République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 21 juin 1996 à 17h
53e législature - 3e année - 8e session - 25e séance
M 963-A et objet(s) lié(s)
11. Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier les objets suivants :
Il est des motions qui pourraient être envoyées directement au Conseil d'Etat ou refusées lors de l'entrée en matière ne demandant qu'une étude de l'administration concernant la faisabilité et une réponse circonstanciée du Conseil d'Etat. Le travail parlementaire en serait grandement allégé.
La proposition de motion 963, concernant les emplois à domicile est un cas typique demandant au Conseil d'Etat d'étudier l'opportunité d'une déduction fiscale pour les contribuables employeurs à titre privé, de déterminer le cas échéant le type d'emploi et d'en évaluer l'impact sur les finances publiques, la création d'emplois et la protection sociale.
Le renvoi de cette proposition à la commission sociale a eu au moins l'avantage d'exhumer la pétition 934 du 6 avril 1982, intitulée «Les employés de maison» et signée par un seul pétitionnaire, Monsieur l'avocat G. Ruff, et d'auditionner des membres du Conseil économique et social concernant l'étude et le rapport menés et publiés par ce conseil sur «LES EMPLOIS DE PROXIMITÉ», dont les commissions et certainement tous les députés en ont appris l'existence par la presse.
A ce propos, il est à souligner l'indispensable nécessité que le Conseil d'Etat informe assez tôt le Grand Conseil des mandats qu'il confie au Conseil économique et social.
Auditions
Ainsi, sous la dynamique présidence de Madame Claude Howald, les procès-verbaux étant tenus avec compétence et précision par Monsieur Guillaume Fatio, la commission s'est réunie les 27 février et 5 mars 1996.
La première séance étant totalement réservée à l'audition de Messieurs Jean-Pierre Thorel et Nicolas Lampert, respectivement président et secrétaire du Conseil économique et social, présentant le rapport de ce conseil intitulé «LES EMPLOIS DE PROXIMITÉ», qui semble avoir été incité par la présente proposition de motion 963. du 16 décembre 1994, et celle sur «Le chèque-emploi», déposée par le groupe socialiste.
Cela nous permet de donner un bref résumé de ce rapport qui, il nous semble opportun, devrait parvenir à tous les députés, avec les commentaires et propositions du Conseil d'Etat.
Ce rapport contient deux éléments essentiels :
1. La question des emplois de proximité, souvent auprès de personnes (femmes de ménage) payées en général de main à main. L'objectif du CES à ce propos est, par le biais d'une défalcation fiscale, de faire apparaître l'existence des travaux afin de faire bénéficier ces employés des prestations sociales. Certains estiment que cela serait créateur d'emplois.
Dans ce contexte, le «chèque emploi» aurait d'une part l'avantage de simplifier les démarches administratives et, d'autre part, représenterait un document qui pourrait faire office de preuve de paiement dans une déclaration fiscale (dans le cas où il y aurait possibilité de défalcation).
Des rapports publiés en France montrent que le chèque-emploi ne crée pas beaucoup d'emplois, mais suscite la déclaration d'emplois déjà existants. En France, la défalcation fiscale peut atteindre jusqu'à 40 000 FF par an. On estime que pour 1 FF de cadeau fiscal, l'Etat encaisse 1,25 FF, ce qui représente une opération bénéfique pour lui. En Suisse, un tel calcul est plus difficile à faire vu la structure du prélèvement des assurances sociales et le système pourrait s'avérer plus difficile à mettre en place qu'en France.
En France, le chèque-emploi tend même à être utilisé par de petites entreprises comme moyen de payer leurs salariés, car les formalités administratives sont grandement facilitées par ce biais. Cela se présente déjà en Alsace dans le domaine de la viticulture.
2. L'autre voie étudiée par le CES est le «chèque-prestation» qui servirait à financer une demande latente de services de proximité pour de petites aides de toute nature, demande qui ne s'exprime pas car elle n'est pas solvable. Ce chèque serait un moyen de paiement financé par la collectivité et qui ne pourrait être encaissé que par des organismes autorisés. Le but n'est pas de créer des emplois précaires, mais de vrais emplois. Il est difficile d'évaluer le nombre d'emplois qui pourraient être créés par ce biais, mais on se dirige en France dans cette direction.
L'avantage du chèque-prestation, c'est qu'il s'agit d'une allocation financière donnée à quelqu'un, mais pas sous la forme d'argent, ce qui permet d'être sûr que cette allocation ne sera utilisée que dans le but pour lequel elle a été donnée. Cela permettrait peut-être de faire surgir une forme d'économie sociale.
Le CES a pris une position de principe en disant que le chèque-subvention devrait servir à revitaliser le milieu social et à développer des emplois stables, mais qu'il ne devait pas servir à utiliser des personnes en occupation temporaire ou des bénéficiaires du RMCAS.
M. Thorel précise que les chèques-emploi ne concernent évidemment que des travaux à temps « très » partiels du point de vue de l'employeur. Il ne s'agit pas, par ce biais, de créer de nombreux emplois. Il faudrait peut-être centraliser l'encaissement de ces chèques qui serviraient tant de moyen de paiement que de contrat de travail et dans lesquels il faudrait peut-être faire référence au contrat type pour les employés de maison.
Quant à la concurrence avec le secteur privé que pourrait provoquer le chèque-prestation, il rappelle que, quelle que soit sa nature, une entreprise ne peut pas fonctionner si elle dépense plus qu'elle n'encaisse. L'idée, c'est de créer du travail à plein temps, voire à mi-temps, mais de créer de vrais emplois.
La question de la concurrence a été discutée dans le CES, ce qui a empêché de mettre des listes d'exemples d'emplois dans le rapport.
M. Thorel explique qu'en réalité il existe une demande chez les personnes pour de petits travaux qui ne sont jamais faits pour deux raisons, soit parce que ces personnes n'ont pas les moyens de se les payer, soit parce qu'il s'agit de travaux si petits que même les entreprises ne veulent pas les effectuer, par exemple changer une catelle, démonter des rideaux, changer une ampoule, amener le tapis chez le nettoyeur, etc.
Il est certain qu'une certaine concurrence existerait dans de petites zones, mais il n'est pas interdit aux privés de monter une entreprise de ce type qui serait agréée, ce qui leur permettrait d'être sur un pied d'égalité avec les entreprises créées pour offrir leurs services en échange de chèque-prestation.
En conclusion de son audition, M. Thorel rappelle que le mandat du CE ne réclamait pas des projets, mais il a bien quelques idées. Il faudrait choisir un secteur pour expérimenter les chèques-service. On pourrait aussi envisager de faire financer ces essais par l'OFIAMT en application de la LACI, ce qui ne s'est jamais fait à Genève. On peut même imaginer que les assurances-maladie ou accident financeraient des chèques pour des travaux qui permettraient aux gens de rester à la maison. De même avec les entreprises.
Il ajoute que le CES souhaite obtenir un complément de mandat pour pouvoir aller plus loin dans son travail.
Lors de la séance suivante, il a été rappelé que Monsieur Vodoz, par sa lettre de novembre 1995, avait estimé que les mesures incitatives en matière fiscale étaient quasi inexistantes (voir annexe), cependant il apparaît à la commission que certaines possibilités de déduction dans le domaine social existent. Beaucoup sont dubitatifs quant à trouver des pistes pour créer des emplois par ce moyen. Il est également soulevé le problème de la demande de très nombreuses aides ménagères qui refusent d'être déclarées.
Vote
Au vote, l'unanimité des commissaires demande le dépôt sur le bureau du Grand Conseil de la pétition 934, concernant les employés de maison.
Quant à la proposition de motion 963, qui invite le Conseil d'Etat
- à étudier l'opportunité d'une déduction fiscale pour les contribuables employeurs à titre privé,
- à déterminer le type d'emploi susceptible d'être pris en considération,
- à fixer, le cas échéant, le montant maximum pouvant être déduit,
- à évaluer l'impact d'une telle mesure sur les finances publiques, la création d'emplois et la protection sociale,
son renvoi au Conseil d'Etat est accepté par 9 oui (5L, 2R, 2DC) aucune opposition et 6 abstentions (3AdG, 2S, 1PEG).
ANNEXE
Page 7
ANNEXE
ANNEXE
ANNEXE
Débat
M. Pierre Marti (PDC), rapporteur. Recherchant une certaine efficacité dans notre travail au Grand Conseil - nous en avons donné la preuve en votant le projet de loi 7466 en discussion immédiate - il nous faut améliorer nos débats.
Par exemple, nous sommes tous conscients que les interpellations urgentes n'ont d'urgent que le nom ou le désir des interpellateurs de parler au plus vite. Les questions sont posées, mais elles ne reçoivent une réponse que deux ou trois mois plus tard.
Il faut donc revoir notre règlement en la matière et reprendre l'usage de la question écrite.
D'autre part, bien des motions pourraient être renvoyées directement au Conseil d'Etat si, dès l'entrée en matière, elles relèvent de l'administration. Nous recevrions une réponse circonstanciée du Conseil d'Etat, et le travail parlementaire s'en trouverait grandement allégé.
C'est précisément la proposition qui nous a été faite pour le cas typique que constitue la motion 963 sur les emplois à domicile. Demandons au Conseil d'Etat d'étudier l'opportunité d'une déduction fiscale pour les contribuables employeurs à titre privé.
Alors que cette motion aurait pu être renvoyée directement, pour réponse, au Conseil d'Etat, son renvoi à la commission des affaires sociales a pris un certain temps.
Ce renvoi aura néanmoins eu l'avantage d'exhumer une pétition du 6 avril 1982 et, surtout, d'auditionner des membres du Conseil économique et social à propos de son étude et de son rapport sur les emplois de proximité. Cette étude et ce rapport ont été publiés, mais les commissaires et certainement tous les députés ont dû lire la presse pour en apprendre l'existence.
Il est donc indispensable que le Conseil d'Etat informe assez tôt le Grand Conseil des mandats qu'il confie au Conseil économique et social, afin d'éviter les études et les travaux parallèles.
M. Bernard Clerc (AdG). Notre groupe s'est abstenu sur la motion 963, et je vais vous en donner les raisons.
Les mesures proposées ne créeront aucun emploi. Au mieux, quelques travailleurs au noir verront leur situation légalisée, et encore nous n'en sommes pas certains.
La première invite de la motion est inutile. Par une lettre, reproduite en page 8 du rapport, M. Vodoz indique clairement que le droit fédéral s'oppose à des déductions fiscales en la matière.
Indépendamment de cette impossibilité juridique, des déductions fiscales qui profiteraient principalement aux contribuables fortunés ou à haut revenu, pouvant se permettre d'engager du personnel de maison, parfois à plein temps, seraient absolument anormales. De toute façon, nous nous y serions opposés.
De manière générale, ce type d'emplois engendre un travail précaire et sous-payé, comme on le constate partout où se développe le chômage. Des études faites en France font ressortir que 80% des emplois de service ne concernent que du travail ménager pour une durée moyenne de huit heures par semaine. C'est donc le type même d'emploi précaire procurant un salaire insuffisant pour vivre.
Voilà pourquoi nous nous abstiendrons sur cette motion.
P 934-A
Mises aux voix, les conclusions de la commission des affaires sociales (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.
M 963-A
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
(M 963)
motion
concernant les emplois à domicile
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- le taux de chômage élevé qui subsiste dans notre canton;
- le fait que le chômage touche plus particulièrement les personnes peu ou pas qualifiées;
- qu'il faut tout mettre en oeuvre pour créer des emplois;
- que certains pays voisins se sont essayés avec succès à la création d'emplois de proximité par le biais notamment d'incitations fiscales;
- qu'il existe de nombreux salariés à domicile en situation non déclarée;
- que ces situations créent un certain nombre d'inégalités tant au niveau de la protection sociale que des relations de travail;
- qu'il est souhaitable de créer des emplois familiaux, notamment dans le cadre de gardes d'enfants ou de personnes âgées,
invite le Conseil d'Etat
- à étudier l'opportunité d'une déduction fiscale pour les contribuables employeurs à titre privé;
- à déterminer le type d'emploi susceptible d'être pris en considération;
- à fixer, le cas échéant, le montant maximum pouvant être déduit;
- à évaluer l'impact d'une telle mesure sur les finances publiques, la création d'emplois et la protection sociale.