République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 10 novembre 1995 à 17h
53e législature - 3e année - 1re session - 49e séance
M 1025
LE GRAND CONSEIL,
vu :
- l'exiguïté du terrain à bâtir disponible dans notre canton;
- le fait que de nouvelles constructions peuvent considérablement changer le caractère d'un site;
- la difficulté pour les décideurs sur le plan communal et cantonal d'imaginer l'ampleur ou l'impact d'une future construction sur un site à la seule lecture des plans;
- le caractère définitif, donc (presque) irréversible, de l'emprise d'une construction sur la nature et l'environnement;
- la volonté du Grand Conseil de tout faire pour pouvoir léguer à nos enfants un environnement vivable;
- que la Feuille d'avis officielle n'est pas la lecture de chevet des citoyens, et de ce fait, ceux-ci ne sont pas toujours informés à temps des projets soumis à une autorisation de construire dans leur région;
- que le citoyen souhaite une gestion du territoire et une politique d'urbanisme transparentes;
- qu'une meilleure information de la population concernant les projets de construction favorise la concertation et peut éviter des recours;
- que cette façon de procéder fonctionne très bien dans plusieurs cantons suisses,
invite le Conseil d'Etat
à instaurer systématiquement la pose de gabarits, aux frais de l'Etat ou du requérant selon les cas, avant même la mise à l'enquête publique;
à demander l'affichage du projet à réaliser ou son contenu sur le lieu de construction prévu, en même temps que la pose du panneau «autorisation de construire no ...».
EXPOSÉ DES MOTIFS
Ce projet de motion concerne l'aménagement du territoire dans le canton de Genève, et notamment les enquêtes publiques sur les PLQ (plans localisés de quartier) et les autorisations de construire.
Pendant l'enquête publique selon les procédures évoquées plus haut, le conseiller d'Etat chargé du département des travaux publics et de l'énergie.
Vous n'êtes certainement pas sans savoir que, dans certains cantons, la pose de gabarits est obligatoire avant même la publication des diverses enquêtes.
VD: le DTPE peut exiger le profilement ou des montages photographiques de la construction projetée aux frais de la personne sollicitant le permis de construire.
NE: la pose de perches-gabarits peut être demandée par la municipalité; dans certains règlements de communes la pose obligatoire est prévue...
BE: obligatoire en même temps que la publication...
ZH: pose de gabarits obligatoire avant la publication des enquêtes...
Ainsi, avant toute décision définitive et avant qu'il ne soit trop tard, tout le monde pourra se rendre compte directement sur le terrain de l'étendue et de l'impact d'une éventuelle construction ou urbanisation.
Par ailleurs, l'obligation d'afficher le projet ou son contenu en même temps que la plaque de contrôle, nettement visibles de la voie publique, s'inscrit dans la même volonté de transparence et d'information.
Il est en effet impossible que toutes les personnes concernées direc-tement ou indirectement par des projets, décideurs ou habitants, soient des spécialistes en construction ou en aménagement du territoire.
Vu l'importance de l'impact de certains projets sur l'environnement de la région concernée ou du canton, il semble légitime que toute la population et les autorités (autorités communales et cantonales, législatives et exécutives) puissent se faire une juste image de l'ampleur de ces programmes de construction et de leur impact sur le site.
La pose de gabarits permettra de juger de l'intégration du projet sur le plan urbanistique:
- modification du caractère du site;
- discontinuité dans le tissu urbain, etc.
Elle pourra éventuellement faciliter l'élaboration d'une EIE (étude d'impact sur l'environnement).
La visite des lieux par la commission parlementaire habilitée à rendre des préavis sur des PLQ aura encore plus sa raison d'être et toute son importance après la pose des gabarits.
Nul ne peut interdire à un propriétaire de terrains de faire fructifier son bien en respectant un cadre légal bien défini. Il n'est pas non plus question de vouloir s'opposer à tout projet harmonieux, bien intégré dans le cadre et respectueux de l'environnement. La pose de gabarits et, par là, une meilleure information de la population ne peuvent qu'être profitables à une bonne gestion de notre patrimoine.
C'est pour toutes les raisons évoquées ci-dessus que nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, d'accueillir favorablement ce projet.
Débat
Mme Elisabeth Häusermann (R). M. Philippe Joye nous a dit que nous aurions un architecte cantonal de grand gabarit; je souhaite que nous ayons aussi, plus simplement, des gabarits dans notre canton !
En Suisse, quatorze cantons ont adopté ce procédé.
Tout d'abord, quelques constats. Ce pays est régi par une des plus vieilles démocraties du monde. Ses lois sont faites pour que tout un chacun soit respecté et égal devant elles. La voix du peuple y est entendue... (Brouhaha.) ...et, si vous pouviez m'écouter aussi, j'en serais ravie. Voilà les raisons pour lesquelles nous pouvons être fiers de nos institutions et, par conséquent, soucieux d'en préserver le bon fonctionnement. Les procédures de gestion de ce pays doivent donc être justes et transparentes pour chacun.
Vous vous demandez en quoi cela concerne la motion 1025. En ceci : le souci de transparence et d'égalité a certainement guidé la rédaction de l'article 4 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire qui veut «...assurer l'information et la participation de la population». C'est pour répondre à cette légitime demande de transparence et d'information correcte à l'ensemble de la population que nous avons rédigé notre motion, comme concrétisation du principe érigé par la loi.
Le domaine bâti fait partie de notre patrimoine environnemental. En effet, il n'est pas indifférent de devoir vivre dans une agglomération qui plaît ou qui déplaît. C'est à ce titre que je me suis intéressée à ce qui se passe chez nos Confédérés. J'ai donc fait, la semaine dernière, par téléphone, un «tour de Suisse» complet des départements des travaux publics et, plus particulièrement, de leur service juridique. Je tiens les articles de loi ou de règlement concernant ce sujet à votre disposition.
La pose obligatoire de gabarits sur le terrain est une solution peu coûteuse et très explicite. Elle a été adoptée sur la globalité de leur terrain par vingt-deux des vingt-six cantons que compte la Suisse. Dans deux autres cantons où l'autonomie communale est très forte, la question est réglée commune par commune. Ainsi, en Valais, si Sion exige la pose de gabarits, Sierre ne l'impose pas.
Tous les responsables s'accordent à dire que les gabarits piquetés sur le terrain sont un des moyens les plus efficaces et les plus sûrs, tout en étant modestes et simples, pour informer les gens concernés sur place que «quelque chose» va se construire, avant ou du moins pendant les procédures d'enquêtes pour autorisation de construire ou autres. La pose de gabarits doit permettre aux voisins et aux autres personnes intéressées de se faire une image du projet et d'indiquer la situation et les dimensions extérieures de la construction ou de l'installation projetée. Ce procédé n'est en rien comparable à un dur réveil matinal... (Brouhaha.)
Le président. S'il vous plaît, pourriez-vous fermer la porte de la salle Nicolas Bogueret ? Merci. (Un coup est frappé.)
Une voix. Aie ! (Rires.)
Le président. Poursuivez, Madame !
Mme Elisabeth Häusermann. Cette manière d'informer n'est en rien comparable à un dur réveil matinal au son des trax et autres machines lourdes de chantier, réveil souvent trop tardif pour engager d'éventuelles interventions légales. Sachez que, dans certains cantons, en plus de la pose obligatoire de gabarits, l'information des gens concernés se fait aussi par lettre recommandée. Il est peut-être vrai que cette façon d'agir pourrait susciter plus de recours, mais il est certainement vrai, également d'après les experts contactés, que ces recours seraient réglés plus rapidement grâce aux gabarits.
Un autre argument joue en faveur de la pose de gabarits : la définition de la portée de l'ombre sur le terrain. La tentation est grande de construire un maximum sur le sol exigu dont dispose Genève. Le respect de notre qualité de vie exige pourtant certaines restrictions : sauvegarder un minimum d'ensoleillement aux habitations existantes en est une. Ainsi, le canton de Bâle est-il allé jusqu'à inscrire cette exigence dans son décret accompagnant la loi sur la construction de bâtiments de plus de cinq étages : «Le jour moyen d'hiver - 8 février ou 3 novembre - l'ombre d'un tel futur bâtiment ne doit pas rester plus de deux heures sur n'importe quel point d'un bâtiment avoisinant ou d'une parcelle constructible». Ce constat peut se faire à l'aide des gabarits.
Même si je ne suis pas une spécialiste du bâtiment, j'ai néanmoins le droit et le pouvoir, en ma fonction de conseillère municipale d'Onex et de députée de ce Grand Conseil, de statuer sur des préavis importants d'aménagement du territoire. A la seule lecture de plans et de coupes, je pense que beaucoup de citoyens, appartenant comme moi aux autorités, ne peuvent se faire une juste image de l'ampleur d'un projet, en volume et en hauteur.
N'étant pas spécialiste en la matière, j'ai fait un tour d'horizon des experts en gabarits. D'après eux, rien ou presque n'est impossible : ainsi, derrière la gare de Winterthur, pour un nouveau bâtiment PTT, les gabarits posés atteignent une hauteur de 90,6 mètres; entre les cantons de Soleure et d'Argovie, des gabarits seront posés dans l'Aar pour la construction d'une usine hydraulique; etc.
Concernant les frais supplémentaires envisageables, il est vrai que plus un bâtiment est haut et découpé, plus le coût est élevé. Selon divers devis concrets, la pose de gabarits coûte, pour une maison familiale carrée, entre 500 et 800 F suivant le terrain. Dire que cela va doubler les prix de la construction me paraît exagéré. Afin de compléter votre information, je tiens à votre disposition dans mon dossier des devis de plusieurs sociétés contactées en vue de réaliser différents types de projets, entre autres ceux d'une holding genevoise bien connue qui contrôle diverses sociétés de construction implantées en Suisse et à l'étranger. Je prétends que le savoir-faire peut se transmettre même à travers la «barrière de rösti».
Voilà pour les explications. Mesdames et Messieurs les députés, cette motion 1025 défend une idée démocratique et ne se veut pas du tout une injure au milieu professionnel du bâtiment. Pour en discuter plus en détail, je vous propose de la renvoyer en commission.
Le président. Mesdames et Messieurs, notre objectif est de terminer les points concernant le département des travaux publics et de l'énergie et d'aborder deux points du département des finances. Essayez donc d'accélérer vos interventions, s'il vous plaît !
M. Michel Ducret (R). Je dois vous dire d'emblée que je suis tout à fait opposé à la prise en considération de cette motion. (Protestations.)
Le seul résultat qu'elle aurait, finalement - il est d'ailleurs avoué dans la motion - serait d'imposer aux yeux hagards des citoyens, qui préfèrent généralement «Dallas» à la lecture de la «Feuille d'avis officielle», une information suffisamment attractive pour les inciter à formuler des oppositions et d'aider des conseillers municipaux insuffisamment formés à comprendre ce qu'ils votent - fol espoir si j'en juge par mon expérience. Il n'y a pas grand-chose à attendre dans ce sens.
Elle engendrera simplement quelques coûts supplémentaires et des délais plus longs, alors que tout le monde aujourd'hui, des milieux immobiliers aux syndicats, s'accorde à dire qu'il faut réduire les délais, simplifier les procédures administratives et réduire tant les coûts de production que les coûts administratifs.
En outre, la pose de gabarits reste quelque chose de pratiquement inapplicable en ce qui concerne les zones 1 à 3 où se construisent généralement des immeubles jusqu'à 21 mètres à la corniche, comme les immeubles sociaux de la zone 3 de développement. En ce qui concerne les zones 4 et 5, les voisins, qui sont fondés à formuler des oppositions, connaissent généralement les projets bien avant que le département des travaux publics et de l'énergie ne soit saisi d'une demande d'autorisation.
Enfin, particulièrement à Genève, cette proposition est très mal fondée quand on sait que la Ville de Genève dispose d'une maquette de la quasi-totalité de la commune, qui permet de travailler en maquettoscopie pour voir l'impact d'un bâtiment sur l'urbanisme du quartier. Et à une époque où la simulation informatique devient très performante et se généralise, il est particulièrement ridicule de faire appel aux gabarits.
Il n'y a pas si longtemps un autre député de mon groupe avait déposé un projet de loi sur ce même sujet. Or, vu l'unanimité de l'opposition des groupes de ce Grand Conseil de gauche à droite, il aurait dû le retirer sous la forte pression. Il n'avait guère trouvé d'appuis, et pense aujourd'hui que ce projet était une erreur; je le crois aussi !
Je vous invite donc à ne pas entrer en matière sur cette proposition à contre-courant du progrès et à voter immédiatement son renvoi, là où elle aurait dû rester, à la poubelle !
M. Pierre Meyll (AdG). Je ne voudrais pas m'immiscer dans ce duel fratricide entre M. Ducret et Mme Häusermann, mais je considère que la pose de gabarits est une idée opportune, car elle permettrait de pouvoir constater l'ampleur des constructions. Dans certains cas, des ballons suffisent : ça vole, c'est joli, et on voit où on en est ! Certaines perspectives seraient mieux mises en évidence.
M. Ducret nous dit que ce n'est pas nécessaire pour la Ville de Genève, mais elle n'est pas la seule commune de notre canton. Dans certains cas, la pose de gabarits serait même utile. La seule chose que je demande pour pouvoir accepter cette motion, c'est de biffer les mots «aux frais de l'Etat» dans la première invite. Ainsi modifiée, on la renvoie au Conseil d'Etat de telle sorte qu'elle puisse être examinée par le département des travaux publics et de l'énergie.
M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. En préambule, je tiens à remercier Mme la députée pour les renseignements qu'elle nous a donnés, et je mets à sa disposition le régime exact de quatorze cantons. Vous verrez ainsi que tout n'est pas noir ou blanc. Il existe d'importantes variations selon les communes ou l'appréciation de l'autorité compétente.
Je remercie M. le député Dessimoz de m'avoir rappelé l'article 2, alinéa 4, qui spécifie : «Le département peut exiger, aux frais du requérant, un piquetage sommaire de la construction ou de la station projetée et, dans certains cas, la pose de gabarits.» A titre personnel, j'approuve la conclusion à laquelle nous avions déjà abouti en mai 1988, mais c'est bien évidemment à votre Conseil d'en décider.
Le président. La parole n'étant plus demandée, nous allons voter sur l'amendement proposé par M. Pierre Meyll qui consiste à modifier la première invite en supprimant les mots :
«aux frais de l'Etat».
Mis aux voix, cet amendement est adopté.
Le président. Nous passons maintenant au vote sur la proposition de motion amendée.
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
Le sautier compte les suffrages.
Mise aux voix, cette proposition de motion ainsi amendée est rejetée par 37 non contre 36 oui.