République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 10 novembre 1995 à 17h
53e législature - 3e année - 1re session - 48e séance
R 303
EXPOSÉ DES MOTIFS
Depuis 2 ans déjà, le Tribunal fédéral a cassé le jugement genevois concernant M. Sébastien Hoyos, l'employé brésilien de l'UBS.
Le 25 mars 1990, l'équivalent de 31 millions de francs suisses en monnaies étrangères auraient, selon l'UBS, disparu de son siège principal à Genève à l'issue d'un brigandage qualifié à l'époque de hold-up du siècle. Aucune coupure n'a été à ce jour retrouvée.
Suite au hold-up, M. Hoyos était emprisonné le 29 mai à la prison de Champ-Dollon. On lui reprochait d'avoir participé à la préparation du hold-up en fournissant au «cerveau» de l'affaire un plan des alarmes et d'avoir accepté de se faire frapper par l'un des gangsters. (Depuis, M. Hoyos souffre d'une surdité partielle d'une oreille.) En mai 1992, il est condamné à 7 ans et demi de réclusion pour brigandage, sans preuve formelle de complicité.
N'ayant jamais cessé de proclamer son innocence, ses avocats ont obtenu le 11 octobre 1993 l'annulation du jugement genevois par le Tribunal fédéral. Cette décision eut pour effet de le faire redevenir simple inculpé. La Chambre d'accusation de Genève refusant sa libération le maintint en détention à titre préventif en raison du risque de fuite. Le renouvellement de cette décision n'ayant pas été demandé, M. Sébastien Hoyos fut libéré le10 mars 1994 . Plus tard, il s'est rendu librement, et avec l'assentiment d'un juge, au Brésil à l'invitation d'une organisation des droits de l'homme de son pays. Revenu à Genève pour être à la disposition de la justice genevoise, il a apporté la preuve que le risque de fuite était sans fondement.
Cet homme qui a subi 4 ans de prison en exécution d'un jugement annulé par le Tribunal fédéral reste inculpé de complicité avec deux Corses arrêtés par la police française puis libérés, aucune charge n'ayant été retenue à leur endroit. La date du procès de réhabilitation de M. Sébastien Hoyos attend, pour être fixée, l'aboutissement de procédures compliquées (com-mission rogatoire) avec la France en vue d'entendre le témoin niçois qui aurait dit à un inspecteur de la Sûreté genevoise que les auteurs présumés du hold-up avaient mis en cause un Brésilien. Or, comment ces auteurs présumés peuvent-ils avoir eu un complice dans un brigandage qu'ils nient avoir perpétré et pour lequel ils ont d'ailleurs été mis hors de cause ?
Si M. Hoyos jouit actuellement de sa liberté, il reste un homme inculpé. Ses chances de retrouver un emploi sont pratiquement nulles; ses indemnités de chômage, basées sur un salaire de détenu, sont très basses. Après 4 ans de détention, l'opprobre d'une grave inculpation continue à peser sur un homme qui a droit que justice lui soit rendue et que les graves préjudices qu'il a subis - ils ne sont pas que matériels, M. Hoyos souffrant d'importants pro-blèmes de santé - soient réparés.
Débat
Mme Mireille Gossauer-Zurcher (S). Voilà deux ans, notre Grand Conseil était saisi d'une pétition concernant M. Hoyos. A cette époque, il était encore détenu à Champ-Dollon, après que le Tribunal fédéral eut cassé le jugement genevois. Vingt-cinq mille concitoyens de M. Hoyos et des personnalités genevoises invitaient le Grand Conseil à porter son attention sur des faits qui constituaient, à leurs yeux, des violations graves des droits de la défense et de la présomption d'innocence garantie par la Constitution, la Convention européenne des droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié, notamment, par le Brésil et la Suisse.
En avril 1994, un rapport était déposé, à titre de renseignement, sur le bureau du Grand Conseil. La rapporteuse de majorité concluait, je cite : «La commission se plaît toutefois à espérer que le nouveau procès de M. Hoyos aura lieu le plus rapidement possible.» Voilà plus d'un an et demi que ce souhait a été exprimé...
Depuis, M. Hoyos vit en liberté, certes, mais toujours inculpé dans l'affaire du hold-up du siècle. Il a prouvé qu'il ne se soustrairait pas à la justice. Clamant son innocence depuis cinq ans, il attend un nouveau procès - et non pas un procès en réhabilitation, comme malencontreusement indiqué dans l'exposé des motifs.
La justice a présenté plusieurs demandes de commissions rogatoires à Paris, mais sans avoir jamais obtenu de réponse. Pour agir, doit-elle dépendre de carences étrangères ou respecter un délai ?
Aujourd'hui, M. Hoyos est âgé de soixante ans. Il perçoit des indemnités de chômage très basses et est gravement malade.
C'est pourquoi, en respect des droits de M. Hoyos, nous vous remercions de bien vouloir soutenir cette résolution.
Mme Janine Hagmann (L). Décidément, M. Hoyos est un homme qui fait parler de lui ! Condamné par la Cour d'assises genevoise, en mai 1992, à sept ans et demi de réclusion par un jury populaire - et j'insiste sur le mot «populaire» - pour avoir participé au «casse» de l'UBS, il a été libéré, suite à un recours qui a permis au Tribunal fédéral de casser le jugement, et doit, en effet, être jugé à nouveau.
Je vous rappelle que la séparation des pouvoirs est l'un des fondements les plus importants de notre démocratie. Ce n'est pas parce que nous avons reçu en son temps une pétition, signée par vingt-cinq mille personnes et emmenée par un avocat député et premier secrétaire de l'assemblée législative de l'Etat du Parà, que nous devons remettre en cause nos principes démocratiques fondamentaux.
Comme l'a dit Mme Gossauer, cette pétition avait été déposée sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement.
Nous ne voulons pas d'affrontement entre le pouvoir politique et le pouvoir judiciaire. C'est pourquoi mon groupe ne peut accepter cette résolution. Par conséquent, il vous recommande de la refuser.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. L'intéressé a été condamné par un jury populaire, le 13 mai 1992, à sept ans et demi de réclusion pour avoir participé à un hold-up. L'arrêt de la Cour de cassation cantonale, confirmant l'arrêt de la Cour d'assises, a été cassé par le Tribunal fédéral qui a reproché aux autorités genevoises d'avoir pris en considération un témoignage non recueilli dans les formes prévues par la loi. Le Tribunal fédéral a ordonné que le témoin puisse être entendu en audience contradictoire, en présence de toutes les parties pour que celles-ci puissent lui poser des questions.
Le président de la Cour d'assises s'est ensuite fait remettre la liste des questions à poser et l'a transmise aux autorités judiciaires françaises, vu le domicile en France du témoin et l'existence d'une enquête en France à propos d'inculpés français. En dépit de vives et réitérées protestations auprès des autorités françaises - les dernières datent des 3 juillet et 21 septembre 1995 - celles-ci n'ont pas exécuté les commissions rogatoires demandées. Il est exact que cette affaire enregistre un retard inadmissible, mais qui n'est, en rien, le fait des autorités genevoises, s'agissant exclusivement de la responsabilité des autorités françaises.
En passant, je vous rends attentifs au fait que, contrairement aux motifs appuyant la résolution, il ne s'agit pas d'un procès en réhabilitation, mais d'une accusation de brigandage aggravé dont devra répondre M. Hoyos. Le procès aura pour but de le juger conformément à la loi, et non pas de lui compenser des préjudices. En l'état, on ne saurait préjuger de la décision du jury populaire.
Cela étant, et dans le sens de l'intervention de Mme la députée Hagmann à propos de la séparation des pouvoirs, je rappelle qu'une campagne publique peut porter atteinte au caractère équitable du procès. Pour cette raison, une affaire a été récemment reportée de plusieurs mois.
A la limite, la résolution pourrait me paraître acceptable si elle stigmatisait l'attitude des autorités françaises. En ce qu'elle tient à l'attitude des autorités genevoises, je ne puis évidemment pas en partager les conclusions. Encore une fois, ce ne sont pas les autorités judiciaires genevoises qui sont en cause. Le retard est de la responsabilité pleine et entière des autorités judiciaires françaises.
Le président. Madame la députée Gossauer-Zurcher, vous demandez bien le renvoi de cette proposition de résolution aux autorités judiciaires genevoises ? C'est le cas ! Nous allons donc passer au vote. Celles et ceux qui sont d'accord avec ce projet de résolution et son renvoi aux autorités judiciaires genevoises veuillent bien l'exprimer en levant la main.
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
Le sautier compte les suffrages.
Cette résolution est adoptée et renvoyée à l'autorité judiciaire.
Elle est ainsi conçue :
resolution
concernant la garantie pout tout accusé d'être jugédans un délai raisonnable ( cas Hoyos)
LE GRAND CONSEIL,
considérant:
- que l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme(CEDH) garantit un procès équitable à tout accusé «dans un délai raisonnable»;
- que dans le cas de M. S. Hoyos des lenteurs inquiétantes sont à noter et qui pourraient valoir au canton de Genève des remontrances justifiées du Tribunal fédéral et à la Confédération une condamnation par les instances de Strasbourg chargées d'appliquer la CEDH,
exprime son souci que la procédure pénale dirigée contre M. S. Hoyos soit traitée avec la plus grande diligence de manière qu'il soit jugé dans les plus brefs délais.