République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 10 octobre 1996 à 17h
53e législature - 3e année - 11e session - 39e séance
PL 7478
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article unique
La loi sur l'avance et le recouvrement des pensions alimentaires, du 22 avril 1977, est modifiée comme suit :
Article 8A (abrogé)
Art. 11 (abrogé)
EXPOSÉ DES MOTIFS
Ces dernières années, plusieurs enquêtes sur la pauvreté ont été effectuées en Suisse. Elles ont mis en évidence les conditions précaires de très nombreuses familles monoparentales.
Il existe donc une tendance à la pauvreté chez les familles monoparentales. Pour certaines femmes divorcées la gestion du budget familial relève de l'acrobatie. L'arrivée mensuelle d'une pension alimentaire versée par leur ex-époux (ou par le père des enfants) est de première nécessité.
Hélas, tel n'est pas toujours le cas. En effet, environ 10% ne touchent pas directement la pension du père de leurs enfants. Comment font ces femmes lésées ? Certaines laissent tomber, d'autres prennent un avocat, avec ce que cela implique comme frais. Enfin certaines font une demande au SCARPA (service cantonal d'avance et de recouvrement des pensions alimentaires). Ce service s'efforce en cas de non-paiement d'obtenir des avances d'un montant fixé au maximum de 673 F par mois et par enfant.
En 1995, 1245 personnes ont touché des avances de pension alimentaire. Mais vu les effets de la crise, 160 dossiers ont été fermés en 1995, car le débiteur était insolvable; à cela s'ajoutent les familles monoparentales qui n'ont rien touché parce que le débiteur était parti à l'étranger, de même ne sont pas prises en compte toutes les demandes refusées pour cause d'insolvabilité ou de départ à l'étranger.
Nous constatons que les assurances sociales ont prévu le versement d'une rente aux femmes qui doivent élever seules leurs enfants en raison du décès du père des enfants. Mais les statistiques montrent que les veuves représentent une proportion modeste des familles monoparentales. La majorité étant constituée de personnes divorcées ou célibataires, pour ces dernières il n'existe pas d'aide spécifique. Une veuve touchera une rente d'orphelin pour ses enfants, le deuil d'un père est une épreuve terrible mais l'abandon moral et financier d'un père peut aussi être traumatisant pour les enfants.
Depuis sa création, le SCARPA a démontré son utilité. En prenant en charge les procédures de recouvrement, il décharge les femmes de procédures longues et compliquées ; de plus, il joue un rôle d'intermédiaire entre les ex-conjoints et évite que le payement de la pension alimentaire soit l'occasion de revivre les conflits liés au divorce.
Enfin, en accordant des avances aux femmes de conditions modestes, il leur permet de faire face à une partie des dépenses liées à l'éducation des enfants.
Mais, la teneur actuelle de la loi ne permet pas au SCARPA de poursuivre son action son action lorsque le débiteur se trouve à l'étranger ou lorsqu'il est insolvable. C'est cette lacune que le présent projet se propose de corriger. L'insolvabilité d'un débiteur ne devrait plus signifier l'arrêt complet du versement des avances et laisser une famille sans revenu.
En effet, l'arrêt des avances du SCARPA signifie, pour les familles monoparentales, une absence de ressources qui les obligent souvent de demander une aide financière à l'Hospice général. Or, ce que l'Hospice général leur avance elles devront le rembourser et entrer ainsi dans une spirale de dettes. Il est en effet particulièrement choquant que la violation d'une obligation d'entretien d'un père condamne la mère à se constituer une dette d'assistance. A relever qu'au 31 décembre 1994, 674 familles monoparentales étaient assistées par l'Hospice général.
Nous ne pouvons accepter que ces familles sombrent étouffées par des problèmes financiers. La protection de la famille passe par une aide à celles qui sont démunies. Nous vous proposons d'abroger les articles 8A et 11 de la loi sur l'avance et le recouvrement des pensions alimentaires. Pour mémoire, ces articles ont la teneur suivante :
Art. 8A :
1. Si le débiteur réside ou est domicilié à l'étranger, l'avance ne peut êtres servie pendant plus de 3 mois avant qu'une procédure d'exécution forcée ne soit introduite contre lui.
2. Lorsqu'un débiteur quitte la Suisse, le droit à l'avance s'éteint trois mois après son départ, jusqu'au jour où une procédure d'exécution a pu être introduite contre lui.
Art. 11
Les avances cessent lorsque le débiteur se trouve dans un état d'insolvabilité durable.
L'abrogation de ces deux articles permettrait aux familles monoparentales qui jusqu'à ce jour étaient pénalisées par le fait que l'ex-conjoint était insolvable ou avait quitté la Suisse de recevoir, conformément à l'article 6 de la même loi, la pension alimentaire en faveur des enfants.
Il convient de rappeler que la législation sur l'avance et le recouvrement des pensions alimentaires prévoit que les avances ne sont pas accordées à l'ensemble des personnes qui élèvent seules leurs enfants, mais seulement à celles qui ne disposent pas d'un revenu ou d'une fortune ne dépassant des normes fixées dans le règlement. Actuellement le revenu déterminant (revenu net au sens de la loi sur les contributions publiques) pour avoir droit à des avances ne doit pas dépasser 33 062 F (+ 3 061 F par personne à charge), et la fortune doit être inférieure à 50 205 F. Ces montants montrent que le SCARPA s'adresse à des familles modestes qui, en l'absence de versement du SCARPA, doivent s'adresser à l'Hospice général avec tous les inconvénients que nous avons mentionnés.
Notre proposition ne devrait pas entraîner une dépense importante pour l'Etat. En effet, l'augmentation des dépenses du SCARPA serait, pour les raisons invoquées ci-dessus, compensées par une diminution des secours d'assistance versés par l'Hospice général aux familles monoparentales. Il s'agit donc d'un transfert de charges entre deux services de l'Etat.
La solution que nous proposons a le mérite d'éviter à de nombreuses familles monoparentales d'avoir recours à l'assistance publique en raison de l'insolvabilité du père.
Conclusion
L'augmentation des familles monoparentales est un fait de société que nous devons prendre en compte pour élaborer une véritable politique en faveur des familles. Il convient d'aider les personnes qui assument seules la charge d'enfants et en particulier d'aider financièrement les plus modestes lorsque le débiteur alimentaire n'est pas en mesure d'honorer ses engagements. C'est dans cet esprit que s'inscrit le présent projet de loi qui a pour objectif d'éviter à de nombreuses familles d'avoir recours à l'assistance pour élever leurs enfants.
Au vu de ce qui précède nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir réserver un bon accueil à ce projet de loi.
Préconsultation
Mme Nicole Castioni-Jaquet (S). Divorcer c'est avoir mal quand on dénoue les liens qui nous ont unis; divorcer est aussi, bien souvent, une façon de s'appauvrir. Divorcer c'est apprendre à gérer les fractures, mais aussi les factures qui s'accumulent et la précarité qui est de plus en plus présente. Divorcer c'est partager, partager les pouvoirs : dans plus de 90% des cas, celui de l'argent à l'homme et celui de l'enfant à la femme ! A chacun de partager un petit bout avec l'autre.
Dans la réalité, on constate qu'un enfant sur deux n'a plus qu'une relation effilochée avec son père. Environ 10% des pensions alimentaires ne sont pas payées par l'ex-conjoint. Dans ce cas, les ex-conjoints soit «laissent tomber» soit se battent par le biais d'un avocat, ou, enfin, font une demande au service cantonal d'avance et de recouvrement des pensions alimentaires, le SCARPA.
Hélas, pour certains d'entre eux, les difficultés ne s'arrêtent pas là. En l'espace de trois ans, le nombre de dossiers fermés pour cause d'insolvabilité du débiteur est passé de nonante-neuf en 1992 à cent soixante en 1995. Ces fermetures de dossiers sont les conséquences des articles 8 A, ou 11, de la loi sur l'avance et le recouvrement des pensions alimentaires. Fermer un dossier signifie l'arrêt complet du versement de l'avance.
Lorsque le débiteur est parti à l'étranger, ou s'il est déclaré insolvable, le SCARPA cesse les avances et le créancier, ou la créancière, se retrouvent sans revenus. A ce moment-là, ils doivent, afin de faire face aux dépenses courantes, avoir recours aux aides sociales. Or ce que l'Hospice général leur avance ils devront le rembourser et entrer ainsi dans la spirale des dettes. L'injustice est flagrante, car c'est le créancier qui doit s'endetter pour pallier le manquement de son ex-conjoint.
A l'Hospice général, on constate une augmentation importante de l'aide apportée aux familles monoparentales. C'est justement la suppression de ces recours d'assistance versés par l'Hospice général aux familles monoparentales qui seraient transférés à un autre service, le SCARPA. Ainsi l'avance des pensions alimentaires resterait une dette pour l'ex-conjoint. A meilleure fortune ou de retour de l'étranger, celui-ci devra recouvrir sa dette. Des démarches judiciaires à l'étranger, par le biais de la Convention de New York, peuvent également être entreprises.
Nous vous demandons de renvoyer ce projet de loi non pas à la commission judiciaire mais à la commission sociale.
Le président. M. Champod nous avait demandé la lecture d'une lettre de l'Association des familles monoparentales, mères cheffes de famille. Madame la secrétaire, vous voudrez bien lire cette lettre.
Annexe
lettre
M. Matthias Butikofer (AdG). Nous soutenons bien sûr l'idée socialiste de renforcer le rôle du SCARPA pour aider les femmes lésées par le non-paiement des pensions alimentaires.
Je trouve la situation actuelle assez grotesque, puisque, justement, ce sont les femmes qui subissent toutes les conséquences négatives lorsque l'ex-mari cesse de faire face au paiement de la pension alimentaire. Ces femmes subissent des craintes existentielles; elles subissent l'humiliation de demander l'aumône, sans parler des conséquences de l'endettement vis-à-vis de l'Hospice général. Il me semble donc tout à fait normal que les réserves actuelles, des articles 8 et 11 de la loi sur l'avance et le recouvrement des pensions alimentaires, soient abrogées. Le recouvrement des charges au SCARPA au détriment de l'Hospice général semble de surcroît beaucoup plus transparent. De plus, lorsque le dossier est immédiatement transmis au SCARPA, celui-ci peut entamer les procédures nécessaires contre les débiteurs.
C'est pour toutes ces raisons que nous demandons le renvoi en commission de ce projet de loi.
Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve). Comme vous le savez, notre pays ne dispose, à l'échelon fédéral ou cantonal, ni d'une politique familiale ni d'une politique de lutte contre la pauvreté.
Malgré tout, par rapport aux autres pays du monde, notre pays a été jusqu'ici de ceux dont le taux de pauvreté infantile est le moins élevé. La Suisse fait partie des pays les moins généreux en matière de politique sociale et, singulièrement, en matière de politique familiale. Ce résultat indique ou indiquait clairement que le bien-être des familles est directement lié à l'existence des revenus du travail.
Cependant, vu l'actuelle crise économique, les conditions de vie de certaines familles pourraient se détériorer de façon plus prononcée que pour la moyenne de la population. Ce phénomène observé dans les pays confrontés avant nous aux difficultés économiques ne saurait nous épargner, et l'augmentation du nombre de familles à l'assistance est là pour l'attester.
C'est pourquoi nous avons rédigé, en janvier 1995, une proposition de motion concernant le revenu minimum d'aide sociale pour les familles, la motion 975. Cette motion a été renvoyée en commission des affaires sociales par notre Grand Conseil. Le présent projet de loi reprend un des aspects développés alors.
A propos des groupes sociaux concernés, nous notions en effet que, je cite : «Le fait qu'il n'existe pas de droit à une allocation de remplacement des pensions alimentaires lorsque l'ex-partenaire ne peut s'en acquitter constitue effectivement un facteur de vulnérabilité supplémentaire.»
Or, si nous sommes convaincus que les familles monoparentales doivent pouvoir bénéficier d'une aide sociale plutôt que de prestations d'assistance quand le besoin existe, nous entendons que cette démarche concerne aussi les familles avec deux parents.
Il n'y a aucune espèce de raison que le revenu déterminant le droit à l'aide sociale soit réservé à des familles monoparentales. Aussi bien les familles monoparentales sont majoritaires parmi les familles assistées ou en difficultés financières, aussi bien la pauvreté de certains pères de famille séparés ou divorcés n'est pas une vue de l'esprit, aussi bien il existe des familles avec deux parents, elles aussi victimes de précarité économique.
C'est pourquoi, en ce qui concerne les familles en général, nous avons proposé, par voie de motion, à l'époque, que l'assistance sociale soit transformée en aide sociale.
Pour le surplus, le principe de la pension alimentaire doit continuer à faire l'objet de procédures de recouvrement par le SCARPA quand cela est nécessaire. Si le nouveau droit fédéral du divorce ne fait plus dépendre la pension alimentaire de la notion de faute, il continue à le faire dépendre de la situation économique et de la durée du mariage. L'Etat se doit, lui, d'intervenir là où le revenu familial est insuffisant, que cela soit dû au non-paiement de la pension alimentaire, à toute autre raison de pauvreté liée à l'insuffisance des revenus du travail, ou aux carences du système de protection sociale.
Dans cette perspective, ce projet de loi sera le plus judicieusement renvoyé à la commission des affaires sociales.
Mme Claude Howald (L). J'ai l'impression que l'on est en train de mélanger les genres et que l'on demande à un service de contentieux de faire des appréciations de type social.
J'aimerais vous rappeler que le code civil, dans son article 290 dispose ce qui suit : «Lorsque le père ou la mère néglige son obligation d'entretien, l'autorité tutélaire ou un autre office désigné par le droit cantonal aide, de manière adéquate et gratuitement, l'autre parent qui le demande à obtenir l'exécution des prestations d'entretien.»
Dans le canton de Genève, c'est le SCARPA, curieusement d'ailleurs domicilié au département de l'instruction publique, qui est chargé de cette mission. Dans le projet de budget 1997 du département de l'instruction publique, qui est à l'étude en ce moment, il est indiqué de manière très claire quelles sont les prestations servies par le SCARPA. Je lis en page 91 : «Avances et recouvrement des pensions alimentaires; procédures auprès des offices de poursuites et faillites; procédures pénales en violation d'obligation d'entretien; renseignements aux usagers». C'est dire que le SCARPA est un service technique, qui doit entreprendre, de manière adéquate et gratuitement pour tout créancier d'une pension alimentaire, les démarches en vue d'obtenir l'exécution des prestations fondées sur un jugement ou sur une promesse juridiquement valable.
Le SCARPA accorde des avances, engage des procédures de recouvrement, et je crois que ce serait vraiment se tromper que d'attendre du SCARPA qu'il procède à des appréciations de type social. Il est donc inopportun de prétendre changer les procédures en vigueur au SCARPA, sous prétexte de couverture de prestations ou d'appréciation sociale.
Pour les libéraux, l'assouplissement de cette loi n'est pas à l'ordre du jour, ceci d'autant plus - ou d'autant moins - que la confusion entre l'aspect financier et social est patent dans ce projet de loi. Encore une fois, l'étude du projet de loi en commission judiciaire - comme nous le demandons - montrera que le SCARPA est un service d'aide technique, dont ni la loi ni le règlement ne doivent être revus. C'est avec fermeté que le groupe libéral s'oppose à l'assouplissement de la loi concernant le SCARPA. Il explicitera sa position, lors de l'examen en commission judiciaire.
Mme Marie-Françoise de Tassigny (R). Dans cette période de difficultés économiques, nous savons combien les familles monoparentales doivent faire face à des situations financières extrêmement difficiles.
Le projet de cette loi modifie de façon positive l'accessibilité à l'avance ou au recouvrement des pensions directes. En effet, il est inadmissible qu'une mère avec des enfants à charge ne puisse obtenir des pensions alimentaires, parce que son ex-époux a quitté notre territoire ou qu'il est insolvable durablement.
La famille ne doit pas subir deux traumatismes : celui de la famille éclatée et celui de la peur du lendemain. Nous devons tout mettre en oeuvre pour que ces familles gardent leur dignité en recevant ce qui est un droit et pour que le recours à l'assistance ne soit plus leur dernière issue.
Le groupe radical vous recommande le renvoi de ce projet à la commission judiciaire.
Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Il n'est pas impossible que dans son fonctionnement même il y ait des propositions à formuler par rapport à l'état actuel des choses - mais pas par rapport aux propositions qui sont faites.
Je vous suggère, en examinant ce dossier, de bien vouloir faire la distinction entre un service chargé d'un contentieux et un service chargé de verser des prestations sociales. Ces deux fonctions, indépendamment du fait qu'on peut avoir une appréciation sociale dans son comportement dans un service du contentieux, ne doivent pas être confondues, faute de quoi vous arrivez à des dysfonctionnements.
J'ajouterai par ailleurs, s'agissant du SCARPA, que, lorsqu'un débiteur est insolvable ou qu'il est parti à l'étranger, nous avons pu constater que le SCARPA verse dans la plupart des cas des avances - non recouvrables vis-à-vis du créancier, ce qui est la meilleure des choses - et cela pendant trois ans s'il le faut. Cela veut dire que nous tenons compte de la situation sociale des personnes concernées, puisque nous essayons, dans la limite de nos moyens, de faire nos recherches pour retrouver le conjoint défaillant aussi longtemps que possible, pour permettre au bénéficiaire, pendant ce laps de temps, de toucher ces avances.
Le département des finances compte un nombre de créances irrécouvrables très important, que je dois faire enregistrer; cela signifie que cette politique est très largement abordée. Il faut également savoir si ce Grand Conseil veut appliquer une politique sociale, qui viendrait en complément de ce qui se fait actuellement, pour les familles concernées par ce problème. Il me paraît néanmoins nécessaire de véritablement séparer les deux aspects de ce problème.
Vous allez le traiter en commission judiciaire, où vous aurez l'occasion d'auditionner celles et ceux qui s'y intéressent, ainsi que les services du département concernés, ce qui vous permettra de faire le point de la situation et de mieux connaître les pratiques actuelles.
Ce projet est renvoyé à la commission judiciaire.