République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 1 décembre 1995 à 17h
53e législature - 3e année - 2e session - 53e séance
I 1942
Le président. M. Luc Gilly étant malade, nous avons reçu de sa part la lettre suivante :
Genève, le 30 novembre 1995
Lettre adressée au Conseil d'Etat de Genève
et à son Grand Conseil
Mesdames et Messieurs,
C'est avec regrets que je ne peux assister aux séances du Grand Conseil et, particulièrement, participer au débat de ce soir, concernant le défilé militaire et son échec. Je sors en effet de 15 jours d'hospitalisation et un repos imposé m'éloignera de mon travail et du parlement pour quelques jours encore.
Cela étant dit, j'espère que ce soir le parlement acceptera de discuter, avec tout le sérieux possible, sans le mépris permanent et la légèreté politique rencontrée depuis le mois de juin face aux opposants du défilé militaire et leur réflexion.
Dès le feu vert accordé au mois de juin par le Conseil d'Etat (après six mois de pressions exercées par le colonel Duchosal !) de nombreux signes politiques furent adressés aux autorités, demandant l'interdiction de cette mascarade militaire.
Beaucoup de Genevoises et de Genevois pensaient que Genève avait autre chose à montrer à son peuple que le nouvel arsenal monstrueux du bataillon III, fût-il genevois !
Jamais lors de mes (nos) interpellations ou motion, M. Ramseyer ou M. Vodoz n'ont répondu à la question essentielle, à savoir :
«Le Conseil d'Etat assume-t-il pleinement la responsabilité de heurter de front le sentiment de la population genevoise qui est plus que critique à l'égard de l'armée ?»
Ce même Conseil d'Etat n'a pas tenu compte une seconde de la résolution votée par le Conseil municipal demandant que le défilé ne se déroule pas sur le territoire de la Ville de Genève.
J'accuse ce même Conseil d'Etat et surtout M. Gérard Ramseyer de s'être assis - et je reste poli ! - sur les neuf mille sept cents signatures récoltées en moins de vingt jours, sans en tirer à nouveau le moindre signal politique. C'est bafouer les droits démocratiques les plus élémentaires, c'est mépriser toute une partie de la population dans son expression la plus pacifique. Etonnez-vous après du désintérêt des gens pour la politique ! Etonnez-vous de l'augmentation du taux d'abstentions lors des votations !
Le Conseil d'Etat, aveuglé par sa suprématie monocolore, n'a pas voulu voir, entendre, ni tenter un tant soit peu de comprendre et d'analyser la situation. Pourtant il savait, puisqu'il a mobilisé toute sa police et tout son matériel lourd anti-émeute, jusqu'à l'hélicoptère, équipé d'un puissant projecteur, que je voyais tourner comme une abeille depuis mon lit d'hôpital, l'hôpital cantonal étant en état de pré-alerte...
Quel gâchis, Monsieur Ramseyer ! Vous avez en effet mis à exécution le contenu de votre allocution prononcée le 16 novembre à Palexpo. «La police doit être proche des citoyens !» Ce mardi 21 novembre, elle le fut en effet !
La violence ? Il serait trop simple de la dénoncer seulement en termes de vitrines cassées et d'une voiture militaire incendiée ! La violence est bien le choix de cette société qui continue d'exclure de plus en plus de gens par la sacralisation du libéralisme économique, qui impose à la majorité une situation sociale inacceptable. L'armée étant le chien de garde suprême et indispensable pour garantir cet ordre économique.
Comment alors expliquer que nos autorités continuent d'accepter un gaspillage de 35 millions par jour pour leur armée et la formation, pour le 1er janvier 1996, d'un corps de police militaire de huit cents soldats suréquipés pour nous protéger des futurs troubles sociaux et nous épargner des hordes de réfugiés qui veulent nous envahir (DMF dixit) !
La violence de l'ultralibéralisme triomphant, avec tous ses risques, méprise le contrat social minimum. Où passent donc la dignité, l'épanouissement et le respect de la personne ? La solidarité n'est qu'un mot ringard, n'est-ce pas ? Et surtout elle ne rapporte pas de bénéfices !
Merci à celles et ceux qui auront écouté cette lettre bien incomplète, je le sais !
Cette interpellation est close.