Nous l'avons préférée aussi à celle qui aurait consisté à confier une telle gestion à un service du département de l'économie publique.
Voilà les traits principaux de ce projet. Je vous remercie de bien vouloir le renvoyer en commission et de lui faire bon accueil.
M. Nicolas Brunschwig (L). Ce projet est une proposition concrète au problème croissant du financement des petites et moyennes entreprises. A cet égard, et pour cette unique raison, il mérite d'être examiné avec bienveillance.
Ce sujet est d'actualité, et de nombreux acteurs de la vie économique et politique genevoise ont exploré ce terrain. Dans l'ordre ou le désordre, nous pensons aux partis politiques, au Conseil économique et social qui recommande la Banque régionale de développement, à Genilem, au département de l'économie publique, aux entreprises et aux caisses de prévoyance.
La première conclusion de la plupart des personnes ayant réfléchi à ce sujet montre la difficulté de passer du concept à la réalisation pratique. En l'occurrence, ce pari ne me semble pas réussi par les auteurs de ce projet de loi. En effet, les deux questions clés essentielles, permettant de réaliser un tel fonds, ne sont pas abordées, tout au moins de manière réaliste. Je pense au financement et à l'expertise.
En ce qui concerne le financement : pas un mot, si ce n'est à l'article 5, dans lequel est stipulé que le capital social de cette société est divisé en actions nominatives et que le canton et les communes y souscrivent. Vous avez laissé une opportunité à d'autres acteurs publics ou privés de participer au capital social, mais ils risquent d'être effrayés par l'alinéa 4, dans lequel les actionnaires s'engagent par convention et augmentent leur participation si la situation de la société le rend nécessaire.
En d'autres termes, vous voulez attirer d'autres investisseurs que les collectivités publiques seules, mais vous les avertissez de la précarité de cette société par l'obligation qu'ils ont de souscrire à une augmentation du capital-actions dans le cas où cela s'avérerait nécessaire.
En ce qui concerne l'expertise, il est cocasse de constater que la gestion de cette société est proposée à la Banque cantonale par ceux qui la critiquent. En effet, ces critiques portent surtout sur la capacité de cette banque à octroyer des crédits à des partenaires, à des entreprises maîtrisant la gestion de leur affaire et leurs risques. De toute manière, il ne nous semble pas que ce soit une bonne solution. S'il est vrai que la Banque cantonale a un rôle actif à jouer dans le cadre de la promotion économique à Genève, lui confier la gestion d'une telle société - qui serait extrêmement difficile, car la gestion du capital-risque est un métier à part entière - va au-delà de ses compétences. Cette question d'expertise ou de management est essentielle. Si nous ne la considérions pas comme telle, nous tomberions très rapidement dans ce qui pourrait être un gouffre à milliards.
En effet, dire que l'on veut promouvoir les PME est une chose, pouvoir apprécier la qualité des projets et des personnes en est une autre. Bien évidemment, l'objectif, si l'on veut que ce fonds ait une certaine efficacité et une certaine durée, est de promouvoir des entreprises sérieuses ayant des projets attractifs.
Dès lors, ces deux lacunes deviennent fondamentales. Mais, étant donné l'importance du sujet, les autorités politiques doivent réfléchir à d'autres solutions pour financer ces PME. Nous sommes intéressés, mais conscients de la simplicité hasardeuse de ce projet de loi. Toutefois, nous l'étudierons en commission, en réponse à ce légitime souhait de venir en aide aux PME.
Cependant, deux éléments me paraissent totalement incompréhensibles et j'attends que des explications soient données en commission. Premièrement, dans l'article 3, alinéa 2, lettre c), il est dit que la société investit dans des entreprises, dont les responsables ne participent pas au financement de la société. Serait-ce que l'animateur n'investirait pas dans la société et ne prendrait donc aucun risque ? Si c'était le cas, tous les risques seraient pris par l'Etat ou des actionnaires tiers. J'avoue n'avoir pas compris le fondement de cet article.
Quant à l'expression magique, utilisée par tous à propos de financement des PME : «les fonds de prévoyance», leur vocation première est de garantir leurs prestations aux assurés. A cet égard, je ne veux pas dire que le risque est forcément plus important à investir dans ce type de sociétés, plutôt que dans d'autres, immobilières ou mobilières, mais il est certain qu'une fondation n'investira dans ce genre de sociétés que si elle est convaincue de la qualité de l'expertise et du management, qui forment la «clé de voûte» de toute entreprise.
Il ne me semble pas que la gestion de ce type d'activités ou de sociétés doive dépendre du département de l'économie publique. Par contre, il me paraît essentiel d'approfondir et de réfléchir, afin qu'un tel projet ait quelques chances de succès.
M. Jean-Claude Vaudroz (PDC). Je partage certains propos évoqués par M. Brunschwig. Ce projet de loi doit être renvoyé en commission pour deux raisons, dont l'une découle de l'autre.
Le titre de ce projet de loi est intéressant, d'une part, parce qu'il comporte les mots «capital-risque» et, d'autre part, parce que ces mots impliquent que l'on propose un certain nombre de moyens de financement aux entreprises correspondant, par ailleurs, à un réel besoin de nos PME et PMI. Cependant, ce projet de loi est le résultat d'une analyse désuète.
Je citerai cinq points pour compléter le discours de M. Brunschwig. Premièrement, si l'on imagine qu'une société institutionnelle fait du capital-risque et réalise du bénéfice en prenant, de surcroît, des risques dans tous les domaines d'activités qui nécessitent un certain nombre de financements, on s'aperçoit que cette idée tient du délire.
En effet, aujourd'hui, les seules entreprises de capital-risque qui réussissent et obtiennent un certain nombre de résultats sont très spécialisées dans un secteur d'activités bien spécifiques. Si on prend l'exemple du domaine informatique, une telle société, pour qu'elle ait des chances de réussite, devra se spécialiser dans le domaine du hardware, du logiciel ou dans celui du réseau. Pour être capable de juger les risques à prendre dans certains projets, il faut de la pertinence et une certaine compétence.
Deuxièmement, vous parlez de concentration géographique. Cet élément est négatif, car Genève est un bassin trop limité. Nous l'avions déjà constaté dans le cadre du projet Genilem. Par conséquent, pour qu'il ait des chances de réussite, il convient de le réaliser à l'échelle romande, au minimum.
D'autre part, à l'article 7, la Banque cantonale est mentionnée comme gestionnaire potentiel. Si cette dernière dispose d'un certain nombre de moyens pour garantir le capital, je doute fort qu'elle ait la compétence nécessaire pour évaluer les risques et définir si un financement est possible. Monsieur Ducommun, je ne dis pas que la Banque cantonale est incompétente, mais que ses compétences sont essentiellement liées à la finance et à la banque.
M. Daniel Ducommun. C'est sous-entendu ! (Rires.)
M. Jean-Claude Vaudroz. Ensuite, la composition du conseil d'administration, dont vous parlez à l'article 9, m'étonne. Celui-ci est représenté presque uniquement par des politiques et aucune allusion n'est faite à un profil de compétences pour traiter le capital-risque.
Mais le point le plus étonnant de votre projet de loi, également évoqué par mon collègue Brunschwig, est celui mentionné à l'article 3, lettre c, dans lequel vous dites que les responsables ne participent pas au financement de la société.
Une voix. Vous n'avez pas compris !
M. Jean-Claude Vaudroz. Je n'ai peut-être pas compris, mais vous m'expliquerez tout cela en commission, où ce projet de loi sera probablement annulé et sa base reconstruite. Ce concept est contraire à tout développement de management dans nos entreprises. Or, il me semble que, au contraire, il faut tendre à son implication. L'implication des travailleuses et travailleurs dans la dynamique de l'entreprise, leur association à cette prise de risques servent à les responsabiliser et à obtenir un engagement total de leur part : véritable garant de la réussite d'une entreprise.
En conclusion, ces mots «capital-risque», mentionnés dans le titre, me paraissent garantir l'intérêt de ce projet qui tente de répondre à un besoin urgent de nos PME et PMI et justifient la décision du parti démocrate-chrétien d'accepter son renvoi en commission.
Les auteurs de ce projet de loi font la démonstration de la différence fondamentale qui existe entre nos deux bords; d'un côté les praticiens et d'un autre les théoriciens, ou, plus simplement, ceux qui ont les pieds sur terre et ceux qui ont la tête dans les étoiles !
Des voix. Bravo !
La présidente. Je rappelle que nous sommes en débat de préconsultation. Un temps de parole de cinq minutes est imparti à une personne par parti.
M. Pierre Kunz (R). Pourquoi faudrait-il refuser une bonne idée au seul prétexte qu'elle provient de gens, dont on sait qu'ils ont généralement et globalement tort dans leur pensée et dans leur action politique ? (Rires.)
Disons-le clairement, les radicaux ne sont pas mécontents de l'initiative prise par nos collègues socialistes de déposer ce projet de loi. Ce dernier est intéressant dans le sens qu'il s'attaque à la problématique majeure des PME, à savoir leur insuffisance chronique de fonds propres, qui est due surtout - il convient de le dire honnêtement - à une mauvaise habitude prise par une grande partie de ces entreprises, consistant à recourir avec excès aux fonds empruntés et qui met aujourd'hui ces PME, sous-capitalisées et surendettées, en situation délicate face à leurs banquiers qui sont devenus tout à coup plus exigeants. Il s'agit pour les PME, et les PMI en particulier, de renforcer leurs fonds propres, ce à quoi vise le projet de loi.
L'économie de marché a parfois besoin d'un sérieux coup de pouce de l'Etat. En l'occurrence, si l'Etat entend vraiment aider les PME, il s'agit pour lui de réveiller l'épargne, une épargne abondante, et de favoriser par des mesures concrètes son investissement dans les PME. Une intervention vigoureuse de l'Etat est nécessaire, qui doit se matérialiser par la création de ce que le Conseil économique et social a appelé : «banque pour les PME» et que nos collègues socialistes appellent : «SA de capital-risque», mais que nous préférons qualifier tout simplement et d'une manière plus précise : «fonds d'investissement dans les PME». Un fonds alimenté, en partie seulement, par les deniers publics, mais financé surtout par les investisseurs institutionnels - il faut y croire - et privés.
Contrairement aux banques traditionnelles, ce fonds ne servira pas seulement à éviter les risques mais également à les gérer et à faire une analyse soigneuse et dynamique des risques, puis à en tirer parti.
A notre avis, ce projet de loi ouvre une voie intéressante. Par contre - et cela a déjà été relevé - il est plus que discutable dans les moyens concrets qu'il propose. A ce niveau, il cède - et cela n'étonnera personne - beaucoup trop au réflexe centralisateur, bureaucratique et étatique des auteurs du projet de loi. De grâce, laissons la Banque cantonale en dehors de la gestion de ce fonds ! Il s'agit d'une banque traditionnelle qui doit répondre à bien d'autres besoins que ceux du capital-risque. Par dessus tout, ne faisons pas du conseil d'administration de ce fonds un lieu de semi-retraite pour des politiciens en mal d'honneurs et de jetons de présence ! (Rires.)
Par conséquent, il s'agira de repenser complètement ce projet de loi en commission. Les radicaux s'associeront volontiers à ce travail et y apporteront une contribution positive.
M. David Hiler (Ve). Silence ! (Rires.)
La présidente. Vous avez la parole, Monsieur Hiler !
M. David Hiler. Vous êtes sûre ?
La présidente. C'est toujours un peu difficile après le repas, vous le savez bien !
M. David Hiler. M. Vaudroz, qui a l'air de bonne humeur, a dit un certain nombres de choses raisonnables. Je me plais à le souligner, parce que ce n'est pas forcément l'habitude. (Rires.) Je désire insister sur un point fondamental. (M. Vaudroz brandit un carambar.) J'adore les carambars; je passe tout de suite, mais tu m'achèteras après mon intervention, pas avant !
Dans sa forme actuelle, le projet que nous enverrons avec plaisir en commission - car il concerne un sujet important qu'il convient de traiter - n'est pas recevable en raison de son échelle géographique trop restreinte. Il conviendra de se mettre d'accord sur ce point, d'autant plus que l'on désire la création d'une société couvrant tous les secteurs. Plus le nombre de secteurs est grand et plus l'assiette géographique doit être large en raison du nombre de spécialistes à engager. Il s'agit d'une question de bon sens qui n'est pas l'apanage d'un bord ou de l'autre. Mais il est évident que, dans des domaines aussi pointus, si l'on reste à l'échelle locale, on n'obtiendra jamais les compétences suffisantes pour étudier sérieusement les dossiers. Le parti socialiste doit accepter cet argument. Sur ce dossier, comme sur d'autres, on ne peut plus raisonner à l'échelle purement genevoise, car c'est proprement «contreproduisant». Les HES en sont un exemple, mais ce n'est pas moi qui l'ai dit.
Il est vrai que la Banque cantonale peut mettre des capitaux à disposition dans une enveloppe proportionnelle à ses actions. Toutefois, il n'est pas imaginable de transformer une banque universelle qui ne couvre pas parfaitement l'ensemble des secteurs, en particulier ceux du crédit commercial, en un établissement destiné au capital-risque, extrêmement difficile à gérer en termes de compétences. Veuillez me pardonner l'expression : il n'est pas possible de lui «mettre encore cela sur le dos» ! Il conviendra donc de trouver une formule englobant les banques cantonales de toute la Suisse romande et, j'espère - ce serait la moindre des choses - un certain nombre d'établissements de Rhône-Alpes. A ces conditions, nous pourrons peut-être évoluer dans le sens des sociétés de capital-risque.
Toutefois, un petit détail persiste. Les entrepreneurs actuels ont une culture traditionnelle et, dans la norme, ils préfèrent recourir au crédit. Mais aujourd'hui, ils ont de la peine à en trouver. La raison est banale : ils ont l'impression d'avoir découvert un filon et n'ont pas envie de le partager avec un simple investisseur, au cas où l'affaire se développerait. J'espère que cet état de fait changera, mais il est inutile de nier cette réticence culturelle.
J'attire l'attention des gens qui «chantent» le capital-risque, car ce dernier exige un environnement économique et culturel assez différent de celui que nous connaissons. Il convient d'être conscients d'un certain nombre de limites qui, d'ailleurs, ne doivent pas être un prétexte pour ne rien faire, mais une manière de rappeler que d'autres soucis, notamment ceux soulevés par le Conseil économique et social dans son rapport, ne doivent pas être négligés au nom d'un certain fétichisme du capital-risque.
Une voix. Fétichisme ?
M. David Hiler. Oui, cela pourrait le devenir, car ces mots sont à la mode comme deux ou trois autres. Effectivement, il faut garder en tête le fait que le capital-risque est un dispositif parmi d'autres et que toute une série d'autres problèmes de financement des entreprises doivent être traités. Ceci n'est nullement une critique. Nous sommes donc satisfaits d'avoir une base de discussion. Nos deux principales critiques ont été exposées, et nous verrons les détails en commission.
M. Jean-Philippe Maitre, président du Conseil d'Etat. Le projet qui vous est soumis pose un problème sérieux, réel, mais je crains une certaine confusion sur les objectifs à atteindre.
Il faut bien se mettre d'accord sur ce que représente et ce qu'exige le domaine du capital-risque, car nous ne sommes ni dans le domaine du capital-lancement ni dans celui du capital-développement. Sur quelles bases fonctionne-t-il ? Quelles sont les méthodes et les projets en cours ?
Le capital-risque n'est rien d'autre que ce qui est mis à disposition par une société poursuivant un but résolument lucratif. Elle se trouve confrontée au fait que pratiquement 70 à 80% des projets de capital-risque échouent dans le monde entier. Le but d'une société de financement de capital-risque est de réaliser un gain en capital suffisamment important pour «surcompenser» les 70% à 80% des dossiers à perte par 20 à 30% des dossiers qui aboutissent.
Cela ne peut se faire que moyennant deux conditions précises qui ont déjà été évoquées sur la base de l'expérience actuelle.
Premièrement, une société de capital-risque ne peut pas avoir une vocation généraliste. Votre projet en a une. Cela part d'une bonne intention, mais, pratiquement, c'est irréalisable. Une société de financement de capital-risque ne peut intervenir que sur des marchés ou des secteurs d'activités hautement spécialisés qui requièrent de hautes compétences.
Deuxièmement, elle ne peut intervenir que si elle s'adresse à un marché territorialement très large. Ce n'est pas le cas du projet de loi. En effet, il ne donne aucune base sérieuse quant au financement de la société. Voilà une bonne question que nous devrons étudier en commission, car là réside un des vrais problèmes auxquels nous sommes confrontés.
Par ailleurs, ce projet comporte quelques bizarreries. Il faut noter que les modèles de sociétés anonymes ne sont pas pratiqués dans le domaine du financement de capital-risque; on recourt à celui des fondations. En effet, les règles du code des obligations, en matière de société anonyme, font qu'une société de capital-risque, dès qu'elle enregistre quelques pertes, doit très rapidement déposer son bilan, précisément en raison de ce ratio de 70 à 80% d'échecs et donc 20 à 30% de réussites.
Vous prétendez qu'une société de capital-risque, telle que vous l'envisagez, ne peut convenir qu'à de nouvelles entreprises qui ne seraient pas cotées en bourse. Une telle restriction est fausse et contraire à tout ce qui se fait, car, précisément, de nombreuses sociétés bénéficiant d'un financement de capital-risque sont incitées, le plus tôt possible, à se placer en bourse sur les deuxième ou troisième marchés. C'est précisément là que réside une des inadéquations fondamentales de votre projet.
Un des derniers défauts de votre projet, qui devra également faire l'objet d'une discussion très ouverte en commission, réside dans la conception politique que vous avez du conseil d'administration d'une société dont l'objectif est de financer du capital-risque.
Mesdames et Messieurs, on peut admirer les compétences des politiciens, quels que soient leur bord et leurs responsabilités. C'est ce qui fait dire à Mme Calmy-Rey que, en aucun cas, le département de l'économie ne devra être membre d'un conseil d'administration de ce type. En effet, nous n'avons pas les compétences pour ce faire. Une société de capital-risque gérée par un conseil d'administration politique conduirait, si par impossible elle devait voir le jour, à vous faire une seule recommandation : celle de demander à l'Etat de vous financer, sur son budget, de très solides assurances responsabilité civile.
Ce projet doit faire l'objet d'un débat en commission, car il traite d'un problème sérieux. Nous devons trouver des solutions pour lesquelles nous vous ferons des propositions qui seront destinées à répondre à ce problème lancinant que nous avons identifié à réitérées reprises, celui de la difficulté d'accès aux crédits pour un certain nombre de PME et de PMI.
Cette problématique est toutefois plus vaste et différente de celle du capital-risque, que vous avez suggérée dans votre projet.
Ce projet est renvoyé à la commission de l'économie.