République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 13 septembre 1996 à 17h
53e législature - 3e année - 10e session - 35e séance
M 1080
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- l'obligation légale faite au Conseil d'Etat, de présenter à chaque législature une conception de l'énergie, et sa promesse d'élaborer «dans les 3 mois» une conception qui tienne compte, au moins en partie, du désir de la population d'entamer une démarche visant à nous affranchir de notre dépendance du nucléaire (promesse faite pour la première fois le 27 mai 1994, répétée le 21 octobre 1994, répétée encore le 14 décembre 1995, sans compter les promesses faites en commission);
- la résolution 296, qui demandait une conception cantonale de l'énergie, renvoyée par le Grand Conseil à sa commission énergie le 19 mai 1995, et qui attend toujours depuis cette date (!);
- la motion 820, qui demandait la mise sur pieds d'un fonds pour les économies d'énergie, renvoyée par le Grand Conseil en commission le 29 septembre 1992, et qui traîne en commission depuis 4 ans, alors qu'il s'agit là d'un projet créateur d'emplois diversifiés, d'un projet porteur dans le sens d'un développement durable;
- la promesse, faite par le Conseil d'Etat au Grand Conseil le 15 décembre 1994, et répétée en commission le 16 février 1996, de réexaminer la constitutionnalité (ou non!) des investissements indirects des SIG dans le nucléaire français - promesse jamais tenue;
- la promesse, faite par le Conseil d'Etat le 14 décembre 1995, d'affecter 10 millions à la politique énergétique au prochain budget;
- la promesse, faite par le Conseil d'Etat le 1 décembre 1995, de parvenir avec les SIG à un accord sur une politique tarifaire avant le 1er avril 1996, date d'entrée en vigueur de nouveaux tarifs.
invite le Conseil d'Etat
- à présenter un projet de conception cantonale de l'énergie, qui s'inscrive résolument dans le sens du développement durable et qui réponde à la lettre et à l'esprit de l'art 160 C de la constitution, avant la fin septembre 1996;
- à créer un fonds pour les économies d'énergie, allant ainsi dans le sens de ce que demandait la motion 820, d'ici la fin octobre 1996;
- à présenter publiquement tous les contrats signés avec des centrales nucléaires françaises, que ce soit à travers EOS ou CNP, à prendre position et à entamer des démarches dans le sens d'un désengagement des investissements des SIG dans le nucléaire français, avant la fin octobre 1996;
- à inscrire les 10 millions promis, consacrés à la politique énergétique, au projet de budget 1997;
- à accepter de nouveaux tarifs, proposés par les SIG, en augmentation de 2% par rapport aux tarifs actuels.
EXPOSÉ DES MOTIFS
En matière de politique énergétique, les promesses faites par le Conseil d'Etat sont nombreuses. Et depuis 3 ans nous attendons qu'elles soient tenues! En étudiant les principales promesses, par catégorie, nous constatons qu'elles dessinent assez bien ce qu'aurait pu être une politique énergétique cantonale:
1. Relevons tout d'abord les promesses concernant la mise sur pied d'une conception cantonale de l'énergie. La première date du 27 mai 1994, p. 1935 du mémorial: «Je vous ai également promis - je tiendrai ma promesse - un concept énergétique conforme au désir de ceux qui luttent beaucoup dans ce domaine...». Elle a été répétée le 21 octobre 1994 (p. 4771), répétée encore le 14 décembre 1995 (p 6587), sans compter les promesses faites en commission. Aucune n'a été suivie d'effets et la conception «alternative» que nous avons déposée le 19 mai 1995 n'a toujours pas pu être discutée, dans l'attente du projet officiel du Conseil d'Etat, systématiquement reporté. Rappelons que cette conception n'est pas un rêve utopique de députés, mais bien une obligation légale, qui de plus doit encore passer devant la commission consultative sur l'énergie, et ce, avant la fin de la législature!
Et c'est face à l'inertie du Conseil d'Etat que nous avions déposé notre propre projet de conception cantonale de l'énergie, le 19 mai 1995, dans l'espoir d'activer un peu les choses.
2. La motion 820 est essentielle dans le cadre d'une politique énergétique incitative. Elle propose de créer un fonds pour les économies d'énergie, fonds qui serait doté de 5 millions environ chaque année. Ce fonds servirait à prêter de l'argent, à des taux préférentiels, à des entreprises souhaitant financer des projets dans le domaine des économies d'énergie ou dans celui des énergies renouvelables. De tels fonds existent déjà à Zurich et à Lausanne ; ils tirent leurs ressources d'un petit prélèvement sur les chiffres d'affaires des Services industriels. Ces fonds sont l'outil indispensable pour financer une politique énergétique digne de ce nom.
A Genève, l'idée avait été émise par l'OCEN (=Office Cantonal de l'Energie) de financer un tel fonds avec l'augmentation de la redevance aux communes, augmentation due à la hausse des tarifs. Mais cette idée n'a jamais pu se concrétiser, le fonds étant lié, dans l'esprit de certains de ses concepteurs à un projet particulier (Cadium), manifestement surdimensionné. Ce fonds n'a donc jamais vu le jour ; il aurait cependant pu nous lancer dans la voie du développement durable, dans une voie créatrice d'emplois durables de qualité, mais niet, le Conseil d'Etat n'avait pas le temps de s'en occuper.
3. Certains députés se souviendront de la longue saga dite des «investissements nucléaires des SIG, à travers EOS». Rappelons pour résumer que les SIG, en temps que partenaires à 22% d'EOS, ont signé et approuvé une série de contrats nucléaires avec la France - certains signés par EOS directement, d'autres à travers une structure appelée CNP (=Centrales Nucléaires en Participation SA). Ces contrats portent sur plusieurs milliards de francs. Le seul que nous ayons jamais eu en notre possession parle de 1400 millions, investis en 1990, et durera jusqu'en 2016. (La constitutionnalité du vote du président des SIG le 23 septembre 1990, qui avait accepté ce contrat, a d'ailleurs été remise en question par un avis de droit du professeur Auer. Un autre avis de droit, signé lui par Me Manfrini, défend la constitutionnalité du vote du représentant des SIG au Conseil d'Administration d'EOS). De plus, ce contrat de 1400 millions, le Conseil d'Etat ne l'avait même pas, c'est nous-mêmes qui avons dû lui en faire une copie !
Quand aux autres contrats, nous ne les avons jamais vus, malgré les promesses du Conseiller d'Etat chargé du DTPE, faites le 15 décembre 1994, p 6254 du mémorial. Ces promesses ont été répétées le 12 février 1996, devant la commission de l'énergie, qui discutait ce jour-là de la pétition 1059 (cette pétition signée par 2000 personnes demandait que les contrats nucléaires avec la France soient renégociés, pour respecter la constitution cantonale).
De même, nous n'avons jamais eu non plus le troisième avis de droit sur la constitutionnalité du vote du président des SIG le 23 septembre 1990 au CA d'EOS. En fait, sur ce dossier, nous n'avons obtenu aucun document officiellement, tous les renseignements trouvés l'ont été par des voies «détournées» et inofficielles. Ce qui illustre bien que dans ces dossiers chauds la transparence n'est pas facile à obtenir. Il est plus facile dans notre République de connaître le coût exact, au franc près d'une subvention versée à la Croix-Rouge par exemple, que des montants de plusieurs milliards investis dans le nucléaire français !!
4. Le 14 décembre 1995, en discutant au Grand Conseil du budget des SIG, le Conseil d'Etat nous répétait une promesse, déjà faite en commission: «Il y a plusieurs mois, j'ai proposé 10 millions, pour pouvoir disposer de liquidités pour des projets d'économies d'énergie réels, à répartir selon un mode qui devra être défini avec les SIG. Le fonds de politique énergétique pour améliorer le rendement des appareils en fait partie». Verrons-nous vraiment cet argent au projet de budget 1997 ???
5. Lors de la même séance du 14 décembre 1995, le Conseil d'Etat nous promettait de s'entendre sur une nouvelle politique tarifaire avant l'entrée en vigueur de nouveaux tarifs éventuels. Il nous faisait accepter le budget dans l'attente d'un accord avec la direction des SIG, accord qu'il nous promettait pour avant le 1er avril 1996. Dans la réalité, il n'en a rien été; aucun accord n'a pu être trouvé jusqu'à ce jour. Rappelons à ce sujet quelques points importants:
5.a Ceux qui s'engagent dans le sens d'une politique énergétique diversifiée ne peuvent qu'être favorables au principe d'une augmentation graduée des tarifs électriques et ceci, pour trois raisons principales:
• Pour financer une politique énergétique allant dans le sens du développement durable, il faut de l'argent. En effet, s'il est relativement bon marché d'économiser les premiers «négawatts», les suivants reviennent plus cher, comme l'ont d'ailleurs démontré les rapports CERA/Logilab.
• Pour contribuer à limiter le déficit des SIG - 25 millions au dernier budget - on ne peut indéfiniment compresser le personnel, ce d'autant plus que le travail occasionné par une politique d'économies d'énergie ira en augmentant.
• Pour encourager les économies et les énergies renouvelables, il faut vendre les fluides à leur coût «vrai», c'est à dire à un coût qui reflète leur valeur exergétique et les dégâts dus à la pollution - radioactive par exemple.
5.b Nous nous rendons bien compte que certains arguments militent aujourd'hui dans le sens contraire, c'est à dire plutôt vers une baisse des tarifs:
• Dans le contexte de la libéralisation des marchés, les tarifs internationaux vont sans doute baisser puisqu'il y a pléthore de courant actuellement. Mais en Suisse cette libéralisation sera lente; les contrats nucléaires devront d'abord être revus, parce qu'ils bloquent les prix pour 20 ans à un niveau très au-dessus de celui du marché actuel (Ces contrats sont en fait une très mauvaise affaire!). Et lorsqu'ils seront enfin revus, l'Europe entière aura vraisemblablement adopté une politique tarifaire telle que nous la proposons ci-dessus, car c'est la seule qui puisse garantir un développement durable.
• Certaines industries voraces dans leur consommation de courant, (5 à Genève) ont déjà bien de la peine actuellement à payer leur courant. Il faudra donc soutenir ces entreprises en investissant en priorité les fonds de la politique énergétique dans le changement de leurs installations par des installations moins gourmandes (des fours à gaz au lieu de fours électriques notamment).
6. Il faut tout de même, pour être exhaustif, que cet exposé des motifs évoque aussi des succès du DTPE en matière d'énergie depuis le début de cette législature. Il y en a trois principaux:
6.a La fusion de l'OCEN dans le DTPE; il était en effet logique de fusionner les services des deux départements qui s'occupaient auparavant d'énergie.
6.b La publication, après une insistance de plusieurs années il est vrai, des bilans énergétiques des bâtiments de l'Etat. Ces bilans sont certes encore incomplets - il faudrait un gestionnaire par bâtiment, qui puisse le suivre et sache quelles mesures entreprendre -, mais ils constituent tout de même un début prometteur.
6.c La publication - si souvent retardée! - des études CERA/Logilab.
Conclusion
Au vu de ce qui précède, nous attendons du Conseil d'Etat qu'il nous présente une conception cantonale de l'énergie prenant largement en compte la notion de développement durable - notamment par la création d'un fonds pour les économies d'énergie et par l'élaboration d'un budget permettant cette nouvelle politique énergétique.
Les délais sont courts maintenant, et il ne reste que quelques mois au Conseil d'Etat pour se placer à la hauteur des promesses qu'il a faites à la population genevoise et au Grand Conseil au début de la législature.
Débat
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Cette motion est assez particulière...
Une voix. Oh oui !
Mme Elisabeth Reusse-Decrey. ...puisqu'elle demande que nos anciennes motions sortent des oubliettes. C'est tout de même un comble de devoir en arriver à encombrer nos ordres du jour pour demander au Conseil d'Etat de faire son travail !
Je ne développerai pas une seconde fois le contenu de ces anciens projets. Une lecture attentive du Mémorial permettra d'atteindre les mêmes buts. Par contre, je désire dire deux choses. Si les projets que nous citons dans notre motion ont été votés par une majorité de ce Grand Conseil, c'est qu'ils présentaient un intérêt certain, si ce n'est un certain intérêt. Dès lors, pourquoi le Conseil d'Etat traîne-t-il les pieds et nous promet-il des projets concrets à chaque séance et nous promène-t-il de promesse en promesse ?
Le second point que j'aimerais évoquer porte justement sur la conception cantonale en matière d'énergie. Présenter une conception cantonale une fois par législature est une obligation légale. Ce n'est pas simplement une idée farfelue de quelques députés. La première et la seule conception que nous ayons eue depuis 1989 n'était en fait qu'une moitié de conception, puisqu'elle ne contenait qu'un catalogue d'actions, sans développer aucune ligne politique. Depuis sept ans, nous ne sommes même pas en conformité avec la loi.
Mesdames et Messieurs les députés, notre canton possède une constitution antinucléaire qui invite notre canton à suivre une politique énergétique exemplaire. Ainsi l'a voulu le peuple. Dès lors, il est grand temps que le Conseil d'Etat sorte ses projets de ses tiroirs et présente la politique énergétique qu'il entend mener et qui réponde et à nos lois et à notre constitution.
C'est pourquoi nous vous demandons de renvoyer cette motion directement au Conseil d'Etat.
M. Hervé Burdet (L). Cette motion a incontestablement toutes les apparences du bon aloi. Elle rappelle au Conseil d'Etat, et au conseiller d'Etat chargé du département de l'énergie en particulier, qu'il a l'obligation, au sens de la constitution, de fournir à l'approbation de ce parlement une conception cantonale en matière énergétique.
Monsieur Joye, nous attendons cette conception avec impatience. Je me réfère à l'exemple cité, tout à l'heure, au sujet de Giscard d'Estaing montrant des rames de papier blanc. En ce qui nous concerne, nous avons vu des rames de papier gris, mais pas de texte ! Nous attendons toujours, Monsieur le conseiller d'Etat.
Néanmoins, on est étonné de lire les invites que les auteurs de cette motion ont voulu ajouter à cette obligation légitime. Le bateau a été beaucoup chargé du côté des proposants de cette motion. En effet, on trouve toute une série de vieilles lunes, de lubies, de marottes; celles de M. Nissim ou de Mme Reusse-Decrey. On voudrait nous parler de développement durable. Pour ma part, je serais enchanté de savoir ce que le gouvernement entend par ces termes. Cela ne serait pas inintéressant ! Toutefois, ils sont hors de propos en termes énergétiques. On nous parle d'économies d'énergie, de la motion 820, qui sont les marottes de M. Nissim, ainsi que des contrats nucléaires, la vieille «refente» de M. Nissim. Ce dernier désire prendre connaissance des contrats nucléaires. Mais attendez sur votre paillasson, Monsieur Nissim, quelqu'un viendra certainement les déposer !
Ensuite, on nous parle de 10 millions à inscrire au budget pour les économies d'énergie. Il s'agissait d'une promesse, peut-être imprudente, de M. Joye qui la concrétisera ou non. Quoi qu'il en soit, cette proposition de motion est hétéroclite et farfelue. Elle dépasse tellement l'obligation constitutionnelle de présenter une conception cantonale que je propose à ce parlement de ne pas entrer en matière.
M. Chaïm Nissim (Ve). Tout à l'heure, nous avons perçu le projet de conception en matière d'énergie de M. Joye. Nous avons pu voir, et mon collègue Burdet aussi, que les pages n'étaient pas blanches. Or j'imagine que beaucoup d'entre vous ont soupiré de soulagement en la voyant. Certes, il nous la promet depuis trois ans, régulièrement pour dans trois mois, mais, comme dit le proverbe, mieux vaut tard que jamais ! Ces quatre députés, auteurs de la motion, n'ont donc pas de quoi se plaindre. Finalement, ils ont presque obtenu cette conception à laquelle ils tiennent tant.
Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés. Je ne résiste pas au fait de vous relire cette invite que vous n'avez pas lue complètement.
M. Olivier Vaucher. Oh, non !
M. Chaïm Nissim. Elle est très courte, Monsieur Vaucher, rassurez-vous ! Je cite : «...à présenter un projet de conception cantonale de l'énergie, qui s'inscrive résolument dans le sens du développement durable et qui réponde à la lettre et à l'esprit de l'article 160 C de la constitution, avant la fin septembre 1996».
Mon collègue Burdet vient de demander ce qu'est le développement durable. Ecoutez-moi, Monsieur Burdet, je suis en train de vous répondre ! Il s'agit de réduire progressivement la part des énergies non renouvelables dans notre approvisionnement pour aller progressivement vers une part croissante d'énergies renouvelables, hydraulique, solaire, bois, etc. Alors, que faire, Monsieur Burdet, pour favoriser ce transfert modal ? Il faut produire de moins en moins d'énergies polluantes et de plus en plus d'énergies renouvelables.
Grosso modo, la réponse est simple. Pour aller dans ce sens, il faut taxer les énergies polluantes et investir les capitaux pour créer des emplois dans le domaine des économies d'énergie et dans le solaire. Taxer l'électricité et le gaz et verser une partie de cet argent dans un fonds est l'objet de la motion 820 restée durant quatre ans dans les tiroirs de la commission des travaux.
Or M. Joye a justement dit le contraire. Le peu qu'il nous a dit de cette conception de l'énergie, non encore publiée, est qu'elle encourage la libéralisation des marchés, la baisse des prix au lieu de la hausse, et donc le gaspillage. Si cette conception de l'énergie va à l'encontre de toutes nos préoccupations, Monsieur Joye - je vous rappelle, Monsieur Burdet, que la population genevoise est d'accord avec nous sur la question du nucléaire - toutes vos promesses depuis trois ans passent à l'as. Tous les emplois que nous aurions pu créer dans le domaine des économies d'énergie aussi. Tout le bonheur social, la justice sociale qui germe lorsque l'on va dans le sens du développement durable passent à l'as. Monsieur Joye, vous êtes au pied du mur ! Comme nous le disions en conclusion dans notre motion, Monsieur Joye, la population genevoise attend de vous enfin un geste clair. Je confirme ce qu'a dit mon excellente collègue, Elisabeth Reusse-Decrey, il faut renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
M. Roger Beer (R). Le député Burdet a très bien démontré ce qu'il n'y avait pas dans cette motion. Lorsque j'entends Mme Reusse-Decrey et M. Nissim, je me retrouve une fois de plus, comme tous les vendredis, à la commission de l'énergie où nous entendons toujours les mêmes rengaines. Il est vrai que nous attendons depuis un certain temps ce fameux document, agité tout à l'heure par le Conseil d'Etat, et nous nous réjouissons qu'il ne soit plus l'oeuvre d'un seul conseiller d'Etat, mais des sept, ce qui ne manquera pas d'arriver bientôt.
A ce moment, on arrêtera de présenter une motion tous les trois mois. Je ne veux pas prolonger le débat, mais le député Burdet a raison et les radicaux le suivront. Il faut refuser cette motion qui ne fait qu'énumérer ce qui se trouve déjà à la commission de l'énergie et que l'on traite avec plus ou moins de bonheur. Monsieur Nissim, vous connaissez, comme moi, l'ambiance de la commission de l'énergie et la manière dont les sujets y sont traités. Je vous remercie de refuser cette motion.
M. Pierre Vanek (AdG). Je serais assez bref. (Rires.) Mon intervention pourrait être résumée en trois mots : «ras-le-bol !». Mais je la développerai un tout petit plus. Depuis le début de cette législature, on se moque de nous, pour ne pas dire autre chose, sur cette question de la conception cantonale de l'énergie.
M. Maitre avait une technique pour s'occuper de l'affaire. Il nous faisait barboter en nous disant que tout marchait bien. Finalement, cette manière de procéder a abouti à une non-conception en matière d'énergie, lors de la dernière législature.
M. Joye a adopté une autre méthode consistant à dire que les travaux de mise sur pied de cette conception étaient en cours, mais que la difficulté résidait dans le fait que nous avions systématiquement reporté toute une série de débats, et le président du Grand Conseil ne me contredira pas ! Il nous a promené de trois mois en trois mois en nous promettant ce document, disant que toutes les motions seraient discutées en même temps que ce dernier projet sur le point d'aboutir. Il s'agit d'un sabotage, conscient ou non, de la part du président des travaux publics et de l'énergie, de ce parlement et de cette commission, durant quasiment toute la législature.
Aujourd'hui, M. Joye s'aperçoit qu'il ne peut plus simplement promettre; il agite un document sous nos yeux en disant : la voilà ! Ce n'est ni sérieux ni amusant. Certains d'entre nous se sont peut-être accoutumés à voir M. Joye faire le clown sur certains projets, mais nous ne trouvons pas cela drôle et nous en avons ras-le-bol d'être «menés en bateau» sur cette question. Le cinéma que fait le Conseil d'Etat au sujet de cette affaire ne suffit pas. On nous a dit que cette conception serait fournie au Conseil d'Etat, et Dieu sait quand nous aurons la version définitive !
Or si l'on est censé disposer d'une conception cantonale de l'énergie, c'est pour orienter la politique énergétique au cours de la législature. Or nous arriverons à la fin de celle-ci avec un éventuel projet de conception. Ceci est inadmissible. On se retrouvera au mois de décembre au dixième anniversaire de la votation de l'article 160 C, censé orienter notre politique énergétique cantonale sans aucun document donnant réellement les indications sur cette orientation. Le minimum de courage politique aurait été d'apporter ce document dans la salle du Grand Conseil avant la fin de cette législature.
Il y a des choses écrites et des «maux de dents», comme dirait M. Joye. (Rires.) Nous avons quelques indices sur ce que pourra être cette conception de la politique énergétique, en lisant les pages 212 et 213.
Une voix. Tu voudrais pas économiser ton énergie !
M. Pierre Vanek. En effet, l'évolution fondamentale qui nous est présentée est simplement le libéralisme à tout crin en matière énergétique. On présente la Grande-Bretagne et les USA comme des exemples. On se réfère au rapport en indiquant que la seule voie possible est de baisser les coûts pour ces gros consommateurs d'électricité. En quelques paragraphes, on nous présente la libéralisation du marché de l'électricité comme une tendance inévitable à laquelle il faut se préparer.
C'est précisément la négation d'une politique énergétique, écologique, conforme à la constitution. Si c'est là la conception que M. Joye veut nous servir, je comprends qu'il retarde ce moment au maximum et n'ose pas la présenter à la commission consultative ou devant le peuple !
M. Chaïm Nissim (Ve). Deux mots encore, à l'intention de ceux qui refuseront cette motion. Je ris en relisant les invites que vous avez acceptées, séparément dans le courant de cette législature, soit :
- à présenter un projet de conception; vous êtes tous d'accord que l'on en a besoin;
- à créer un fonds pour les économies d'énergie; vous avez voté la motion y relative voilà quatre ans;
- à présenter tous les contrats signés avec les centrales nucléaires françaises : il s'agit d'un souci de transparence tout à fait légitime;
- à inscrire les 10 millions promis par un conseiller d'Etat démocrate chrétien.
Certains disent qu'il s'agit d'une promesse imprudente, mais n'empêche que l'un d'entre vous nous a promis ces 10 millions pour constituer un fonds pour les économies d'énergie ! Voulez-vous vraiment vous piétiner vos propres couilles, Mesdames et Messieurs les députés ?
Une voix. Ah bon, les femmes aussi !
M. René Longet (S). Notre groupe est étonné de la difficulté qu'il semble y avoir de la part de certains partis au Grand Conseil de donner suite à un article constitutionnel. Je sais que vous n'avez jamais apprécié cet article. Vous l'avez combattu et vous avez perdu devant le peuple, il a passé le cap de la votation populaire. Il a passé tous les caps, y compris celui de la garantie fédérale; alors, aujourd'hui, il s'agit de l'appliquer ! (Brouhaha.)
Le président. Laissez l'orateur s'exprimer !
M. René Longet. Je n'ai qu'une requête à présenter : notre groupe demande l'appel nominal.
M. Hervé Burdet (L). Une fois n'est pas coutume et je désire prendre M. Vanek au mot. Il dit que seule la première invite de la motion importe, à savoir «à présenter un projet de conception cantonale de l'énergie [...] qui réponde à la lettre et à l'esprit de l'article 160 C de la constitution, avant la fin septembre 1996;».
J'ai dit être contre cette motion, qui est un bric-à-brac de propositions diverses. Si M. Vanek nous propose de revenir à l'essentiel, c'est-à-dire à cette obligation constitutionnelle de la première invite, je voterai votre motion !
Le président. Monsieur le secrétaire du Grand Conseil, je vous invite à nous rejoindre... Monsieur Vanek ?
M. Pierre Vanek (AdG). M. Burdet dit être d'accord avec la première invite de la motion, soit de demander au Conseil d'Etat de présenter un projet de conception cantonale de l'énergie d'ici la fin septembre. Dès lors, je propose - si les autres signataires de la motion n'y voient pas d'objection - que nous nous prononcions déjà sur cette invite. Ce sera un pas en avant.
Des voix. Mais c'est votre motion ! C'est à vous de proposer des amendements !
M. Pierre Vanek. L'amendement que je propose consiste à conserver, telle quelle, la première invite de la motion et à retirer les quatre autres.
M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Les propos de M. Vanek sont tellement polémiques que je renonce à y répondre.
En revanche, je vous informe avoir renvoyé le projet de conception cantonale au Conseil d'Etat. Mercredi prochain, mes collègues m'autoriseront probablement à le soumettre, avec le concept directeur 2015, à l'ensemble des partenaires concernés.
Vous pouvez donc être tranquilles. Si je devais faire de la politique, au sens où M. Vanek l'entend, je ne présenterai aucun concept d'énergie pour le moment. Je prendrai tous les prétextes possibles et imaginables pour faire traîner les choses jusqu'en novembre 1997... Rassurez-vous ! J'ai pris une année d'avance pour que vous puissiez en discuter.
Je tiens à rappeler que c'est moi qui ai suggéré l'étude nucléaire de CERA et LOGILA. En effet, je voulais surtout éviter de vous proposer un concept énergétique cantonal passéiste et qui ne tienne pas compte des évolutions actuelles auxquelles nous sommes soumis. Je vous rappelle également que le Conseil interministériel de l'Europe a décidé d'ouvrir les marchés de l'énergie le 20 juin de cette année, décision extrêmement lourde de conséquences pour notre futur énergétique. Il est illusoire de croire que la Suisse romande, notamment Genève, pourra vivre dans l'isolement, mais si vous y tenez, on pourra y parvenir... Je vous dirai ce que cela coûtera !
Le rapport Catin, du nom du chef de la section économique énergétique de l'Office fédéral de l'énergie, analysant les répercussions sur le plan helvétique de l'ouverture du marché de l'électricité, a paru il y a tout juste un an. Ce rapport a conduit l'Office fédéral de l'énergie à poursuivre sa réflexion et nous sommes dans l'attente de nouveaux résultats.
Pouvions-nous imaginer, il y a une année, que les entreprises d'électricité suisses se profileraient sur le marché des télécommunications ? C'est pourtant ce que vient de décider EOS en mettant en place un réseau de fibres optiques. D'autres développements sont en cours. Le concept des coûts externes, dont on parle de plus en plus, devra certainement être développé dans un proche futur.
La motion, présentement débattue, n'est pas le catalyseur qui a permis au projet de voir le jour. Je travaille à ce concept énergétique depuis le mois de mai. Je l'ai revu, plusieurs fois, avec M. Genoud et d'autres collaborateurs. Et je puis vous dire qu'il est fort difficile à élaborer.
Sur le plan du nucléaire, aucune prise électrique ne fait le tri des électrons nucléaires et hydrauliques à la frontière genevoise. Si vous voulez gérer l'électricité genevoise en circuit fermé - le seul moyen pour en contrôler l'origine - il vous faudra suivre l'évolution d'une production locale, par exemple de trois fois 51 mégawatts, mais vous vous heurterez à l'obstacle du CO2.
Le projet de conception énergétique que nous vous soumettrons comporte des éléments qui seront vivement discutés, mais c'est bien là notre but. Nous n'irons pas seulement devant la commission technique de l'énergie, mais mettrons immédiatement notre projet en consultation auprès de tous les partenaires concernés.
Je vous propose évidemment de refuser cette motion, dont M. Burdet a décrit les défauts avec beaucoup d'élégance.
Le président. Je mets aux voix l'amendement de Mme Elisabeth Reusse-Decrey et de MM. Pierre Vanek, Chaïm Nissim et Hervé Burdet, qui consiste à supprimer les quatre dernières invites de la page 2.
Cet amendement est adopté.
Mise aux voix, cette motion ainsi amendée est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
motion
sur la politique énergétique cantonale
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- l'obligation légale faite au Conseil d'Etat, de présenter à chaque législature une conception de l'énergie, et sa promesse d'élaborer «dans les 3 mois» une conception qui tienne compte, au moins en partie, du désir de la population d'entamer une démarche visant à nous affranchir de notre dépendance du nucléaire (promesse faite pour la première fois le 27 mai 1994, répétée le 21 octobre 1994, répétée encore le 14 décembre 1995, sans compter les promesses faites en commission);
- la résolution 296, qui demandait une conception cantonale de l'énergie, renvoyée par le Grand Conseil à sa commission énergie le 19 mai 1995, et qui attend toujours depuis cette date (!);
- la motion 820, qui demandait la mise sur pieds d'un fonds pour les économies d'énergie, renvoyée par le Grand Conseil en commission le 29 septembre 1992, et qui traîne en commission depuis 4 ans, alors qu'il s'agit là d'un projet créateur d'emplois diversifiés, d'un projet porteur dans le sens d'un développement durable;
- la promesse, faite par le Conseil d'Etat au Grand Conseil le 15 décembre 1994, et répétée en commission le 16 février 1996, de réexaminer la constitutionnalité (ou non!) des investissements indirects des SIG dans le nucléaire français - promesse jamais tenue;
- la promesse, faite par le Conseil d'Etat le 14 décembre 1995, d'affecter 10 millions à la politique énergétique au prochain budget;
- la promesse, faite par le Conseil d'Etat le 1 décembre 1995, de parvenir avec les SIG à un accord sur une politique tarifaire avant le 1er avril 1996, date d'entrée en vigueur de nouveaux tarifs.
invite le Conseil d'Etat
- à présenter un projet de conception cantonale de l'énergie, qui s'inscrive résolument dans le sens du développement durable et qui réponde à la lettre et à l'esprit de l'art 160 C de la constitution, avant la fin septembre 1996.
La séance est levée à 23 h 10.