République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 24 mai 1996 à 17h
53e législature - 3e année - 7e session - 21e séance
M 1063
EXPOSÉ DES MOTIFS
Suite à un arrêté fédéral, les ressortissants de Bosnie-Herzégovine ont obtenu un permis F collectif leur permettant de séjourner en Suisse alors que leur pays était en guerre (admission provisoire). Certains sont venus en Suisse en déposant une demande d'asile et lorsqu'elle leur a été refusée ils ont bénéficié du permis F précité. D'autres encore sont arrivés directement auprès de la police genevoise qui leur a octroyé le même permis.
Or, le 3 avril, le Conseil fédéral a estimé qu'il était temps de renvoyer ces populations dans un pays tout juste pacifié et d'un équilibre précaire.
La levée d'admission provisoire a eu lieu le 30 avril, le délai de départ étant fixé pour les célibataires au 31 août 1996, pour les familles durant l'été 1997.
Face à cette décision, tout naturellement, plusieurs Bosniaques ont décidé de déposer une demande d'asile parce qu'ils craignent de retourner dans un pays où ils se sentent encore en danger et souhaitent rester dans un canton qui les a accueillis, intégrés tant grâce à un logement qu'à la scolarisation de leurs enfants. Dès cet instant, ils sont soumis aux compétences fédérales et confrontés aux habitudes des centres d'enregistrement qui hébergent les requérants d'asile tant que dure la procédure (de quelques jours à plusieurs semaines) les gardant ainsi à leur disposition pour toutes auditions utiles (ils ne peuvent sortir du bâtiment que sur demande et qu'entre 9 heures et 17 heures).
Pour tous ceux qui vivent à Genève depuis plusieurs années, qui disposent d'un logement, dont les enfants fréquentent l'école publique, il est prévu de les faire passer par les mêmes circuits au risque d'être ensuite envoyé dans un canton alémanique. Il semble que la pratique veut qu'on les envoie systématiquement dans un autre canton où l'on parle une autre langue pour les décourager de faire une telle demande. C'est, en plus, faire peu de cas des efforts consentis par le canton qui les accueillis
Pour des personnes ayant vécu la guerre, donc une succession de ruptures, ce dernier événement péjorera encore leurs dramatiques conditions. Ils seront coupés de liens à peine créés, parfois séparés de leur famille (oncles, cousins, etc.) et devront apprendre une nouvelle langue.
Même si la loi n'exige que le rassemblement de la famille nucléaire (parents-enfants ), le bon sens voudrait qu'ils puissent rester dans le canton qui les a accueillis lorsque leur pays était en guerre. Genève, berceau de l'action humanitaire, doit défendre les droits élémentaires des êtres humains et aller au bout d'un accueil sérieux pour des personnes défavorisées en les respectant, soit en continuant de favoriser leur intégration, en leur accordant une formation, un logement et un peu de quiétude.
Certes, il existe un petit risque que Genève accueille momentanément plus de requérants d'asile que ne le prévoit la clef de répartition fédérale. Mais, une telle situation ne serait que passagère et ceci pour deux raisons au moins :
- les autres cantons pourraient appliquer une même clause qui permettrait aux Bosniaques intégrés dans leur région de rester
- l'ODR n'enverrait plus de nouveaux requérants à Genève jusqu'à ce que notre canton ait retrouvé le nombre défini par la clef de répartition.
C'est pour toutes ces raisons que nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir soutenir cette motion.
Débat
Mme Mireille Gossauer-Zurcher (S). Je souhaite, tout d'abord, rectifier le premier considérant de cette motion. La date du 30 juin 1996 est celle retenue par le Conseil fédéral pour réexaminer la décision qu'il a prise, en avril, concernant la levée d'admission provisoire des Bosniaques. En fait, le délai de renvoi des célibataires est fixé au 31 août 1996.
Cette motion propose une solution à la situation particulière des détenteurs de permis F. En effet, ces derniers, suite à la décision du Conseil fédéral de les renvoyer dans leur pays, souhaitent rester en Suisse et y déposer une demande d'asile. Il est juste et normal qu'ils continuent à vivre dans le canton qui les a accueillis et auquel ils sont intégrés.
De plus, la procédure d'enregistrement pourrait être modifiée. Les recourants pourraient être auditionnés au CERA, sans y demeurer pour autant.
En décidant du principe de renvoi de ces populations, le Conseil fédéral a singulièrement manqué d'humanité, et le groupe socialiste en a été extrêmement choqué.
Nous ne comprenons pas davantage l'empressement de la police genevoise à convoquer les personnes concernées par la mesure bernoise, alors qu'une nouvelle décision doit intervenir fin juin. Aujourd'hui encore, le canton de Vaud ignore la demande de nos autorités fédérales. Notre canton pourrait s'en inspirer.
Beaucoup de réfugiés bosniaques sont traumatisés par ce qu'ils ont vécu et la plupart d'entre eux ne peuvent retourner dans leur région d'origine, celle-ci étant placée sous le contrôle du camp adverse. Ces derniers temps, les médias ont fait savoir, à plusieurs reprises, que la liberté de circulation et la sécurité des personnes déplacées n'étaient pas garanties.
La Bosnie, qui doit faire face à plus d'un million de réfugiés de l'intérieur, ploie sous le poids des difficultés. Les personnes que nous avons accueillies ne doivent donc pas être renvoyées avant que leur réinsertion soit possible.
Je vous remercie de soutenir cette motion au nom des personnes qui ont choisi de déposer une demande d'asile, afin qu'elles bénéficient, chez nous, d'un accueil digne de ce nom. Aussi je vous demande de la renvoyer au Conseil d'Etat.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Je vous donne tout d'abord lecture du communiqué de presse, intitulé «Voyage au pays facilité pour les Bosniaques chassés par la guerre», dont je viens de prendre connaissance. Je cite : «Mercredi - c'était donc le 21 - le Conseil fédéral a approuvé un accord multilatéral entre la Suisse, la République fédérale d'Allemagne, l'Autriche, la Slovénie et la Croatie, relatif au transit et au transport de réfugiés de guerre originaires de Bosnie-Herzégovine. Les Etats contractants autoriseront les ressortissants bosniaques à transiter sans visa sur leur territoire national.»
»Ainsi, les conditions sont réunies pour que les Bosniaques, chassés par la guerre, puissent, autant que possible, traverser ces territoires sans difficulté, lorsqu'ils se rendent dans leur pays. Si, en dépit de l'accord, des ressortissants bosniaques, chassés par la guerre, devaient rester bloqués dans l'un des pays de transit, l'Etat de provenance aurait l'obligation de les réadmettre. Il importe, à divers titres, que les Bosniaques chassés par la guerre puissent se rendre facilement dans leur pays.»
»Les Etats d'accueil européens entendent encourager leur retour volontaire. Le 3 avril 1996, le Conseil fédéral a, en outre, décidé de permettre aux personnes concernées d'entreprendre des voyages d'information en Bosnie. Enfin, la possibilité de retourner en Bosnie constitue une condition importante de la tenue des élections prévues. Les voyages s'effectuent le plus souvent par la route. Or il s'est avéré que des personnes souhaitant rentrer dans leur pays se heurtent fréquemment, lors de leur passage, aux frontières des Etats de transit. L'accord a pour but de remédier à cette situation. Sa signature, par tous les Etats contractants, est prévue à Bonn le 29 mai prochain. Il entrera en vigueur le 1er juillet 1996.»
Démonstration est ainsi faite que ce n'est pas seulement la Suisse mais tous les pays signataires qui font leur possible pour que les Bosniaques puissent rentrer chez eux.
Répondant à une interpellation urgente, j'ai dit, sauf erreur à la dernière séance, qu'il y avait environ huit cents Bosniaques à Genève, accueillis en raison des problèmes de guerre. Ces Bosniaques doivent rentrer chez eux, la guerre étant terminée. Mais, comme d'habitude, nous faisons preuve d'humanité, à savoir que nous gardons les familles avec enfants jusqu'à la fin d'une année scolaire. Je précise que sur les huit cents Bosniaques qui doivent rentrer chez eux, deux cents, célibataires ou mariés, n'ont pas d'enfant. Trente d'entre eux sont déjà partis de leur propre gré.
Le délai de départ pour ces personnes sans enfant, célibataires ou mariées, s'étend de juin à août 1996. Les familles avec enfants devront quitter la Suisse en juin 1997.
Nous appliquons à cette situation les principes d'humanité qui nous animent ordinairement, à savoir que tous les cas sont examinés en collaboration avec les organes caritatifs et la Croix-Rouge.
Je précise que tous les Bosniaques qui doivent rentrer, sur incitation ou pas, ont demandé l'asile, ce qui complique encore la situation et retarde leur retour. Il n'y a donc aucune urgence en la matière, mais une situation que nous affrontons avec notre objectivité habituelle. C'est que je voulais souligner d'emblée ce soir.
Ceci étant, nous nous n'avons pas d'objection à ce que ce dossier retourne en commission.
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
(M 1063)
motion
sur la situation des ressortissants de Bosnie-Herzégovine. au bénéfice du permis F collectif
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
- le délai de renvoi fixé par les autorités fédérales au 31 août 1996 pour les célibataires, à l'été 1997 pour les familles;
- l'intégration de nombre de ceux-ci dans notre canton depuis plusieurs années et qui souhaitent rester à Genève en déposant une demande d'asile;
- les procédures habituelles de l'Office des réfugiés impliquant le séjour dans un centre d'enregistrement, puis l'envoi dans un canton en fonction d'une clef de répartition fédérale,
invite le Conseil d'Etat
à faire tout ce qui est en son pouvoir auprès de l'Office fédéral des réfugiés pour que l'enregistrement de la demande au CERA se fasse la journée et de garantir aux ressortissants de Bosnie-Herzégovine qui résident déjà à Genève qu'ils soient attribués au canton de Genève.