République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 13 décembre 1996 à 17h
53e législature - 4e année - 1re session - 53e séance
I 1968
M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Voici une réponse plus complète :
La commune de Troinex a déposé, le 23 juin 1992, une demande d'autorisation de construire des bâtiments locatifs comprenant notamment une poste communale et des commerces. L'instruction de cette demande a fait l'objet de nombreuses discussions entre le maître de l'ouvrage et la CMNS.
Onze variantes ont été élaborées. Le projet a finalement été approuvé par la CMNS. Il comporte deux immeubles au lieu de l'unique bâtiment prévu initialement. Il a été modifié en vue d'une meilleure intégration architecturale au site. L'autorisation préalable de construire, délivrée le 12 mai 1993, a fait l'objet d'un recours des propriétaires voisins auprès de la commission de recours LCI, qui a été rejeté en février 1994. Le recours déposé auprès du Tribunal administratif a également été rejeté en septembre 1995, d'où un nouveau recours, toujours pendant, au Tribunal fédéral.
En juillet 1995, l'association «Action patrimoine vivant» a sollicité du département une demande de classement des parcelles concernées par le projet d'aménagement de la commune de Troinex. La CMNS s'est déclarée favorable à l'ouverture d'une procédure de classement. En avril 1996, le Conseil d'Etat a décidé de ne pas entrer en matière sur l'ouverture d'une procédure de classement des parcelles de la Grand'Cour pour les raisons suivantes :
1. La décision d'implanter la poste à la Grand'Cour a été prise à l'unanimité du Conseil municipal.
2. Le département - agréant le préavis unanimement favorable de la commune au projet de construction, ainsi que le préavis favorable de la CMNS - a délivré une autorisation préalable de construire portant sur le projet de construction envisagé par la commune.
3. Ce projet a été contesté devant les tribunaux. Plusieurs procédures en cours entravent le démarrage des travaux.
4. La demande de classement formulée par «Action patrimoine vivant» est intervenue après la délivrance de l'autorisation préalable de construire, alors que celle-ci bénéficiait d'un préavis favorable de la CMNS.
5. Aux yeux du Conseil d'Etat, «Action patrimoine vivant» ne peut se prévaloir du statut d'association d'importance cantonale, au sens des prescriptions légales applicables en la matière, dès lors qu'elle n'a été constituée que très récemment. C'est pourquoi sa demande ne pouvait être traitée comme celles émanant d'associations d'importance cantonale, dont découle l'ouverture, sans autre, d'une procédure de classement. Dans son cas, l'ouverture d'une procédure de classement est subordonnée à une décision de l'autorité compétente qui dispose d'un certain pouvoir d'appréciation.
6. Partant du fait qu'aucune association d'importance cantonale n'avait sollicité le classement de la Grand'Cour et que la CNMS avait préavisé l'ouverture d'une procédure de classement, alors que cette commission avait la faculté de demander elle-même une mesure de classement, le département et le Conseil d'Etat ont pris la décision de ne pas ouvrir une telle procédure. Pesant les intérêts en présence, le Conseil d'Etat a estimé injustifié d'entrer en matière sur cette demande, vu l'état d'avancement du projet d'urbanisation, les préavis favorables tant de la CMNS que de la commune de Troinex et la ferme volonté de celle-ci de faire aboutir le projet.
De manière générale, j'encourage les opposants à présenter leurs observations, oppositions, demandes de classement, au début des procédures et non au dernier moment. Une demande de classement ralentit la procédure d'au moins six mois. J'en ai terminé, Madame la présidente.
La présidente. Vous m'avez prise de vitesse, Monsieur le président. Comme il s'agit d'une interpellation ordinaire, M. Boesch a le droit de répliquer. Voulez-vous répondre, Monsieur le député ?
M. Jacques Boesch (AdG). Je me bornerai à dupliquer sur deux points.
Je ne sais si M. Joye est bien informé, mais je crois savoir que La Poste, au vu de ce qui se passe dans la région, se retire du projet. Cela démontre que les organes dirigeants de cette entreprise ont compris dans quelle situation ils risquaient de «s'enfoncer». Ils se sont désistés avant que des dégâts trop importants ne surviennent. Voilà pour le premier point !
Le deuxième point touche à l'association «Action patrimoine vivant». J'ai dit et je répète qu'elle est d'importance cantonale. Elle a donc qualité pour agir.
Permettez-moi, maintenant, de m'exprimer avec fermeté sur le fond de l'affaire. Je ne reviendrai pas sur les propos qui viennent d'être tenus et qui ouvrent, effectivement, quelques perspectives intéressantes. Je m'en tiendrai à la première réponse du Conseil d'Etat.
Je vous rappelle, Monsieur Joye, que le permis de construire n'a été obtenu qu'après que le projet initial du Conseil municipal eut fait l'objet de onze versions différentes en ce qui concerne le projet de hameau médiéval de la Grand'Cour. C'est dire à quel point ce projet est mauvais et mal adapté à ce site particulièrement sensible.
Je rappelle également que la commune de Troinex veut ériger deux immeubles, avec une poste, des commerces, des logements et un parking souterrain, en défonçant le site de la Drize et en massacrant, de ce fait, son chemin d'accès entre l'ancien moulin et les mas d'origine médiévale.
Le fait que ce projet date de la précédente législature, comme affirmé par M. Joye, ne justifie en rien son traitement actuel. Jusqu'à présent, le DTPE ne s'est pas privé de procéder à des retouches, n'hésitant pas à effectuer des virages à 180° par rapport à la politique précédente.
Au demeurant, le questionnement de mon interpellation, telle que je l'ai développée il y a déjà plusieurs mois, était bien plus vaste. Je demandais à M. Joye comment s'exerçaient, actuellement, les responsabilités respectives du département, de son président, de son conservateur des monuments, de son service des monuments et sites, et, enfin, de sa commission des monuments, de la nature et des sites, par rapport au patrimoine de notre territoire qui doit être préservé, en vertu des lois. Cette question intéresse de nombreux députés. Pour s'en convaincre, il suffit de compter les interventions suscitées par la politique du département à cet égard. Cette question intéresse également la majorité de la population : preuve en est le succès des Journées du patrimoine et le nombre ahurissant de recours contre les autorisations de démolir, de transformer et de construire délivrées par le département.
Dans l'affaire de la Grand'Cour, la surdité des organismes genevois réputés compétents a fait que le Conseil de l'Europe a dû être saisi. En effet, la Grand'Cour remplit complètement les conditions de la Convention européenne pour la conservation du patrimoine, convention ratifiée par la Suisse en 1996. Cette ratification soumet notre pays à une force de loi supérieure à la loi nationale, subséquemment à la loi cantonale.
Fort de ce critère, le cas de la Grand'Cour est parvenu à Mme Annachiara Cerri, administratrice de la division du patrimoine culturel au Conseil de l'Europe et présidente, à ce titre, des Journées européennes du patrimoine.
Il a donc fallu chercher un appui au-delà du canton et du pays, le DTPE ayant dépassé les bornes en refusant d'examiner sérieusement la demande d'ouverture d'une procédure de classement, et cela en dépit du préavis favorable de la plénière de la CNMS.
Pourquoi nos autorités acceptent-elles de prendre de pareilles responsabilités ? Je vous remercie de l'attention que vous avez portée à mes propos.
M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Je répondrai en deux phrases !
J'ai déjà évoqué, la semaine passée, le nombre des recours gagnés au détriment du département des travaux publics. Si nous en avons perdu dix sur cent cinq, dont trente au Tribunal fédéral, c'est bien le maximum !
Dire que La Poste se retire à cause d'un projet de construction et de questions de conservation procède d'une analyse totalement erronée. La meilleure façon de «tuer» une poste désireuse de s'implanter, c'est de faire traîner les projets. Celui dont nous parlons a traîné pendant quatre ans, la commune de Troinex ayant déposé sa demande d'autorisation de construire le 23 juin 1992 !
Cette interpellation est close.