République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1081
24. Proposition de motion de Mmes et MM. Claire Chalut, Luc Gilly, Dominique Hausser, Laurent Moutinot, Gabrielle Maulini-Dreyfus, Pierre Meyll, Jean-François Courvoisier, Jean-Claude Genecand, Roger Beer, Fabienne Bugnon et Max Schneider : Le service civil : non à sa privatisation ! ( )M1081

EXPOSÉ DES MOTIFS

L'OFIAMT vient d'attribuer à l'entreprise MANPOWER S.A. le statut d'organe d'exécution du service civil pour les cantons de Genève, Vaud et Valais. Cette décision est inacceptable pour les raisons suivantes:

1. Les objecteurs ne sont pas à vendre

Jusqu'à preuve du contraire, l'entreprise MANPOWER S.A. n'est pas un organisme de bienfaisance. La location de main-d'oeuvre contre rémunération est son but premier. Lui confier l'organisation du service civil revient à mettre à sa disposition un pourcentage probablement élevé (il dépasse actuellement les 50% en Allemagne et en Autriche) des classes d'âge de jeunes gens disposant souvent d'une bonne formation.

Ainsi, du fait que la loi établit que «l'organe d'exécution (en l'occurrence MANPOWER S.A.) prélève auprès de l'établissement d'affectation (…) une contribution pour la main-d'oeuvre fournie» (Art. 46 de la loi fédérale sur le service civil), les objecteurs deviennent une marchandise que la Confédération livre à titre gratuit à MANPOWER S.A.

2. Les civilistes ne sont pas une main-d'oeuvre bon marché

MANPOWER S.A. n'a jamais caché son adhésion au principe de la flexibilisation de la main-d'oeuvre et de ses coûts. C'est même cette aptitude à satisfaire les besoins de rentabilité des entreprises qui a fait sa renommée et son succès commercial.

Dès lors, le fait de lui attribuer le statut d'organe d'exécution n'offre aucune garantie de respect de l'article 6 de la loi fédérale sur le service civil qui lui enjoint de veiller à ce que «l'affectation des personnes astreintes ne compromette pas les emplois existants; n'entraîne aucune dégradation des conditions de salaire et de travail au sein des établissements d'affectation et ne fausse pas le jeu de la concurrence».

Or, du fait du statut d'entreprise privée de MANPOWER S.A., aucun contrôle démocratique ne sera possible sur l'utilisation éventuelle des civilistes comme main-d'oeuvre bon marché dans les cas d'embauche de personnel surnuméraire pour des durées limitées.

3. Une concurrence contraire à l'esprit du service civil

Une telle concurrence n'a pas que des effets sur le marché du travail: elle discrédite le service civil et est contraire à la motivation de la plupart des civilistes. Par la transformation des personnes qui ont choisi le service civil en concurrents des demandeurs d'emploi et par la pression à la baisse des salaires qu'elle entraînerait, cette concurrence discréditerait le service civil aux yeux d'une importante partie de la population salariée.

D'autre part, elle contrarie fortement l'idéal des objecteurs qui choisissent le service civil pour oeuvrer à la solidarité plutôt qu'à la concurrence entre les gens ou les peuples.

4. Des contraintes financières contraires à la motivation de plusieurs objecteurs

Par les contraintes financières qu'elle impose en matière de rémunération des personnes affectées au service civil, la décision de l'OFIAMT exclut d'emblée un certain nombre de petites associations à faible capacité financière. Seules les grandes associations et institutions seraient ainsi en mesure d'offrir des possibilités de service civil. Son attitude générale ainsi que les rapports qu'elle entretient déjà avec les grandes institutions font craindre que l'attribution du statut d'organe d'exécution à MANPOWER S.A. ne renforce cette tendance.

Or, pour de nombreux jeunes, le choix du service civil représente une volonté de contribuer à la paix et au bien commun en travaillant pour des petites associations qui, avec des moyens limités et des démarches souvent originales, oeuvrent à une conception parfois différente de l'intérêt commun. Les écarter par des contraintes financières revient ainsi à priver ceux qui ont choisi d'accomplir le service civil d'une partie des possibilités de l'accomplir au plus près de leur conscience.

S'il est évident que les conditions de rémunération des civilistes doivent être égales à celles de ceux qui accomplissent le service militaire, c'est aux pouvoirs publics de contribuer financièrement, par une prise en charge partielle des indemnités versées, à ce que les petites associations puissent également constituer une possibilité d'accomplissement du service civil.

5. La responsabilité du service civil doit revenir à ceux qui oeuvrent pour la paix et le bien commun

Si l'organisation du service civil ne doit pas revenir par principe à des structures étatiques, elle ne doit pas être attribuée à des organisations à but lucratif. C'est à un pool d'associations pacifistes, écologistes et humanitaires associé à des responsables du monde syndical et aux représentants des pouvoirs publics que cette tâche revient.

C'est de cette manière seulement que l'organisation du service civil pourra correspondre au plus près tant à l'idéal qui a permis sa création au bout de presque un siècle de luttes, qu'à l'esprit et à la lettre de la loi fédérale du 6 octobre 1995.

Pour toutes ces raisons, nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, d'accepter cette motion et, vu l'urgence, de la renvoyer au Conseil d'Etat.

Débat

M. Luc Gilly (AdG). Cette motion a abouti au département de M. Maitre, et je ne sais s'il faut s'en réjouir ! Il y a un mois, elle est passée du département de M. Haegi à celui de M. Maitre, parce que l'on avait confondu protection civile et service civil ! C'est dire l'intérêt porté au sujet...

Voici bientôt cent ans que des hommes et des femmes se démènent, à tous les niveaux, pour obtenir un service civil en Suisse. Il y a peu, tous les objecteurs de conscience étaient condamnés à la prison et des milliers d'années, je dis bien des milliers d'années, ont été ainsi gaspillées. J'espère que le député Lorenzini s'en souviendra quand il utilisera la porte de Saint-Antoine pour son carnotzet ou ses toilettes, récemment achetée aux enchères.

Pendant longtemps, la Suisse a été la championne européenne de la répression des objecteurs de conscience, se refusant à toute initiative intelligente et acceptable à leur endroit. La situation n'évolue que très lentement. Voici trois ans, le peuple suisse votait massivement en faveur d'un véritable service civil, où les jeunes s'engageraient afin d'y travailler, pour le bien commun, dans les secteurs sociaux, humanitaires et écologistes. Et cela malgré la durée du service civil, une fois et demie plus longue que celle du service militaire.

Est-ce un hasard ? A fin juillet, nous avons appris par la presse que l'attribution du statut d'organe d'exécution revenait à Manpower SA pour Genève, Vaud et le Valais francophone. Cette loi d'application est entrée en vigueur le 1er octobre courant.

Nous ne pouvons accepter que le service civil soit vendu à une entreprise privée qui mettra directement en concurrence les personnes sur le marché de l'emploi, les chômeurs à la recherche de travail, et se trouvera en totale contradiction avec l'engagement de jeunes pour un monde plus solidaire et plus juste.

C'est pourquoi cette motion demande au Conseil d'Etat d'intervenir au plus vite, avec les autres cantons concernés, auprès des autorités fédérales, afin qu'elles suspendent la décision de l'OFIAMT de déléguer à Manpower SA le statut d'organe d'exécution. Nous lui demandons de consulter les milieux concernés, c'est-à-dire les institutions, associations et syndicats, pour donner un choix réel aux jeunes civilistes et respecter ainsi le sens premier de l'article 6.

Pour éviter la concurrence directe avec le marché de l'emploi déjà bien mal en point, nous demandons également qu'une réelle information soit donnée à la jeunesse quant aux choix qui lui sont proposés dès le 1er octobre 1996.

Personne ici n'imagine que Manpower SA engage des jeunes par idéalisme dans le service civil. Dès lors, il est à craindre que l'article 6 de la loi fédérale sur le service civil ne soit en rien respecté. Pour rappel, je me reporte à la page 3 de notre motion et vous donne lecture de cet article 6 qui enjoint de veiller à ce que «...l'affectation des personnes astreintes ne compromette pas les emplois existants; n'entraîne aucune dégradation des conditions de salaire et de travail au sein des établissements d'affectation et ne fausse pas le jeu de la concurrence».

Cette affectation à Manpower SA discrédite le service civil. A n'en pas douter, elle contrarie l'idéal des objecteurs qui veulent oeuvrer à la solidarité et non à la concurrence.

Que diriez-vous si le service militaire était confié à un organisme commercial privé ?

Si l'OFIAMT a confié cette charge à Manpower SA pour des raisons financières, je le regrette amèrement. Combien coûte chaque soldat à la Confédération ? En faisant de la surenchère sur l'engagement des objecteurs, il est clair que les petites organisations ne pourront se faire entendre quant à l'engagement d'un civiliste.

Par conséquent, nous demandons que le Conseil d'Etat fasse preuve de bon sens en intervenant à Berne pour faire annuler cette décision; qu'il consulte au plus vite les associations pacifistes, humanitaires, sociales, syndicales et écologistes, afin de proposer aux civilistes une large palette d'offres pour qu'ils réalisent leur idéal d'objecteur.

Pour toutes ces raisons, je vous demande d'accepter cette motion et de la renvoyer au Conseil d'Etat, en tenant compte de l'urgence qu'elle requiert.

Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve). C'est à croire que les autorités, qui se sont rendues aux arguments et aux luttes des objecteurs de conscience et de ceux qui les soutiennent, n'ont pas encore vraiment compris de quoi il s'agit.

La décision prise consiste à traiter le service civil comme une main-d'oeuvre affectée aux institutions d'intérêt public triées sur le volet, notamment en regard de leurs capacités financières.

Le service civil est traité en marge de l'emploi ordinaire; enfin, il est intégré à la gestion économique privée, selon la même démarche que le placement ordinaire, aux dires du responsable désigné par Manpower. Ce responsable s'exprimait, cette semaine, à la radio romande et ajoutait - je n'invente pas : «Nous ne sommes pas numéro un pour rien !».

Or le projet communautaire et individuel du service civil a besoin que son idéal soit identifié, visible, reconnu, lisible dans sa mise en oeuvre et n'a nul besoin d'être trahi, incompris, minimisé et finalement discrédité.

L'OFIAMT a choisi, pour d'autres régions, des concrétisations différentes, plus proches de l'esprit de la loi. Demandons donc l'égalité de traitement et le respect du sens du service civil, comme l'explique si bien l'exposé des motifs !

M. Jean-François Courvoisier (S). Ceux qui ont choisi de refuser d'apprendre à tuer et se sont mis au service de la paix et d'un monde plus juste, pendant une durée de temps dépassant d'une fois et demie celle consacrée aux obligations militaires, forment l'élite de notre pays, qui mérite d'être traitée et respectée comme telle.

Je n'ai rien contre Manpower ni contre son besoin de réaliser un maximum de bénéfices. Mais ce n'est en tout cas pas une oeuvre humanitaire ! Mettre à sa disposition ceux qui ont choisi de travailler pour un idéal de paix et de fraternité est contraire à l'esprit qui a motivé le vote populaire en faveur de l'introduction du service civil.

Cette décision contrarie fortement ceux qui ont refusé le service militaire pour se mettre à celui de la paix et de la justice.

Les dispositions du service civil visent à ce qu'il n'influence pas le marché du travail, c'est-à-dire ne remplace pas des emplois en offrant une main-d'oeuvre meilleur marché.

Mais, pour moi, il s'agit davantage de respecter les raisons et le courage du choix des objecteurs de conscience en leur offrant la possibilité d'exercer un travail conforme à l'idéal qui les anime.

Pour cela, il est indispensable que l'organe d'exécution du service civil soit composé d'associations humanitaires et pacifistes, en collaboration avec les représentants du monde syndical et de l'Etat.

Pour toutes ces raisons, je vous prie d'accepter le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat.

M. Roger Beer (R). Je m'exprimerai à titre personnel, le parti radical ne réunissant pas une majorité prête à soutenir cette motion. (Rires.)

Par rapport à ce qui s'est dit sur l'OFIAMT, un office de la Confédération qui a choisi de déléguer l'une de ses prérogatives, nous pouvons nous poser les mêmes questions que le Conseil d'Etat se pose par rapport à l'Office fédéral des assurances, à savoir qu'il nous invite, nous députés, à déposer une initiative parlementaire pour démontrer à la Confédération qu'elle se trompe.

Dans le cadre de la privatisation ou pseudo-privatisation du service civil, un certain nombre de députés, qui ne sont ni contre l'armée ni contre le service civil, peuvent légitimement se demander s'il est normal que l'on délègue à une entreprise privée, chargée de faire des bénéfices, le soin de placer des antimilitaristes qui ont le droit, à teneur de notre législation, de s'opposer à leurs obligations militaires tout en s'astreignant à d'autres tâches pendant une durée une fois et demie plus longue.

Personnellement, j'ai quelque difficulté à admettre qu'une entreprise privée, même aussi brillante que Manpower, s'occupe de ces citoyens-là.

Tout en étant moins directif et sévère que M. Gilly, j'estime légitime de demander au Conseil d'Etat s'il est normal que l'autorité fédérale délègue à une entreprise privée ce qui est, en fait, un secteur civil au service de la Confédération et non de gains privés.

C'est pourquoi j'espère qu'il se trouvera une majorité, dans ce parlement, pour renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

M. Jean-Claude Genecand (PDC). Je m'exprime également en mon nom personnel et pas au nom de mon parti. (Rires.)

Le problème lancinant de l'objection de conscience, qui dure depuis près d'un siècle, a enfin trouvé une solution avec la loi votée en 1996. Cette victoire doit-elle être ternie par une application discutable du service civil ? Ce mal-aimé qu'est l'objecteur de conscience a déjà le handicap de servir une fois et demie plus longtemps que les militaires. Si, de plus, on l'utilise comme une force économique au service d'une entreprise, cela devient éthiquement et psychologiquement inacceptable.

Demande-t-on à un militaire d'être rentable ? Au contraire, il coûte très cher à la collectivité ! Pourquoi ce raisonnement ne vaut-il pas pour le civiliste ?

Cette différence de traitement dénote un jugement de valeur différent de deux services : l'un, le militaire, qui défend la patrie, est considéré comme accomplissant une noble tâche, l'autre, le civiliste, comme une valeur marchande qu'il faut rentabiliser.

Comprenons-nous bien ! Il ne s'agit pas d'entretenir un objecteur de conscience pour qu'il ne fasse rien, mais d'élever sa fonction au niveau de celle du soldat.

Or, en confiant à une entreprise le placement et l'organisation du service civil, on supprime ipso facto la possibilité de placer gratuitement ou à peu de frais un objecteur dans une petite association qui déploie une activité bénévole dans le social, la santé, l'environnement, etc.

Par exemple, si une association s'occupant de l'environnement décide de nettoyer une forêt, elle se verra dans l'obligation de débourser mille francs par mois si elle veut obtenir l'aide d'un objecteur. Cette pratique est choquante; elle constitue un frein à des tâches d'utilité publique; elle entrave la démarche du civiliste dans sa quête de solidarité avec des associations gérées par des bénévoles.

C'est pourquoi nous vous demandons d'accepter cette motion et de la renvoyer au Conseil d'Etat.

Mme Claire Chalut (AdG). Je ne parlerai pas en mon nom personnel ! Tout à l'heure, nous avons évoqué l'esprit de Genève que je vois très bien s'accorder avec celui de cette motion, surtout avec le sens de sa demande. Je suis convaincue que l'esprit de Genève devrait aller dans le sens de la paix et s'inspirer des actions qui y conduisent.

Les personnes qui ont refusé de servir l'ont payé, il ne faut pas l'oublier, de prison ferme, sans bénéficier d'aucun sursis, remise de peine, etc., accordés à n'importe quel prisonnier, fut-il un assassin de la pire espèce. Je tenais à le relever.

M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Disons-le d'emblée : le problème posé devant ce Grand Conseil ressortit exclusivement au droit fédéral. En matière de service civil, d'organisation et d'attribution des tâches prévues par la loi, l'affaire revient à la Confédération et relève de l'OFIAMT.

Quels sont les critères de l'OFIAMT pour agir ? Une ordonnance publiée à cet effet en fixe un certain nombre :

Seuls des établissements reconnus peuvent engager des personnes astreintes au service civil. Il n'est donc pas question de les placer dans différentes entreprises, comme l'office de l'emploi, par exemple, le ferait pour de la main-d'oeuvre. Il s'agit de cibler le placement des personnes astreintes auprès d'entités reconnues, ayant un but social, écologique, etc.

Comment l'OFIAMT a-t-il lancé son appel d'offres ? Il l'a organisé sur une vaste échelle pour que cette affaire puisse être prise en charge et gérée. Il faut souligner, et ce fut pour moi une surprise de le constater, qu'aucune offre n'a été présentée par les organisations d'intérêt public. On aurait pu s'attendre que certaines en fassent dans ce contexte. En définitive, des offres parvenues, l'OFIAMT a estimé, à tort ou à raison et ce n'est pas à nous d'en juger, que la meilleure était, de loin, celle de Manpower.

Les compétences de l'OFIAMT sont indiscutables à cet égard et notre parlement cantonal n'a pas les moyens d'en délibérer. Elles sont prévues dans le droit fédéral, organisées selon les principes voulus par la loi et l'ordonnance, et l'OFIAMT a agi conformément à la mission qui lui a été donnée par la Confédération.

Comment cela se passera-t-il pratiquement ? Nous avons sollicité un certain nombre de garanties pour le canton que je tiens à vous faire connaître :

La reconnaissance des établissements d'affectation, c'est-à-dire ceux dans lesquels les objecteurs de conscience pourront tout d'abord être placés pour accomplir leur service civil. Cette reconnaissance est soumise à une proposition de l'autorité cantonale de l'emploi. Pourquoi ? Parce que nous voulons éviter qu'une main-d'oeuvre bon marché soit attribuée à des entreprises qui ne rempliraient pas les critères exigés et parce que nous devons veiller à ce que le placement des objecteurs ne concurrence pas, en quelque sorte, le placement de chômeurs en fin de droit, dans le cadre de l'emploi temporaire ou du RMCAS.

Le nombre de personnes pouvant travailler ensemble est fixé par l'organe d'exécution, de façon à éviter des concentrations de jeunes objecteurs dans un seul et même établissement.

Lors de la procédure de consultation, le Conseil d'Etat a fait part de la nécessité d'impliquer - et cela est conforme à la culture de notre canton - les autorités cantonales de l'emploi, les organisations patronales et syndicales, dans la commission de reconnaissance des établissements d'affectation.

A cet égard les garanties nécessaires sont données. Pour le surplus, le projet est réglé exclusivement dans le cadre du droit fédéral, et il n'est pas question qu'un parlement cantonal, aussi sage et éclairé soit-il, puisse interférer dans ce qui est prévu par le droit fédéral.

Enfin, le Conseil d'Etat ne peut pas se rallier à l'hypothèse de la motion qui invite à promouvoir le service civil, dès lors que le libre choix - on peut le regretter ou pas - n'existe pas. Par conséquent, c'est sur la base d'une décision de l'autorité compétente que le service civil peut être reconnu pour telle ou telle personne estimant ne pas pouvoir remplir ses obligations militaires. On ne peut donc pas promouvoir le service civil dans un canton. Ce serait contraire aux obligations constitutionnelles que le gouvernement et le parlement d'un canton se doivent de respecter.

M. Luc Gilly (AdG). Pour répondre à M. Maitre, je dirai qu'il faut informer sur le service civil à défaut de pouvoir le promouvoir. Des panneaux d'information sur le service militaire sont installés dans toute la ville. Dès lors, je ne vois pas pourquoi il n'y en aurait pas pour le service civil.

Il semble que le service civil est une patate bouillante qu'on essaie de «se refiler» le plus vite possible ! Il existe, Monsieur Maitre, un droit d'initiative cantonal dont nous parlerons au point 50 de notre ordre du jour. D'ores et déjà, je me demande pourquoi il s'applique dans certains cas et pas dans d'autres.

Nous avons été reçus par l'entreprise Manpower et avons reçu une réponse de M. Delamuraz. Effectivement, la rentabilité est considérée en priorité et rien d'autre. Je n'ai pas reçu la liste des établissements d'affectation, mais je l'ai consultée chez Manpower. J'y ai trouvé l'hôpital cantonal, l'hospice général, l'hôpital de Loëx pour ne citer qu'eux. J'ai des inquiétudes quant à la main-d'oeuvre bon marché que l'on va fourguer dans ces établissements, alors que le chômage règne à Genève. En revanche beaucoup d'associations, comme Contratom, ne pourront pas payer un civiliste 1 000 F par mois.

J'attends cette liste pour en discuter avec vous, Monsieur Maitre. J'ai la conviction que les gouvernement genevois, vaudois et valaisan doivent intervenir fermement à Berne à ce sujet.

M. Pierre Meyll (AdG). Il est choquant d'entendre M. Maitre parler d'appel d'offres, de ressources humaines, d'exercices, etc. Je trouve cela totalement déplacé !

Pourquoi ne pas dire que ces gens sont également assujettis aux accords du GATT, voire aux accords intercantonaux du marché public ?

L'on ne tient vraiment pas compte de la notion de la nature humaine, et c'est inadmissible !

J'ai l'impression que nous sommes revenus à la case de l'oncle Tom et que l'on inaugure un marché de négriers.

Encore une fois, je trouve les propos du Conseil d'Etat inadmissibles !

M. Max Schneider (Ve). Manpower SA est présente dans tous les pays qui nous entourent, et ce n'est pas nécessairement elle qui organise le service civil.

La France, avec tous les défauts qu'on lui prête, a un service civil qui semble bien fonctionner et sert de tremplin aux jeunes qui n'ont pas eu l'occasion de trouver un emploi après ou pendant leurs études. Ce ne sont pas des emplois qui pourraient être fournis aux chômeurs en fin de droit, car ils exigent une grande motivation, et beaucoup les refusent : projets de développement, coopérations techniques à l'étranger, mais aussi à l'intérieur du pays même.

Nous avons aussi des projets environnementaux à Genève, qui nécessitent la venue de gens ayant foi dans ce qu'ils feront. Les objecteurs de conscience sont souvent très motivés. Moyennant un salaire extrêmement bas, beaucoup sont prêts à s'investir pendant deux ou trois ans pour accomplir quelque chose.

C'est pour cela qu'il faut essayer de trouver des solutions valables. A Genève, nous avons la chance d'avoir un conseiller d'Etat qui est également conseiller national comme d'autres collègues ici présents. Qu'ils fassent passer le message à Berne ! Le choix de Manpower, qui n'est pas celui des jeunes, est une erreur à corriger.

Par conséquent, je vous engage à appuyer cette motion. Elle constitue un signe pour Berne et nos conseillers nationaux. J'espère que, dans le futur, les jeunes accomplissant un service civil ne seront plus marginalisés, et qu'une solution aura été trouvée entre-temps.

M. Armand Lombard (L). Je ne m'exprimerai que sur la motion. Je ne parlerai pas du service civil et de ses objectifs pas plus que de l'enthousiasme des jeunes à l'accomplir.

Nous discutons ici d'un problème d'organisation, purement et simplement.

Dès lors, je ne comprends pas comment les adversaires du projet fédéral peuvent justifier leur opposition du fait que l'entreprise organisatrice est une entreprise privée réputée pour son management et capable de faire des gains. Il est évident que des coûts seront suscités par cette organisation. Seulement, ils seront supportés par un service privé, et non par un service public. Dès lors, l'on ne saurait reprocher à Manpower une recherche de gain, ni de se proposer à nouveau pour organiser un autre service public.

C'est inédit chez nous, certes, mais on peut parfaitement se faire à cette idée sans se livrer de grandes batailles idéologiques.

L'administration publique fonctionne sans avoir nécessairement prouvé, ces derniers temps, qu'elle était à l'avant-garde en matière de gestion. L'objectif est de ne pas se concentrer sur un profit, mais d'adopter des méthodes, telles qu'elles sont pratiquées aujourd'hui, et qui peuvent fort bien être suivies. Par conséquent, avoir accepté une offre de privé ne me paraît en rien choquant.

Concernant le management, si l'affaire est bien gérée, je ne m'en plaindrai pas. A l'évidence, si l'on me demande de choisir entre deux solutions, je préfère celle d'une entreprise qui marche bien, parce que bien dirigée, qu'une lourde bureaucratie.

Il faut surtout un contrat de prestations et un cahier des charges très clairs, de façon que cette entreprise privée ne cherche pas à tirer un profit maximal, s'agissant d'un service social à organiser.

Encore une fois, je ne comprends pas pourquoi l'on s'oppose, a priori, à ce qu'une entreprise privée gère des activités sociales. Chaque entreprise en Suisse a son service social et ses ressources humaines. Pourquoi ne pas accepter les services de celle, de grande qualité, qui les a proposés ? C'est la raison de notre opposition à cette motion.

M. Luc Gilly (AdG). Monsieur Lombard, il vaudrait mieux investir les bénéfices que Manpower fera sur le dos des objecteurs dans l'aide aux petites associations qui pourraient ainsi engager un civiliste !

J'ai fait neuf mois de prison, neuf mois de tôle ! Imaginez le coût occasionné à la société suisse pour l'emprisonnement de tous ces gens, pendant des mois et des mois, à raison de 3 à 400 «balles» la journée ?

Confier maintenant le service civil à une entreprise privée est absolument inacceptable !

Il faut que le gouvernement, associé à des gens de bonne volonté, règle le problème du service civil et non une entreprise privée. On pourrait trouver aussi une solution privée pour l'armée... Je ne sais pas ce que vous en pensez ?

Le président. Je mets aux voix cette proposition de motion.

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

La motion est adoptée par 43 oui contre 42 non.

Elle est ainsi conçue :

(M 1081)

MOTION

Le service civil : non à sa privatisation !

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- que la loi fédérale sur le service civil entre en vigueur le 1er octobre 1996;

- que les personnes concernées exécuteront celui-ci pour une durée équivalant à une fois et demie celle consacrée aux obligations militaires;

- que l'attribution du statut d'organe d'exécution à MANPOWER SA, pour les cantons de Genève, Vaud et Valais, n'est pas acceptable et est contraire à l'esprit qui a présidé à l'inscription du principe du service civil dans la Constitution;

- que le vote populaire largement positif en faveur du service est à considérer comme la reconnaissance du droit des jeunes à être utiles par des engagements à caractère social, écologique et humanitaire.

- que, en l'absence de contrôle démocratique, le placement par MANPOWER S.A. des personnes affectées au service civil risque de provoquer une concurrence directe avec des chômeurs en recherche d'emploi, ce qui représenterait un non-respect flagrant de l'article 6 de la loi fédérale sur le service civil,

invite le Conseil d'Etat

- à intervenir auprès des autorités fédérales, si possible de concert avec les autres cantons romands concernés, pour que soit suspendue avec effet immédiat la décision de l'OFIAMT d'attribuer à MANPOWER S.A. le statut d'organe d'exécution;

- à ouvrir une consultation avec les milieux concernés (institutions, associations, syndicats ) afin de trouver une solution alternative à celle proposée par l'OFIAMT, dans le respect de la loi fédérale sur le service civil, notamment de son article 6, et ceci pour éviter que les personnes affectées au service civil entrent en concurrence directe avec le marché de l'emploi;

- à promouvoir le service civil en informant les jeunes dans toutes les écoles et lors du recrutement des projets en cours et des possibilités de les réaliser.