République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 26 janvier 1996 à 17h
53e législature - 3e année - 3e session - 4e séance
M 1041
LE GRAND CONSEIL,
considérant :
que la réforme de la maturité gymnasiale pourrait, dans son application genevoise, faire disparaître la filière gymnasiale à l'école supérieure de commerce;
la particularité de l'école supérieure de commerce qui offre tout à la fois des formations professionnelles à temps plein (diplôme de commerce) ou en apprentissage (certificat fédéral de capacité) et une formation gymnasiale (maturité économique);
les avantages de la cohabitation au sein d'un même établissement des filières professionnelle et gymnasiale et ce tant pour les élèves que pour les enseignants;
la volonté clairement exprimée par les maîtres, les équipes de direction et les élèves que l'école supérieure de commerce continue de délivrer et des titres professionnels et une maturité gymnasiale,
invite le Conseil d'Etat
à prendre les mesures nécessaires pour que, dans le cadre de la nouvelle maturité appelée à démarrer en 1997, une maturité gymnasiale continue d'être délivrée, en plus des titres professionnels, à l'école supérieure de commerce;
d'une façon générale, à éviter une séparation arbitraire des formations gymnasiales et professionnelles et au contraire à favoriser la mixité des filières et ainsi la revalorisation de la formation professionnelle.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Un rapport de l'OCDE intitulé «Examen des politiques nationales d'éducation» présente notre pays comme l'un des rares qui font encore une séparation entre les formations gymnasiales et professionnelles. Les réflexions de la Conférence des chef(fe)s de département de l'instruction publique vont dans le sens de ce rapport puisqu'elles préconisent la proximité des enseignements professionnels et gymnasiaux. On notera à titre d'exemple que le développement, dans le canton de Vaud, des centres d'enseignement secondaire supérieur ne constitue rien d'autre que la concrétisation des vues de ladite conférence.
A Genève, dans le cadre de la réforme fédérale de la maturité gymnasiale, appelée à démarrer en 1997, des projets d'application ont été élaborés qui remettent en question la filière gymnasiale de l'école supérieure de commerce. Ces projets sont fondés, semble-t-il, sur l'idée d'un regroupement de toutes les filières gymnasiales au sein des huit collèges actuels, auxquels s'ajouterait une des écoles supérieures de commerce (ESC) qui échangerait son statut au profit de celui de collège. Dans cette hypothèse, les deux ESC restantes deviendraient de véritables écoles professionnelles.
Une telle structure fait l'objet d'une forte opposition non seulement parmi les maîtres et au sein des directions des ESC, mais également dans les entreprises, ces milieux craignant qu'à une époque où chacun s'accorde à reconnaître la nécessité d'une revalorisation de la formation professionnelle, le regroupement de la filière gymnasiale hors des ESC ne renforce au contraire la désaffection de la filière professionnelle. Ce serait par ailleurs la fin d'une mixité qui, depuis longtemps, a fait la preuve de ses qualités pédagogiques et sociales.
En effet, la mixité, c'est-à-dire la cohabitation d'élèves qui préparent une maturité gymnasiale ouvrant les portes de l'université et d'élèves ou d'apprentis qui suivent une filière professionnelle conduisant au CFC, au diplôme de commerce et à une maturité professionnelle, présente des avantages évidents tant pour les élèves que pour les enseignants. Cette spécificité de l'école de commerce est un atout certain: ouverte au monde académique et aussi au monde économique, elle offre des possibilités multiples et une plus grande ouverture.
«L'école supérieure de commerce de Genève réunit plusieurs filières sous le même toit. Elle dispense un enseignement professionnel et de culture générale. Les élèves peuvent suivre ainsi des formations qui les mènent vers des qualifications professionnelles du secteur tertiaire ou vers des études universitaires.» Ce texte figure en introduction à la brochure de présentation officielle de l'ESC et met bien en évidence la qualité particulière de l'établissement que constitue la mixité des parcours qui y sont proposés et les passerelles qui y sont offertes. Une qualité essentielle comme peuvent en témoigner les anciens élèves de l'ESC, parmi lesquels trois des signataires de la présente motion.
Au bénéfice de ces explications, nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir lui réserver un accueil favorable.
Débat
Mme Micheline Calmy-Rey (S). La commission de l'université travaille sur deux motions concernant les hautes écoles spécialisées. Lors de ces travaux, nous avons été amenés à parler de l'école de commerce, de la transformation de la maturité commerciale en maturité économique, ainsi que de la réforme de la maturité fédérale.
Nos discussions nous ont permis de constater que la voie royale, débutant par trois ans d'école de commerce, auxquels pouvait s'ajouter une année de maturité commerciale, avait permis à des milliers d'élèves genevois de déboucher sur l'université, en partant d'une formation professionnelle.
La suppression de cette possibilité et son remplacement par la maturité économique rend plus précoce le choix entre la filière professionnelle et la filière gymnasiale. Les députés de la commission de l'université qui ont suivi les cours de l'école de commerce, à savoir M. Kunz, Mme Leuenberger et moi-même, se sont d'abord émus de cette situation, mais surtout nous réagissons ce soir au risque de voir disparaître la mixité dans les écoles de commerce, c'est-à-dire la possibilité d'y suivre, à la fois, une filière gymnasiale et une filière professionnelle.
Cette suppression éventuelle est la conséquence des projets d'application de la réforme de la maturité, appelée à démarrer en 1997. Ces projets sont fondés, semble-t-il, sur l'idée d'un regroupement des filières gymnasiales dans les huit collèges, les écoles de commerce devenant des écoles exclusivement professionnelles.
Depuis des générations, les écoles de commerce regroupent dans le même établissement des formations professionnelles, c'est-à-dire des CFC, des élèves diplômés et des maturants - et cela avec des avantages évidents : ouverture au monde académique et au monde économique - mêmes professeurs fonctionnant pour les deux filières et passerelles de l'une à l'autre facilitées.
Ce sont là des avantages importants qui, à nos yeux, peuvent être maintenus même avec la réforme de la nouvelle maturité. La solution préconisée par les maîtres de l'école de commerce est celle de la régionalisation, c'est-à-dire de la création de trois ou quatre zones géographiques, à l'intérieur desquelles on retrouve toutes les options réparties en quelques établissements, par exemple, une école de commerce et un ou deux collèges. Ainsi, chaque établissement conserverait son génie propre et ses spécificités, ce qui par ailleurs permettrait à l'école de commerce de maintenir la mixité des deux filières.
Telles sont les raisons qui nous ont conduits à présenter ce projet de motion que nous souhaiterions voir renvoyer directement au Conseil d'Etat.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Comme l'a dit Mme Calmy-Rey, il est infiniment regrettable que la maturité commerciale/gymnasiale, permettant d'accéder à l'université, disparaisse de l'école de commerce.
Dès lors, il est étonnant que le Conseil d'Etat défende la position de l'ouverture dans l'exposé des motifs du projet de loi 7391 sur le centre d'enseignement professionnel, technique et artisanal. Il dit, je le cite : «Jusqu'à ces dernières années, on pouvait affirmer que l'on apprenait une profession, un métier, pour la vie, mais ce qui était encore valable il y a peu de temps ne l'est plus aujourd'hui, et le sera encore moins dans le futur. Nombre de jeunes seront amenés à exercer une autre profession. Il s'agit d'éviter la spécialisation précoce et la tentation d'adapter la formation à des besoins immédiats. Il faut donc, bien au contraire, en assurant de solides connaissances de base et des pratiques professionnelles bien maîtrisées, offrir une formation qui permette l'acquisition future de nouvelles connaissances et de nouvelles compétences. Donc, le passage d'une école à une autre doit être facilité au maximum, ainsi que la mixité des filières dans les écoles supérieures de commerce.»
Ainsi, le passage d'une école à une autre doit être facilité au maximum, ainsi que la mixité des filières dans les écoles supérieures de commerce. Autrefois, on pouvait bénéficier d'une formation commerciale débouchant immédiatement sur une profession, vu son enseignement plus pratique que théorique. Cela s'appelait la maturité commerciale, et l'on pouvait, si on le désirait, accéder sans difficulté à l'université, afin de se former dans un autre domaine, ce qui assurait une double formation de base. Ce fut effectivement mon cas. Aujourd'hui encore, j'apprécie les connaissances que j'ai acquises à cette époque.
Avec la nouvelle formule, la maturité commerciale/gymnasiale sera sortie de son contexte «école de commerce» et perdra une partie de ses composantes pratiques et utiles. La maturité professionnelle qui sera délivrée par l'école supérieure de commerce ne permettra plus d'aller directement à l'université. Si l'élève le désire, il lui faudra faire une année supplémentaire. Cela représente, à nos yeux, une erreur à l'heure de l'ouverture de la mixité des filières et de la nécessité d'acquérir des formations de base multiples.
L'important, à nos yeux, pour être un bon étudiant à l'université, n'est pas seulement le bagage de connaissances accumulées mais la faculté de se concentrer, de savoir apprendre, d'analyser, d'utiliser des références et de s'adapter aux nouvelles méthodes. En cela, il nous paraît tout a fait utile que les élèves réussissant une maturité professionnelle puissent également accéder à l'université.
L'essentiel n'est pas de rallonger ou de bloquer le passage entre les filières, mais bien de les faciliter aux élèves motivés.
Pour toutes ces raisons, nous souhaitons le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat.
M. Pierre Kunz (R). A l'époque où chacun s'accorde à admettre que les systèmes construits en réseau sont mieux adaptés aux exigences de notre environnement que les systèmes monolithiques; à l'époque où, dans le secteur hospitalier, dans le domaine universitaire et pour les futures HES, tout se conçoit en réseau pour des raisons d'efficacité et de coût, nous voyons mal, a priori, pourquoi à Genève la structure gymnasiale devrait faire exception en devenant monolithique, parce que centrée exclusivement sur les collèges.
S'agissant de l'école supérieure de commerce - que certains envisagent d'exclure de la filière gymnasiale - il faut souligner qu'elle constitue aujourd'hui, et constituera encore davantage demain, un des moyens les plus efficaces à disposition de notre ambition de revaloriser la formation professionnelle.
Or renoncer à la proximité des enseignements professionnels et gymnasiaux irait manifestement à fin contraire. Une telle démarche s'inscrirait, de surcroît, à contre-courant de ce qui se passe ailleurs, notamment dans le canton de Vaud, où les autorités mettent en oeuvre une politique visant à allier systématiquement les formations professionnelles et gymnasiales.
Notons enfin que, grâce à son infrastructure, à la qualité de son corps enseignant, l'école supérieure de commerce pourra parfaitement enseigner toutes les disciplines fondamentales de la nouvelle maturité, dont a parlé Mme Calmy-Rey, et offrir au moins deux des options spécifiques parmi les plus importantes.
Eu égard à l'intérêt éducatif de cette mixité et au vu du coût vraisemblablement plus bas d'un système en réseau, le groupe radical vous invite à suivre les recommandations de Mme Calmy-Rey.
Mme Janine Hagmann (L). Contrairement à mes préopinants, mon groupe propose de renvoyer cette motion à la commission de l'enseignement qui lui paraît plus apte à l'étudier.
Il ne faudrait pas que cette motion paralyse les procédures d'évolution des formations. Rien n'est encore sous toit. La nouvelle maturité, appelée à démarrer en 1997, marquera un changement important par rapport à ce que nous avons connu et que certains d'entre nous ont vécu. Les sections n'existeront plus, et les options proposées au choix des élèves devraient, à mon avis, se situer dans une sorte de campus où les ressources humaines et matérielles seraient mises en commun.
Il me semble, Mesdames et Messieurs les motionnaires, que vous éprouvez la nostalgie du... «de mon temps»... Trois d'entre vous ont avoué être passés, avec satisfaction et succès - nous n'avons qu'à vous voir pour nous en convaincre - par l'école de commerce ! Mais ne voulez-vous pas reproduire le schéma précis de l'école que vous avez suivie ? C'est sécurisant, certes, tous les parents apprécient cet état de fait, mais cela ne permet pas d'avancer. Il serait dommage de ne pas regarder devant soi et de ne focaliser son regard que sur le passé.
Par conséquent, je propose le renvoi de la motion en commission de l'enseignement.
Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. J'ai attentivement écouté l'argumentation des différents motionnaires. La compréhension et la vision des uns et des autres de ce qu'ils entendent par mixité sont, pour le moins, diverses et n'émanent pas des mêmes réalités.
Je souhaite que la motion soit traitée en commission pour les raisons suivantes :
Ce n'est pas par l'effet de ma volonté que l'on tente de transformer, depuis plusieurs années, la maturité commerciale en maturité socio-économique. C'est une décision réfléchie et promue par les écoles de commerce. Par conséquent, je l'ai acceptée et elle est entrée en vigueur en 1994. Alors ne voyez pas, dans cette démarche, un coup de force de qui que ce soit !
Madame Leuenberger, la maturité commerciale professionnelle n'a pas pour vocation d'amener à l'université. Lorsque les écoles ont opté pour une maturité socio-économique, elles ont, de facto et volontairement, abandonné l'idée d'un tronc commun amenant à une maturité commerciale et ouvrant l'accès à l'université, d'une part, au diplôme et au CFC, d'autre part.
Je vous dis et le dirai en commission : prendre une telle décision - non pas de façon arbitraire comme le craignent les députés mais sur la base d'analyses et de discussions - signifie, comme je l'ai indiqué aux écoles de commerce, en mai 1995, la prise en compte des aspects pédagogiques, sociaux, démographiques, organisationnels ou financiers, parce qu'il s'agira d'évaluer les conséquences de leurs contraintes.
Nous ne réaliserons malheureusement pas d'économies en suivant ce modèle. J'examinerai le plus honnêtement possible les propositions qui seront faites et les solutions permettant de satisfaire, si possible, une ou l'ensemble des écoles de commerce.
Vous devez vous rendre compte que des analyses doivent encore être faites. Je vous propose donc d'examiner votre motion en commission, d'essayer de trouver des solutions qui tiendront compte des différentes contraintes.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Madame la conseillère d'Etat, j'ai très bien compris que la maturité commerciale professionnelle n'amenait pas à l'université, ce que je regrette, en ce qui me concerne.
Je suis d'accord avec le renvoi en commission, ce d'autant plus qu'une pétition des écoles supérieures de commerce a été adressée au Grand Conseil genevois. Elle concerne également la mixité des filières professionnelles et gymnasiales. Je suppose qu'elle parviendra, elle aussi, à la commission.
Nous désirons soulever un problème et ne pas vous présenter des solutions toutes faites. Reste à savoir si la motion doit être renvoyée à la commission de l'enseignement ou à celle de l'université.
Mme Micheline Calmy-Rey (S). Mme Hagmann nous accuse d'être passéistes, d'avoir rédigé une motion nostalgique. Il va sans dire que nous ne apréconisons pas la filière que nous avons nous-mêmes suivie ! L'ayant appréciée, nous avons simplement réagi à sa disparition.
Nous proposons le maintien de la mixité dans les écoles de commerce, c'est-à-dire la cohabitation d'élèves poursuivant une formation professionnelle sous la forme d'un CFC ou d'un diplôme de commerce, et d'élèves poursuivant une formation de type gymnasial, soit une maturité de type économique. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé cette motion qui n'a rien de passéiste.
J'explicite ma position sur le renvoi en commission, Madame la présidente. A la commission de l'université, la discussion commencée sur la question des HES a continué logiquement par l'examen des accès aux écoles spécialisées et s'est poursuivie sur les écoles de commerce. Aussi trouverais-je dommage de renvoyer la motion à la commission de l'enseignement, puisque la commission de l'université souhaite poursuivre sa réflexion.
Par conséquent, je vous remercie de bien vouloir accepter le renvoi de la présente motion à la commission de l'université.
Mise aux voix, la proposition de renvoyer cette proposition de motion à la commission de l'université est adoptée.