République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1045
22. Proposition de motion de MM. René Longet, Laurent Moutinot et Dominique Hausser concernant une meilleure information de la population sur les travaux du Grand Conseil. ( )M1045

LE GRAND CONSEIL,

- considérant la relative complexité des travaux du Grand Conseil;

- considérant la grande diversité des thèmes et la difficulté d'en rendre compte;

- soucieux d'informer de manière complète la population;

- considérant le besoin d'une meilleure communication entre les électeurs et les élus,

invite le Conseil d'Etat

à entreprendre les mesures nécessaires pour que la Feuille d'avis officiels (FAO) publie, une semaine après chaque séance du Grand Conseil, sur deux pages, un compte-rendu complet de ladite séance.

Ce travail sera confié à un journaliste professionnel et fera l'objet d'une évaluation dans le délai d'un an.

En vue de l'évaluation, les lecteurs de la FAO feront l'objet d'un sondage.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Une meilleure transparence et lisibilité de nos travaux doit nous tenir très à coeur, car il est vital pour le bon fonctionnement de la démocratie que le lien entre électeurs et élus demeure fort, qu'il soit possible de comprendre qui a proposé quelle mesure et pour quels motifs. Permettre au citoyen de mieux suivre nos travaux est ainsi une exigence de la démocratie et participe de la lutte contre l'abstentionnisme, pour une vie civique réelle.

La presse, certes, rend compte de nos travaux, mais elle est naturellement conduite à opérer des sélections, en fonction des critères d'importance, de temps, d'horaire, de place disponible; elle n'a pas pour fonction d'assurer une couverture intégrale et tend de plus en plus, au contraire, à traduire une tendance, une ambiance, plus qu'à assurer une relation factuelle. Nous respectons ces choix.

Force est cependant de constater que le Grand Conseil reste à ce jour très en retrait en matière de politique d'information. Un projet de loi socialiste portant sur la réforme du parlement cantonal actuellement à l'étude en commission propose une politique d'information active de la part du parlement cantonal; notre règlement permet depuis deux ans aux commissions d'informer la presse de leurs travaux, faculté qui n'est que très rarement utilisée. Un chargé de presse du parlement pourrait tout à fait être à sa place.

En attendant une politique d'ensemble, qui devait être d'ailleurs interactive et offrir au citoyen un retour en termes d'accès aux élus et de dialogue direct avec eux, la présente motion propose de mettre en action un moyen déjà existant, à savoir la FAO. La FAO publie d'ailleurs déjà nos ordres du jour, et il serait parfaitement concevable qu'elle publie une relation factuelle, sur deux pages (ni plus, ni moins), du sort réservé par le parlement à chacun de ces points. Le Conseil d'Etat, d'ailleurs, fait depuis quelques mois un usage intensif de la FAO, et il n'y a guère de numéros de cette publication sans discours et photo d'un conseiller d'Etat. Nous estimons, soit dit en passant, que cette pratique va trop loin, et dépasse largement ce que nous proposons.

L'objet précis de la présente motion est qu'il y ait une semaine après chacune de nos séances un compte-rendu exhaustif mais bref de chacune des interventions qui ont été faites au cours de la séance, donnant au citoyen une photographie fidèle des décisions prises et des motifs avancés. Une telle relation est parfaitement réalisable, et nous nous référons aux relations que développe la Neue Zürcher Zeitung depuis des années des travaux du Conseil municipal de la Ville de Zurich, du Grand Conseil de Zurich et des Chambres fédérales. Ces relations sont des instruments essentiels pour quiconque veut suivre les affaires publiques, et leur caractère exhaustif n'enlève rien à leur intérêt.

Naturellement, le Grand Conseil pourrait choisir d'autres vecteurs que la FAO, éditer à l'instar de conseils généraux voisins sa propre publication, ou prendre d'autres dispositions encore. Il nous semble néanmoins que la formule suggérée est adéquate.

Nous proposons pour sa mise en oeuvre que le mandat soit confié à un journaliste professionnel qui travaillerait sans autre instruction que la fidélité du compte-rendu, et que dans le délai d'un an une évaluation soit entreprise. En vue de celle-ci, une enquête auprès des lecteurs serait entreprise.

Pour ces motifs, nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, d'accueillir favorablement le présent projet de motion.

Débat

M. René Longet (S). La modeste motion, que nous avons l'honneur de soumettre à votre attention, fait partie des mesures favorisant le rapprochement du citoyen et de l'institution. Certains parmi vous acceptent avec résignation qu'un citoyen sur trois se soit dérangé lors de l'élection de ce Grand Conseil. L'abstentionnisme ne représente pas pour tous un sujet sérieux. Mais, pour nous, cette désaffection d'une partie des électeurs - capables d'autre part de s'intéresser aux affaires publiques, comme le prouvent les résultats de certaines votations - indique qu'un effort doit être fourni pour augmenter l'intérêt du citoyen envers l'institution et réciproquement.

Notre motion veut favoriser cet effort, afin que le Grand Conseil devienne plus perceptible et se rapproche de la réalité. Actuellement, alors qu'il prétend être au centre de la vie politique, il vote le budget considérable de la République et édicte les lois qui régissent une communauté de quatre cent mille habitants. Mais il n'en reste pas moins très éloigné du commun des mortels.

En coulisse ou à la buvette, chacun se plaint de la difficulté à faire comprendre la complexité des travaux à l'opinion publique. Mais comment le citoyen pourrait-il se retrouver dans le dédale de nonante-cinq points, traités ou non, de l'ordre du jour mensuel ? Pour être à la hauteur de nos aspirations démocratiques, nous devons faire un effort pour plus de transparence et de clarté.

Ne succombons pas à l'autosuffisance de la classe politique qui se complaît à débattre en vase clos; n'élargissons pas le fossé ! Nous devons rendre des comptes au citoyen. Pour se prononcer sur notre travail et pour nous élire ou non, il doit être informé. Or il y a trois façons de connaître les travaux du Grand Conseil. Premièrement le rapport direct avec l'élu, mais quatre cent mille habitants peuvent difficilement venir à la tribune ! Il reste l'information fournie par les médias, ainsi que le Mémorial. La presse n'a pas pour mission de refléter l'ensemble des décisions ou de présenter un bilan complet de nos travaux. En fonction de la logique et de la stratégie, qui est le propre de chaque média, elle donne l'information qu'elle souhaite. Le Mémorial, quant à lui, présente l'intégralité de nos discours, de nos interjections, de nos hésitations et de nos confusions. Mais seules quelques dizaines de citoyens y sont abonnés à titre individuel.

Il existe une solution : celle proposée par notre motion; un compte-rendu limité à deux pages, résumant les travaux de chaque session du Grand Conseil. Actuellement, l'ordre du jour est publié, et il peut d'ailleurs occuper deux pages. Il n'est pas logique de publier seulement les questions, et non les réponses. Or un bon professionnel travaillant au mandat, un journaliste indépendant, serait apte à relater nos travaux et serait lu.

Le Conseil d'Etat choisit la «Feuille d'avis officielle» pour résumer ses décisions et publier les discours qu'il juge importants, car c'est un véhicule intéressant. Nous pensons avoir trouvé une réponse praticable, réaliste et intelligente à un problème préoccupant. Un délai expérimental pourrait être envisagé, et nous aimerions citer le modèle de la «NZZ», qui publie sur une ou deux pages l'inventaire des sessions du Grand Conseil zurichois, du Conseil municipal et des Chambres fédérales. Pour toutes ces raison, notre proposition doit être examinée et traitée par la commission des droits politiques, afin que la démocratie reste vivante.

M. Bernard Lescaze (R). La plupart des motions méritent d'être étudiées en commission, même s'il n'en ressort pas grand-chose. Pour cette raison, le parti radical accepte le renvoi de cette motion à la commission des droits politiques. En revanche, l'intérêt suscité par cette motion est très mesuré, et nous nous opposons fermement à l'engagement d'un journaliste supplémentaire. Nous approuvons les propos du député Longet relatifs aux efforts que le Grand Conseil doit fournir pour se rendre plus perceptible, mais il appartient aux députés de cesser de lire des papiers et d'ouvrir de véritables débats pour rendre claire et vivante leur argumentation.

La première mesure que le député Longet pourrait appliquer à lui-même consisterait à ne plus lire des textes parfois amphigouriques. Ma seconde remarque concerne l'aspect pédagogique de la politique. Il serait bon d'être plus audible et non seulement plus lisible, Monsieur Longet, envers le citoyen !

Si vous constatez - à juste titre - que le Mémorial n'est pas le livre de chevet de la plupart de nos concitoyens, vous conviendrez également que la «Feuille d'avis officielle» est parfois un concurrent direct des excellents somnifères de Novartis ou de Roche ! Je ne crois pas que la publication de nos interventions lui gagnerait des lecteurs. Nous sommes d'accord, en revanche, de renvoyer ce projet à l'examen de la commission des droits politiques, car vous êtes - comme souvent - beaucoup trop conservateur dans l'utilisation de nouveaux moyens pour rendre nos séances du Grand Conseil plus intéressantes.

En effet, vous n'avez pas songé à la télévision locale, et pourtant l'un de vos éminents membres du parti socialiste, M. Albert Knechtli, en est le président ! On a constaté que les séances filmées attiraient quelques téléspectateurs et «visionneurs», mais suscitaient surtout beaucoup plus d'attention dans la salle même ! Il est paradoxal d'exiger plus d'intérêt des journalistes que de vos collègues. Et puisque c'est la mode et que c'est gratuit, nos débats pourraient être diffusés par Internet. Les internautes du monde entier boiront vos paroles, j'en suis persuadé ! Enfin, vous aurez saisi l'ironie de mon propos... (Brouhaha.) ... mais je souhaite malgré tout que ce projet soit examiné avec toute l'attention et la sévérité méritées !

M. Bénédict Fontanet (PDC). Les préoccupations de M. Longet au sujet de l'abstentionnisme sont tout à fait légitimes; il est vrai qu'on aimerait voir plus de citoyens voter ! Mais les votes nombreux et les régimes qui votent à 98% ne sont pas des exemples de démocratie !

Mais faut-il rendre la démocratie plus passionnante en publiant un compte rendu de nos séances dans la «Feuille d'avis officielle» ? Professionnellement, on est amené à la lire et l'on reçoit déjà un compte-rendu indirect, puisqu'elle a l'avantage de publier toutes les lois que nous votons et tous les règlements que le Conseil d'Etat édicte. Et même si certains discours du Conseil d'Etat y sont publiés, tous nos concitoyens ne les connaissent pas par coeur !

Faut-il véritablement avoir une sorte de presse d'état, de «Pravda», qui fasse un compte-rendu de nos débats ? Je vous laisse imaginer nos débats pour déterminer les députés qui méritent d'être cités ou non par le journaliste «officiel», choisi par l'Etat. Si vous êtes cité deux fois dans ce compte rendu, Monsieur Longet, et que M. Lescaze ne l'est pas, où va-t-on ? Les choses vont mal se passer ! M. Lescaze sera vexé et le journaliste en question aura beaucoup de problèmes !

La presse ne fait peut-être pas la part suffisamment belle à nos débats, mais encore faudrait-il les rendre suffisamment beaux pour être relatés. Récemment, certains n'ont pas été des modèles d'éloquence, de discipline et de sérénité, susceptibles de passionner les journalistes qui ont le bonheur de partager avec nous nos activités nocturnes ! S'ils étaient passionnants, une foule de citoyens et de journalistes y assisterait, et les internautes également ! Nous refusons la presse d'Etat. Il nous appartient de nous rendre intéressants, mais deux pages de compte rendu ne suffiront pas. C'est pourquoi mon groupe rejette cette motion.

M. David Hiler (Ve). A l'instar du groupe radical, nous trouvons cette motion digne d'intérêt, mais plus pour son contexte que pour la proposition elle-même. Si mon groupe n'avait pas l'habitude - par respect - d'étudier systématiquement toutes les propositions, il n'aurait pas examiné plus avant cette motion en particulier.

Il est surprenant d'imaginer - et c'est bien la preuve de l'existence d'une coupure avec les citoyen - que la majorité d'entre eux lit la «Feuille d'avis officielle». J'ai procédé à un petit sondage dans mon milieu, parmi les universitaires. Sauf pour des raisons professionnelles précises, personne ne la lit. Personnellement, je ne la lis pas, et je suis même surpris qu'on y ait pensé !

Que le Conseil d'Etat fasse de «l'agit' prop'» dans la FAO, je le regrette, mais que ce soit inefficace, j'en suis convaincu ! Notre parlement doit se garder de l'imiter ! Contrairement à un gouvernement, un parlement a des dissensions en son sein; comment pourrait-il, dès lors, définir une politique de l'information ? C'est, en principe, la majorité qui choisirait un journaliste en question pour lui confier ce mandat, mais nous passerions plus de temps à nous plaindre du manque d'objectivité du journaliste qu'à débattre. Si la presse fait mal son travail, nous avons le droit de lui écrire et de nous exprimer dans nos publications politiques. Mais le principe de la séparation des pouvoirs existe, et il serait bon de le conserver.

Le président. Nous passons au vote sur la proposition de renvoi à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil.

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Cette proposition recueille 42 oui et 42 non.

Le président. Je tranche par le rejet de renvoyer cette proposition de motion en commission.

La proposition de renvoyer cette proposition de motion à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est donc rejetée, par 43 non contre 42 oui.

Mise aux voix, cette proposition de motion est rejetée.