République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 31 mai 1996 à 17h
53e législature - 3e année - 7e session - 22e séance
E 811
Le président. L'ordre du jour appelle maintenant la prestation de serment des magistrats du pouvoir judiciaire.
Nous allons procéder tout d'abord à la prestation de serment du Ministère public, soit de M. le procureur général, de MM. les procureurs, et de Mmes et MM. les substituts.
Je prie l'assemblée de se lever.
(Les huissiers restent debout jusqu'à la fin des prestations de serment.)
Monsieur le procureur général, Messieurs les procureurs, Mesdames et Messieurs les substituts, vous êtes appelés à prêter serment avec entrée en fonctions le 1er juin.
Je vais vous donner lecture du serment. Pendant ce temps, vous tiendrez la main droite levée. Lorsque la lecture sera terminée, vous baisserez la main.
Veuillez lever la main droite.
«Je jure ou je promets solennellement :
»d'être fidèle à la République et canton de Genève comme citoyen et en ce qui concerne mon office;
»de rechercher avec vigilance et de déférer aux autorités compétentes toutes les infractions aux lois et de poursuivre les contrevenants sans aucune acception de personne, le riche comme le pauvre, le puissant comme le faible, l'habitant du pays comme l'étranger;
»de veiller à l'observation des règlements et de défendre tous les intérêts que la société me confie, ceux des mineurs, des interdits et de toutes les personnes qui réclament une protection spéciale;
»de m'attacher strictement aux lois et à l'intention de la loi;
»de remplir mon office avec toute l'assiduité, la diligence et l'attention que mes forces peuvent comporter;
»de ne point fléchir dans l'exercice de mes fonctions, ni par intérêt, ni par faiblesse, ni par espérance, ni par crainte, ni par faveur, ni par haine pour l'une ou l'autre des parties;
»de n'écouter, enfin, aucune sollicitation et de ne recevoir, ni directement ni indirectement, aucun présent, aucune faveur, aucune promesse à l'occasion de mes fonctions.»
Je prie l'assemblée de bien vouloir s'asseoir.
Monsieur le procureur général, Messieurs les procureurs, Mesdames et Messieurs les substituts, à l'appel de votre nom, vous voudrez bien vous lever à nouveau, puis lever la main droite et prononcer les mots : «Je le jure» ou «Je le promets». Ensuite, vous pourrez vous rasseoir.
Procureur général :
M. .
Procureurs :
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Substituts du procureur général :
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(A l'appel de leur nom, M. le procureur général, MM. les procureurs, Mmes et MM. les substituts répondent par les mots «Je le jure» ou «Je le promets».)
Monsieur le procureur général, Messieurs les procureurs, Mesdames et Messieurs les substituts, je vous remercie. Le Grand Conseil prend acte de votre serment.
Nous allons procéder maintenant à la prestation de serment de tous les autres magistrats du pouvoir judiciaire.
Je prie l'assemblée de bien vouloir se lever.
Mesdames et Messieurs les magistrats, vous êtes appelés à prêter serment avec entrée en fonctions le 1er juin.
Je vais vous donner lecture du serment. Pendant ce temps, vous tiendrez la main droite levée. Lorsque la lecture sera terminée, vous baisserez la main.
Veuillez lever la main droite.
«Je jure ou je promets solennellement :
»d'être fidèle à la République et canton de Genève comme citoyen et comme juge;
»de rendre la justice à tous également, au pauvre comme au riche, au faible comme au puissant, à l'étranger comme à l'habitant du pays;
»de m'attacher strictement aux lois et à l'intention de la loi;
»de remplir mon office avec toute l'assiduité, la diligence et l'attention que mes forces peuvent comporter;
»de ne point fléchir dans l'exercice de mes fonctions, ni par intérêt, ni par faiblesse, ni par espérance, ni par crainte, ni par faveur, ni par haine pour l'une ou l'autre des parties;
»de n'écouter, enfin, aucune sollicitation et de ne recevoir, ni directement ni indirectement, aucun présent, aucune faveur, aucune promesse à l'occasion de mes fonctions.»
Je prie l'assemblée de bien vouloir s'asseoir.
Mesdames et Messieurs les magistrats, à l'appel de votre nom, vous voudrez bien vous lever à nouveau, puis lever la main droite et prononcer les mots : «Je le jure» ou «Je le promets». Ensuite, vous pourrez vous rasseoir.
Juges à la Cour de justice :
M. Pierre Heyer, président
M. Richard Barbey, vice-président
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Juges à la Cour de cassation :
M. Jacques Droin, président
M. Robert Roth, vice-président
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Juge au Tribunal des conflits :
M. Pierre Martin-Achard, président
Juges au Tribunal administratif :
Mme Laure Bovy, présidente
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Juges au Tribunal de première instance et de police :
M. René Rey, président
M. Christian Murbach, vice-président
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Juges d'instruction :
Mme Christine Junod, présidente
M. Daniel Dumartheray, vice-président
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Juges au Tribunal de la jeunesse :
Mme Anne-Françoise Comte, présidente
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Juges à la Justice de paix et au Tribunal tutélaire :
M. Thierry Luscher, président
Mme Fabienne Proz, vice-présidente
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Juges suppléants à la Cour de justice et à la Cour correctionnelle :
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Juges suppléants à la Cour de cassation :
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Juge suppléant au Tribunal des conflits :
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Juges suppléants au Tribunal administratif :
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Juges suppléants au Tribunal de première instance et de police :
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Juges suppléants au Tribunal de la jeunesse :
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Juges suppléants à la Justice de paix :
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Assesseurs à la Chambre d'appel des baux :
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Assesseurs à la Chambre d'accusation :
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Assesseurs au Tribunal de police :
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Assesseurs au Tribunal de la jeunesse :
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Assesseurs du Tribunal des baux et loyers :
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Assesseurs suppléants au Tribunal de police :
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Juges assesseurs suppléants au Tribunal de la jeunesse :
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(A l'appel de leur nom, les magistrats répondent par les mots «Je le jure» ou «Je le promets».)
Mesdames et Messieurs les magistrats, je vous remercie. Le Grand Conseil prend acte de votre serment.
Nous allons entendre maintenant le «Cé qu'è lainô», dont nous chanterons en choeur le premier et le dernier couplet. Je vous prie de vous lever.
(A l'orgue : «C'é qu'è lainô».)
Veuillez vous asseoir.
(Les huissiers s'asseyent également.)
5. Allocution du procureur général.
(Une huissière du Palais de justice accompagne le procureur général au micro et se tient à côté de lui pendant l'allocution.)
M. Bernard Bertossa, procureur général. Lorsque nous expliquons à nos homologues confédérés ou étrangers que tous les juges et procureurs genevois sont soumis au suffrage universel et que ce sont les partis politiques qui les présentent à ce suffrage, nous nous heurtons fréquemment à des réactions d'étonnement, voire d'incrédulité, quand nous ajoutons que, loin de porter atteinte à notre indépendance, ce système nous en favorise au contraire l'exercice.
Fruit d'une tradition plus que séculaire, le mode d'élection des juges de ce canton n'est peut-être pas exportable et ce n'est pas le lieu d'en comparer les défauts ou les mérites avec ceux des régimes voisins. Certains propos tenus ou écrits à l'occasion des récentes élections judiciaires obligent en revanche à rappeler que les partis politiques et leur pluralité sont les instruments indispensables de la démocratie et que leur intervention dans le choix des magistrats de tous les pouvoirs de l'Etat, judiciaire compris, est précisément le gage du respect de cette démocratie. La médiation des partis politiques est même d'autant plus opportune en matière judiciaire que les candidats eux-mêmes ne sont pas ou peu connus de l'électeur et que, sauf à recourir à des arguments ou à des moyens bien peu dignes de la magistrature - on l'a vu - une campagne fondée sur les seuls mérites individuels de chacun n'est guère concevable.
L'élection des juges et procureurs présente un enjeu politique, comme toute attribution d'une part du pouvoir de l'Etat. Il est donc juste et conforme à la nécessaire transparence due au citoyen que cet enjeu s'exprime par la voix des groupements qui ont précisément pour fonction d'assurer le relais entre la population et ceux auxquels celle-ci délègue des missions d'autorité.
Il est vrai que, comme l'ont révélé des événements récents auxquels la justice genevoise a été indirectement mêlée, le risque existe que des hommes politiques tentent de faire pression sur la justice pour satisfaire des intérêts partisans ou éviter que certaines pratiques ne soient découvertes. Qu'il soit précisé cependant que ces interventions se sont produites dans des pays où les juges n'étaient pas soumis à l'élection populaire. Qu'il soit rappelé également que, sinon tous les magistrats concernés, du moins la grande majorité d'entre eux, ont su résister à la tentation de la soumission confortable et assumer leur mission avec courage et compétence.
Les enquêtes ouvertes en Italie, en France ou, plus récemment, en Espagne ou en Belgique, ont démontré que, lorsque des ministres ou des hauts fonctionnaires se laissent aller à abuser de leurs pouvoirs pour favoriser des intérêts personnels, la justice constitue le contre-pouvoir indispensable à la sauvegarde du fonctionnement démocratique des institutions.
Certes, des voix se sont élevées parmi les milieux touchés ou ceux qui leur sont proches, pour appeler à la résistance contre le prétendu danger de voir émerger une «république des juges», ou pour faire endosser à ces derniers la responsabilité d'alimenter un néo-populisme antiparlementaire. A cette argumentation spécieuse, il convient de répondre tout d'abord que l'équilibre des pouvoirs suppose que chacun d'entre eux exerce pleinement sa fonction spécifique, sans vouloir se substituer aux autres, mais sans non plus décliner ses compétences ou renoncer à ses devoirs par confort, favoritisme ou manque de courage. Dans la conduite des affaires de l'Etat, l'autocensure peureuse ou l'abandon frileux de ses prérogatives ne peuvent conduire qu'à un déséquilibre liberticide.
Il faut ajouter ensuite que, si la multiplication des pratiques de corruption constitue effectivement un danger bien réel pour la démocratie, le juge qui met ces pratiques en évidence, dans sa mission d'en poursuivre les auteurs, apporte du même coup les moyens propres à réagir face à ce danger.
Ce n'est pas en ignorant la maladie que celle-ci peut être soignée et, en découvrant l'existence du mal, le médecin ne saurait être accusé légitimement d'en avoir provoqué les effets.
Il est ainsi indispensable que les juges exercent tout le pouvoir, à la condition bien entendu qu'ils n'exercent que leur pouvoir. Or est-il besoin de rappeler que celui-ci est limité par des lois auxquelles les magistrats judiciaires doivent un respect scrupuleux ? Ces lois tracent précisément la frontière entre l'exercice complet et responsable du pouvoir judiciaire et l'abus d'un tel pouvoir. Dans un pays où les voies de recours contre les décisions des juges sont plus développées que partout ailleurs, dans un canton où le législateur manifeste autant de méfiance, sinon plus, à l'égard du policier qu'à celui du délinquant, le risque de favoriser une justice omnipotente est certainement moins grand que celui de voir apparaître une justice incapable de jouer le rôle stabilisateur qui est le sien.
Si le juge se doit de respecter la loi dans ses actes, sans restriction aucune, on ne peut en revanche exiger de lui qu'il observe un silence pudique, lorsqu'il lui paraît que la mise en oeuvre des textes contredit la mission qui lui est assignée par d'autres lois. Il est même de son devoir d'attirer l'attention du législateur sur les contradictions qui émergent et les moyens mis à disposition pour les atteindre.
Cette critique, qui doit rester proportionnée et respectueuse des pouvoirs de chacun, est d'autant plus nécessaire aujourd'hui qu'il existe, dans le domaine de la justice, un grave déficit de réflexion et de vision prospective sur l'évolution des institutions judiciaires.
A une époque où, prenant conscience de la solidarité entre les nations du monde entier, les institutions politiques évoluent considérablement pour s'adapter à la nécessaire collaboration internationale ou à la création d'entités supranationales; à une époque où la globalisation de l'économie supprime peu à peu toute notion de frontière dans l'organisation des marchés ou le développement des échanges, les appareils judiciaires restent solidement enfermés dans des limites géographiquement étroites et bien souvent étanches.
Derniers symboles de la souveraineté des Etats, la justice et, dans une moindre mesure, l'armée ou la police, restent conçues sur des modèles du siècle dernier, élaborés pour faire régner le droit et l'ordre dans des communautés stables et homogènes, abritées derrière des frontières encore respectées.
Or il n'est que dans le domaine de la justice administrative - et encore bien modestement - que les communautés nouvelles se sont dotées de juridictions permanentes et interétatiques, dont la création était d'ailleurs pratiquement inévitable. Que dire, en revanche, de la justice civile et commerciale ? Malgré des progrès indéniables dans la détermination du droit applicable aux rapports internationaux, l'exécution d'un jugement hors des frontières de l'Etat où il a été rendu reste encore, le plus souvent, une entreprise complexe, dévoreuse d'énergie et d'argent et peu propice à rassurer le justiciable sur le respect effectif de ses droits. L'absence d'efficacité de la justice étatique dans les relations découlant du commerce international favorise le développement d'une justice privée coûteuse et peu accessible au commun des justiciables, quand elle ne conduit pas, plus prosaïquement, à des actes de justice propre, où le plus faible, même dans son droit, n'a d'autre choix que de céder devant l'exigence de l'entreprise plus forte financièrement. C'est sans compter encore avec les graves lacunes subsistant dans l'harmonisation des règles de for et les abus qu'elles provoquent chez certains juges sensibles aux tendances hégémoniques de l'Etat dont ils dépendent.
Dans le domaine pénal enfin, la survivance quasi intacte d'un nationalisme judiciaire étroit fait la part belle à une criminalité organisée qui, de longue date, a compris les avantages considérables qu'elle pouvait retirer de l'absence de toute stratégie apte à la combattre avec quelque chance de succès.
Lorsque, dans six ans, mon successeur s'exprimera devant vous, un nouveau millénaire aura été franchi dans l'histoire contemporaine de notre continent. Il ne s'agit pas d'attacher des vertus ou des pouvoirs propres à cet événement, et encore moins de céder, à son sujet, à un fétichisme démobilisateur. Mais le symbole demeure et l'approche de cette étape devrait nous conduire tous à une réflexion moins ancrée dans la recherche d'un profit ou d'un avantage immédiat, moins ciblée sur les échéances à court terme.
Plus encore que les autres pouvoirs de l'Etat, la justice a besoin de s'adapter à l'évolution du monde. Tout en s'astreignant au respect scrupuleux du serment qu'ils viennent de prêter, les juges devront apporter leur contribution indispensable à cette entreprise, dont l'enjeu n'est rien moins, en définitive, que la sauvegarde des institutions démocratiques.
Le pouvoir de gérer les ressources de la communauté et de les répartir entre ses membres dérive de plus en plus du politique vers l'économique. Le pouvoir de fixer les règles de la cohabitation entre les hommes se déplace lentement, mais sûrement, vers des centres de décision supranationaux. Le pouvoir de trancher les conflits ne peut, sans faillir à sa mission régulatrice, observer cette évolution en simple spectateur.
Nous avons hérité de nos prédécesseurs des institutions dont nous sommes légitimement fiers et qui ont rendu les services que l'on attendait d'elles. Gardons-nous de ne transmettre à nos successeurs qu'un instrument inadapté à sa fonction et qui sera tout juste bon à enrichir les livres d'histoire.
(Jeu d'orgue : «Cromorne en taille» de F. Couperin.)
6. Discours du président du Grand Conseil.
(Les quatre huissiers de l'Hôtel de ville se lèvent.)
Le président. Vous venez, il y a quelques instants, devant les représentants du peuple de Genève et en levant la main, de manifester votre fidélité aux règles de notre République.
En ce faisant, vous espérez obtenir d'elle assistance et protection en cas de respect de vos engagements, en cherchant, en quelque sorte, un appui révélateur de la pureté sociale. La foi jurée vaut protection et garantie à qui la respecte, mais elle vaut aussi opprobre à qui la trahit. Dans le cas contraire, vous prenez le risque en effet de subir son châtiment et sa malédiction.
Ces deux alternatives vous placent, comme d'ailleurs tous les pouvoirs constitués, sous l'autorité d'une valeur abstraite inspirant un respect sacré du devoir.
C'est donc bien un acte d'humilité que vous venez de commettre. Et il est vrai que le serment que vous avez prêté peut être ressenti comme une humiliation, car il est le signe public et social que la faiblesse de la volonté humaine est tenue pour constante.
Votre serment est-il pour autant une garantie de vérité ou procède-t-il davantage d'une convention sociale dont le but serait justement d'éviter toute interrogation à ce sujet ?
En prêtant serment, vous vous exposez à une menace de réprobation sociale et quasi universelle si votre engagement solennel n'est pas tenu. C'est ainsi que le serment, acte de parole par excellence, véhicule déjà au moment de son prononcé, l'idée de sanction. Non pas la sanction proprement juridique, mais celle plus forte, plus dérangeante du sentiment d'être en désharmonie avec sa conscience et la conscience sociale.
«Que les hommes m'accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses. Que je sois couvert d'opprobre et méprisé de mes confrères si j'y manque.»
Cette version ancienne du serment d'Hippocrate, dont la pertinence et la modernité s'imposent à nous, met en lumière le constat que la réprobation sociale est combien plus redoutable qu'une condamnation.
Et c'est là peut-être qu'il faut trouver la justification de cette cérémonie de prestation de serment qui mêle le gestuel au solennel, la tradition à l'intemporel.
Le serment est un phénomène social total.
Par l'invocation d'une puissance et d'une référence sociales, en présence de témoins assermentés eux aussi, vous affirmez, Mesdames et Messieurs les magistrats du pouvoir judiciaire, votre engagement, vous attestez votre innocence, vous confortez votre vérité.
En levant la main droite, la main qui prend, la main de la lumière, de la vie, du ciel et de la paix, vous accomplissez un geste quasi religieux, sans toutefois aucune allusion à une quelconque force ou puissance divine.
Mais la sacralisation du moment découle non pas d'une référence à Dieu garant de votre engagement mais par le fait que vous mettez en gage et devant Notre Autorité votre parole et votre honneur. Au déshonneur, vous substituez votre conscience et votre dignité de personne.
Vous prenez à témoin le peuple de votre Cité de votre intime comportement moral.
La main levée, à l'origine de ce rituel vers le crucifix, est le signe visible d'une explosion solennelle et publique de votre conscience morale réaffirmée.
C'est d'ailleurs, Mesdames et Messieurs les juges, ce que vous vivez tous les jours dans les prétoires. L'enceinte judiciaire n'est-elle pas l'institution qui a encore le mieux conservé la structure et l'idée traditionnelle du serment dans sa forme mais aussi dans sa solennité. Le président d'un tribunal prête serment, les jurés prêtent serment, les témoins et les experts également.
Seuls les journalistes présents à l'audience, la presse et les médias d'une façon générale, le quatrième pouvoir sans doute aujourd'hui le plus important, parce qu'il est davantage que les autres formateur des idées et des opinions, ne prêtent pas serment, liés par des règles d'éthique dont les exigences sont parfois librement interprétées par ceux qui y sont tenus.
Et là existe le risque que les principes essentiels d'une justice sereine, je veux parler de la présomption d'innocence et du respect de la personnalité, soient violés. Certains Etats veillent d'ailleurs à écarter tous commentaires médiatiques relatifs à un procès, en particulier devant les juridictions pénales, avant qu'il n'ait été jugé.
En apparence, deux justices s'affrontent, l'une bruyante et transparente, l'autre silencieuse et confidentielle. Toutes deux ont leurs exigences et leurs contraintes constitutionnelles, légales et humaines, mais toutes deux procèdent de l'esprit de justice propre à chacun d'entre nous.
Et il est ainsi tout à fait respectable et digne que par le serment que vous venez de prononcer s'exprime votre engagement solennel de fidélité à un certain nombre de valeurs universellement reconnues dans un Etat fondé sur le droit.
Votre serment raffermit le pacte social sur lequel il se fonde, consacre en quelque sorte notre union et la solidarité de notre société; sa valeur est d'autant plus grande qu'il est prononcé sans contrainte par des femmes et des hommes libres, dans un pays libre et épris de liberté.
Et c'est ainsi, Mesdames et Messieurs les magistrats, que votre fonction consiste, certes, à décider, mais, surtout, à servir dans une indépendance totale et absolue l'esprit de justice auquel je faisais allusion.
Georges Scyboz, juge au Tribunal fédéral rappelait - et ce sera là ma conclusion - que :
«La sagesse nous apprend que l'homme est ordonné à l'amour d'amitié qui exige le respect de l'autre, tant dans ses droits fondamentaux - inaliénables - que par la soumission aux lois qui les précisent et qui contribuent à l'éducation des citoyens en développant leur sens du bien commun.»
(Jeu d'orgue : «Récit de Cornet» de F. Couperin.)
7. Clôture de la cérémonie.
Le président. Je donne la parole au sautier, pour les instructions concernant la sortie de la cathédrale.
Le sautier. La sortie de la cathédrale se fera de la manière suivante :
Les magistrats du pouvoir judiciaire, suivis de l'état-major de la police et de la gendarmerie, sortiront en tête et prendront place dans la cour Saint-Pierre ;
Puis, le Conseil d'Etat, le Bureau, le Grand Conseil et les autres autorités sortiront et défileront devant les magistrats qui viennent de prêter serment.
Les invités et le public sortiront par les portes des Degrés-de-Poule et de la Chapelle de Rohan.
Enfin, nous vous remercions de bien vouloir suivre les instructions des commissaires.
La séance est levée à 18 h.