République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 11 octobre 1996 à 17h
53e législature - 3e année - 11e session - 41e séance
P 1116-A
Lors de sa séance du 25 mai 1996, la commission sociale a traité la pétition 1116. En fait, il s'agit d'une très longue lettre de Mme Laura Rinaldi adressée le 2 mai à la commission des pétitions, avec copie à tous les membres. Cette dernière, en date du 9 mai 1996, l'a transmise à la commission sociale.
Les faits
Mme Laura Rinaldi, commerçante, prend à sa charge ses père et mère âgés et malades. Son père, atteint de la maladie d'Alzheimer, décède dans des conditions très douloureuses.
Complètement absorbée, depuis des mois, par les soins à apporter à son père, perdant peu à peu la notion des choses, à sa mère impotente, elle découvrit ce que ses parents n'avaient pas osé lui dire: «ils avaient des arriérés d'assurance-maladie». A assumer toutes les dépenses liées aux maladies de ses parents, elle prit elle-même du retard dans le paiement de ses cotisations de caisse-maladie. Les assurances, en effet, suspendaient tout remboursement des factures, menaçant Mme Laura Rinaldi de poursuites.
Par lettre datée du 17 mai 1996, M. Guy-Olivier Segond, président du département de l'action sociale et de la santé, informait Mme Laura Rinaldi de ce que le «service de l'assurance-maladie interviendra et prendra en charge tout l'arriéré des cotisations», aussi bien pour elle-même que pour ses parents, attirant son attention «sur la mesure exceptionnelle qui est prise en sa faveur». M. Segond invite, par ailleurs, Mme Laura Rinaldi à déposer «une demande de prestations complémentaires AVS/AI» pour sa mère, auprès de l'office cantonal des personnes âgées.
Le 18 mai 1996, le service de l'assurance-maladie, confirmant le courrier de M. Segond, remet à Mme Laura Rinaldi les attestations d'assurance destinées à sa caisse-maladie.
Conclusions
La commission sociale, au vu des informations reçues et après avoir pris connaissance des courriers susmentionnés et constaté le règlement de ce cas dans les meilleures conditions, vous propose, à l'unanimité, de déposer la pétition 1116 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement.
(P 1116)
PÉTITION
concernant un problème familial
Si je m'adresse à vous c'est parce que ma mère, âgée et handicapée, et moi sommes plongées dans une situation critique et qui devient, jour après jour, plus intolérable.
Tout a commencé au printemps 95 lorsque mon père est tombé malade. Le syndrome d'Alzheimer a été diagnostiqué, anéantissant tout espoir de guérison et de retour à une vie normale.
J'ai alors repris, seule, la direction du commerce familial que je gérais depuis plusieurs années déjà. Je me suis aussi retrouvée soutien de famille. En effet, à la même période, l'état de ma mère, atteinte d'une sévère forme d'arthrose s'est encore aggravé; elle est devenue totalement impotente.
Ce tableau, très noir, s'est encore assombri quand j'ai découvert ce que mes parents - par honte - m'avaient soigneusement caché: ils avaient des arriérés d'assurance-maladie.
Cette somme, pourtant raisonnable, a suffi à la caisse Universa pour refuser toute participation aux frais d'analyse et de médicaments. En cas d'hospitalisation, celle-ci serait entièrement à notre charge.
Et la descente aux enfers a commencé.
Mon père avait besoin de médicaments coûteux, d'examens et il en avait besoin immédiatement, j'ai donc tout réglé de ma poche. Puis, pour préserver l'avenir, j'ai voulu résilier une assurance inutile et onéreuse. Ma demande s'est soldée par un échec. Ses factures ont continué à me parvenir, augmentations incluses. Il me fallait à la fois payer les arriérés, les nouvelles primes et avancer l'argent pour les analyses et les soins.
L'état de mon père s'est mis à évoluer vite et mal. Les dépenses ont succédé aux dépenses. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à avoir du mal à régler ma propre assurance-maladie ainsi que la complémentaire. J'ai voulu les résilier; en pure perte.
Entre-temps, le fardeau s'est fait encore plus lourd.
On parle beaucoup de la maladie d'Alzheimer à laquelle on tente de sensibiliser l'opinion, mais sait-on ce qu'elle signifie au quotidien?
J'ai vu mon père sombrer dans la démence, oublier jusqu'à son propre nom, se heurter aux murs. Je l'ai vu uriner sur le sol, puis se traîner sur ce même sol comme une bête. Je l'ai vu, impuissante et désespérée, perdre sa dignité d'homme.
C'est ainsi que tout en travaillant à plein temps et en m'occupant de ma mère handicapée, j'ai dû me lever jusqu'à huit fois par nuit pour lui donner à boire ou... changer les draps et nettoyer encore et encore, jusqu'à l'épuisement. Parce qu'il avait des arriérés, il m'a fallu assumer, seule, les fonctions d'une équipe médicale et d'une femme de ménage.
Ensuite? Ensuite mes parents ont attrapé la grippe. La grippe a dégénéré en bronchite. J'étais folle d'inquiétude. A nouveau, j'ai réclamé l'aide d'une infirmière, au moins à temps partiel. En vain. Il y avait encore un arriéré.
L'agonie de mon père a duré quarante-huit heures. J'étais seule à son chevet. Je ne savais comment m'y prendre pour le soulager. L'amour ne remplace pas le savoir-faire médical. Il m'a fallu approcher un miroir de ses lèvres pour vérifier s'il était mort avant de lui fermer les yeux. Je n'oublierai jamais.
Depuis ma mère est en sursis de saisie. La caisse Universa lui réclame l'intégralité de la somme encore due par feu mon père; elle n'a, elle, jamais réglé une facture. Pas un centime. Pas une fois. Mais mon père, ma mère et moi avons été mis en poursuites par nos caisses-maladie respectives à savoir l'Universa pour eux, l'Avenir et l'Universa pour moi.
La permanence juridique consultée m'a affirmé qu'il était impossible d'échapper aux arriérés et que les assurances étaient en droit de saisir le mobilier, voire de mettre le commerce familial en faillite et cela sans avoir fourni la moindre prestation, la nouvelle loi les y autorise.
Comment est-ce possible? Je ne comprends pas. Que deviendrons-nous si alors que le loyer, les hypothèques, les impôts sont payés, si alors que l'affaire tourne, les assurances qui nous ont laissés dans la plus noire des détresses, s'arrogent le droit de saisir les meubles, puis, éventuellement, de s'approprier de tout? Sommes-nous vraiment jetés, pieds et poings liés entre les griffes de gens sans scrupules et aux appétits démesurés? Certes, me rétorquera-t-on, le peuple a opté pour la «Lamal», mais lui en a-t-on montré les effets pervers? Ceux qui bafouent la dignité humaine? Ceux qui brisent les existences? J'en doute.
A quoi cela sert-il de nous réduire en pareil état? Pourquoi tenter de nous priver de notre source de revenus? Nous sommes plus utiles à la communauté en étant actifs qu'en étant à sa charge. C'est aussi en payant des impôts, en subvenant soi-même aux besoins d'une famille, en réinvestissant régulièrement ses avoirs que l'on sert son pays. Pas en se laissant spolier.
C'est pour continuer à assurer mon rôle de soutien de famille que je me bats. Pour ma mère impotente que je vois plonger dans une profonde dépression que je suis seule à soigner, sans assistance; nous n'y avons pas droit. Nous n'avons droit à rien.
Je me sens parfois si avilie.
C'est donc pour retrouver notre dignité et une vie décente, ouverte sur le futur, que ma mère et moi demandons à:
- être libérées de nos dettes (et de celles de feu mon père) auprès de l'Universa (3001 Berne - Stadtbachstraße 64) et de l'Avenir(1701 Fribourg - Case postale 11)
- être exemptées - si ce n'est définitivement, au moins temporairement - de l'assurance-maladie et des complémentaires.
Dans l'attente d'une réponse et en vous demandant de bien vouloir excuser cette longue lettre qui n'est pourtant que le résumé d'une grande douleur, je vous prie d'agréer, Madame la Présidente, l'expression de ma profonde considération.
Laura Rinaldi
Ch. Mapraz 161226 Thônex
ANNEXE
ANNEXE
Débat
Mme Claire Chalut (AdG), rapporteuse. D'après les renseignements que j'ai obtenus auprès du département et des personnes responsables, le problème de Mme Rinaldi a heureusement été résolu. Le nécessaire a été fait auprès de l'OAPA, et des indemnités complémentaires sont versées en faveur de la mère.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des affaires sociales (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.