République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 9 novembre 1995 à 17h
53e législature - 3e année - 1re session - 47e séance
I 1945
Mme Maria Roth-Bernasconi (S). Comment devient-on policier ou policière à Genève ? Deux possibilités de formation sont offertes aux jeunes pour exercer ce métier qui fait beaucoup rêver les petits garçons et un peu moins les petites filles.
La première possibilité, visée par cette interpellation, consiste en un apprentissage de trois ans, qui peut être suivi dès l'âge de seize ans. Avant de l'entreprendre, les jeunes doivent avoir reçu une formation suffisante et passer un examen d'aptitudes intellectuelles, physiques et psychiques. De plus, ils doivent être de nationalité suisse et ne pas être de trop petite taille.
En 1992, sur plus de cent candidats et candidates, quatorze ont été retenus.
A la fin de la deuxième année de leur apprentissage, les jeunes passent un examen pour obtenir un CFC d'employé de bureau. La formation se termine par un examen à la fin de la troisième année, lequel donne droit au certificat cantonal de policier ou de policière.
La deuxième possibilité réside en une formation de sept mois, réservée aux candidats et candidates ayant dix-neuf ans et demi, au minimum, et au bénéfice d'une formation préalable. Cette formation n'est pas visée par mon interpellation.
Cet été, neuf jeunes, dont trois filles, ont terminé avec succès leur apprentissage et ont reçu le certificat cantonal susmentionné, avec les félicitations de la cheffe du département de l'instruction publique. Néanmoins, les trois filles et un garçon n'ont pas été incorporés dans la police.
Cet été également, les deux seules jeunes filles, qui participaient à la deuxième classe d'apprentissage, ont été éliminées. La première, qui n'avait pas réussi l'examen pour l'obtention du CFC d'employée du bureau, n'a pas pu le repasser, alors que la possibilité en est prévue par la loi et qu'elle avait réussi son année scolaire. Son contrat d'apprentissage a été résilié. La deuxième a obtenu son CFC, mais ses notes ont été insuffisantes durant l'année scolaire. Le conseil des enseignants et enseignantes était prêt à accorder une dérogation à cette jeune fille, pour qu'elle puisse poursuivre son apprentissage. Mais son patron, c'est-à-dire la police, a résilié son contrat d'apprentissage.
Par ailleurs, j'ai appris que l'assistante sociale, qui avait accompagné cette élève durant l'année scolaire, avait été exclue d'un entretien important, bien que les parents aient désiré sa présence.
En dernier lieu, à la rentrée scolaire de cette année, aucune fille n'a été engagée dans la filière d'apprentissage de police.
Nous sommes conscients que la police genevoise emploie un grand quota de femmes, comparé aux autres polices cantonales : cinquante-six femmes sur sept cent septante-trois gendarmes. Nous reconnaissons également votre effort de promotion des femmes dans la police. Néanmoins, nous nous demandons, vu les faits que je viens d'énumérer, si le vent n'est pas en train de tourner et si la police n'élimine pas systématiquement les femmes.
Mes questions à M. le conseiller d'Etat Ramseyer sont les suivantes : continuez-vous, selon la voie tracée par votre prédécesseur, à promouvoir les femmes dans la police ? Que faites-vous pour supprimer toute misogynie dans le corps de police ? Une sensibilisation au sexisme et aux problèmes généraux d'égalité entre femmes et hommes est-elle prévue tant dans la formation de base que dans la formation continue ?
Je ne vous cacherai pas qu'en étudiant ce dossier, d'autres questions me sont venues à l'esprit. Les voici :
Comment expliquer le paradoxe qui consiste à octroyer, à une jeune personne, un certificat de fin d'apprentissage, avec les félicitations de la présidente du département de l'instruction publique, et, simultanément, lui faire savoir qu'elle n'est pas faite pour ce métier et qu'elle n'est pas à la hauteur de cette tâche ? Soit on délivre un certificat, à une personne apte à pratiquer son métier, soit on ne lui en donne pas !
Pourquoi conseiller aux jeunes de tenter leur chance dans d'autres cantons, après leur avoir dit qu'ils ne seront jamais de bons policiers ou de bonnes policières ? N'est-ce pas irresponsable vis-à-vis desdits cantons qui risquent d'engager des fonctionnaires incompétents et inaptes au service ?
Il est vrai que, dans d'autres métiers, les jeunes n'ont pas la garantie d'être engagés par leurs maîtres d'apprentissage. Mais la formation d'un policier est spécifique, et il n'y a qu'un seul maître qui puisse la dispenser à Genève : la police cantonale.
Permettez-moi une dernière question : un apprentissage de police est-il adéquat pour des jeunes âgés de seize à dix-neuf ans ? L'adolescence est une période où les jeunes se cherchent, doivent faire le deuil de leur enfance et trouver leur personnalité d'adulte. Pour ce faire, les adolescents et les adolescentes doivent confronter leurs opinions, affronter un monde d'adultes pas du tout simple à comprendre. Or, en étant soumis à une discipline de fer telle qu'elle est pratiquée par l'école de police, en devant entrer dans un moule dès seize ans, ces jeunes auront-ils la possibilité d'avoir une personnalité saine et équilibrée ?
Un policier, une policière, doit savoir faire face à des situations très délicates et, psychiquement, être très solide. Or, peut-on structurer ainsi des jeunes qui n'auront pas eu la possibilité de «s'éclater» comme ceux de leur âge, puisqu'ils devront obéir au doigt et à l'oeil ? Cette formation est-elle adaptée aux exigences et connaissances psychologiques actuelles ?
Pour d'autres métiers qui exigent un psychisme solide, comme ceux des branches médicale et sociale, une limite d'âge de dix-huit ans est fixée pour entamer une formation. Il est important de réfléchir à ce problème, ne serait-ce que pour éviter les «bavures» policières qui ont fait les gros titres de la presse, ces derniers mois.
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Je précise d'entrée que Mme la députée Roth-Bernasconi a eu la délicatesse de m'envoyer le texte écrit de son intervention. En retour, j'ai eu celle de lui adresser, sous forme «caviardée», il est vrai, la totalité des dossiers des trois personnes dont le sort l'a préoccupée. Elle a donc pu rédiger son intervention en ayant, sous les yeux, des dossiers extrêmement complets.
Sans dévoiler de noms et sans trop m'étendre, je dirai que le critère premier d'aptitude d'une formation de police est l'équité dans la formation même. Il ne saurait y avoir des policiers de deuxième zone, parce qu'ils auraient fait un apprentissage, et des policiers de première zone, parce qu'ils auraient suivi l'école de gendarmerie.
La personnalité joue un rôle essentiel. La discipline est également nécessaire. Il faut posséder une certaine aptitude à gérer son autonomie, et nous ne tolérons pas de notes de discipline insuffisantes, lors de la formation. Or, l'une de ces jeunes filles a réussi l'exploit d'avoir 1,7 de discipline, l'autre 2. Elles représentent donc des cas délicats.
Quant aux aptitudes professionnelles, elles ressortent, certes, de la partie scolaire de la formation, mais également de toute la partie sportive. Nous n'acceptons pas de notes inférieures à 4 dans cette branche; là encore, ces jeunes filles n'ont pas fait preuve de capacités physiques suffisantes.
Je ne m'étendrai pas plus longuement sur le cas de ces trois jeunes filles. Vous savez que l'une d'elles a accepté d'être intégrée dans un service administratif. Cependant, je termine en vous donnant raison sur un point de votre interpellation et réponds simplement à vos questions.
Effectivement, deux nouveaux contrats d'apprentissage ont été résiliés cet été, cela avec l'accord des intéressées et de leurs parents. Dans l'un des cas, les résultats professionnels étaient notoirement faibles; la promotion en troisième année avait été obtenue grâce une dérogation spéciale et, déjà au terme du premier semestre, la situation était si catastrophique que nous en avions averti la jeune fille.
La seconde n'a pas obtenu son CFC. Je tenais à préciser ce qui précède.
Nous n'avons pas modifié nos critères en matière d'égalité de traitement entre hommes et femmes. A cet égard, je rappelle que la police genevoise compte actuellement cinquante-six femmes pour sept cent septante-trois hommes. C'est un des quotas les plus élevés de Suisse. Je précise que notre effort d'intégration des femmes ne ralentit pas, mais pour autant que les candidates elles-mêmes parviennent à s'incorporer. Vous avez demandé si nous faisions preuve de misogynie. Bien sûr que non ! Vous souhaitez savoir s'il existe des cours de sensibilisation à l'égalité entre hommes et femmes. Je suis bien placé pour vous répondre, puisque je suis en charge du bureau de l'égalité. A proprement parler, il n'y a pas de cours de sensibilisation au sexisme et aux problèmes généraux d'égalité entre hommes et femmes, mais des cours, introduits ces dernières années, traitent de la gestion des conflits, du droit des minorités, du comportement en situation de stress, de la sensibilisation au monde diplomatique, etc. Tous nos cours vont dans le sens du respect des droits de l'homme, et je rappelle ici que la police genevoise forme, dans ce sens, la police guinéenne, avec la caution du Centre des droits de l'homme de l'ONU.
Nous n'avons jamais incité ces jeunes à chercher leur bonheur dans d'autres cantons. Nous leur avons simplement dit que cela pouvait se faire, car il nous arrive, à nous également, d'engager dans l'école de gendarmerie des jeunes ayant échoué, ailleurs, dans l'apprentissage de police.
Je conclus avec ce qui me semble être l'essentiel de ma réponse. Une moyenne générale et un CCC en poche ne suffisent pas. En matière de police, le profil psychologique doit être extrêmement pointu. C'est pourquoi l'on peut obtenir des résultats scolaires suffisants et n'être pas capable, psychologiquement, de pratiquer un tel métier. Aussi, en accord avec l'état-major de la police, et de la gendarmerie en particulier, estimons-nous que, contrairement à ce qui s'est fait ces dernières années, nous ne devrions pas poursuivre dans cette voie de l'apprentissage de police.
Nous formons des jeunes gens capables sur le plan scolaire, mais qui n'ont pas la maturité nécessaire pour endosser leurs responsabilités. Nous sommes en train d'étudier une modification. Nous continuerons à instruire des apprentis, mais nous réserverons leur formation au domaine administratif : CFC employés de commerce, CFC employés de bureau. Nous offrirons à nos apprentis la possibilité de s'inscrire, une fois mûrs et conscients des réalités de l'existence, à la formation au sein des écoles de police.
Cela étant, je vous remercie, Madame, d'avoir posé cette question. Elle m'a permis d'exposer un problème délicat. Nous formons des apprentis que nous ne pouvons engager, non pas faute de places vacantes, mais parce qu'ils ne sont pas aptes, psychologiquement, à faire ce métier.
Nous devrons donc conserver des apprentis, les former différemment et leur donner la possibilité d'entrer ensuite dans la police par la filière des écoles de gendarmerie.
Mme Maria Roth-Bernasconi (S). Monsieur Ramseyer, je vous remercie de votre réponse. Je trouve très intéressant le changement que vous prévoyez dans la formation.
Cette interpellation est close.