République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 14 décembre 1995 à 17h
53e législature - 3e année - 2e session - 55e séance
P 1080-A
En date du 22 juin 1995, une pétition signée par M. Rémy Hildebrand, des Editions Transversales à Genève, était adressée au Grand Conseil au sujet de la création d'une Maison des artisans.
Les termes de la pétition sont les suivants:
PÉTITION
pour une «Maison des artisans»
Par ce courrier, je tiens à vous adresser une pétition destinée à mettre en valeur notre patrimoine artisanal, le rôle des artisans en ville, dans le canton de Genève et dans la région ainsi que l'importance de l'artisanat dans le tissu économique et culturel genevois.
La présentation des ateliers des artisans a fait déjà l'objet de deux brochures par le soussigné (voir «Petite encyclopédie régionale de notre patrimoine artisanal», Editions Transversales - Genève).
Après consultation des artisans présentés dans ces brochures, le soussigné et les artisans installés à Genève invitent votre commission à examiner les points suivants:
«Etude de mesures en faveur des artisans, notamment la création d'un lieu public appelé «Maison des artisans». Ce lieu permettrait de présenter le travail des artisans, leurs oeuvres, de monter des expositions thématiques (le fer forgé, la sculpture sur bois, le cuir, la dorure, la reliure, etc.) et de susciter des débats autour des métiers d'art, d'intéresser la jeunesse et de favoriser le travail entre artisans et publics, petites entreprises et jeunes à la recherche d'un travail.»
Dans un deuxième temps, le soussigné se tient à la disposition du Grand Conseil afin d'envisager une double enquête en relation avec cette pétition, soit une visite:
a) des ateliers des artisans signalés dans les tomes I et II de l'ouvrage cité dans le but d'apporter une information concrète aux membres de la commission, cela en empruntant la Route des Artisans;
b) de la Maison des artisans créée à Sion par les artisans valaisans et à Annecy par la Chambre des métiers de Haute-Savoie afin de rencontrer les responsables de ces deux centres d'animation en faveur de l'artisanat.
Les artisans déjà présentés dans la brochure citée et le soussigné restent bien entendu à la disposition du Grand Conseil.
Editions Transversales
M. .
La commission des pétitions, sous la présidence de Mme Liliane Johner, puis sous celle de Mme Janine Hagmann, a examiné cette pétition les17 octobre et 13 novembre 1995.
Audition du pétitionnaire
Le 13 novembre 1995, M. Rémy Hildebrand est venu témoigner de l'utilité d'une Maison des artisans. Il était accompagné de Mme Catherine Vidal, secrétaire générale de «Pour une Maison genevoise de l'Artisanat», de M. Marcel-Amy Favre, maître imprimeur, et de M. Thierry Nivet, président de l'Union compagnonnique de Genève. A cette occasion, le pétitionnaire a remis aux commissaires une documentation qui comprenait notamment un «Budget de fonctionnement prévisionnel» (annexe)
M. Hildebrand se réfère à une «ancienne pétition» dont il dit que le projet était particulièrement élaboré. Il estime que son projet est plus simple. Son but est de créer un lieu de rencontres où les artisans pourraient échanger leurs idées, exposer leurs travaux, les vendre éventuellement, recevoir et discuter avec des jeunes en quête de formation, et ainsi revaloriser leurs métiers d'art.
Son budget prévisionnel est établi par analogie avec celui des «Magasins des artisans valaisans», initiative de l'Association des artisans valaisans.M. Hildebrand se réfère également au rapport de gestion de l'office de promotion pour l'industrie qui fait état d'une subvention cantonale de 49%.
M. Favre, actuellement à la retraite, envisage de faire un petit musée de l'imprimerie dans son local et de donner aux jeunes des informations sur le métier d'imprimeur.
M. Nivet informe la commission que l'Union compagnonnique constitue la plus ancienne association ouvrière en activité et qu'il est de leur devoir de revaloriser les métiers manuels.
Les commissaires rappellent à M. Hildebrand l'existence du Centre genevois de l'artisanat. Le pétitionnaire estime que ce centre ne joue pas le rôle qu'il désire voir jouer par la Maison des artisans et demande une subvention de 60 000 F.
Tout en rendant hommage aux auditionnés d'envisager des moyens de favoriser l'artisanat et une meilleure coordination entre les artisans ainsi qu'une meilleure connaissance mutuelle de leur métier, la commission les rend attentifs aux difficultés économiques actuelles.
Délibérations de la commission
Il est utile de rappeler ici la pétition 873 intitulée «Pour la sauvegarde de l'artisanat d'art» et déposée le 19 juin 1990 à l'autorité législative parM. Walter Probst, président de l'Association genevoise pour la sauvegarde de l'artisanat d'art. A la suite du dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement, une autre pétition, intitulée «L'artisan dans la Cité 1992» et signée par M. Probst également, a été soumise à la commission de l'économie. Aussi bien la commission des pétitions que celle de l'économie ont répondu aux problèmes posés. Le Grand Conseil, dans sa séance du 13 mai 1993, a décidé de déposer également cette nouvelle pétition sur son bureau à titre de renseignement. La pétition discutée ici est donc la troisième portant sur ce sujet en cinq ans.
Les commissaires sont sceptiques sur la création d'une «Maison des artisans». Ils considèrent:
a) que le pétitionnaire n'a pas défini ses objectifs avec précision;
b) que le budget prévisionnel du pétitionnaire n'est pas réaliste;
c) qu'aucun immeuble n'a été trouvé pour l'instant ni aucun budget n'a été envisagé pour celui-ci;
d) que le Centre genevois de l'artisanat sis en l'Ile remplit très bien son rôle de vitrine qui permet de faire connaître les artisans. Renseignement pris auprès de ce centre, il est confirmé qu'il s'agit d'une association d'artisans dont les membres paient une cotisation, que cette association existe depuis 28 ans et qu'elle reçoit une subvention de la Ville de Genève, que ce centre est ouvert à toutes propositions pour élargir son cercle, que les candidats doivent satisfaire à des exigences professionnelles pour en devenir membres, exigence que les artisans rempliraient pour la plupart;
e) que le présent projet devrait notamment intéresser les communes dont plusieurs ont déjà des centres de ce genre;
f) qu'il y a un manque de coordination entre les organismes existants et que ce n'est pas le rôle du Grand Conseil d'établir et de développer des liens entre ceux-ci.
Enfin, tous les commissaires s'accordent à dire que la dimension régionale de ce projet le rend intéressant et certains souhaiteraient le voir renvoyé au département de l'intérieur, de l'environnment et des affaires régionales (DIER). La suggestion de renvoi de la pétition «Pour une Maison des artisans» au DIER est mise au vote. Elle est refusée par 8 voix contre 6.
Conclusion
La commission des pétitions a voté, par 14 voix pour et une abstention, le dépôt de la pétition 1080 «Pour une Maison des artisans» sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement et vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, d'approuver ce dépôt.
ANNEXE
Débat
Mme Vesca Olsommer (Ve). Je regrette que ce point soit traité à la va-vite, en fin de soirée. Les artisans et les gens des métiers d'art ont de graves difficultés économiques, et j'aurais voulu que l'on prenne au moins la peine de leur répondre.
Personnellement, j'aurais eu à coeur de rappeler qu'en 1992 la commission de l'économie avait traité une pétition provenant de l'Association pour la sauvegarde de l'artisanat d'art du canton de Genève. Nous avions travaillé en ayant véritablement le souci de ce secteur économique. A l'époque, nous avons reçu un certain nombre de réponses de M. Jean-Philippe Maitre, réponses que j'aurais souhaité rappeler pour que le Grand Conseil manifeste son soutien et sa solidarité avec la branche de l'artisanat d'art, secteur éminemment menacé.
Vu l'heure tardive, je dirais simplement qu'en 1992 la commission de l'économie avait cru trouver une piste à laquelle elle tenait beaucoup. Il s'agissait du fonds de décoration du département des travaux publics. Nous le sollicitions non seulement pour les artistes mais aussi pour les artisans.
Trois ans se sont écoulés depuis. Aussi voudrais-je savoir si cette piste a été suivie, si des résultats ont été obtenus et où en est la demande du Grand Conseil.
M. Armand Lombard (L). Tout comme Mme Olsommer, je regrette les conditions présentes, dont personne n'est responsable.
Le défaut de la pétition «Pour une Maison des artisans» est de ne pas résoudre les problèmes qu'elle pose elle-même, en demandant une Maison et en mentionnant un budget correspondant à un fonctionnement prévisionnel. Ce projet ne tient pas la route.
C'est pourquoi la commission des pétitions a fourni un faible travail créatif. Au lieu de renvoyer la pétition à la commission de l'économie, par exemple, elle a trouvé le moyen de l'expédier en disant : «C'est la troisième fois, alors allez-vous en, vous, Messieurs, et votre Maison des artisans !» Faute d'un projet viable, on peut comprendre cette réaction.
Je reconnais, avec ma collègue Mme Olsommer, que le problème de l'artisanat est important, que la branche crée aussi des emplois, que le savoir-faire se perd et qu'il est ardu de se le réapproprier. A l'évidence, il est regrettable de traiter un tel problème en déposant simplement cette pétition.
D'ailleurs, je ne propose pas d'en faire plus. Par contre, je souhaite vivement que le département de l'économie publique reprenne ce projet avec les pétitionnaires. Les communes, qui pratiquent des politiques industrielle et artisanale, pourraient aussi agir en faveur de ce projet et ne pas le laisser tomber. Je pense également à l'OPI, dont la vocation, certes, est autre. Néanmoins, on pourrait lui demander de chercher des solutions pour créer des emplois dans l'artisanat, cela en faisant abstraction de la Maison sise aux Halles sud, plus tournée vers la bijouterie.
On ne peut pas faire grand-chose de cette pétition maintenant, mais je souhaite que ceux qui s'intéressent à cette problématique se tournent vers le département de l'économie publique, les communes et l'OPI.
M. René Longet (S). Je m'associe à ce qu'ont dit Mme Olsommer et M. Lombard. Tout comme eux, je regrette que cette pétition n'ait pas eu le suivi qu'elle méritait.
Elle a été analysée d'une manière trop formaliste. La commission s'est limitée à examiner les propositions de ses auteurs, au lieu d'étudier le problème plus globalement, sous l'angle économique et culturel. Comme l'a souligné M. Lombard, la perte d'un savoir-faire équivaut à la disparition d'un élément culturel.
A mon avis, deux possibilités s'offrent :
- soit M. Maitre nous dira demain, dans le cadre du budget, qu'il est ouvert, en tant que chef du département de l'économie, à la «fédération» des projets;
- soit des députés s'assemblent pour déposer une motion, afin que les artisans-créateurs trouvent le relais qu'ils méritent au niveau des pouvoirs publics.
Mme Vérène Nicollier (L), rapporteuse. Je voudrais simplement insister sur le fait que la pétition ne parle pas de perte d'emplois, mais propose un regroupement. Pour ce faire, elle cherche une Maison. Ses conclusions ne correspondent donc pas tout à fait à ce que viennent de dire mes préopinants.
On peut, certes, étudier nos propositions plus avant, mais en reconsidérant les invites de notre pétition.
Mme Janine Hagmann (L). Je comprends les arguments de mes collègues, mais, Madame, vous n'étiez pas à la commission des pétitions !
Cette dernière a traité un problème spécifique. Nous avons auditionné les pétitionnaires. La pétition, signée par M. Probst et déposée en 1990, a connu le même sort. La commission est liée au budget, étant elle-même dans l'impossibilité de le modifier; cela ne fait pas partie de ses compétences. Vous vous souviendrez que notre Grand Conseil a traité longuement du projet d'une Maison de la musique, lequel n'a pas abouti en raison, précisément, de la problématique budgétaire. Nous avons ici le même problème et je n'accepte pas que l'on dise que la commission des pétitions n'a pas bien travaillé. Elle a procédé aux auditions nécessaires, rempli son devoir et, à l'unanimité, a décidé de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.
Si M. Maitre veut nous donner quelques renseignements supplémentaires, c'est bien volontiers que nous l'écouterons.
Mme Anita Cuénod (AdG). Nous rendons hommage au travail de la commission des pétitions qui, probablement, a fait tout ce qui était en son pouvoir pour traiter cette pétition.
Néanmoins, nous demandons le renvoi de la pétition à la commission de l'économie.
Le président. Je vous rappelle que, selon l'article 172 de notre loi portant règlement du Grand Conseil, seul ce dernier vote une des propositions de la commission et non celle d'un député. Présentement, la proposition de la commission est le dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil.
Mme Vesca Olsommer (Ve). Je ne critique absolument pas le travail de la commission des pétitions. Comme je l'ai dit, j'aurais eu à coeur de savoir ce que le département des travaux publics a fait des propositions de la commission de l'économie, laquelle avait ouvert une piste méritant, à mon avis, d'être explorée, notamment celle relative au Fonds de décoration cantonale.
En aucun cas, Madame, je ne remets votre rapport en question.
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. A entendre ce qui a été exprimé par certains députés, je suis frappé par la méconnaissance de ce qui est accompli, aujourd'hui, par plusieurs collectivités publiques, qu'elles soient cantonales ou communales, dans le domaine de l'artisanat. Il n'existe pas moins de sept domaines d'intervention de la collectivité genevoise dans ce cadre !
Il y a tout d'abord les zones industrielles qui sont ouvertes aux artisans et, en tant que président de FIPA, je puis vous dire que, dans la zone Praille-Acacias, nous avons accueilli de nombreux artisans à des conditions extrêmement avantageuses sur le plan du loyer et du droit de superficie.
Vous avez aussi des fondations communales qui, précisément, accueillent des activités artisanales. Votre Grand Conseil a d'ailleurs eu pour mission d'adopter des statuts créant des fondations de droit public sur le plan communal.
Dans le domaine de la formation, des prestations extrêmement importantes sont fournies en matière d'artisanat, que ce soit dans le cadre des écoles d'art, en général, ou des écoles techniques et de métiers débouchant sur des professions artisanales, ou que ce soit dans le cadre du Fonds en faveur de la formation et du perfectionnement professionnel, ouvert aux projets de perfectionnement dans le domaine de l'artisanat.
Autre domaine d'intervention : nous avons ouvert l'accueil à des prestations et des modes d'expression artisanaux à l'office pour la promotion de l'industrie.
Certains artisans bénéficient de commandes en provenance du Fonds de décoration cantonal, auquel il a été fait allusion.
Je cite encore le prix de l'artisanat, créé conjointement par le canton et les communes, et qui a pour mission de valoriser, chaque année, des oeuvres artisanales, etc.
Comme l'a rappelé Madame le rapporteur de la commission des pétitions, les pétitionnaires demandaient tout autre chose, à savoir une Maison de l'artisanat. C'est une ancienne revendication d'une association et elle s'est quelque peu diluée depuis. M. Hildebrand, signataire de la pétition, n'est plus membre de cette association qui a connu quelques problèmes.
Pour des raisons budgétaires, mais aussi pour des raisons politiques et de principe, nous n'entendons pas, comme déjà dit, favoriser la création d'une Maison de l'artisanat - dont le besoin ne se justifie pas dans notre canton - avec les deniers de l'Etat. D'autres infrastructures existent et jouent leur rôle. Nous ne voulons pas baisser la garde concernant notre soutien à l'artisanat, mais nous n'entendons pas donner suite à la pétition, dans le sens de la création d'une Maison de l'artisanat.
De ce point de vue, les conclusions de la commission des pétitions sont tout à fait correctes.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.