République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 29 mars 1996 à 17h
53e législature - 3e année - 5e session - 11e séance
M 1039
EXPOSÉ DES MOTIFS
Toutes les possibilités qui nous sont offertes d'accroître notre aide aux pays du tiers monde sont bonnes à prendre.
C'est l'esprit qui a guidé la proposition de motion que nous vous soumettons.
La Fondation Max Havelaar a pour vocation d'assurer aux producteurs de thé, café, chocolat ou miel, un revenu qui leur permette d'échapper à la misère, cela en majorant légèrement (environ 2 F par kilo), les denrées vendues sur les marchés helvétiques.
Elle entend ainsi casser la dépendance des petits cultivateurs à l'égard des intermédiaires et encourager les paysans à améliorer la qualité de leur production, notamment par des mesures de respect de l'environnement.
L'attribution du label Max Havelaar est liée aux conditions suivantes :
1. Le café doit provenir exclusivement de coopératives de petits planteurs choisies et assistées par la Fondation Max Havelaar.
2. Le prix payé aux petits planteurs doit être correct, de façon à leur assurer des conditions de vie décentes (environ le double du prix payé actuellement sur le marché mondial).
L'écoulement d'un quota défini de café est garanti par contrat et payé en partie à l'avance.
3. Sont seuls pris en compte les mélanges de café de haute qualité, cultivés dans le respect de l'environnement.
La Fondation Max Havelaar garantit le respect de ces conditions en exerçant un contrôle auprès des preneurs de licence, torréfacteurs et grossistes de café.
En collaboration avec d'autres organisations européennes d'aide au développement, elle rend visite aux producteurs pour s'assurer que le supplément est effectivement versé aux cultivateurs.
L'action de la Fondation Max Havelaar est reconnue par les plus grands distributeurs de notre pays et alors qu'avant on ne pouvait acquérir ses produits qu'auprès de la chaîne des Magasins du Monde, ils sont maintenant disponibles sur les rayons de la Coop ou de la Migros.
L'implantation sur le marché suisse existe donc, même si elle n'annonce pas encore des chiffres extraordinaires. On estime aujourd'hui à environ 5% de parts de marché pour le café et le miel, et environ 1% pour le chocolat.
On n'a pas encore de chiffres concernant les ventes de thé, ce produit venant d'être lancé sur le marché.
Même si ces chiffres peuvent être considérés comme encourageants, il n'en demeure pas moins qu'ils ne suffiront jamais à équilibrer les rapports commerciaux entre le Nord et le Sud.
L'expérience n'en reste pas moins positive, de par son double rôle, car, d'une part, elle tente de sortir de la misère des petits producteurs et les incite également à mieux préserver l'environnement pour obtenir le label et, d'autre part, elle peut permettre une plus large prise de conscience des pays occidentaux.
L'Etat dispose dans tous les secteurs de l'administration, dans ses bureaux ou dans les cafétérias des écoles, des hôpitaux, etc., d'un nombre important de distributeurs de boissons, soit à disposition de ses employés, élèves ou même du public.
Le geste aurait donc une portée symbolique, car il pourrait faire de l'Etat un partenaire indirect de la Fondation Max Havelaar et de son action en faveur des pays les plus pauvres.
Des expériences ont déjà été tentées avec succès, qu'il s'agisse de la cafétéria du Palais fédéral, ou encore de plusieurs collèges genevois qui, sur proposition de quelques élèves, ont recours aux produits Max Havelaar.
De même, il y a plus de deux ans, une initiative parlementaire similaire à la motion que nous vous proposons avait remporté au parlement de Bâle-Campagne un grand succès, puisqu'elle avait été acceptée à l'unanimité.
Le canton d'Argovie a également entrepris une démarche, sur la base d'une pétition, et enfin la cafétéria du CHUV à Lausanne dispense également les produits Max Havelaar.
Quelques exemples pour démontrer que notre proposition est réaliste, que son coût financier serait dérisoire, mais que la portée symbolique pourrait être importante, car la mesure devrait s'accompagner d'une large information tant au public qu'au personnel de l'Etat.
Nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de lui réserver un accueil favorable.
N. B. - Une documentation détaillée sur la Fondation Max Havelaar est à disposition auprès des motionnaires.
- Une pétition lancée par l'ACEG (Association pour le commerce équitable) est en cours. Visant les mêmes buts, elle sera déposée au Grand Conseil, en parallèle à cette motion, lors de nos séances du mois de janvier 1995.
Débat
Mme Fabienne Bugnon (Ve). Le but de cette motion est d'aider les pays du tiers-monde d'une manière indirecte et fiable. Permettez-moi de vous décrire, en quelques mots, la vocation et l'action de la Fondation Max Havelaar : cette fondation a pour but de casser la dépendance des petits producteurs du tiers-monde à l'égard de leurs intermédiaires et à promouvoir, le plus possible, un commerce équitable entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement.
Pour pouvoir écouler leurs marchandises, les cultivateurs de thé et de café de ces pays sont soumis à des intermédiaires si peu scrupuleux que l'argent gagné ne leur permet pas de faire survivre leurs familles, ce qui les oblige à s'adonner à d'autres cultures, telle la coca. Assortis à cela : le travail des enfants, la mendicité et la prostitution.
Le rôle des délégués de la Fondation Max Havelaar est de recenser les paysans, de visiter leurs cultures, de les informer sur les buts de la fondation et sur la façon d'obtenir le label.
Ce label Max Havelaar permettra à ces paysans de n'avoir plus recours à leurs intermédiaires et d'accéder directement au marché européen.
La Fondation Max Havelaar représente pour ces petits planteurs le dernier espoir d'obtenir un prix maximum garanti et un contrat d'un an au moins.
En contrepartie, ils doivent s'engager à ce que leurs cultures soient compatibles avec la protection de l'environnement et qu'elles soient gérées de manière suffisamment diversifiée pour éviter la surproduction.
La Fondation Max Havelaar travaille dans vingt pays producteurs d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie. Les produits diffusés sont le café, le sucre, le miel, le chocolat et, tout récemment, le thé.
Pour que la Fondation Max Havelaar puisse aider un maximum de producteurs, elle doit obtenir, bien évidemment, un maximum de marchés. Actuellement, à Genève, les produits Max Havelaar sont distribués dans les Magasins du Monde, chez Caritas et Helvetas, mais également dans les grandes surfaces comme la Migros, la Coop, Jelmoli et EPA.
Parallèlement, beaucoup d'initiatives individuelles ont fait entrer les produits Max Havelaar dans les entreprises privées. Ils ont également été introduits dans certains collèges, sur proposition des élèves, et très récemment dans la cafétéria de grandes organisations internationales, telles que l'ONU ou le CICR.
La motion que nous vous présentons s'inscrit dans ce cadre. Nous souhaitons que l'Etat, par l'entremise de son service de l'économat, par exemple, devienne un client des produits Max Havelaar et qu'il les mette à disposition des services de l'administration cantonale possédant des cafétérias ou des distributeurs de boissons.
Nous souhaitons également qu'une information soit disponible. Elle pourrait se faire sans frais, simplement à l'aide des petites brochures de la Fondation Max Havelaar, afin que les consommateurs soient au courant des raisons qui ont motivé ce choix de l'Etat. Nous pourrions ainsi augmenter notre aide indirecte au développement, par le biais d'un partenariat fiable, et sans grever aucunement le budget de l'Etat.
A notre avis, cette motion peut être directement renvoyée au Conseil d'Etat, accompagnée d'un dossier que nous avons constitué sur les buts et les résultats de la Fondation Max Havelaar.
En parallèle, une pétition est pendante à la commission des pétitions. Elle a été lancée par l'Association pour un commerce équitable et vise les mêmes buts que la motion. J'ajoute qu'une motion semblable a été déposée par notre groupe en Ville de Genève.
M. Jean-François Courvoisier (S). La motion 1039 me tient particulièrement à coeur, car je fais partie, depuis sa création, de l'Association pour le commerce équitable, à Genève, dont le but est la promotion d'un commerce équilibré, en général, et du label Max Havelaar, en particulier.
Il est grand temps que la loi inhumaine de la concurrence et de la nécessité - permettant aux grandes entreprises commerciales de faire un maximum de bénéfices - cesse d'engendrer la misère des populations qui travaillent pour notre bien-être, un bien-être souvent superflu.
Le déséquilibre nord-sud n'est pas une fatalité, et plutôt que de faire la charité aux pays en voie de développement, nous devons nous décider à offrir un salaire décent à ceux qui cultivent les produits alimentaires que nous consommons en surabondance.
La Fondation Max Havelaar n'offre pas une charité humiliante aux victimes d'un sort malheureux, mais cherche à rétribuer correctement le travail des cultivateurs et importateurs de denrées alimentaires dont nous faisons un si grand usage.
Le soutien à cette motion m'est d'autant plus cher que le mouvement pour un commerce équitable est né à Genève, au collège de Saussure, dans le but d'introduire le café Max Havelaar dans la cafétéria de ce collège. D'autres écoles ont suivi l'exemple en adoptant, à leur tour, les produits Max Havelaar.
Puisque la jeunesse nous donne un si bel exemple de générosité, nous devons, nous aussi, participer à cette action. Ma camarade Elisabeth Reusse-Decrey me rappelle qu'il y a quelques années une lettre émanant du groupe socialiste, signée par toutes les formations de ce parlement, demandait l'introduction du café Max Havelaar à la buvette du Grand Conseil.
Il est évident que les producteurs de thé, de café, de chocolat et de miel ne sont pas les seules victimes de notre société de consommation. Par exemple, des témoignages, dignes de foi, ont attiré notre attention sur les conditions de travail effroyables de ceux qui, en Asie, fabriquent les jouets en plastique que nous achetons à si bon compte pour nos enfants.
Mais il nous faut commencer avec quelque chose et, pour ce faire, la Fondation Max Havelaar a le mérite d'exister et ne demande qu'un effort financier vraiment minime.
Conscient que cette action est une goutte d'eau dans l'océan de misère du monde, je vous demanderais de méditer cette pensée que j'ai lue en vitrine d'un magasin de Caritas : «S'il y a un homme de moins qui souffre sur la terre, le monde est déjà meilleur.»
Pour toutes ces raisons, je vous prie de soutenir la motion 1039 et vous en remercie.
M. Pierre Marti (PDC). Notre groupe soutient totalement cette motion. Il est important, voire fondamental, qu'au-delà de l'aide au développement se crée un véritable partenariat afin que, peu à peu, de petites coopératives agricoles puissent acquérir une véritable indépendance.
La démarche de la Fondation Max Havelaar va dans ce sens. D'une part, elle permet de susciter la réflexion et d'informer le public suisse sur les mécanismes du mal développement et de l'injustice en général. D'autre part, elle aide les producteurs à atteindre une plus grande autonomie économique et politique.
Les critères de vente de ces produits s'articulent autour de quatre axes qui sont :
1. Le travail avec la création d'emplois stables ne nuisant pas à la santé et mettant fin à l'exploitation des femmes et des enfants.
2. La justice, en offrant un salaire permettant d'accéder aux biens essentiels; en fournissant un travail rémunéré aux plus démunis, notamment en zones rurales.
3. Le développement; il faut pouvoir utiliser le savoir-faire local, entraîner une dynamique au service de toute la population; les produits peuvent être vendus sur place, mais aussi à d'autres distributeurs, particulièrement à ceux de notre pays, en vue d'un commerce équitable.
4. L'écologie avec une production et un emballage ne nuisant pas à l'environnement.
C'est dans la même dynamique que Genève/Tiers-monde et les Magasins du Monde se sont associés pour relever le défi de l'ouverture prochaine d'un magasin à Villereuse.
Notre groupe demande, si possible à l'unanimité, le renvoi au Conseil d'Etat de cette proposition de motion.
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
motion
concernant le soutien aux objectifs poursuivis par la FondationMax Havelaar
LE GRAND CONSEIL,
considérant:
- l'intérêt de donner des formes multiples à l'aide au développement;
- l'avantage d'augmenter de manière indirecte l'aide du canton de Genève aux pays en voie de développement, sans que cela ne représente un surcoût financier;
- le sérieux avec lequel sont distribués les produits portant le label Max Havelaar, et la garantie que les fonds prélevés vont réellement aux petits producteurs;
- l'effet «boule de neige» que pourrait prendre une telle mesure,
invite le Conseil d'Etat
- à utiliser les produits portant le label Max Havelaar dans tous les distributeurs de boissons dont il est le propriétaire (thé, café);
- à informer les usagers de son choix.