République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 21 juin 1996 à 17h
53e législature - 3e année - 8e session - 26e séance
M 1066
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- la réforme de l'article 35 de la constitution fédérale adoptée par le peuple suisse en mars 1993 sur la levée de l'interdiction des maisons de jeux, réforme qui réserve désormais aux cantons la compétence dans le secteur des machines à sous;
- le risque d'échauffement incontrôlé des activités de jeux de l'argent;
- le risque de concurrence anarchique et malsaine que pourraient entraîner aussi bien la privatisation des salons de jeux et des casinos que leur cantonalisation;
- la nécessité de maintenir leur caractère d'utilité publique aux gains réalisés dans le secteur des jeux et par conséquent de garantir la remise de ces gains à l'Etat ou aux institutions qu'il contrôle;
- la nécessaire réforme à apporter à l'actuel «droit des pauvres» et la baisse des recettes qui en découlera pour l'Etat et l'Hospice général,
invite le Conseil d'Etat
- à promouvoir la conclusion par les cantons romands d'une convention relative à un organisme chargé de coordonner et de contrôler, à des fins d'utilité publique, l'exploitation des jeux autorisés autres que ceux de loteries, dans les cantons romands;
- à confier à cet organisme la gestion des salles de machines à sous ou d'adresses ou de kursaals dont il autorisera l'ouverture.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Le secteur des jeux d'argent est un secteur en pleine croissance. Celle-ci pose un certain nombre de questions:
- Comment cette évolution agit-elle et continuera-t-elle d'agir sur les recettes que l'Etat tire actuellement des loteries?
- Faut-il laisser ce secteur se développer dans le secteur privé?
- La société ne doit-elle pas se prémunir contre les conséquences socialement néfastes des excès de tels jeux et protéger les joueurs contre les abus d'exploitants peu scrupuleux?
- Quels sont les risques de voir se développer la criminalité autour du développement des jeux d'argent?
- Les gains réalisables dans ce secteur doivent-ils être entièrement affectés à l'utilité publique?
- Genève doit-elle ouvrir un casino et/ou des salles de machines à sous?
Chez les motionnaires, analyses et réflexions sur ces questions ont conduit à des conclusions claires:
1. Ne serait-ce que pour des raisons fiscales, c'est au secteur des machines à sous que notre canton doit donner sa priorité.
2. Le développement du secteur des jeux d'argent, même s'il est la conséquence d'une forte demande de la population, ne saurait être confié au secteur privé. Les risques sociaux, légaux et économiques se révèlent en effet trop élevés dans un tel cas de figure.
3. Il est socialement juste que la totalité des gains réalisés dans ce secteur reviennent à l'Etat et soient affectés à l'utilité publique. Il faut par ailleurs éviter que le développement des jeux d'argent ne s'opère au détriment des recettes dont bénéficie l'Etat dans le secteur des loteries.
4. Seule une coordination intercantonale, comme l'exemple de la Loterie romande le prouve depuis plus d'un demi-siècle, permet un développement harmonieux et dans l'intérêt général du secteur des jeux. Il s'agit donc pour notre canton de soutenir le «projet d'une organisation coordonnée de l'ensemble des jeux d'argent en Suisse romande» présenté récemment par la Loterie romande.
C'est pour ces raisons que les motionnaires vous remercient par avance, Mesdames et Messieurs les députés, de soutenir leurs propositions.
Débat
M. Pierre Kunz (R). Cette motion concernant les jeux de hasard et d'adresse, comme certains ne manqueront pas de le relever, présente des inconvénients. C'est même, pour parodier un grand homme, la pire des motions, si l'on excepte tous les autres textes que l'on pourrait rédiger sur le sujet.
Toutefois, selon les motionnaires, cette motion a de nombreux mérites. La qualité première de ce texte est d'être le premier à inviter expressément le Conseil d'Etat à s'engager, comme les Genevois l'attendent depuis 1993, dans le développement des salons de machines à sous.
Sa deuxième qualité est d'établir clairement un certain nombre de principes qui devront, si ce Grand Conseil les accepte, guider le gouvernement dans son travail. Quels sont ces principes ?
Premièrement, celui en vertu duquel les gains provenant de ce secteur d'activités soient affectés intégralement à l'utilité publique, qu'ils proviennent du produit même de l'exploitation des jeux ou de la future taxe sur les jeux d'adresse et de hasard.
Deuxièmement, l'Etat doit être en mesure de maintenir fermement son contrôle sur un secteur dont chacun connaît les risques et les excès potentiels en matière sociale, de développement inconsidéré et de criminalité, notamment de blanchiment d'argent sale.
Troisièmement, aux yeux des motionnaires, une coordination romande paraît être, dans l'intérêt général du secteur des jeux, la formule la plus adéquate à son développement harmonieux. Toutefois, ils sont prêts à en étudier d'autres, susceptibles de répondre au même objectif, encore faut-il qu'elles soient réalistes !
La troisième qualité de cette motion est de contribuer à ouvrir la voie à l'indispensable réforme de l'impôt discriminatoire et coûteux pour Genève qu'est devenu l'actuel droit des pauvres. Et, lorsqu'elle aura trouvé un début de concrétisation, soit lorsque le développement de deux nouveaux salons de jeux d'adresse et de hasard produira les gains attendus, ce ne sont pas moins de 7 à 10 millions de recettes nouvelles, suivant les estimations et le taux appliqué, qui alimenteront les activités sociales de l'Hospice général et de l'Etat, soit, grosso modo, ce que devrait coûter la réforme de l'actuel droit des pauvres, telle qu'elle vous a été proposée, et que vous avez accepté d'étudier.
Dans ce contexte et dans cet esprit, les motionnaires vous prient de réserver bon accueil à leur proposition et de renvoyer cette motion, comme le projet de loi 7467, à la commission ad hoc, dont vous avez décidé la création, les deux objets nous paraissant liés. Toutefois, si vous préférez la renvoyer à la commission judiciaire, ce choix conviendra aussi aux motionnaires.
M. René Ecuyer (AdG). A ce stade de la discussion, je souhaite que le Grand Conseil entende le message que nous avons reçu sous forme de lettre adressée par le Conseil administratif de la Ville de Genève, à propos de la motion 1066.
Une voix. Rebelote !
Le président. Madame la secrétaire, je vous prie de bien vouloir lire cette lettre.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Nous tenons d'abord à réaffirmer ici que nous sommes opposés aux jeux d'argent, étant donné les répercussions sociales qu'ils ont sur les personnes et les milieux touchés par ces jeux d'argent. Nous réaffirmons aussi que les machines à sous sont de véritables structures de blanchiment d'argent sale, les processus possibles à utiliser ont été largement explicités à la commission judiciaire qui a commencé à travailler sur ces deux projets de lois cités tout à l'heure.
Puisque le peuple a voté son appui à la libéralisation des grands jeux et à l'extension des machines à sous, nous considérons que nous devons nous plier au vote populaire. Mais il faut impérativement, à notre avis, que le contrôle reste en main publique, locale, afin que nous puissions exercer une surveillance totale.
En cela, nous partageons tout à fait le point 2, de l'exposé des motifs des motionnaires qui précise : «Le développement du secteur des jeux d'argent, même s'il est la conséquence d'une forte demande de la population, ne saurait être confié au secteur privé.» Je rejoins tout à fait l'avis des motionnaires.
Ce qui est plus cocasse, c'est que les mêmes partis ont déposé, devant la commission judiciaire, un projet de loi disant clairement que «les salles seront exploitées par une personne morale de droit privé qui doit être une société anonyme au sens du droit suisse avec un capital...»; enfin, je vous passe la suite. Mais il faut juste savoir si vous voulez que ce soit du privé ou du public.
Quant à nous, nous le disons clairement, nous voulons une surveillance publique. Dès lors, pourquoi chercher un organisme romand dont on ne connaît pas bien la structure ? Vous parlez d'un organisme chargé de coordonner. Mais on ne sait pas quelle est sa structure : privée ou publique ? Dès lors, pourquoi aller chercher ce nouveau type de fonctionnement, alors qu'à Genève c'est la Ville qui, pour l'instant, surveille l'exploitation des machines à sous.
Pour le parti socialiste, plus clairement, si le milieu des machines à sous devait être privatisé, alors oui, peut-être qu'un organisme romand, tel que vous le proposez, pourrait avoir notre préférence ! Mais, en l'état, nous insistons fermement sur la nécessité de maintenir l'exploitation des jeux d'argent et des machines à sous en main publique. C'est pourquoi nous renverrons cette motion en commission. Mais, d'ores et déjà, notre avis est plutôt négatif.
M. David Hiler (Ve). Nous souhaitons que, d'une manière ou d'une autre, les jeux restent sous un contrôle public attentif.
Nous connaissons les problèmes sociaux liés au jeu, comme nous connaissons ceux liés à l'alcool ou à la drogue. Toutefois, nous ne pensons pas que la prohibition soit la solution, car elle aboutit généralement, en plus du mal lui-même, à la criminalité liée à son caractère clandestin. On a pu constater ce genre de choses aux Etats-Unis dans les années 30, et, en ce qui concerne la drogue, on le constate dans nos pays développés depuis une trentaine d'années. Nous ne croyons donc pas à la prohibition pour un objet mineur, celui des machines à sous.
Mme Michèle Mascherpa. Il a raison !
M. David Hiler. Par contre, la question du blanchiment de l'argent sale est réelle. De ce point de vue, il faut qu'un contrôle public soit exercé par une institution à but non lucratif, par exemple, quelle qu'elle soit.
En revanche, on ne peut pas «s'asseoir» sur les droits de la Ville de Genève, si vous permettez cette expression triviale. Il est vrai qu'il n'y est pas fait allusion dans l'exposé des motifs, et c'est ennuyeux. Nous acceptons donc le renvoi en commission pour une étude plus approfondie.
M. Bénédict Fontanet (PDC). Nous souhaiterions également que cette motion soit renvoyée à la commission judiciaire qui a traité pendant de longues séances du sujet des jeux d'argent, respectivement, des casinos et des machines à sous.
Le débat de ce soir n'est pas de savoir si on est pour ou contre les jeux d'argent. Pour ma part, je suis extrêmement réservé quant à l'idée de l'Etat «casinotier» et, plus précisément, de donner à l'Etat le monopole en matière de jeux d'argent. L'essentiel, dans ce genre d'affaire, est la mise au point d'une surveillance policière pour contrôler ces jeux d'argent. Mais je ne suis pas certain que, si l'Etat s'en occupe directement, le risque de blanchiment d'argent sale sera davantage limité. En tout cas, s'il doit y avoir blanchiment, autant que ce ne soit pas par le truchement de structures étatiques.
A mon sens, réunir l'Etat et les «casinotiers» n'est pas une bonne chose. De telles organisations peuvent être laissées aux mains de privés sous une surveillance policière très stricte, comme dans certains pays qui nous entourent, en Allemagne, par exemple, où cela marche très bien.
Ce sujet devra donc être examiné en commission judiciaire, où nous avons divers projets en cours à ce sujet. Mais, comme l'a relevé mon prédécesseur, un élément a été mal appréhendé par les auteurs de la motion, soit la problématique liée à la Ville de Genève et à la structure d'exploitation actuelle des machines à sous et des jeux d'adresse sur le territoire du canton de Genève. Mais nous en discuterons en commission.
M. Christian Grobet (AdG). Notre groupe est également défavorable aux jeux de hasard et de casino. En commission judiciaire, une majorité semblait se dessiner pour revenir sur la loi, votée il y a quelques années, permettant l'introduction des appareils à sous dans la salle de jeux du casino.
Je vous rappelle que, dans plusieurs cantons, ce genre de pratiques est interdit. Du reste, le canton de Zurich est revenu sur sa précédente législation et, outre le caractère totalement débilitant de ce genre de jeux - si on peut appeler cela des jeux - il faut reconnaître qu'ils sont ruineux pour des personnes de condition modeste. En tout cas, de telles pratiques n'ont pas à être encouragées, sans tomber dans l'excès de la prohibition, Monsieur Hiler, pour prendre votre exemple, qui, il me semble, n'est pas tout à fait adapté à la situation.
Nous voulons bien admettre qu'une loi a été votée à ce sujet et que des appareils à sous soient exploités à un endroit très précis, soit à la salle de jeux du Grand Casino. Cela m'amène tout de même à rappeler que la situation juridique de ces salles de jeux est relativement complexe. Vous y avez fait allusion, Monsieur Fontanet, mais je vous trouve très indulgent à l'égard de vos amis politiques. En effet, il est curieux que cette question fondamentale n'ait pas été abordée dans cette motion, puisque, conformément au contrat de droit de superficie consenti par la Ville de Genève au profit de la société qui a construit l'hôtel Noga Hilton, le bénéfice de la salle de jeux doit servir à la salle de spectacles.
La motion que l'on nous propose n'est qu'un «coup d'épée dans l'eau» ou un «coup de bluff». D'ailleurs, je me demande si ses auteurs savent que ce produit des jeux, qu'ils envisagent d'utiliser comme compensation à la suppression du droit des pauvres, est, en fait, une recette fiscale inexistante, en tout cas en l'état et tant que la Ville de Genève n'aura pas réussi à modifier les conditions qui prévalent dans les contrats signés avec le superficiaire de la Ville de Genève.
Les appareils à sous ne sont pas, à proprement parler, des jeux de casino, mais ils y seront assimilés dans la nouvelle législation. Le produit des jeux devrait d'abord servir à des fins très précises, au tourisme, par exemple. Ici entre en ligne de compte un second élément juridique en ce qui concerne l'affectation du produit de ces jeux. Dans la mesure où un disponible provient de ces jeux, il est logique que cette somme revienne à la Ville de Genève qui supporte l'essentiel du fardeau financier, particulièrement lourd, lié aux activités culturelles qui préoccupent tant M. de Tolédo. Etant donné cet élément, nous trouvons scandaleux d'envisager de retirer une substance fiscale qui revient de droit à la Ville de Genève, ceci dans le but unique de dégrever les impôts cantonaux de quelques organisateurs de spectacles.
En définitive, vous voulez faire payer à la Ville le cadeau fiscal que vous voulez faire par votre projet de loi. Autant dire que, pour nous, la solution que vous préconisez est totalement inacceptable. Nous la refuserons, car sur le plan juridique elle est impraticable, en l'état.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Je n'entrerai pas dans le débat, puisque vous avez manifesté l'intention de renvoyer ce projet en commission. D'ailleurs, vous déciderez, souverainement, quelle commission accueillera cette proposition de motion, la judiciaire ou une commission ad hoc.
A ce sujet, l'exposé du député Grobet peut porter à confusion. Il est exact que la Ville de Genève est en relation contractuelle avec son superficiaire et que ses différents droits font l'objet d'une série de conventions d'une effroyable complexité. Toutefois, les problèmes liés à son superficiaire ne sont pas de nature à changer la réalité, à savoir que l'Etat de Genève est détenteur de la concession, et non pas la Ville. Cette dernière est donc subordonnée à l'Etat de Genève. Cette précision a toute son importance, car on pourrait imaginer, dans un débat futur, que l'Etat de Genève règle le problème des jeux en étroite collaboration avec la Ville de Genève, laquelle est chargée d'évacuer ses problèmes avec son superficiaire dans un autre débat qui ne concerne pas directement celui des jeux. Je désirais apporter cette précision.
M. Michel Balestra (L). Je ne veux pas m'exprimer après le conseiller d'Etat. J'avais demandé la parole, et je me trouve boycotté !
Le président. Mais non, mais non !
M. Michel Balestra. Le discours rhétorique de M. Grobet a quelque chose d'intéressant : d'une part, il est contre ces jeux qu'il trouve avilissants et dangereux pour des personnes faibles et, d'autre part, le revenu de ces jeux doit absolument rester à la Ville de Genève !
Je lui rappelle que si on l'avait écouté lorsqu'il était conseiller d'Etat, le député Haegi ayant déposé un projet de loi contre lequel les conseillers d'Etat Ziegler et Grobet luttaient, ces recettes n'existeraient pas ! Heureusement que, à l'époque, nous avions demandé de dynamiser les jeux; c'est d'ailleurs ce que nous demandons ce soir ! Il s'agit de trouver une solution qui tienne compte de tous les paramètres et qui soit acceptable par tous.
Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission judiciaire.