République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 7264-A
15. Rapport de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. Laurent Moutinot, Janine Hagmann, Laurette Dupuis, Gabrielle Maulini-Dreyfus et Henri Duvillard modifiant la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève (anonymat en matière de grâce) (B 1 1). ( -) PL7264
Mémorial 1995 : Projet, 4257. Commission, 4262.
Rapport de majorité de Mme Fabienne Bugnon (Ve), commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil
Rapport de minorité de M. Hervé Burdet (L), commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil

RAPPORT DE LA MAJORITÉ

La commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil s'est réunie le 25 octobre et le 8 novembre 1995 pour étudier le projet de loi susmentionné.

Présentation du projet

Les auteurs, représentant tous les groupes politiques qui siègent au Grand Conseil, à l'exception du groupe radical, souhaitent, par l'ajout d'un alinéa 4 à l'article 207 du règlement du Grand Conseil, prévoir l'anonymat en matière de grâce. Cela uniquement pour les discussions ayant lieu en séance plénière.

Généralités

Le droit de grâce est très largement utilisé à Genève, en moyenne115 recours par an, ce qui constitue le record absolu de tous les cantons.

Le secrétariat du Grand Conseil édite, en annexe au Mémorial, une brochure fort intéressante consacrée uniquement au droit de grâce à Genève.

Cette publication est divisée en cinq parties, soit:

- les dispositions légales;

- un aperçu historique;

- les définitions et les conditions;

- la procédure au Grand Conseil;

- un certain nombre de statistiques.

Ce rapport n'a pas pour but d'entrer dans tout le détail du droit de grâce, et la rapporteuse vous conseille vivement de vous référer à la brochure citée pour toute question en rapport avec le droit de grâce et son application dans notre canton.

Les deux notions fondamentales qui régissent le droit de grâce méritent tout de même d'être rappelées ici:

1. La grâce est le pardon, ou le privilège du prince, et à Genève ce privilège est confié aux représentants élus du peuple.

2. La grâce est une mesure extraordinaire, qui permet à l'autorité politique de remettre totalement ou partiellement une peine ou de la commuer en une autre peine, plus douce.

Les parlements cantonaux exercent le droit de grâce pour les causes jugées par les tribunaux cantonaux, quant aux causes jugées par les Assises fédérales ou la Cour pénale fédérale, ce droit est exercé par l'Assemblée fédérale.

Procédure

Le projet de loi n'intervenant que sur la fin de la procédure, soit lors de la discussion et du vote en séance plénière, nous nous attacherons plus particulièrement à cette étape de la procédure.

Un bref rappel s'impose tout de même en ce qui concerne le fonctionnement de la commission de grâce du Grand Conseil.

Celle-ci statue souverainement, par délégation du Grand Conseil, sauf s'il s'agit d'une nouvelle demande concernant la même condamnation, sur

a) l'emprisonnement n'excédant pas six mois;

b) les arrêts, quelle qu'en soit la durée;

c) l'amende ne dépassant pas 1000 F;

d) les peines accessoires dont l'effet ne dépassent pas deux ans.

- Si l'une des peines au sujet desquelles il est recouru ou l'une des peines prononcées simultanément à celle qui fait l'objet du recours n'est pas comprise dans l'alinéa précédent, le cas est de la compétence du Grand Conseil.

- Dans tous les cas où la commission ne statue pas souverainement, elle présente à la première séance utile du Grand Conseil un bref rapport comprenant son préavis.

Le Grand Conseil délibère sur chaque préavis, sur la base d'une liste à disposition des députés. La presse et le public assistent aux délibérations, à l'exception des cas concernant les mineurs.

Dans ces cas-là uniquement et sur la base de l'article 207, alinéa 3, le Grand Conseil délibère à huis clos.

Une proposition d'étendre la portée de cet article à tous les cas de recours en grâce avait été refusée par notre Conseil en novembre 1992 (PL 6818), (Mémorial pages 2651 à 2658 et pages 6739 à 6743, année 1992).

Le projet de loi ne revient pas là-dessus, mais il est intéressant de constater que les motivations des auteurs d'aujourd'hui sont les mêmes que celles des auteurs de 1992.

A savoir, d'une part, le manque de rigueur et de discrétion de certains députés à la lecture des rapports, rapports trop longs, trop détaillés sur la vie privée du recourant et, d'autre part, la publicité qui est donnée à une affaire qui n'est pas d'actualité et qui pourrait être malvenue pour le recourant.

De ces constats découle l'intérêt d'introduire l'anonymat dans les rapports sur lesquels le Grand Conseil doit statuer.

Travaux de la commission

Une erreur importante s'étant produite dans le libellé du projet de loi, les travaux se sont déroulés en deux temps. D'abord sur la base du projet de loi initial qui prévoyait l'anonymat dans l'article concernant les compétences de la commission (art. 205) et non pas dans celles du Grand Conseil, ce qui manifestement était inutile.

Après rectification, en présence de l'un des auteurs qui nous a confirmé que la volonté était bien de passer à l'anonymat lors des rapports de grâce en séance plénière et non pas en commission, la discussion s'est concentrée uniquement sur ce cas de figure.

Un commissaire souhaitait revenir sur l'essence même du droit de grâce, ce qui a donné lieu à un débat nourri, mais il a été convenu que ce droit existait et que ce projet de loi ne le remettait pas en question.

Des commissaires ont rappelé, comme cela avait déjà été le cas lors des débats de 1992, qu'une justice publique et transparente est souhaitable et qu'il serait regrettable de revenir là-dessus.

D'autres, au contraire, ont estimé que le recours en grâce relève d'une procédure extraordinaire et qu'il n'a, de ce fait, aucune raison d'être rendu public.

Par contre, l'ensemble des députés souhaite plus de rigueur dans la lecture des rapports, afin d'éviter aux recourants et à leurs proches de voir une fois de plus leur vie privée étalée au grand jour.

Il n'est pas inutile de rappeler, à cet égard, que le projet de loi voté en 1992 avait introduit une notion de brièveté dans le libellé de l'article 207, alinéa. 1

Article 207, al. 1 (nouvelle teneur

[du 12 novembre 1992])

1 Dans tous les cas où la commission ne statue pas souverainement, elle présente à la première séance utile du Grand Conseil un BREF rapport comprenant son préavis.

Force est de constater que cette mesure n'est pas toujours appliquée.

La discussion a également porté sur l'étendue de l'anonymat.

Devait-on protéger l'identité du recourant au regard de l'extérieur (presse, public), ou également envers les députés?

Une majorité s'est dégagée pour estimer que l'anonymat devait prendre effet dès que le dossier sortait de la commission.

Vote de la commission

La majorité de la commission ayant estimé, à l'issue de ses travaux, qu'il était souhaitable que l'identité des recourants en grâce ne soit pas divulguée lors des séances plénières, et après avoir procédé aux rectifications mentionnées plus haut, vous propose, par 6 oui (Adg, PS, Ve, R, PDC), 3 non (L) et 1 abstention (PDC) de modifier la loi portant règlement du Grand Conseil, comme suit:

PROJET DE LOI

portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève

(B 1 1)

Article unique

La loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève, du 13 septembre 1985, est modifiée comme suit:

Art. 207, al. 4 (nouveau)

4 Le préavis de la commission est présenté en préservant l'anonymat du recourant. La publication dans le Mémorial du Grand Conseil se fait sous la forme : «le recourant» ou «la recourante».

RAPPORT de LA minoriTÉ

L'objet du présent projet de loi de l'aveu même de ses auteurs et contrairement à sa présentation d'origine se limite désormais à recommander l'adjonction à l'article 207 de la loi portant règlement du Grand Conseil d'un alinéa 4 nouveau qui dirait:

Art. 207, al. 4 (nouveau)

4 Le préavis de la commission est présenté en préservant l'anonymat du recourant. La publication dans le Mémorial du Grand Conseil se fait sous la forme: «le recourant» ou «la recourante».

Cette proposition apparemment anodine se fonde sur un certain nombre de cas où quelques député(e)s chargé(e)s de rapporter sur des dossiers de recours en grâce n'ont pas toujours su tempérer leur désir de biens'expliquer et, aveuglés par leur volonté de persuader, sont entrés trop avant dans les détails de leur exposé et ont dévoilé des faits ou des considérations dont le caractère privé n'appelait pas nécessairement un tel déballage public. Cette maladresse regrettable ne doit pas servir de prétexte pour éliminer des débats sur le recours en grâce l'essentiel de la question qui consiste, là comme ailleurs, à savoir précisément de quoi et en l'occurrence de qui l'on parle.

Le privilège d'accorder la grâce, soit la remise totale ou partielle de la peine prononcée par les tribunaux (ce qui n'équivaut cependant pas à une possibilité pour le Grand Conseil d'abolir le jugement rendu, qui restenotifié et enregistré), est un droit régalien dévolu au seul souverain, donc, en droit genevois, au Grand Conseil et à lui seul. On notera au passage que le Grand Conseil, si sourcilleux et jaloux de ses prérogatives, fait bien de se soucier scrupuleusement du bien-fondé et du bon usage de sa pratique en matière de droit de grâce, car ce droit régalien qu'il exerce est l'un des rares fondements spécifié dans la constitution genevoise de son statut de premier pouvoir de la République.

Malgré les bons sentiments qui la sous-tendent la propositionlégislative du projet de loi 7264 doit être rejetée pour les raisons suivantes:

Caractère public des actes de la justice

Le projet de loi 7264 se situe dans la réflexion politique de ceux qui suggéraient naguère au Grand Conseil d'accorder ou de refuser la grâce «à huis clos». On frémit à l'évocation de cette justice de l'ombre exercée par le pouvoir politique. Une telle régression des droits du justiciable évoque l'époque reculée (mais deux siècles, est-ce si loin?) où la justice alla veneziana était rendue par le Conseil des Dix, sous la cagoule, la nuit tombée, à huis clos. Par chance, la justice genevoise et les jugements qu'elle rend sont aujourd'hui totalement indépendants du pouvoir politique et de ses velléités. Le combat fut rude à Genève pour l'égalité des droits des citoyens et une justice équitable pour tous. La garantie de ce droit à l'équité judiciaire, c'est la publicité de la démarche qui amène la justice à produire ses jugements. La justice genevoise est aujourd'hui d'une transparence solaire parce qu'elle est publique. Le Grand Conseil ne devrait pas tenter de battre en brèche unetelle évolution historique ou ses résultats. Il devrait bien plutôt chercher à calquer ses procédures sur les mêmes démarches transparentes.

Certes, la grâce accordée par le Grand Conseil n'est pas justice, c'est le fait du prince (le Grand Conseil) qui souverainement décide de tempérer ou d'annuler les effets du jugement rendu. Cependant, du point de vue du justiciable, le recours en grâce qui ne découle pas, au sens strict, de la procédure judiciaire reste l'ultime étape du long parcours qui conduit à la sanction qui le frappe. C'est la raison pour laquelle je suggère à ce Grand Conseil de prendre en compte cette citation de Me Jacques Barillon, avocatau Barreau de Genève, s'exprimant sur « La Justice de l'ombre... oul'injustice sous prétexte d'efficacité » («Tribune de Genève» 16-17. 12: 4.1995) qui nous livre des réflexions qui pourraient heureusement s'étendreaux procédures selon lesquelles le Grand Conseil exerce son droit de grâce:

« Justice de l'ombre. Les audiences des juridictions pénales se tiennent de plus en plus souvent à huis clos. Or, la justice doit être transparente. Ce n'est pas une affaire de famille. Le peuple a le droit de savoir par qui et comment elle est rendue. Soit en assistant à un procès. Soit en suivant son déroulement par le « relais de la liberté » que constitue la presse, écrite et audiovisuelle.

« Je le dis tout net: beaucoup de juges ne se comportent pas dela même manière lorsqu'ils siègent à huis clos ou en audience publique. C'est dans ce dernier cas que les droits des citoyens sont les mieux respectés. Prenons garde à ne pas sous-estimerce fait. »

Le projet de loi 7264 ne cherche plus, il est vrai, à imposer le huis clos lors des débats du Grand Conseil sur les recours en grâce, puisque le Grand Conseil a clairement rejeté une telle proposition. Le projet de loi 7264 cherche cependant à limiter la publicité des débats, en cachant au public et à la presse, voire aux députés eux-même l'identité des recourants. Cela va, comme l'exprime fort bien Me Barillon, à l'encontre du respect dû auxdroits des citoyens.

Préserver l'anonymat du recourant ?

Les principaux motifs invoqués par les proposants de ce projet de loi sont la discrétion (due au justiciable, respectivement au condamné) ainsi que les exigences de la loi fédérale sur la protection des données qui rendraient inacceptable la divulgation de situations personnelles très douloureuses que l'on rencontre dans le cadre des recours en grâce.

Voire:

Tout recourant en grâce s'est vu préalablement notifier publiquementun jugement de condamnation dans lequel apparaît son identité complète, ainsi que la nature et l'étendue de la peine à laquelle il ou elle est condamné(e). On ne voit plus très bien dès lors à quelle discrétion l'on se réfère s'agissant d'une information largement publique.

Si les proposants de ce projet de loi entendent signifier que c'est la publication des condamnations prononcées qu'ils regrettent, ils se trompent de proposition législative. Le recours en grâce et le sort qui lui est fait par le Grand Conseil ne fait qu'enchaîner sur la publicité antérieure desjugements.

Si les proposants de ce projet de loi entendent remettre en question la publicité des débats judiciaires (sous réserve des restrictions déjà prévues par la loi), encore une fois ils se trompent de débat. La liberté de la presse et son droit à reprendre toute information qui lui semblera digne d'intérêt sont garantis par la constitution. Le Grand Conseil ne devrait pas tenter de soustraire ses procédures et ses décisions aux effets de la liberté de la presse.

Si c'est la démarche que l'on suggère au Grand Conseil, que les proposants de ce projet de loi aient le courage de leurs opinions et qu'ilsnous rédigent, s'ils l'osent, une loi sur la liberté de la presse!

La grâce, pas plus que la justice, ne peut être anonyme

Lorsque la constitution genevoise confie au Grand Conseil le droit de grâce, elle remet au souverain la responsabilité de la justice. Non seulement celle de la justice technique, celle des juges qui savent et disent le droit, mais la justice tout court, celle du droit naturel, celle de la définition d'Ulpien: Justitia est constans et perpetua voluntas jus suum cuique tribuendi(Digest. 1, De justitia et de jure 10) [La justice est la constante etperpétuelle volonté d'attribuer à chacun son droit].

De cette définition de la justice découlent deux choses. D'une part, les modalités de l'exercice du droit de grâce sont la constans et perpetua voluntas du souverain, ce qui dit assez que la seule volonté majoritaire du Grand Conseil suffit pour accorder la grâce et qu'il n'est nul besoin, comme le pensent malheureusement nombre de députés, d'évaluer des faitsnouveaux ou de discerner des motifs précis qui permettraient de réviser telou tel jugement. La seule volonté du Grand Conseil, assise sur sa sensibilité majoritaire, est une raison suffisante pour gracier.

D'autre part, la définition d'Ulpien, spécialement dans sa tournurelatine, exprime avec force le caractère hautement personnel... suum cuique... de la justice rendue selon le droit naturel. On sent bien qu'il s'agit là d'une personne précise et précisée et pas d'un quelconque anonyme comme la « recourante n° 2 , ou n° 5 » de quelque jeudi dernier...

Qui sont les coupables d'indiscrétion?

On aura noté, au second paragraphe de ce rapport, que ce sont en fait les membres du Grand Conseil eux-mêmes qui, par naïveté ou parinexpérience, mettent en danger la confidentialité des données qui serait due aux recourants en grâce. On ajoutera que dans les débats du Grand Conseilde telles pudeurs se font rarement jour: Medenica, Gaon, Crippa, Gelli, etc. Le Grand Conseil s'est arrogé le droit et même l'habitude de mélanger gaillardement en toute iniquité et de livrer en pâture au public les noms de condamnés, de présumés coupables ou de coupables en rupture de banc, tout comme ceux d'innocents, ni condamnés ni accusés... Vous avez dit discrétion?... Que Mmes et MM. les indiscrets commencent!

Loi fédérale sur la protection des données

Le Grand Conseil Genevois a seul la possibilité de déterminer la nature et l'étendue qu'il entend donner sur le plan cantonal à la loi fédérale sur la protection des données. Si le Grand Conseil entend entrer en matière sur ce sujet, il devrait le faire de la façon la plus large et tenter de faire un tour d'horizon complet de la question. Il ne devrait pas se limiter à l'examen de son seul droit de grâce.

Le véritable intérêt du justiciable

Le véritable intérêt du recourant en grâce qui, rappelons-le, est danstous les cas d'ores et déjà un condamné, n'est pas de jouir d'une discrétion fondée sur on ne sait quelle pudeur. Son intérêt véritable est de faire en sorte que sa grâce soit au moins aussi publique que sa condamnation, afin qu'il puisse s'en prévaloir. Les intérêts de ses proches ne sauraient fortement diverger des siens sur ce point.

Une loi inapplicable bafoue son législateur

Si le Grand Conseil veut se donner le ridicule d'exercer son droit régalien en accordant la grâce au recourant n° 1, n° 2 ou n° 3 ... ou à la recourante x, y ou z, il y a peu de chance pour que la presse et les médias s'y trompent et le suivent. Par souci d'une légitime information du public, les discrétions hypocrites du Grand Conseil seront dévoilées dès le lendemain. Jamais la presse ne titrera « Grand Conseil: rejet du recours en grâce du recourant n° 2 du jeudi 14 décembre 1995... ». Elle ne dira pas non plus« Dr M.: rejet du recours ». Elle risque fort par contre de titrer « Medenica: recours rejeté ». Elle le fera sans attendre la « sortie » d'un Mémorialdevenu encore moins informatif sur ce point et n'hésitera pas à évoquer par son nom tel ou tel condamné dont elle connaît l'identité de longue main.

Conclusion

La minorité de la commission des droits politiques et du règlement(3 Lib.) suggère au Grand Conseil de refuser d'entrer en matière sur ce projet de loi qui, loin de les servir, lèse en réalité les intérêts bien compris des recourants en grâce. La publication de l'identité des recourants en grâce est d'intérêt public. C'est un problème qui ne saurait être traité par la bande puisqu'il touche à :

- la souhaitable publicité complète des débats judiciaires, auxquels ceux du Grand Conseil sur les recours en grâce sont assimilables;

- la liberté tout aussi souhaitable de la presse et des médias, seule garantie de l'équité judiciaire et seule à même de permettre au public d'apprécier le bien-fondé de la grâce régalienne;

- l'exercice correct, soit en toute connaissance de cause, d'un droit régalien fondamental par le souverain genevois.

Premier débat

Mme Fabienne Bugnon (Ve), rapporteuse de majorité. Je n'ajouterai rien au rapport de majorité qui est le fidèle reflet des travaux de la commission. Par contre, le rapport de minorité de M. Burdet mérite certains commentaires. Tout d'abord, j'ai été surprise par son ampleur et j'ai regretté que la plupart des arguments qui y sont développés ne l'aient pas été en commission.

Monsieur Burdet, j'ai été un peu ébranlée à la première lecture de votre rapport par l'accusation en règle disant que nous sommes contre la transparence de la justice. Puis, après réflexion, j'ai pensé qu'il n'était pas nécessaire de lire Me Barillon pour savoir que nous étions favorables à la transparence de la justice. Le groupe écologiste et moi-même restons attachés au principe que la justice doit être ouverte et publique, et, donc, transparente.

Lors d'un jugement, les parties sont représentées par les avocats et par l'accusé, et ce dernier, ou son mandant, peut intervenir, éventuellement contester certains faits, apporter un éclairage différent à certaines situations. Tout cela existe et doit être maintenu. Le droit de grâce n'entre pas dans cette procédure. C'est un droit annexe, une mesure exceptionnelle. Comme nous l'avons rappelé, c'est le fait du prince. Or, il se trouve qu'à Genève le prince, ce sont les députés et que nous avons été investis de ce très important pouvoir d'estimer que, pour mille et une raisons, un citoyen mérite de voir la peine qui lui a été infligée réduite, même parfois assez fortement. Je ne reviendrai pas sur la manière dont le droit de grâce est accordé, car je l'ai assez clairement expliqué dans mon rapport.

Toutefois, un seul détail doit être relevé, le Grand Conseil peut accorder la grâce ou la refuser et il n'a pas besoin de motiver sa décision. De plus, il la prend, libre de toute pression et sans entendre le recourant. En aucun cas, le Grand Conseil ne doit ou ne devrait refaire le jugement ni apprécier positivement ou négativement la peine infligée. Il doit simplement estimer si, au moment où le recourant dépose sa demande, celle-ci est fondée ou non, et si la grâce lui sera accordée. Le droit de grâce n'a donc rien à voir avec la justice, à proprement parler. Ainsi, les arguments au sujet de la remise en cause de la transparence de la justice figurant dans le rapport de minorité de M. Burdet doivent être rejetés.

Dès lors, il devient possible de se pencher sur la proposition qui nous est soumise, à savoir l'anonymat pour les recourants lors de la lecture des rapports en séance plénière. Cette mesure consiste uniquement à protéger la personnalité du recourant. Au moment de la demande en grâce, le recourant n'est pas dans une situation de procès ni de devoir payer une faute qu'il a commise. Dès lors, il se peut qu'une publicité autour de son recours nuise à son entourage et à sa vie professionnelle. Le fait d'introduire l'anonymat, comme le propose les auteurs de ce projet de loi, ne changera rien au travail des députés de la commission de grâce qui, eux, continueront à disposer de l'identité complète des recourants pour établir leur rapport. Chaque groupe politique est représenté dans la commission de grâce, et les décisions continueront à être prises de la même manière.

Il est bon de rappeler qu'en 1992 une proposition de procéder au huis clos, lors de la lecture des rapports, avait été très largement rejetée par le Grand Conseil, justement au nom de cette fameuse transparence. Pourtant, tous les intervenants de l'époque - j'ai relu le Mémorial, et, notamment, les juristes, MM. Fontanet, Poncet - avaient tous relevé qu'un problème restait posé par la manière dont le droit de grâce était accordé, et que, s'ils estimaient que le huis clos était inacceptable, beaucoup plus de rigueur devait être exercée, tant dans la lecture des rapports que dans l'écoute que chacun de nous apportait à ces rapports.

A cet égard, la conclusion du rapport de Mme Saudan était très claire. Elle disait que le Bureau voyait les familles, venues entendre à la tribune la conclusion des rapports de la commission de grâce, consternées en entendant tout le bruit de la salle et le peu d'intérêt que les députés mettaient à la lecture de ces rapports.

Les auteurs du projet qui nous est soumis ce soir l'ont déposé parce qu'ils ont estimé que, depuis 1992, les choses n'ont pas fondamentalement changé et que l'introduction dans la loi du mot «bref» n'a pas suffi et que la voie de l'anonymat est peut-être un début de solution à la protection et au respect de la personnalité des recourants en grâce. C'est dans cet état d'esprit que je vous demande de suivre le rapport de la majorité.

M. Hervé Burdet (L), rapporteur de minorité. Vu l'entrée en matière de Mme Bugnon, j'ai craint de subir le même sort qu'Ulpien massacré par la garde prétorienne de l'empereur Héliogabale, mais il n'en est rien, apparemment, je survivrai ! Mon rapport étant «sur-complet», je vais pouvoir être bref, puisque l'essentiel y figure.

Je fais remarquer qu'en page 2 le rapport de Mme Bugnon estime que la grâce est un privilège confié aux représentants élus du peuple. Mais il ne s'agit que d'une partie seulement de ces élus, puisqu'en effet seuls les députés du Grand Conseil ont le droit de grâce.

Le projet auquel nous sommes confrontés découle d'un échec survenu en 1992. En effet, ceux qui soutiennent ce projet voulaient que la grâce soit accordée à huis clos. Après avoir échoué, ils reviennent à la charge quelques années plus tard avec ce projet mineur pour certains, mais fondamental pour moi. La publicité des actes de justice est une chose à laquelle un certain nombre de mes collègues et moi-même tenons.

D'après Mme Bugnon, des commissaires ont rappelé cet échec de 1992. Elle s'est souvenue que certains d'entre eux avaient insisté pour qu'une justice parfaitement publique et transparente soit pratiquée à Genève, tandis que d'autres avaient pensé que le droit de grâce était distinct de la pratique au fil de laquelle la justice produit ses jugements. Ces derniers n'ont pas emporté la décision.

Finalement, le rapport de majorité pose le problème crucial de savoir si le recourant a le droit à l'anonymat. Une majorité s'est très clairement dégagée en commission disant que cet anonymat devrait prendre effet dès la sortie de la commission. Dès lors, je vous invite à considérer quel sort serait le vôtre, Mesdames et Messieurs les députés, puisque ce Grand Conseil ne serait plus informé ni de l'identité des recourants ni de la réalité de la cause en question.

Le rapport de minorité, que je vous présente, insiste sur le fait que les actes de la justice doivent être publics, et, selon Mme Bugnon, j'y ai consacré de trop nombreuses pages. Ce projet de loi cherche très clairement à limiter la publicité des débats et à cacher au public et à la presse, voire aux députés eux-mêmes, l'identité des recourants. Me Barillon, dans son ouvrage de praticien parfaitement rôdé à l'exercice du barreau, exprime très justement que l'antipublicité va à l'encontre du respect dû aux droits des citoyens.

Tous les recourants en grâce sont des gens qui ont été condamnés et dont le jugement a été notifié publiquement. Par conséquent, il n'y a pas d'anonymat à respecter pour protéger leur identité, puisqu'elle est parfaitement publique. Ce projet de loi est totalement insuffisant pour mettre en cause la publication des condamnations ou la publicité des débats judiciaires. D'autre part, si l'on entend limiter les droits du public et de son relais, la presse, à connaître comment le droit régalien de la grâce est exercé par le Grand Conseil, c'est une évolution déplorable de la manière dont se traite le fait de justice à Genève.

La grâce, pas plus que la justice, ne peut être anonyme. Tous les actes de justice s'adressent à un individu précis et précisé. Il n'y a ni punition collective ni traitement secret de la justice dans les pays comme le nôtre qui se prévalent d'une certaine civilisation en matière judiciaire.

Il faudrait avoir le courage de dire à ce Grand Conseil que tout le débat sur l'anonymat de la grâce et sur le huis clos en la matière procède uniquement des maladresses, des impérities et de l'indiscrétion des députés qui sont chargés d'un dossier de grâce. Ils ont très largement outrepassé ce que l'on attend d'un député rapportant sur un dossier de grâce. Par conséquent, les députés eux-mêmes sont responsables de la situation désagréable dans laquelle nous nous trouvons. Je ne vois donc pas pourquoi l'on punirait le public et la presse parce que nous ne sommes pas capables de garder notre langue au chaud.

Le débat sur la loi fédérale pour la protection des données qui nous imposerait la discrétion en matière de grâce est une chose qui n'a pas d'application concrète au plan cantonal. Je pense donc que l'on y reviendra plus tard.

Le véritable intérêt du justiciable est que sa grâce soit publique, tout comme son jugement, de manière qu'il puisse s'en prévaloir et dire : «J'ai été condamné, certes, mais le Grand Conseil qui tranche souverainement avec une sensibilité différente m'a accordé la grâce».

Ce projet de loi n'est pas réaliste, car il ne peut pas s'inscrire dans la pratique. On ne peut pas imaginer qu'au sortir de la commission de la grâce ce soit l'anonymat complet, qu'on ne prévienne ni le Grand Conseil, ni la presse et que le Mémorial ne mentionne aucun nom. Cela ne marchera pas, car dans cette République où tout se sait et tout se redit, cet anonymat sera impossible à préserver.

En conclusion, je vous suggère le refus de ce projet de loi, car la publicité totale des débats judiciaires, auxquels ceux sur la grâce sont étroitement apparentés, doit être défendue. La liberté, tout aussi souhaitable de la presse et des médias, seule garantie d'une équité judiciaire acceptable, doit être préservée. Le public a le droit d'apprécier souverainement le bien-fondé de la manière avec laquelle le Grand Conseil applique son droit régalien. Afin que ce dernier soit exercé en toute connaissance de cause, je vous suggère de rejeter ce projet de loi.

M. John Dupraz (R). Une bonne partie du groupe radical suivra le rapport de minorité pour les raisons évoquées par M. Burdet. On lit dans le rapport de majorité que les députés, lors des rapports en séance plénière, donnent trop de détails qui, finalement, peuvent nuire aux recourants en grâce.

Comme l'a dit M. Burdet, il faut réglementer la façon dont travaillent les députés et non pas inscrire un principe d'anonymat pour les recourants en grâce. En effet, Genève est un petit village et, de toute manière, les noms relatifs aux dossiers seront connus, puisque les rapporteurs présentent leur préavis à la commission et, ensuite, en séance plénière. Cette loi n'empêchera pas les députés de faire de longs discours dans cette enceinte concernant les recourants en grâce, permettant ainsi aux gens avertis de connaître les noms des intéressés, puisque les décisions judiciaires sont publiques.

Ce projet d'anonymat est une mauvaise suggestion. Comme l'a dit Mme Bugnon, il ne s'agit pas de refaire le procès des recourants en séance plénière, mais d'apprécier si, en fonction d'éléments nouveaux, nous accordons la grâce ou non. D'ailleurs, ceci devrait être le seul critère déterminant l'octroi de la grâce. Par conséquent, il faut expliquer le préavis de la commission au caucus; c'est là que doit se faire l'information aux députés qui se prononceront en leur âme et conscience.

Pour les raisons que je viens d'évoquer, je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de refuser ce projet de loi et de suivre les conclusions du rapporteur de minorité.

M. Michel Halpérin (L). L'essentiel du débat tient à cet équilibre, toujours difficile à maintenir, entre le principe de la publicité des débats, qui intéresse la communauté, et la protection de la personnalité qui, dans un grand nombre de cas, justifie que des précautions soient prises pour préserver l'anonymat des personnes.

Pour ma part, j'ai plutôt tendance à m'inquiéter face à des débordements médiatiques, portant plus atteinte à la sphère privée et à la protection de la personnalité, à laquelle nous sommes tous attachés, qu'ils ne donnent d'avantages au public. En effet, ces médias publient, parfois, des informations, qui ne sont pas vraiment intéressantes pour la communauté, mais qui portent atteinte aux intérêts privés qu'elles touchent.

C'est donc avec intérêt et curiosité que j'ai suivi l'évolution de ce projet sur l'anonymat, me demandant comment nous pourrions équilibrer les choses. Dans un premier temps, j'ai pensé qu'il s'agissait seulement de suivre l'exemple du Tribunal fédéral, qui, progressivement, ne publie plus les noms des personnes à propos desquelles il prend des décisions. Certaines jurisprudences sont publiées avec des initiales, et j'ai songé que le Grand Conseil pouvait aller dans cette direction, en ne publiant pas les noms des personnes dans son Mémorial qui, après tout, peut être lu un an, cinq ans, cent ans plus tard. On peut se demander s'il est intéressant de faire du tort à une famille, en laissant figurer les noms dans cette publication pérenne.

Ce qu'on nous propose, aujourd'hui, n'a rigoureusement rien à voir avec la manière dont nous publions les noms. C'est plutôt le petit côté du projet de loi qui nous est soumis, car le véritable enjeu de ce projet de loi porte sur la manière dont nous débattons en plénum. Je me suis rendu compte que nous allions droit à une catastrophe, parce qu'on pensera que nous voulons cacher ce que nous avons à nous dire à propos de la grâce. Pourtant la grâce est tout de même un droit extraordinairement important ! Et puis surtout c'est une catastrophe... risible. En effet, par expérience, lors des débats à huis clos sur les naturalisations sensibles, ou lors des débats en matière de levée d'immunité, où nous nous égosillons, parce que les micros sont coupés et qu'il n'y a pas de mémorialiste, des informations sont tout de même rendues publiques. Nous sommes un peu irresponsables, pas très regardants en matière de confidentialité et souvent enclins à pécher, à tour de rôle, sur des sujets qui nous paraissent pourtant majeurs !

Même si nous introduisons un cas d'anonymat ou de huis clos, nous n'allons rien changer à la réalité : les journaux ne publieront rien des cas les plus nombreux, qui n'intéressent personne, parce qu'ils touchent des anonymes. Et tous ceux quelque peu importants, parce que déjà célèbres, seront publiés, même si nous les taisons. Je le répète, nous créerons une suspicion au sujet de l'état de nos travaux, parce que nous donnerons l'impression que nous voulons nous soustraire à une forme de contrôle, et nous finirons par débattre sans savoir de qui nous parlons. De toute manière, les noms célèbres devront être publiés, parce qu'ils le seront immanquablement. Le paradoxe est que le Mémorial sera muet et la grande presse bavarde ! Nous aurons donc tout raté : l'effort de transparence et l'effort de protection des droits particuliers.

Vous commettez une petite erreur, Madame Bugnon, en pensant que la grâce ne fait pas partie du processus judiciaire. C'est le dernier échelon du processus judiciaire, même s'il lui échappe. Les derniers mots du juge au condamné sont : «Monsieur, Madame, vous avez cinq jours pour vous pourvoir en cassation et vous pouvez, en tout temps, recourir en grâce auprès du Grand Conseil. » Vous disiez que nous devons protéger l'anonymat de ces condamnés, parce que nous ne sommes plus dans le procès où le débat est contradictoire, et que, le droit d'être entendu n'étant pas respecté à ce stade, l'anonymat est mérité.

A cela je répondrai deux fois non. D'abord, de tous les protagonistes d'une affaire judiciaire, le seul qui puisse être entendu, par la commission ou par le Grand Conseil en matière de grâce, c'est le condamné lui-même, au moins parce qu'il formule son recours et que son recours est une manière d'être entendu.

Finalement, Madame, dans ce cénacle, lorsque nous nous penchons, par exemple, sur les affaires de l'entreprise Reuters ou que nous ouvrons des commissions d'enquête au sujet d'X, Y ou de Z, nous ne nous gênons pas pour divulguer les noms de personnalités sur lesquelles ne pèse aucun soupçon et que nous injurions plus que nous ne le devrions - ici l'invective est facile - et tout cela paraît dans les journaux. Les seuls qui auraient droit à une protection seraient, paradoxe suprême, ceux qui ont été condamnés par les juges ! Ce paradoxe est dangereux, parce que nous allons protéger la personnalité de ceux qui y ont un peu moins droit et continuer à jeter en pâture les noms de ceux qui devraient être protégés; à moins que nous ne poussions l'effort jusqu'à son terme raisonnable et que toutes les personnes physiques ou entreprises, que nous devons nommer dans nos débats, ne soient plus désignées que par des initiales, ce qui, vous l'admettrez, ne convient pas à un parlement et serait un peu grotesque.

Voilà pourquoi, malgré mon goût pour la protection de la personnalité - et il est profond - je vous demande de suivre le rapport de minorité.

M. Bénédict Fontanet (PDC). Le droit de grâce est un droit régalien et, comme le disait M. Halpérin, il fait partie de notre système judiciaire. Ce que nous pouvons regretter - je n'entends pas jeter l'opprobre sur l'un ou l'autre d'entre vous, j'en fais partie et suis tout aussi coupable que vous - c'est le défaut d'écoute dont nous faisons preuve dans les affaires de grâce et le manque d'intérêt que nous leur portons. Et c'est vrai que cela n'est pas admissible ! Le droit de grâce est un droit important, puisqu'il permet de décider de la liberté de quelqu'un, et souvent nous n'accordons pas suffisamment d'attention à ces affaires.

Un autre problème doit nous préoccuper : celui de la transparence. Le système judiciaire genevois est tel que, à l'exception des jugements rendus par le Tribunal de la jeunesse, tous les jugements rendus par les tribunaux genevois sont publics. Cette transparence a été l'un des grands acquis démocratiques du siècle passé et du début de ce siècle. Auparavant, on rendait la justice en cabinet. Par exemple, au temps de l'Inquisition, on vous condamnait, on vous découpait en morceaux et on vous posait les questions après ! Personne ne savait pour quel motif vous étiez condamné !

M. John Dupraz. C'est surtout les catholiques qui faisaient ça !

M. Bénédict Fontanet. Malgré tout le respect que j'ai pour Calvin, il y a aussi eu quelques protestants fripons ! Les catholiques n'en ont pas l'exclusivité ! (Rires.)

L'une des grandes conquêtes démocratiques de la fin du siècle passé et de ce siècle - je le répète - est que les jugements sont rendus de manière publique et que tout un chacun peut savoir ce qu'il advient et comment les tribunaux fonctionnent. Cela permet aussi le contrôle démocratique, par les citoyens, du fonctionnement des tribunaux.

Certes, les justiciables, qui demandent la grâce, ont droit au respect, certes ils ont le droit d'exiger de nous, qui assumons la tâche difficile d'examiner les recours en grâce, que nous fassions notre travail au mieux de notre conscience et, vraisemblablement, dans des conditions meilleures que celles dans lesquelles nous exerçons ce droit aujourd'hui.

Mais nous avons aussi le droit d'informer le public. Si le public et les citoyens ont le droit de savoir comment leurs tribunaux fonctionnent, quelles sont les peines infligées et quel est le sort réservé aux personnes, qui sont déférées devant eux, le même public, les mêmes citoyens ont également le droit savoir quel sort notre Grand Conseil réserve aux recours en grâce, quel est le sort réservé à des citoyens qui ont été condamnés, parce qu'à un moment de leur vie - même s'ils peuvent être excusables - ils ont fauté. Et il n'y a pas de raison pour que les jugements des tribunaux soient rendus de façon publique et que les décisions que notre Grand Conseil rendrait, en matière de grâce, le soient en «catimini», de façon que les députés ne connaissent pas le nom des personnes et que le public ne soit pas informé de ce qui se passe.

Dans les affaires célèbres - M. Halpérin en parlait tout à l'heure - le public est informé. Pour prendre un exemple qui nous a occupés récemment : l'affaire Medenica, le public a su que ce monsieur avait été condamné. S'il avait plu à notre Grand Conseil de le gracier - ce qu'il aurait pu faire - il me semble que le public et les citoyens de ce canton auraient eu le droit le plus élémentaire de connaître la décision qui aurait été prise.

Nous devons mieux traiter les affaires de grâce, nous devons leur accorder plus d'attention que nous ne le faisons actuellement. Nous devons rédiger des rapports plus brefs. Malheureusement, il ne suffit pas d'inscrire dans la loi que les députés doivent être brefs pour qu'ils le soient ! Les conseillers d'Etat non plus, je vous le rappelle. (L'orateur est interrompu.)

Nous n'avons pas dit d'être brefs à propos des projets de lois, Mesdames et Messieurs ! Par voie de conséquence, j'invite les députés qui siègent dans la commission de grâce à être succincts et à évoquer plus rapidement qu'ils ne le font les cas soumis.

Cela étant, j'estime que ce projet de loi constitue un recul par rapport à ce qui existe. Si nous devons respecter les familles, nous avons un droit de transparence vis-à-vis des citoyens qui nous ont élus. C'est pourquoi je suivrai les conclusions du rapport de minorité.

M. Laurent Moutinot (S). La matière est délicate, parce qu'elle touche à plusieurs principes essentiels, et il est normal que nous nous interrogions et que nous soyons passés, les uns et les autres, par des états d'âme variés. Il faut cependant recadrer le débat sur l'unique objet qui est le sien : le traitement des recours en grâce, sans extrapoler sur l'anonymat d'autres personnes, dont nous pouvons parler dans cette enceinte d'une toute autre manière.

Le droit de grâce est un droit régalien, c'est-à-dire qu'il obéit à notre pleine souveraineté, sans que nous ayons besoin de motiver notre décision, alors que toutes les autres décisions, dans un régime républicain, doivent être motivées.

Dans la pratique, la doctrine reconnaît deux droits de grâce : le cadre individuel où ceux qui exercent le droit de grâce estiment qu'une personne mérite sa grâce - c'est pour ces cas-là que nous devons le plus protéger l'anonymat - et la grâce que je qualifierai de «politique», celle par laquelle le Grand Conseil manifeste qu'il n'entend pas voir poursuivre avec sévérité ou pas du tout tel ou tel type d'infraction. L'anonymat n'empêche pas le Grand Conseil de donner un signal, comme il l'a fait en matière de taxe militaire.

Monsieur Burdet, dans votre excellent rapport de minorité, vous admettez que la grâce n'est pas la justice, précisément parce qu'elle a cet aspect régalien. Mais alors, si ce n'est pas la justice, nous ne pouvons pas lui appliquer les critères de la justice, et il n'y a aucune raison de lui appliquer le critère de la publicité des audiences. Un accusé a le droit d'être défendu par une certaine procédure. Un condamné a le droit de demander la grâce, mais il n'a pas droit à plus que cela. Il n'y a pas de comparaison possible entre les droits de la défense et le droit de grâce.

Deux obstacles doivent être évités : le huis clos, qui me paraît une mesure trop extrême, et les regrettables déballages auxquels nous assistons de temps à autre. Nous ne mettons en cause ni la publication des condamnations, qui de toute façon a eu lieu antérieurement, ni la publicité des débats judiciaires. Ce qui est problématique ce sont les éléments postérieurs à la condamnation, concernant l'intéressé ou un tiers, qui sont mentionnés lors de la grâce. L'intéressé n'a aucun moyen de maîtriser ces éléments, car il n'y a pas de débat contradictoire, comme c'est le cas devant un tribunal, et l'accusé n'a pas la parole en dernier.

Pour cette raison, l'analogie qui est faite avec la justice et l'exigence d'une totale transparence est excessive. Je vous rappelle qu'en matière de grâce bon nombre de cas, les plus nombreux, ne passent pas devant le Grand Conseil, parce qu'il sont de la compétence exclusive de la commission. Entre le public et le huis clos, il y a une marge pour une solution qui respecte les intérêts du public et ceux de la presse. Il faut savoir qui nous gracions, dans le sens de quelle situation nous gracions - et non pas la maladie de l'épouse du condamné ou le sort de ses enfants. La presse peut savoir quelles infractions nous paraissent plus ou moins importantes, sans pour autant nous livrer à un déballage. Cette protection consiste en l'anonymat.

La loi fédérale sur la protection des données - vous avez raison, Monsieur Burdet - ne s'applique pas telle quelle à cette situation. Nous sommes, cependant, tous d'accord pour dire que les principes qu'elle expose doivent nous inspirer pour la protection de la personnalité, si chère à M. Halpérin. Vous avez écrit dans votre rapport quelque chose qui m'a surpris, à savoir que le véritable intérêt du recourant réside dans le fait que les choses se passent en public. Or il n'y a que lui qui puisse juger où se trouve son intérêt. Vous ne pouvez pas, a priori, présumer que le véritable intérêt du recourant soit le débat public, avec son nom, son adresse... et son carnet de vaccination !

Si nous distinguons la grâce du débat judiciaire, si nous prenons acte que la liberté de la presse n'est pas touchée, parce qu'elle peut rapporter sur tous nos travaux et tout ce qui se dira en matière de grâce, identité exceptée, nous pouvons améliorer l'exercice du droit de grâce, sans tomber dans l'obscurantisme inquisitorial que M. Fontanet semble me prêter.

Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve). Le projet de loi tente de résoudre un vrai problème comme le débat nous le démontre, celui de la transparence et la protection de la sphère privée, dans les rapports, des grâces accordées par le Grand Conseil. Je ne pense pas que nous puissions nous accuser les uns et les autres de préférer l'un ou l'autre de ces concepts; les deux doivent être gérés à propos de cette question, et le projet tente justement d'apporter une solution à des situations que nous vivons régulièrement et qui semblent difficiles.

Il a été tenté une première fois, il y a trois ans, d'y apporter une solution. La nouvelle solution tente de faire la part des choses. Le droit de grâce est un droit régalien - je ne reprendrai pas toutes les discussions qui ont déjà eu lieu - il ne doit pas être justifié; la grâce est accordée ou non; elle dépend de la conscience des députés qui ne doivent pas justifier leur décision.

Nous pourrions arriver en public avec le nom de requérant et la mention «recours en grâce accordé ou non accordé». Cependant, nous ne pouvons pas laisser une commission parlementaire prendre seule la décision à la place du Grand Conseil. Dès lors, il faut que l'ensemble des députés soient au fait des éléments qui doivent aboutir à leur décision. Il faut les leur expliquer en plénière, et, dans le cas où le nom figure, nous pouvons souhaiter une explication succincte, en n'évoquant qu'un ou deux éléments. Mais alors l'explication est insuffisante pour permettre aux uns ou aux autres de porter un jugement en leur âme et conscience.

Le projet de loi tente de faire la part des choses en disant qu'il faut débattre et que les députés, connaissent certains éléments pour prendre leur décision, lesquels ne devraient pas être liés au nom de la personne, pour les raisons qui ont été évoquées tout à l'heure, à savoir que ce n'est pas un procès. Il ne faut donc pas faire un amalgame avec la notion de grâce en disant que ceux qui proposent l'anonymat dans les débats sur la grâce proposent du même coup l'anonymat dans les procès, car tel n'est pas le cas. S'agissant de la grâce, les faits nouveaux pris en considération ne sont ni des faits criminels ni des faits relevant de la justice; ce sont des faits privés sur la santé, la famille, la vie privée qui sont exposés. Pourtant ils n'ont rien à voir avec le procès qui a eu lieu ni avec le jugement qui a été rendu.

Notre collègue, Mme Fabienne Bugnon, a rapporté sur ce sujet, et, au sein du groupe écologiste, nous avons eu les discussions de ce soir. Nous avons donc décidé de nous accorder une liberté de vote sur ce sujet, et je ne pense pas que, les uns ou les autres, nous puissions nous accuser mutuellement de vouloir cacher quelque chose ou d'empêcher le Grand Conseil de travailler.

M. Michel Ducret (R). Le peuple nous a délégué ce pouvoir de grâce, qui de fait lui appartient; et certains voudraient, ce soir, priver ce peuple que nous représentons de savoir envers qui nous exerçons ce droit en son nom.

En réalité, cette proposition est un déni de démocratie, tout juste digne de la conception qu'en avaient certains régimes, aujourd'hui heureusement quasiment disparus. Seuls les cas qui doivent être traités à huis clos devant la justice devraient pouvoir, le cas échéant, être traités de même en cas de recours en grâce.

J'aimerais rappeler encore que personne n'a relevé ici un aspect fondamental : nul n'est contraint de demander sa grâce. Lorsqu'on la demande, on sait parfaitement que cela se fait en public et qu'on fait appel au peuple que nous représentons. Si vous traitez à huis clos, dans l'anonymat, les demandes en grâce... (L'orateur martèle ces mots.) ...vous privez le peuple de son droit !

Mme Fabienne Bugnon (Ve), rapporteuse de majorité. (Ve). Il n'y a pas ici, ce soir, les bons députés, favorables à la transparence de la justice, et les mauvais, contre la transparence ! Certains discours sont à la limite de la condamnation, et je trouve cela désagréable.

J'aimerais reprendre ce qu'a dit M. Burdet en préambule, notamment que le Grand Conseil ne serait plus informé par ses représentants. C'est faux, puisque chaque groupe parlementaire est représenté à la commission de grâce et ses représentants sont censés faire un rapport lors du caucus.

Vous avez prononcé, Monsieur Burdet, à plusieurs reprises, le mot «justice»; M. Halpérin aussi. Si je peux accepter certaines critiques, il y en a une pourtant que je ne partage pas : les députés n'ont pas pour vocation de rendre la justice. Je persiste à penser que le droit de grâce n'est pas compris dans la procédure de jugement.

Vous avez dit, Monsieur Burdet - une chose très frappante, montrant que nous ne parlons probablement pas de la même chose - que nous souhaitons «punir» le public et la presse ! A quoi je réponds : non, nous souhaitons simplement protéger la personnalité des recourants. Je pourrais tenir le même discours que celui de M. Dupraz, en arrivant à une conclusion différente. Cette discussion nous montre que le débat n'est pas politique, mais éthique, puisque je suis rapporteuse d'une majorité comprenant le parti radical, le parti démocrate-chrétien et que les intervenants de ce soir proposent de voter pour la minorité. Nous devons donc examiner l'aspect éthique et non pas politique.

Je relèverai enfin quelques propositions, dont celle Mme Maulini-Dreyfus, évoquant la possibilité d'arriver en séance plénière en indiquant simplement que le recours en grâce est accordé ou non, mais je ne sais pas si c'est une bonne solution. Une autre solution m'a été suggérée tout à l'heure par un député qui pensait que nous devrions modifier l'heure à laquelle ces rapports sont lus. En effet, ils le sont au moment où les députés arrivent et s'installent, souvent dans un brouhaha indescriptible, ce qui peut être désagréable pour les familles se trouvant dans le public.

Quelle que soit l'issue du débat de ce soir, je crois que nous avons tous dit la même chose, à savoir que les rapports sont lus dans une atmosphère désagréable. Nous devons faire un effort pour y remédier. Et quel que soit le vote, j'espère que M. Fontanet ne tiendra pas le même discours dans trois ans !

M. Hervé Burdet (L), rapporteur de minorité. (L). Je n'entends pas polémiquer sur le problème de la grâce, sujet qui relève traditionnellement de la conscience individuelle au Grand Conseil. J'ai pris quelques notes pour répondre aux uns et aux autres, mais j'y renonce très volontiers. A mon avis, nous avons eu, au cours de ce débat, une large évocation des sensibilités de chacun.

Je voudrais quand même pour conclure - si cela peut être une conclusion - souligner que toute limitation du droit du public, de la presse ou du Grand Conseil à être informé complètement de l'identité des personnes et de la nature des délits que nous aurions à gracier, représente une régression en termes de civilisation et de justice !

Le président. Je mets aux voix la prise en considération de ce projet.

Ce projet est rejeté en premier débat.

16. Ordre du jour.

Le Le président. M. le conseiller d'Etat Claude Haegi devant représenter le Conseil d'Etat à un congrès à l'étranger, il doit impérativement quitter Genève à 20 h. Il a demandé au Bureau de reporter les points 30 à 34 à une prochaine séance, ce qui a été accepté par les intervenants. Je lui passe la parole pour qu'il puisse répondre à l'interpellation urgente de M. Spielmann.