République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 24 mai 1996 à 17h
53e législature - 3e année - 7e session - 20e séance
R 310
EXPOSÉ DES MOTIFS
La France retraite les combustibles nucléaires usagés de plusieurs pays, entre autres du Japon et de la Suisse. Les «avantages» du retraitement tels qu'avancés par la France, et qui avaient convaincu les experts suisses jusqu'ici, n'en sont pas; qu'on en juge:
· Pour récupérer le «précieux» plutonium et le réinsérer dans le cycle du combustible (MOX), il faut retraiter. Mais cet avantage a disparu devant la pléthore actuelle de combustible inemployé, à cause notamment du net ralentissement des programmes nucléaires dans le monde.
· Pour fabriquer du combustible pour les surgénérateurs, il faut retraiter. Mais chacun sait aujourd'hui que les surgénérateurs ne fonctionnent pas (la récente panne du surgénérateur japonais de Monju, suite à l'incendie de 3 tonnes de sodium, et dont la réparation prendra au moins 2 ans, est venue s'ajouter à la liste déjà longue des pannes de Superphénix).
· Pour produire du plutonium de qualité militaire il faut retraiter du combustible peu irradié. Mais la Suisse a renoncé depuis longtemps à la bombe atomique.
Contrastant avec l'attitude française, très favorable au cycle du plutonium, l'administration Carter décida il y a dix-huit ans, en 1977, de renoncer au retraitement. Les administrations américaines suivantes ont toujours confirmé cette décision. Pour trois raisons principales:
· Le retraitement est cher, très cher, et les usines sont terriblement polluantes. Plus les déchets sont actifs, plus ils sont difficiles à retraiter, et plus les fuites inévitables sont dangereuses pour l'environnement. Plutôt que de considérer le plutonium comme un combustible précieux, les Américains le considèrent comme l'un des poisons artificiels les plus toxiques, puisqu'il suffirait, selon certaines sources, d'un millionième de gramme inhalé pour induire un cancer vingt ans plus tard.
· Le retraitement présente des dangers de prolifération très nets. L'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique) a de la peine à surveiller tous les sites, il suffit pour s'en convaincre de penser aux aventures de l'Irak dernièrement.
· Les déchets les plus actifs et toxiques, même enrobés dans du verre, présentent des risques considérables de lixiviation au bout de quelques siècles. Alors que sans retraitement les isotopes les plus toxiques restent dans leur matrice d'origine, et que cette matrice - les barreaux de combustible - représente, d'après les dernières études, l'écran protecteur le plus efficace. Aux USA, on stocke ces déchets sur les sites des centrales pendant quelques dizaines d'années, en attendant de trouver une solution - la moins mauvaise possible - pour leur entreposage.
En Suisse, le département fédéral des transports, communications et énergie vient de changer de chef. Selon certaines sources, celui-ci serait prêt à changer de politique en matière de retraitement. Pour économiser plusieurs centaines de millions de francs, pour renoncer au cycle du plutonium et aux dangers variés qui l'entourent, pour commencer à infléchir aussi la politique énergétique suisse. Cette résolution vise à l'encourager dans cette voie, modestement.
Pour ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous prions de renvoyer cette résolution directement au Conseil fédéral, ou, à défaut, à la commission de l'environnement.
Débat
M. Chaïm Nissim (Ve). Ceux qui ont pris le temps de lire cette résolution auront compris que, dans le monde, il y a deux techniques pour traiter les déchets radioactifs.
Premièrement, la technique des Américains suivie par de nombreux pays, et, deuxièmement, celle des Français suivie, entre autres, par la Suisse, le Japon et l'Allemagne.
Tout à l'heure, je vous décrirai la technique des Américains qui, à notre avis, est la meilleure sur le plan écologique et la moins onéreuse. Les Japonais qui prônaient le système français ont décidé de changer leur stratégie, et, le parlement japonais, à la veille de voter un crédit de 16 milliards de dollars pour une usine de retraitement qui ressemblait à celles de La Hague, a mandaté la Toshiba Foundation pour étudier l'alternative américaine, économisant ainsi cette somme.
La France a réussi à faire croire à certains pays européens, notamment à la Suisse :
1. qu'il fallait retraiter les déchets radioactifs pour en extraire le plutonium et le mettre dans des surgénérateurs - mais on sait aujourd'hui que les surgénérateurs ne fonctionnent pas;
2. qu'on pouvait, avec ce plutonium, fabriquer du combustible MOX - mais on sait aujourd'hui que c'est inutile;
3. qu'on peut, avec ce plutonium, fabriquer des bombes atomiques - mais, à notre avis, il y a déjà beaucoup trop de bombes atomiques dans le monde.
Nous proposons donc de suivre l'option du président Carter - physicien nucléaire de profession, je vous le rappelle - qui décida, en 1977, qu'il valait mieux ne pas retraiter les déchets radioactifs, mais laisser les barreaux de combustibles en l'état et les stocker sur le site des centrales. D'une part, c'est moins polluant et, d'autre part, c'est beaucoup moins cher.
Voilà très peu de temps, M. Carlo Rubbia, l'un de mes anciens patrons au CERN, que j'admire beaucoup, a reçu le prix Nobel pour une découverte. Il a peut-être trouvé la solution pour se débarrasser des atomes de plutonium en les cassant en deux à l'aide d'un bombardement neutronique intense. Cela annihilera ainsi cette immense toxicité et les risques de prolifération liés au retraitement des déchets radioactifs. Grâce à cette invention, qui exigera encore quelques années et quelques centaines de millions de francs pour que sa faisabilité soit démontrée, nous pourrons nous débarrasser des méfaits de ce métal. Si cette hypothèse est fondée, ce sera une raison de plus pour ne pas retraiter les déchets.
Je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à renvoyer ce projet de résolution directement au Conseil fédéral, car, comme vous venez de l'entendre, il est assez technique. Le renvoyer en commission serait une perte de temps, puisque les députés ne sont pas formés pour résoudre ce genre de problèmes. D'ailleurs, M. Mario Carrera, bras droit de M. Moritz Leuenberger en matière de déchets radioactifs, avec qui j'ai longuement parlé, a accueilli cette proposition avec enthousiasme.
Mise aux voix, cette résolution est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
(r 310)
rÉsolution
sur la gestion des déchets radioactifs en Suisse
LE GRAND CONSEIL,
considérant:
- que le retraitement des déchets radioactifs coûte cher à la Suisse;
- que le retraitement ne sert plus à rien dans la conjoncture actuelle;
- que les Etats-Unis et d'autres pays ont renoncé au retraitement,
invite le Conseil fédéral
à étudier les possibilités
- de renoncer au retraitement des déchets radioactifs, et
- de renégocier les contrats qui nous lient avec la COGEMA (usine de La Hague).