République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 7298
22. Projet de loi de MM. Christian Ferrazino, Bernard Clerc et René Ecuyer modifiant la loi sur les heures de fermeture des magasins (J 3 14). ( )PL7298

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article unique

La loi sur les heures de fermeture des magasins, du 15 novembre 1968, est modifiée comme suit:

Art. 7, al. 2(nouveau, l'al. 2 ancien devenant l'al. 3)

2 Lorsque les dérogations accordées en vertu de l'alinéa 1 prévoient des fermetures retardées, celles-ci ne peuvent aller au-delà de 20 heures, sous réserve des deux fermetures retardées de décembre soumises à l'article 14 ci-après. La prolongation de la durée de travail doit être intégralement compensée en heures de congé. Les heures de travail accomplies en dehors des heures de fermeture normale doivent, en outre, bénéficier d'une prime de 50% par rapport au salaire horaire ou d'un congé compensatoire sup-plémentaire correspondant au 50% des heures supplémen-taires accomplies.

Art. 8A (nouveau)

Dérogation jours fériés

Aucune dérogation ne peut être accordée les jours fériés en vertu des articles 7 et 8.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Après de longs débats, le Grand Conseil, par la loi du 16 septembre 1994, a admis une fermeture retardée des magasins leur permettant de rester ouverts un soir par semaine jusqu'à 20 heures en dérogation aux heures normales de fermeture.

Les débats ont longuement porté sur l'heure maximale de fermeture, finalement fixée à 20 heures.

Or, le Conseil d'Etat, par une modification du règlement d'application de la loi sur les heures de fermeture des magasins, a décidé d'appliquer de manière extrêmement extensive l'article 7 de la loi précitée applicable aux dérogations pouvant être accordées au régime légal.

En effet, les nouvelles dispositions réglementaires prévoient une série d'occasions au cours desquelles des dérogations peuvent être accordées (Salon de l'automobile, Télécom, Fêtes de Genève, fêtes diverses, intérêt touristique, etc.).

Plus grave, la fermeture retardée est portée jusqu'à 22 heures. Cette interprétation extensive de la clause dérogatoire prévue par la loi va manifestement bien au-delà de ce qui est admissible et il semble que le Conseil d'Etat envisage de permettre l'ouverture des magasins les jours fériés, notamment le jour de Noël et le 31 décembre, ce dernier jour férié ayant déjà subi des dérogations.

La mise à contribution des employés à un tel degré est inadmissible.

Les vendeuses et vendeurs, souvent sous-rémunérés, ont des horaires particulièrement ingrats, ne bénéficiant jamais d'un week-end avec leur famille. La relance a des limites et on peut tout de même s'attendre à ce que les consommateurs prennent des dispositions pour faire leurs achats à des horaires normaux sans qu'il soit nécessaire de les prolonger à l'excès.

Mais ce qui est plus grave, c'est que ces fermetures retardées impliquent des heures supplémentaires. Elles n'ont, de fait, pas favorisé la création d'emplois supplémentaires, comme promis, mais provoqué des heures supplémentaires pour un personnel déjà fortement mis à contribution. Dans les petits commerces, il est fréquemment arrivé que le personnel ne bénéficie même pas de compensations pour ces heures supplémentaires.

Devant l'échec sur le plan de l'emploi que constitue la fermeture retardée des magasins, il convient de prendre des mesures pour que ces fermetures retardées provoquent une création d'emplois et non l'application d'heures supplémentaires.

La compensation en nature de ces heures supplémentaires doit être garantie et il paraît logique qu'elles bénéficient également d'une prime supplémentaire en nature ou en salaire.

Par ailleurs, il s'agit de préciser que la fermeture retardée des magasins ne doit pas intervenir au-delà de 20 heures, à l'exception des deux soirs d'ouverture du mois de décembre.

Il s'agit enfin de s'assurer que des dérogations ne soient pas accordées les jours fériés.

Au bénéfice des explications ci-dessus, nous vous recommandons, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir approuver ce projetde loi.

Préconsultation

M. Bernard Clerc (AdG). Avant d'aborder le contenu de ce projet de loi, il convient de rappeler ce qui se passe dans le commerce de détail aujourd'hui.

Je souligne que 56% des salariés de ce secteur sont des femmes contre 40% pour l'ensemble des secteurs économiques. Les salaires y sont bien au-dessous de la moyenne. Une enquête, effectuée il y a un peu plus d'une année auprès des vendeuses et vendeurs, indiquait, contrairement à ce qui est dit parfois, que 58% d'entre eux travaillaient plus de quarante heures et que 86% d'entre eux étaient opposés à une ouverture nocturne, entre autres pour des raisons familiales. Les répercussions sur la vie sociale et familiale du personnel de vente sont donc importantes, notamment sur la question de la présence des parents auprès des enfants.

Quel est le but de ce projet ? Inscrire dans la loi que la prolongation des heures d'ouverture ne peut dépasser 20 h, sauf pour les nocturnes de fin d'année. En effet, le règlement, appliqué par le département de l'économie publique, permet la multiplication des ouvertures nocturnes bien au-delà de 20 h, ce que nous déplorons.

Notre projet prévoit également une indemnisation, sous forme de primes à prendre en temps ou en argent, ce qui devrait inciter à limiter les heures supplémentaires et favoriser ainsi la création d'emplois.

Mesdames et Messieurs, nous vous remercions de bien vouloir renvoyer ce projet de loi à la commission de l'économie.

M. Michel Halpérin (L). Il existe un article de notre Constitution fédérale qui porte l'appellation un peu baroque d'«article 2 des dispositions transitoires» prévoyant, en substance, que rien de ce qui relève du droit fédéral ne peut être traité par les cantons.

Il existe, en outre, un titre X du Code des obligations qui remonte à 1911 et a donc environ quatre-vingt-quatre ans à l'heure où nous parlons, consacré au droit du travail et régissant notamment les contrats de travail.

J'imagine que ces deux types de dispositions sont bien connus au moins de l'un des auteurs du projet qui nous est proposé.

Ces dispositions ont pour conséquence que tout ce qui relève des contrats de travail est exhaustivement de la compétence fédérale. Or, les propositions, faites ici à l'article 7, alinéa 2, portent très précisément sur les conditions de travail, c'est-à-dire le salaire ou les compensations en nature des heures supplémentaires éventuelles.

Nous ne pouvons tout simplement pas, sans violer la force dérogatoire du droit fédéral, nous engager dans ce débat. C'est la raison pour laquelle je souhaite, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, que nous discutions immédiatement ce projet de loi et lui fassions le sort qu'il mérite au regard de notre obligation de respecter le droit fédéral, c'est-à-dire que nous le rejetions.

La présidente. Si je vous ai bien compris, Monsieur Halpérin, vous avez demandé la discussion immédiate. Bien !

M. Bénédict Fontanet. Je ne répéterai pas ce que M. Halpérin vient de souligner au risque de vous lasser. Manifestement, je m'en étonne parce que M. Ferrazino est suffisamment bon juriste pour savoir ce genre de choses, a priori, me semble-t-il ! (M. Ferrazino interpelle l'orateur.)

Mais oui, vous me répondrez, Monsieur Ferrazino ! C'est toujours avec plaisir que je vous entends.

La force dérogatoire du droit fédéral est telle qu'effectivement elle empêche le canton de prendre le type de mesures que vous semblez appeler de vos voeux. A cela, s'ajoute que les cantons - c'est une curiosité du droit fédéral et de notre organisation juridique - ne peuvent pas statuer sur l'ouverture des magasins mais seulement sur la fermeture. Seules les heures de fermeture peuvent être réglées par le biais d'une loi. Des motifs juridiques s'opposent donc, de quelque manière que ce soit, à ce que ce projet soit adopté.

Quant au fond, vous verrouillez tellement cette matière avec votre proposition, à supposer par impossible qu'elle soit conforme au droit supérieur - ce qui, à l'évidence, n'est pas le cas - que le Conseil d'Etat ne pourrait plus rien faire, pas même déroger aux heures d'ouverture et de fermeture des magasins, telles qu'elles sont prévues par la LHFM, à l'occasion d'expositions ou de manifestations de titre exceptionnel.

Mesdames et Messieurs, à ce titre, ce projet est mauvais, même si les préoccupations en matière sociale que vous soulevez sont légitimes. Mais comme il s'agit d'un mauvais projet, nous sommes aussi d'avis qu'il y a lieu de le rejeter en discussion immédiate.

M. Pierre-Alain Champod (S). Ce projet de loi sur les heures de fermeture des magasins montre que, dans ce domaine, il existe un problème évident. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que nous en parlons et une motion est aussi à l'ordre du jour de notre séance d'aujourd'hui.

Les conditions de travail du personnel de vente sont problématiques et l'affaire de «Jouets Weber» le prouve. Il y a des choses qui doivent être modifiées. Le discours des commerçants disant qu'il faut déréglementer me semble comporter un certain nombre d'effets pervers semblables à ceux que j'avais déjà évoqués il y a plusieurs mois, à propos des milieux immobiliers. Ceux-ci, pendant des années, ont fait campagne en répétant : «On ne peut pas investir à Genève. Ce n'est plus possible de construire.» Puis, ils se sont plaints que plus personne n'investissait à Genève.

J'ai l'impression que, depuis la campagne de l'automne dernier sur les nocturnes, les commerçants font une publicité incroyable pour le commerce français. Tous les jours on peut lire dans les journaux qu'en France c'est mieux, c'est meilleur marché, vous pouvez mieux vous parquer, et les magasins sont ouverts selon des horaires plus larges qu'en Suisse. On s'étonne après cela que les gens aillent faire leurs courses en France plutôt qu'en Suisse. Je ne suis pas un expert en publicité, mais il me semble que les commerçants feraient mieux de vanter les mérites du commerce local plutôt que ceux du commerce français.

De plus, ils devraient aussi améliorer les conditions offertes à la fois aux clients et au personnel, d'une part, en employant davantage de vendeuses et de vendeurs dans les rayons et, d'autre part, en les payant mieux et en leur offrant de meilleures conditions de travail. Le personnel serait ainsi plus motivé, ce qui serait certainement favorable.

Cela étant dit, je ne rentrerai pas en matière sur les arguments juridiques qui ont été invoqués par MM. Halpérin et Fontanet, car ce type de discussions relève des débats de commission. Je rappelle également qu'un principe non écrit veut que, généralement, tout projet de loi soit renvoyé en commission pour qu'on puisse examiner les questions juridiques pouvant se poser.

Compte tenu des problèmes très réels de ce secteur économique, notamment par rapport aux conditions de travail du personnel de vente, et compte tenu du fait que les arguments de MM. Halpérin et Fontanet ne sont pas politiques mais juridiques, je vous propose donc de renvoyer ce projet en commission pour que nous ayons tout loisir de l'examiner, article par article.

M. Pierre Kunz (R). C'est vrai, nous sommes en période électorale ! Il est donc explicable que l'Alliance de gauche dans sa dernière ligne droite, en quelque sorte...

Une voix. ...ligne gauche ! (Rires.)

M. Pierre Kunz. ...cherche par tous les moyens à "chiper" encore quelques voix au parti socialiste. L'inverse est aussi vrai d'ailleurs à entendre M. Champod. Mais faut-il vraiment, pour des raisons électorales, que les auteurs du projet de loi 7298 obligent le Grand Conseil à consacrer son temps à un texte aussi dégoulinant de politique politicienne et de démagogie ?

Sans compter les bêtises contenues à la fois dans le projet de loi et l'exposé des motifs ! Sans compter non plus que ce texte visant exclusivement la protection des travailleurs veut s'inscrire dans une loi, la LHFM, qui pour sa part ne concerne que la tranquillité et l'ordre public ! C'est aberrant !

Il faut donc envisager d'emblée de discuter ce projet, en débat immédiat comme on l'a déjà proposé, même si on sait bien qu'une telle attitude, de la part de la majorité, risque de nous entraîner dans un de ces débats interminables auxquels les bavards de l'Alliance de gauche nous ont habitués depuis le début de la législature. Tant pis ! (Protestations.)

Tant pis ! Le groupe radical est prêt à prendre ce risque et rejoint en cela les groupes de la majorité.

M. David Hiler (Ve). Sur la forme, il nous semble évident, lorsqu'on met en avant des arguments de type juridique, qu'on accepte le renvoi en commission, n'est-ce pas ?

Quel que soit le respect que je peux avoir pour M. Halpérin, j'espère qu'il ne s'attend pas à ce que je le croie sur parole, lorsqu'il prétend que ce projet de loi déroge au droit fédéral. Non, Monsieur Halpérin ! Je ne vous crois pas sur parole ! Je pense qu'en commission il sera possible d'en discuter de façon sereine et d'avoir le loisir de prendre un avis de droit sur la question.

Sur le fond, il y a tout de même un problème concernant cette revendication permanente de flexibilité de la part des commerçants, qui peut se comprendre, se concevoir, mais qui ne s'accompagne jamais de contrepartie en suffisance à l'égard du personnel.

Contrairement à ce qu'a déclaré M. Kunz, je ne pense pas que, sur ce point précis, ce soit l'Alliance de gauche qui empoisonne le climat, mais bien plutôt les commerçants en ne voulant pas négocier des compensations suffisantes pour un personnel à qui on demande des choses qui ne se faisaient pas autrefois. Dans une société comme la nôtre, on négocie dans ces cas-là un nouveau contrat social à chaque fois.

Pour notre part, nous estimons qu'il n'est pas identique d'entrer dans un régime de haute flexibilité, accompagné de réductions du temps de travail, ou de faire preuve de flexibilité, en effectuant des heures supplémentaires sans compensation, dans un système qui ne propose que des pertes d'un côté et des gains de l'autre. Or, vous ne souhaitez pas, en patronat de droit divin - il faut bien le dire - négocier ce genre de choses. A chaque fois, vous aurez des ennuis et on vous présentera des projets de lois de ce type. Cela continuera indéfiniment.

Pour notre part, nous ne voterons pas un texte qui ne sera pas conforme à la loi fédérale, mais, pour le moment, nous souhaitons aller en commission, vérifier ce premier point et garder un oeil sur ce qui se passe dans ce secteur.

La présidente. Avant que nous passions au vote sur la discussion immédiate, Monsieur Jean-Philippe Maitre, vous avez la parole.

M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. M. Ferrazino l'avait demandée...

La présidente. Monsieur Jean-Philippe Maitre, nous sommes en débat de préconsultation. Un seul député par groupe peut s'exprimer. Vous m'avez demandé la parole, je vous la donne. Je la rendrai après à M. Ferrazino, quand nous parlerons de la discussion immédiate.

M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Dans les méandres de cette procédure sui generis, je voudrais vous dire ceci.

Le projet de loi qui vous est proposé vous invite à traiter la question des dérogations. A la faveur des propositions présentées, ce projet de loi tente de régler les rapports de travail, en cas de dérogation, entre employeur et employé, ce qui est de toute évidence incompatible avec le droit fédéral. C'est une question que nous avons déjà eu l'occasion de discuter. Elle peut l'être encore et elle le sera certainement toujours.

Je voudrais cependant attirer votre attention sur le fond de ce projet parce qu'il me semble qu'on procède par méconnaissance de la situation telle qu'elle est issue du nouveau règlement que le Conseil d'Etat a édicté précisément pour cadrer le système des dérogations.

De quoi s'agit-il ? Jusqu'au début de l'été de cette année, les dérogations étaient traitées sous le seul empire de l'article 7 de la loi sur les heures de fermeture des magasins qui dit en substance qu'il est possible de déroger aux heures usuelles de fermeture en cas de manifestation spéciale ou d'exposition qui «présente un intérêt culturel, artistique ou documentaire évident», c'est tout ! Il n'y avait rien d'autre. Il n'y avait aucune disposition d'application, si bien que, dans ce contexte-là, le Conseil d'Etat pouvait faire ce qu'il voulait, car il n'y avait pas de cadre. Or, depuis le début de cette année 1995 - peut-être même déjà à la fin de l'année dernière - on a assisté à un développement du nombre de demandes de dérogation, de sorte que le Conseil d'Etat a jugé nécessaire de cadrer cette loi en prévoyant des dispositions réglementaires d'application nécessaires à fixer la règle du jeu.

Qu'avons-nous dit ? Dans le cadre de manifestations spéciales, il faut consulter, à chaque demande, les partenaires sociaux de façon à recueillir leur avis. Par exposition commerciale entraînant un intérêt touristique, économique ou culturel évident, on entend des manifestations comme, par exemple, prochainement «La fureur de lire». Pour cette occasion, le Conseil administratif de la Ville de Genève a sollicité que les librairies puissent être ouvertes le dimanche. Nous avons donné droit à cette requête parce qu'effectivement il s'agit d'une animation particulièrement importante sur le plan culturel.

Nous avons, par ailleurs, cadré de manière précise les événements qui peuvent donner lieu à des dérogations, c'est-à-dire Télécom, le Salon de l'automobile, les Fêtes de Genève. Il s'agit de permettre aux magasins et aux commerces de bénéficier d'un chiffre d'affaires supplémentaire en termes de consommation et de contribution, ô combien modeste en l'occurrence, à la relance de la consommation.

Il faut aussi compter avec les fêtes de quartier. Celles-ci sont également prévues dans le règlement. Là également nous avons assisté à un développement relativement important d'initiatives sollicitant que soit autorisée la fermeture retardée des magasins. Ces initiatives sont en elles-mêmes heureuses parce qu'elles apportent des animations dans les quartiers. Les boutiques, en particulier les petits commerçants, peuvent montrer l'exercice de leur métier, notamment dans le domaine du commerce alimentaire, etc. Il a fallu cadrer tout cela de telle sorte que le règlement précise que ces fêtes de quartier ne peuvent avoir lieu, au maximum, qu'une fois par année et par quartier.

Je précise une fois encore, et je le dis à l'intention des bancs qui réunissent les partis de l'Alliance de gauche, socialiste et écologiste, qu'en ce qui concerne les fêtes de quartier, c'est le Conseil administratif de la Ville de Genève qui est requérant. Je souhaiterais que vous puissiez vous ouvrir de vos inquiétudes à ce Conseil qui fait des propositions intéressantes pour animer les quartiers et revitaliser le commerce.

Ce règlement n'a donc pas d'autre intention que de cadrer le jeu, de donner davantage de transparence, de clarté au système mis en place. Evidemment, il a été frappé d'un recours par les syndicats, alors même que nous en avions discuté dans le cadre du conseil de surveillance du marché de l'emploi : ils ont interjeté recours auprès du Tribunal fédéral. Nous verrons bien ce que cette instance dira. En l'état, il n'est pas douteux que ce règlement s'inscrit largement dans le cadre de la délégation législative, a fortiori puisqu'il apporte un cadre à l'application de la loi, alors qu'auparavant il n'existait rien du tout.

Il n'est en outre pas nécessaire pour essayer de saborder ce qui a été fait, contre lequel, apparemment, on manque d'arguments, de répandre des rumeurs. On lit dans l'exposé des motifs que, par exemple, le département envisagerait de laisser ouverts les magasins le jour de Noël ou certains dimanches pendant les fêtes de fin d'année. J'aimerais vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, auteurs de ce projet de loi, que mon département n'a été saisi d'aucune requête à cet égard et que, s'il devait être saisi d'une telle requête, la réponse serait non, tout simplement parce qu'elle ne rentre ni dans le cadre de la loi, ni du règlement qui définit précisément la règle du jeu. Vous voyez donc bien les mérites de ce règlement. C'est la raison pour laquelle il serait déraisonnable de vouloir le restreindre par une loi du type de celle que vous proposez.

Ce serait, par ailleurs, un signe particulièrement démobilisant pour le commerce de détail qui, aujourd'hui, se bat dans des conditions extraordinairement difficiles et qui a besoin davantage d'appuis que d'entraves.

La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, le débat de préconsultation étant terminé, la discussion immédiate ayant été demandée par plusieurs d'entre vous, vous allez maintenant vous exprimer sur cette proposition. Nous appliquerons la procédure du débat de préconsultation, ensuite nous voterons.

Au cas où la discussion immédiate serait rejetée, le projet partirait en commission de l'économie. Au cas où elle serait acceptée, nous ouvrirons le débat de fond. Nous sommes ainsi au clair sur la procédure.

Monsieur Michel Halpérin, c'est vous qui avez suggéré la discussion immédiate, désirez-vous prendre la parole ou dois-je la passer à vos collègues ?

M. Christian Ferrazino (AdG). J'aimerais répondre aux arguments avancés pour justifier une discussion immédiate. En vous écoutant, Monsieur Halpérin, j'avais l'impression que vous continuiez votre intervention sur l'initiative des syndicats faite, il y a un mois, dans ce parlement. Votre discours de ce soir est quasiment le même. Peut-être, le parti radical va-t-il annoncer une motion pour reprendre notre projet de loi qui sera déposée prochainement ? Avec la larme à l'oeil, M. Fontanet reconnaît la réalité d'un problème social que des problèmes juridiques compliqués rendent impossible, selon lui, à étudier.

Il faut savoir de quoi l'on parle ! Monsieur Maitre, je vous répondrai tout à l'heure sur les prétendus bienfaits de cette loi, mais ce n'est pas l'objet de la discussion immédiate. Je réponds donc aux arguments, prétendument juridiques, invoqués tout à l'heure pour tenter de justifier le rejet de ce projet de loi.

Il y a une réalité, Monsieur Halpérin, que vous ne pourrez objecter. En matière de fermeture des magasins, nous avons bel et bien une compétence cantonale totale, ce qui fait que la première phrase de l'alinéa 2 nouveau que nous proposons : «Lorsque les dérogations accordées en vertu de l'alinéa 1 prévoient des fermetures retardées, celles-ci ne peuvent aller au-delà de 20 h» relève de la pleine compétence du droit cantonal de fixer l'heure d'ouverture des magasins, et M. Maitre ne me contredit pas sur ce point.

Par conséquent, déjà sur cet élément-là, ce projet de loi amène un plus par rapport à la situation actuelle. Le législateur a voulu adopter des mesures qui se voulaient exceptionnelles et le Conseil d'Etat, contrairement à ce que veut nous faire croire M. Maitre, veut en faire des mesures régulières. C'est le sens du règlement qui a été adopté par le Conseil d'Etat. Avec cette première phrase de ce nouvel alinéa, nous souhaitons que soit insérée dans la loi genevoise l'heure à laquelle les magasins peuvent retarder leur fermeture. Et cela, vous ne pourrez pas l'objecter, est de la compétence cantonale ! C'est pourquoi vous voulez rejeter en bloc ce projet de loi !

Maintenant, passons à la deuxième étape dudit projet, à savoir les compensations. Lors d'un précédent débat, M. Maitre a cité des arrêts du Tribunal fédéral, notamment l'arrêt Griessen. Il y a eu également d'autres avis de droit, transmis à l'époque aux différents partenaires sociaux, et dont vous avez pris connaissance, Monsieur Maitre. Je fais notamment allusion à l'avis de droit du professeur Berenstein, ancien juge fédéral. Vous voudrez bien excuser cette référence, Monsieur Halpérin, mais on peut partir de l'idée que M. Berenstein sait de quoi il parle ! En l'occurrence, il dit en substance : quand l'autorité accorde certains avantages, elle peut conditionner son autorisation à certaines exigences. C'est l'expression même du bon sens, mais il est parfois utile de le rappeler.

Avec ce projet de loi, nous demandons qu'il y ait une contrepartie à la dérogation accordée, en vertu de la clause de police qui est de la compétence cantonale, suivant en cela l'avis de droit du professeur Manfrini, totalement différent de celui du professeur Berenstein, et qui dit que l'on ne peut, au niveau du canton, avoir des compétences, par exemple, qu'en matière de tranquillité, d'ordre public. Nous considérons, dès lors, que les dérogations qui se voulaient exceptionnelles, et qui sont de plus en plus fréquentes, posent, sur le plan social, un problème d'ordre public. Nous ne voulons pas que les employeurs détériorent le climat social comme c'est le cas actuellement.

Que demandons-nous ? Simplement que les mesures destinées à faciliter l'exercice des commerces ne soient pas prises au détriment des travailleurs. Et cela s'insère parfaitement au niveau de la notion d'ordre public. Il y va de l'intérêt de l'ordre public que certains employeurs ne détériorent pas le climat social.

Ces questions-là méritent réflexion. Nombreuses sont les lois, dans notre canton, qui assortissent des autorisations à un certain nombre de conditions. Je pense à la loi sur le logement qui permet à un propriétaire d'obtenir quelque chose de l'Etat, en l'occurrence de la monnaie sonnante et trébuchante, mais, en contrepartie, il doit se laisser imposer l'obligation que ses loyers soient contrôlés pendant une certaine période.

Dans le cas présent, une autorisation serait délivrée par l'autorité; en retour, son bénéficiaire devrait se voir objecter une contrepartie. Nous sommes donc pleinement dans le cadre d'application d'une compétence cantonale. Nous avons la possibilité de le faire, mais nous assistons à un débat où, sous couvert d'arguments juridiques totalement contestés, on fait de la politique pour tenter d'esquiver le débat sur le fond.

Les deux thèses en présence ne sont pas seulement relayées par des députés dans ce parlement, mais sont l'objet de deux avis de droit, le premier du professeur Manfrini, le deuxième du professeur Berenstein. Ces deux avis, totalement contradictoires, devraient amener le parlement à éviter que nous traitions ce projet de loi en plénière. Ce n'est pas le lieu et nous regrettons que certains d'entre vous saisissent chaque fois cette occasion pour éluder les débats. En ce qui nous concerne, si vous choisissez la méthode du vote en discussion immédiate, nous prendrons le temps de débattre en plénière, comme nous l'aurions fait en commission, pour tenter de vous convaincre que vos arguments n'en sont point, du moins sur le plan juridique.

M. Michel Halpérin (L). Puisque nous sommes en discussion sur la discussion, je me borne à répondre en deux mots sur ce point et non sur le fond.

Vous venez de nous faire, Monsieur le député Ferrazino, une nouvelle démonstration de votre talent à occuper le terrain, tout le terrain et bien au-delà, quel que soit l'objet débattu.

Aussi, je vous donne rapidement deux réponses :

Vous nous dites que cet article 7, alinéa 2 nouveau, comporte deux parties, l'une consistant à réglementer les horaires, l'autre à pallier les conséquences sociales.

Sur le problème des horaires, nous n'aimons pas l'idée que, dans une phase où les besoins de flexibilité sont les plus grands que nous ayons jamais connus, vous commenciez à vouloir légiférer là où nous avons tout fait, depuis deux ans, pour rendre les choses plus souples.

Je passe au deuxième volet tout en relevant que je n'ai pas seulement entendu M. Fontanet, mais également certains de votre côté, nous parler, l'oeil humide, des problèmes sociaux. Vous nous dites que la situation des personnes dans ces entreprises est tout à fait affligeante. Moi, je crois savoir que jusqu'à présent les employés, les vendeurs, les vendeuses reçoivent des compensations normales pour le travail supplémentaire qu'ils fournissent. C'est donc au moyen d'arguments futiles, pas tout à fait exacts, que vous voulez nous amener à entrer en matière sur un régime plus carcéral pour les entreprises. C'est astucieux, mais c'est contraire au droit fédéral, parce que la deuxième partie de l'alinéa, lequel est un tout, porte sur des dispositions régissant des contrats de travail qui, elles, ressortent exclusivement de la compétence du droit fédéral.

Vous trouvez que mon intervention ressemble à celle d'il y a quinze jours ou trois semaines. C'est vrai et cela tient à une considération très simple : j'ai la faiblesse de croire encore que, dans un régime comme le nôtre, la démocratie n'est pas tout et qu'elle est soumise à l'Etat de droit. Si j'ai raison, l'Etat de droit prime la démocratie et, contrairement à ce que vous avez l'air de penser, ce n'est pas une question secondaire de savoir si nous allons violer le droit fédéral, mais une question essentielle.

Si nous voulons violer le droit fédéral, je ne suis pas partant et je préfère le dire tout de suite, sans que l'on parte en commission pour cela. Pour ma part, j'assure la primauté de l'Etat de droit, même si cela ne vous fait pas plaisir. Je sais que vos rapports avec l'Etat de droit ont toujours été quelque peu difficultueux. Par conséquent, il est bon que l'on vous rappelle la primauté du droit.

La proposition de discussion immédiate est mise aux voix.

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

La proposition de discussion immédiate est adoptée par 51 oui.

Premier débat

M. Christian Grobet (AdG). Je suis toujours frappé de votre suffisance, Monsieur Halpérin, lorsque vous vous exprimez, et de votre morgue à l'égard de ceux qui ne partagent pas vos opinions. Tout autant que vous, nous sommes attachés à notre Etat de droit et je n'admets pas vos remarques à ce propos.

Vous êtes un avocat qui jouissez d'une bonne réputation professionnelle. Vous savez très bien que l'on ne peut pas affirmer tout de go que telle proposition de loi serait ou non incompatible avec le droit fédéral. Votre attitude me surprend, dès lors que vous n'ignorez pas qu'il s'agit de questions délicates et que le Tribunal fédéral, appelé à trancher sur la compatibilité du droit cantonal avec le droit fédéral, peut trouver des solutions auxquelles on ne s'attend pas.

Que de propos, semblables aux vôtres, ai-je entendus durant vingt-quatre ans dans cette enceinte, propos selon lesquels telle ou telle proposition, provenant généralement de la gauche, était incompatible avec le droit fédéral ! Finalement, la question ayant été portée devant le Tribunal fédéral, celui-ci admettait qu'il y avait une lucarne ouverte pour le droit cantonal.

Je me permettrai, parmi toute une série de lois qui va de la loi sur les dépôts de garantie des locataires jusqu'à celles sur l'aménagement du territoire, comme la loi sur le développement qui permet aux cantons de contrôler les loyers, ce qui est contradictoire avec le droit fédéral, de ne citer qu'un seul exemple, celui de la possibilité, pour le canton, d'interdire des ventes d'appartements. Toute la classe juridique de droite de ce canton a affirmé que l'initiative, lancée par le Rassemblement en faveur d'une politique sociale du logement, et demandant de soumettre à autorisation la vente d'appartements, était incompatible avec le droit fédéral parce que, selon eux, les dispositions du Code civil sur la propriété par étage réglaient la question de manière exhaustive, et qu'il n'y avait aucune place quelconque pour le droit cantonal en la matière. Quand l'initiative a été votée par le peuple, il y a eu six recours au Tribunal fédéral. Vous permettrez que je m'en souvienne, puisque je me suis occupé des réponses à ces six recours ! Il y a eu un très large débat au Tribunal fédéral. La majorité des juges, à défaut d'unanimité, a admis que sur une question extrêmement délicate, qui touchait directement au droit de la propriété, régi par le Code des obligations d'une manière totalement exhaustive - et là aussi on se référait aux sténogrammes des Chambres fédérales - il y avait, malgré tout, une possibilité de légiférer pour le canton, en vertu de certains autres principes que vous connaissez fort bien dans le domaine dérogatoire au droit fédéral, notamment s'il y a un intérêt public suffisant et si on touche d'autres domaines.

Christian Ferrazino a cité l'avis de droit donné, il y a une année, par le professeur Berenstein. Il est bon de rappeler que M. Berenstein, avant d'être un éminent juge fédéral, était surtout un éminent professeur de droit du travail. Et s'il y a vraiment quelqu'un qui sait de quoi il parle, c'est bien le professeur Berenstein ! Aussi me permettrez-vous de vous dire, Monsieur Halpérin, avec tout le respect qui vous est dû, que je porte plus d'estime à l'avis de droit, extrêmement bien motivé, du professeur Berenstein qu'à vos propos un peu légers de tout à l'heure.

Le professeur Berenstein a été consulté lors des débats sur les compensations que les syndicats, à juste titre, demandent en matière d'horaires prolongés des travailleurs. La question avait d'ailleurs été débattue au sein de ce Conseil et je crois me souvenir, Monsieur Maitre, que vous souhaitiez la recherche d'une solution, tout en disant que cela vous paraissait difficile en vertu du droit fédéral. M. Berenstein a rendu un avis de droit extrêmement intéressant. D'une manière catégorique, mais il peut se tromper, bien entendu, cet avis précise que dans le cadre d'une autorisation de police - parce qu'il s'agit d'une autorisation de police lorsqu'on déroge à une loi qui fixe l'heure de fermeture des magasins - on peut conditionner la dérogation à certains aménagements des conditions de travail. C'est en cela que le professeur Berenstein soutient une thèse complètement différente de la vôtre, Monsieur Halpérin, quand vous prétendez que dans le cadre d'une dérogation à un horaire de travail, on ne pourrait toucher aux conditions de travail.

Il est regrettable que pour un problème aussi important, auquel M. Fontanet, au nom du parti chrétien-social, feint de s'intéresser, vous ne voulez même pas procéder à un examen en commission et entendre la voix autorisée d'un ancien juge fédéral, spécialiste du droit du travail. Je trouve cela déplorable ! Et cela d'autant plus qu'il y a eu de longs débats, dans cette enceinte, pour tenter de trouver une solution.

Je pense que les solutions esquissées par les syndicats, il y a deux ans, n'étaient peut-être pas les meilleures. L'avis de droit de Me Manfrini était critique à leur endroit, notamment en ce qui concerne l'octroi de la dérogation aux entreprises qui souscriraient aux conventions collectives du travail. Effectivement, je pense que c'était excessif en vertu de la jurisprudence fédérale. Il n'était peut-être pas judicieux non plus de lier la dérogation aux usages professionnels. C'est une notion qui n'est pas claire et peut être trop extensive.

Dans notre projet de loi, nous avons été extrêmement limitatifs quant aux conditions auxquelles une dérogation pourrait être accordée. Le texte de loi peut être encore amélioré, en précisant que la compensation demandée est la condition nécessaire pour la dérogation. Mais je suis persuadé, à la lecture de l'avis de droit du professeur Berenstein et au vu de la jurisprudence du Tribunal fédéral, applicable à un certain nombre d'autres lois cantonales qui dérogent au droit fédéral, que notre proposition est parfaitement compatible avec le droit fédéral et permettrait de combler une lacune réelle au niveau de la protection des travailleurs de ce canton, qui sont de plus en plus mis à contribution avec ces ouvertures retardées.

D'autres interviendront certainement pour parler des conséquences que subiront des travailleurs qui, en plus des horaires normaux, travaillent encore le samedi, jusqu'à 17 ou 18 h, et ne disposent, finalement, que du dimanche.

M. Maitre a donné l'exemple concret d'une manifestation culturelle qui va se tenir place Grenus. Mais ce genre de manifestation, Monsieur le conseiller d'Etat, n'est pas touchée par ce projet de loi. Vous en avez, sans doute, mal perçu la portée, à moins que nous nous soyons mal exprimés. L'alinéa 2 de l'article 7, qui devient l'alinéa 3, n'est pas modifié, et cet alinéa 2 permet de déroger à la loi et autorise, pour des expositions commerciales, présentant un intérêt culturel, artistique ou documentaire évident, c'est-à-dire une manifestation comme celle que vous avez citée, des fermetures retardées qui peuvent aller au-delà de 20 h. On admet que ces manifestions, qui peuvent durer deux semaines au maximum par an, selon la loi, sont des manifestations exceptionnelles. Le danger qui nous guette, à travers l'application de la loi qui ne limite pas l'horaire prolongé, est que nous parvenions en dehors à des fermetures de magasins au-delà de 20 h, alors que ce n'est pas l'esprit de la loi en la matière.

La présidente. Monsieur Grobet, je suis navrée, votre temps de parole est écoulé.

M. Christian Grobet. Nous demandons le renvoi de ce projet de loi en commission pour au moins entendre le professeur Berenstein. Si ce Conseil persiste à vouloir la discussion immédiate, nous défendrons les articles un par un.

M. Christian Ferrazino (AdG). C'est dans cet esprit que je reprends la parole, puisqu'il semblerait que chacun veuille faire ce débat ce soir.

Je souhaite répondre au président Maitre, comme je l'aurais fait en commission, puisqu'il a donné des éléments qui ne concernent pas directement ce projet de loi. Vous avez parlé des fêtes occasionnelles pour lesquelles il est possible de déroger à la loi. De l'aveu même d'un des secrétaires patronaux qui gère la convention du non-alimentaire, les fêtes de Genève et Telecom ont été un "flop" total. Vous le savez et vous le confirmez. Vous dites non ? Alors, vous êtes en désaccord sur ce point avec le secrétaire patronal en question. Ce n'est pas fréquent et vous avez raison de le souligner, Monsieur Vaucher. Monsieur Maitre, j'ignore quand vous faites vos courses, mais il s'est avéré que je me trouvais, vendredi dernier, à la Migros de Balexert, à 20 h. Il y avait quinze caissières devant quinze caisses ouvertes et deux clients ! Puis au centre-ville, chez Aeschbach, que constatez-vous ? Mieux encore, au centre-ville, le magasin Aeschbach est fermé, à l'initiative de la direction, faute d'un seul client ! C'est un "flop" total et il suffit de se rendre sur place pour s'en convaincre.

En revanche, la situation du personnel est grave. Elle fait sourire certains, y compris M. Annen, mais pas nous. Ayez au moins le courage de dire que ce problème, vaguement attristant pour certains, ne vous préoccupe pas. Mais ne cherchez pas, une fois encore, des prétextes juridiques totalement contestables, comme l'a rappelé Christian Grobet.

Bien que des exemples vous aient déjà été donnés, je ne crois pas inutile, Monsieur Halpérin, de vous en montrer d'autres pour que vous puissiez évoluer dans votre analyse. On peut toujours être optimiste ! Je vous rappelle donc que la LDTR, modifiée à plusieurs reprises en votation populaire, a fait l'objet de nombreux recours au Tribunal fédéral, de la part des milieux qui vous sont proches, et qui prétendaient, apparemment avec un certain bon sens, que le droit du bail est réglementé au niveau fédéral. C'est juste, selon le Code des obligations auquel vous avez fait allusion. Et les gens que vous représentez, avant que nous adoptions cette LDTR, tenaient le même discours que vous en disant : «Il y a ce Code des obligations qui réglemente, de façon exhaustive, le droit du bail et, en particulier, la fixation du loyer. Alors, comment voulez-vous que nous, petit canton de Genève, puissions nous immiscer dans cette compétence fédérale, en donnant la compétence au département des travaux publics de fixer les loyers lorsqu'il délivre une autorisation ?». Dans cette optique, cela avait l'air assez probant.

Vous savez ce qu'il est advenu de ces recours au Tribunal fédéral : ils ont tous été rejetés, le Tribunal fédéral confirmant, d'après le raisonnement que nous tenons à propos du présent projet de loi, qu'il est possible, dans le cadre d'une autorisation délivrée par l'administration, de l'assujettir - s'agissant d'une autorisation de police - à des conditions.

Nous ne réglementons pas des problèmes inhérents au droit au travail, nous assortissons une autorisation de police d'un certain nombre de conditions. Voilà toute la différence ! Et le fait qu'elle puisse vous échapper fournirait, à lui seul, une raison principale et fondamentale pour que ce débat puisse avoir lieu en commission, avec la possibilité pour tout un chacun de se forger une opinion, et non pas en entendant M. Halpérin qui, du haut de sa superbe, est certain de détenir la vérité absolue. Nous en avons la preuve, le Tribunal fédéral est souvent d'un avis contraire aux thèses que vous défendez, puisque des compétences cantonales permettent, heureusement, d'aller plus loin, Monsieur Halpérin, que ce que vous semblez supposer. Si l'on devait suivre votre raisonnement dans l'étude des dossiers qui nous sont soumis, ce parlement n'aurait pas beaucoup de travail, parce qu'il n'y aurait que fort peu de compétences cantonales.

Mme Micheline Calmy-Rey (S). Les partis de l'Entente ont instauré une tradition détestable, celle de faire monter aux barricades un député bien précis pour emballer d'arguments juridiques leur refus sur le fond. Le Grand Conseil, quant à lui, instaure une pratique que nous n'approuvons pas non plus, pratique qui est celle d'engager des discussions immédiates sur des projets de lois de la minorité. C'est une forme d'intolérance à l'égard des projets soumis par la minorité, puisque vous refusez d'en débattre en commission. Je regrette ces pratiques, car elles sont le signe d'un mauvais fonctionnement du Grand Conseil.

Des arguments juridiques ont été évoqués et je n'entrerai pas en matière sur ce point. Lors du débat sur les nocturnes, nous en avons suffisamment discuté et les divergences d'opinions ont été mises en évidence.

Pour ce qui est des arguments de fond, c'est-à-dire des conditions de travail, j'ai entendu dire quelque chose qui m'a fait bondir. Ce sont des arguments futiles, avez-vous dit, Monsieur Halpérin ! Des arguments futiles quand on sait que sur les vingt et un mille emplois de la branche, seul quinze mille sont protégés par des conventions ! Il en reste six mille qui mériteraient une protection sociale accrue, six mille dans un secteur très défavorisé, où il y a des salaires de 2 500 F par mois, où se concluent des contrats sur appel, et cela en grand nombre. Un secteur encore où l'on connaît des abus, des utilisations de personnes au-delà des heures normales de fermeture des magasins, et cela sans aucune compensation. Et vous vous permettez de réduire tout cela à des arguments futiles ! Soit vous connaissez mal le sujet, Monsieur Halpérin, et vous vous taisez ! Soit vous défendez des commerçants qui ne respectent pas les conventions collectives, ce qui me décevrait de votre part.

La loi genevoise sur les heures de fermeture des magasins pose certains problèmes et je trouve légitime d'en faire état. L'ouverture prolongée jusqu'à 20 h, un soir par semaine, est entrée en vigueur le 1er janvier 1995 et a incontestablement conduit à une détérioration des conditions de travail dans certaines entreprises. Les exemples les plus connus sont Denner et «Jouets Weber», qui ont modifié, en conséquence, leur horaire de travail dès le 1er janvier 1995. Or, l'article 14, alinéa 3, de la loi sur la fermeture des magasins établit, je cite : «Le Conseil d'Etat, en élaborant son règlement, veille notamment à ce que l'octroi des autorisations n'entraîne pas des détériorations de la situation du personnel». Et pourtant, c'est ce que nous constatons ! De nombreux abus peuvent, en outre, être relevés, notamment en ce qui concerne la libération du personnel, cela en contravention avec l'article 9, alinéa 2. Enfin, en vertu de l'article 7 de la loi, le département peut accorder des dérogations aux dispositions de la présente loi lorsqu'un intérêt commercial ou touristique évident le justifie. C'est ce point précis que reprend le projet de loi déposé par nos collègues. Ces dernières dérogations se sont multipliées au point de présenter un caractère régulier. Un règlement, publié cet été, a institutionnalisé ce régime d'exception et ne prévoit rien concernant les conditions de travail. On pourrait qualifier la démarche réglementaire d'abus d'autorité, dans la mesure où elle permet d'organiser régulièrement des ouvertures exceptionnelles, sans référence aux conditions de travail, donc en contradiction avec l'esprit du législateur.

Ces problèmes devraient pouvoir être discutés en commission. Ils sont sérieux. Et les arguments, qui ne sont pas futiles, nous amèneront soit à accepter le projet de loi présenté par nos collègues de l'Alliance de gauche, soit à modifier le règlement du Conseil d'Etat, de façon que les abus mentionnés plus haut ne puissent plus se produire.

M. Bernard Clerc (AdG). Une fois de plus, nous avons entendu des arguments juridiques évoquant, notamment, l'inviolabilité du droit fédéral. Une fois de plus, nous avons constaté que l'on ne se préoccupe guère de connaître et surtout de révéler les conséquences de la déréglementation sur les conditions de vie des travailleuses et des travailleurs de ce secteur.

On nous parle d'un besoin de flexibilité, d'un besoin impérieux, venant on ne sait d'où, mais qui exigerait, à tout prix, la soumission des salariés. Nous prétendons que la flexibilité n'est pas inéluctable. Nous prétendons que la concurrence française, dont vous faites état, n'a rien à voir avec les heures d'ouverture, et vous le savez fort bien. Un article, paru dans la «Tribune de Genève», démontre que la concurrence française porte essentiellement sur les prix : les 82% des gens qui achètent en France le font pour des raisons pécuniaires et non d'ouverture des commerces.

Quel objectif visez-vous à travers cette flexibilité et cette déréglementation ? Lors du débat sur la loi, l'an dernier, vous aviez annoncé la couleur, jugeant insuffisantes des ouvertures jusqu'à 20 h. M. Maitre vous a suivis sur ce terrain, en accordant les dérogations dont il vient d'être fait état, et vous n'ignorez pas que de nouvelles demandes d'ouverture sont présentées pour le vendredi, jusqu'à 21 h 30. Et c'est ce débat-là, sur la flexibilité, que vous ne voulez pas mener, sous prétexte de droit fédéral.

J'aborde un dernier point, celui des conséquences sociales qui ne produisent jamais leurs effets à court terme, mais qui, à un moment donné, devront être supportées par l'Etat, par exemple les effets dus à l'absence d'encadrement ou de présence des parents auprès des enfants : une frustration que ressent particulièrement le personnel de vente. Vous serez donc obligés d'assumer, d'une manière ou d'une autre, les coûts des conséquences de la flexibilité à tout crin que vous voulez introduire.

Je rappelle enfin que cette flexibilité ne s'arrêtera pas aux ouvertures nocturnes, puisque les partis de l'Entente soutiennent également, au niveau fédéral, un projet de loi pour des ouvertures le dimanche.

M. Christian Ferrazino (AdG). Nous en venons, maintenant, à défendre le projet en tant que tel, comme nous l'aurions fait en commission.

Ainsi que l'a reconnu M. Maitre, la première disposition de l'alinéa 2, de l'article 7, est de la compétence cantonale : il s'agit de l'heure d'ouverture des magasins. En ce sens, ce n'est pas une question juridique qui vous est posée, mais une question politique. Aussi devrez-vous, pour y répondre, développer des arguments politiques et non des arguments juridiques, puisque le problème ne se pose pas. Faut-il, oui ou non, fixer une limite d'ouverture à 20 h, dans les cas exceptionnels ? Certains disent surtout pas, parce que cela nuirait à la relance économique. Alors, pourquoi nous sommes-nous opposés, dès le début, aux ouvertures nocturnes ? Parce que, contrairement à l'industrie, elles n'offrent, s'agissant des commerces, aucune augmentation de productivité et, contrairement à ce que prétendent certains, ne relancent nullement la consommation.

Pour s'en convaincre, il suffit de se référer à une récente étude du professeur Flückiger, de l'université de Genève. Il en ressort que la masse salariale totale a baissé en moyenne, depuis 1990, de 3% au niveau suisse. Et à Genève, je vous le donne en mille, cette réduction salariale est de 10% ! C'est dire que notre canton est durement touché. Au moment où les loyers et les cotisations des assurances-maladie augmentent, la masse salariale, à Genève, diminue trois fois plus que dans les autres cantons ! Et c'est là que l'on nous chante : «Il faut ouvrir les magasins pour que les gens consomment davantage». C'est le pouvoir d'achat qu'il faut augmenter ! Comment voulez-vous que les gens consomment quand ils n'ont plus d'argent ? C'est insensé ! Ne faites pas croire que vous prenez de pareilles mesures pour relancer la consommation, puisque les gens n'y accèdent plus.

Voilà pourquoi nous proposons de fixer à 20 h l'heure limite d'ouverture des magasins. J'attends de connaître les arguments de ceux qui s'y opposent pour pouvoir, le cas échéant, reprendre la parole, car je vous rappelle, Madame la présidente, que je ne suis intervenu que deux fois.

La présidente. C'est noté, Monsieur Ferrazino, je suis d'une équité parfaite !

M. Gilles Godinat (AdG). J'aimerais rapidement intervenir sur deux points.

Le premier, c'est l'argument développé par le Conseil d'Etat au moment de la votation sur l'ouverture nocturne qui a abouti en votation populaire. L'argument était la création d'emplois. J'aimerais bien savoir, après bientôt une année, où nous en sommes dans la création d'emplois stables dans ce secteur. Est-ce que oui ou non l'ouverture nocturne a créé de nouveaux emplois ? J'aimerais avoir une réponse précise sur ce point.

Deuxièmement, j'aimerais encore rappeler - et ce n'est pas une question de larme à l'oeil, mais je souhaite juste attirer votre attention sur ce point - que les horaires atypiques créent des états de stress. Depuis que des études ont été faites sur ce sujet, nous savons que l'état de santé peut être perturbé quand les heures de travail sont prolongées. C'est une réalité socio-biologique. Lorsqu'une atteinte potentielle à la santé des gens est prévisible, il faut donc bien évaluer si les mesures que nous prenons sont adéquates ou pas. Or, il semble vraiment que les horaires atypiques posent ce type de problèmes.

Je ne veux pas redévelopper des arguments sur le plan social, mais nous savons que, lorsque les femmes ayant des charges de famille rentrent chez elles à la suite d'horaire retardé, l'équilibre familial en est perturbé. A long terme, le coût social pour l'ensemble de la société devient plus élevé que le bénéfice à court terme que vous semblez vouloir défendre.

M. Michel Halpérin (L). Deux mots de remerciements : je suis très touché que M. Ferrazino me trouve superbe; il n'est pas mal non plus. Quant à M. Grobet, je suis content qu'il me trouve suffisant : j'aurais été beaucoup plus triste s'il m'avait trouvé insuffisant. Par conséquent, je me réjouis de ce début de convergence entre nous.

Puisque, maintenant, nous avons abordé enfin le fond du débat - vous avez su nous faire une nouvelle démonstration de ce qu'on peut parler de tout autre chose en profitant du cadre d'un débat - il est temps de préciser certaines réalités.

Vous n'avez pas tort, Monsieur Godinat, de rappeler que de suivre des horaires mobiles, qui avancent ou reculent, de transformer ses certitudes en incertitudes, de voir des nocturnes s'installer périodiquement, ce n'est pas très bon pour l'équilibre nerveux, même pas pour le nôtre, preuve en est que des minorités ont réussi à renverser des majorités, il n'y a pas si longtemps, sur des problèmes d'horaires. Je dois donc en déduire que le Dr Godinat a raison : ce n'est pas bon pour la santé d'avoir des horaires qui ne sont pas fixes.

Mais ce n'est non plus très bon pour la santé, ni la nôtre, ni celle de nos familles, d'avoir des économies qui brinquebalent, vont à vau-l'eau, un commerce qui se délite et qui ne peut plus résister à la concurrence du voisinage.

Quelques-uns d'entre vous ont évoqué tout à l'heure le problème de nos voisins français qui réussissent à attirer une clientèle qui apparemment nous fuit. Mme Calmy-Rey, qui n'est ni suffisante, ni insuffisante sur ce sujet, nous disait : «Il y a vingt et un mille emplois dans le petit commerce». Non, Madame, il n'en reste actuellement que dix-huit mille, les autres sont perdus pour tout le monde. Ceux qui les ont perdus ne sont pas moins stressés que ceux à qui l'on demande aujourd'hui de faire un effort, que ce soient eux-mêmes ou leurs employeurs, qui ne sont pas tous des hydres de Lerne à têtes multiples, mais bien souvent de petits patrons.

Il faut se retrousser les manches. Il faut commencer à engager le combat pour la survie sur tous les fronts. Vous avez raison de dire que les Français vendent plus facilement que nous, d'abord parce qu'ils appareillent peut-être mieux leurs magasins, ensuite parce qu'ils ont des horaires plus souples, enfin parce qu'ils ont des salaires qui sont la moitié des nôtres. Il faut bien le dire !

Si nous ne pouvons lutter avec eux ni sur le front des salaires, ni sur celui des heures d'ouverture, ni sur celui de l'achalandage - parce que nous avons encore toute une série de problèmes douaniers, vétérinaires et autres qui nous rendent non compétitifs sur ce point-là aussi - si nous ne pouvons pas régater avec la chute du dollar et avec la hausse du franc suisse, parce que nous n'avons aucune prise sur ces éléments, alors il ne nous reste plus effectivement qu'à mourir étouffés sous notre gloire passée, parce que nous n'aurons pas eu le courage, à un moment donné, de choisir entre deux stress, le moindre.

Alors quand nous serons tous morts, nous ne serons pas stressés, Monsieur Godinat, mais, en attendant, nous avons aussi le droit d'entreprendre la lutte pour notre survie. Ce n'est pas une lutte dans laquelle on commence par resserrer les boulons carcéraux comme on l'a fait pendant les années fastes. A cette époque-là, ceux qui siégeaient sur vos bancs pensaient déjà qu'il fallait consolider les acquis sociaux à tout prix. Avant de faire du droit, Monsieur Grobet, vous étiez sur un autre banc et je rappelais déjà qu'à force de vouloir serrer les boulons on allait casser le moral des troupes et des entrepreneurs. Voilà, c'est fait ! Le moral est cassé ! Maintenant, vous voudriez bien le ramasser, nous aussi ! Nous proposons pour ce faire qu'on empoigne les problèmes, qu'on se retrousse les manches et qu'on se mette au travail. Le temps des règlements doit être derrière nous parce qu'on n'a plus les moyens d'en faire.

Voilà en gros ce que je voulais vous dire pour vous expliquer pourquoi, indépendamment des problèmes juridiques bons ou mauvais que j'ai soulevés tout à l'heure, j'estime que les problèmes de fond, d'économie, de survie cantonale de la distribution et du commerce, justifient qu'aujourd'hui on refuse ce projet-là. (Applaudissements.)

Mme Maria Roth-Bernasconi (S). Je trouve quand même étonnant que seule une personne de l'Entente s'intéresse à ce problème et que tous les autres ne semblent pas y accorder attention. (Protestations.)

M. Michel Halpérin. Ils sont plus compétents que toi, même si...

La présidente. M. Halpérin, s'il vous plaît ! Si vous aussi vous vous y mettez, alors...!

Mme Maria Roth-Bernasconi. Plusieurs problèmes ont été évoqués et j'aimerais répondre à M. Halpérin.

Finalement, vous voulez qu'on ait les salaires du tiers-monde pour que notre économie marche ! Je vous rappelle que, même si en France les salaires sont plus bas, le pouvoir d'achat y est plus élevé qu'en Suisse. Des enquêtes ont été faites sur ce sujet. Vous savez cela aussi bien que moi.

C'est justement cette baisse du pouvoir d'achat qui fait que l'industrie intérieure ne marche plus. L'économie extérieure marche très bien, merci pour elle ! Cependant, c'est l'économie intérieure qui pose problème, justement parce que les gens n'ont plus d'argent pour acheter quoi que ce soit à Genève.

J'aimerais aussi vous rappeler que ce sont notamment les femmes qui travaillent dans le commerce. Comme au niveau fédéral, on veut toujours faire avancer l'économie sur le dos des femmes, alors que des inégalités salariales entre hommes et femmes d'environ 30% existent encore. On préconise la flexibilité d'un côté mais, de l'autre, on n'offre pas de contrepartie aux gens qui acceptent de la pratiquer. Nous sommes désolés que cette discussion ne puisse avoir lieu en commission.

M. Jean-François Courvoisier (S). Monsieur Halpérin, on retourne toujours au même problème des achats en France voisine, qui reviennent moins cher, soi-disant parce que les gens sont mal payés. J'ai le privilège de posséder une résidence secondaire près de Frangy... (Manifestation.) ... et je peux vous assurer que les employés des supermarchés vivent aussi bien que les employés de la Migros, que les assurances sociales sont supérieures aux nôtres et que, si on va là-bas, c'est parce que les produits alimentaires sont moitié moins cher qu'ici.

M. Vodoz, que j'ai rencontré au supermarché de Saint-Julien-en-Genevois, le sait très bien... (Rires.) ...parce que je l'ai vu sortir avec un panier très rebondi, ce qui montre qu'il s'occupe mieux de ses finances personnelles que de celles de notre Etat. (Applaudissements.)

M. Jean-Claude Genecand (PDC). Les débordements en matière de fermeture des magasins, signalés tant par la motion que par le projet de loi, sont un signe de malaise plus profond.

Que le commerce aille mal à Genève, c'est malheureusement un truisme qui s'impose de plus en plus. Aucun secteur n'est épargné. Certains sont plus touchés que d'autres, mais ce qui est nouveau depuis quelques années, c'est que ce marasme ne touche plus seulement des entreprises artisanales mais également les grands magasins et les grandes surfaces. Autre nouveauté, c'est que le "Sonderfall Genève" se confirme par rapport aux autres cantons romands, mais surtout par rapport à la Suisse allemande. En effet, les chiffres démontrent que le reste de la Suisse en général progresse faiblement alors que Genève continue à régresser.

Face à cet aspect, les uns veulent renforcer la législation, tandis que d'autres prônent la dérégulation. La Fédération des artisans et commerçants a décidé d'organiser un débat sur cette question le 20 novembre prochain. Interroger nos membres sur l'expérience de l'ouverture retardée est une démarche honnête que nous nous imposons, car, au sein d'un comité, il y a des intérêts divergents qui ne sont pas forcément le reflet de l'ensemble des membres.

Mais quel que soit le résultat de ce sondage, il y a une réalité économique au quotidien qui se manifeste par la fermeture d'entreprises - cinq boucheries ont déjà mis la clé sous le paillasson en 1994 - ou encore par des difficultés de paiement de primes d'assurances, ce qui démontre que l'équilibre financier de certaines entreprises est des plus précaires.

Mesdames et Messieurs, je crois qu'il est temps que nous nous interrogions sur les causes de ce marasme économique, car je ne crois pas que nos chefs d'entreprises dans leur ensemble soient moins compétents que ceux d'autres cantons. Je ne crois pas que la formation soit défaillante, que nos méthodes de travail soient archaïques ou moins rationnelles qu'ailleurs; ni qu'un manque de dynamisme serait une des raisons de la régression ambiante.

La cause première est assurément la cherté du franc. La parité du franc n'est pas seulement le reflet du PNB mais aussi la conséquence du fait que notre monnaie est un refuge qui préserve les intérêts de la haute finance. La deuxième cause : les quarante kilomètres de frontières que nous partageons avec la France voisine. La troisième cause : le pouvoir d'achat qui s'est tassé, voire a même diminué pour certains.

Comme nos moyens d'action sur ces éléments sont inexistants, il faut inventer d'autres solutions. En toile de fond, il s'agit de promouvoir un esprit de solidarité entre le chef d'entreprise et son personnel. Si l'objectif d'une grande surface est de prendre une nouvelle part de marché, le marché étant ce qu'il est, il est évident qu'un autre en pâtira.

Dans un article paru dans le «Monde diplomatique», le professeur Ricardo Petrella nous dit que les "tables de la loi" d'aujourd'hui sont celles du marché : ou bien l'homme s'y soumet, ou bien économiquement il disparaît. Ces nouvelles "tables de la loi" comportent six commandements : trois relevant des impératifs fondamentaux et trois des moyens nécessaires.

Le développement de cette logique de la prédominance du marché sur l'homme conduit, selon le professeur, à la déduction que seuls des segments limités de la population pourront tirer leur épingle du jeu dans l'avenir. Cela fait froid dans le dos ! Que feront les autres ? En d'autres termes, cette lutte sans merci laissera davantage de perdants sur le carreau que de gagnants.

En filigrane de ces débordements en rapport avec la LHFM, quid des ouvertures nocturnes, une, deux, voire plusieurs fois par semaine ? Qui en seront les bénéficiaires ? Quels avantages va en retirer la population ? Quelle influence sur le PNB genevois ? Le personnel sera-t-il gagnant ? Autant de questions que je soumets à votre réflexion, car la fuite en avant n'a jamais conduit à des solutions durables.

M. Nicolas Brunschwig (L). Il me semble important de rappeler deux ou trois points, qui ont d'ailleurs été évoqués par les uns ou les autres lors de ce débat. Tout d'abord par rapport aux dix-huit mille ou vingt mille emplois qui existent dans la branche, les chiffres ont effectivement diminué depuis cinq ans, étant donné que Genève subit une crise très importante dans la distribution, depuis août 1990. Plus des deux tiers des emplois sont soumis à des conventions collectives, en particulier celle des deux grands distributeurs alimentaires et celle du commerce de détail non alimentaire.

A ce propos, je crois bon de rappeler, que celles-ci sont les meilleures conventions collectives qui existent, non seulement en Suisse mais en Europe et, sans doute, dans le monde. Ceci est un point important à soulever lorsqu'on entend les discours à la "Zola" que certains tiennent sur les bancs d'en face. Je défie quiconque de trouver une meilleure convention collective que celle qui existe à Genève dans cette branche. C'est là un point essentiel que je crois devoir rappeler aujourd'hui. L'autre tiers, Monsieur le député Grobet, est constitué par des petites entreprises, principalement ou presque exclusivement, à quelques exceptions près, alimentaires ou non alimentaires, et, malheureusement, personne, ni vous, ni le canton, ni la Confédération, ne peut les forcer à adhérer à une convention collective, si elles ne le désirent pas, compte tenu que la structure du droit est conçue ainsi. Cela vous le savez très bien et à cet égard l'information du professeur Berenstein, que nous avons étudiée dans le cadre de la commission de l'économie, n'est pas aussi claire, intéressante et pertinente que vous l'avez mentionné.

Un deuxième élément qui me semble tout à fait important au sujet des salaires qui seraient en stagnation ou en diminution, ce qui est sans doute vrai, à ceci près que nous devrions examiner ces chiffres avec plus de précision, notamment pour pouvoir évaluer s'ils tiennent compte de l'inflation ou non. Nous devrions en faire une analyse plus approfondie avant de pouvoir donner des chiffres. Ce qu'on peut en dire, c'est qu'on peut constater, depuis quatre ou cinq ans, une augmentation de l'épargne tout à fait considérable, d'où on pourrait induire un changement du comportement du consommateur, plutôt qu'un problème financier. La problématique est donc plus complexe qu'on pourrait le supposer à première vue, ce n'est pas simplement un problème de pouvoir d'achat, mais plutôt un changement de comportement, puisque l'épargne semble augmenter notablement depuis quatre ou cinq ans.

Le troisième point que je voudrais soulever, car il me semble que nous débattons depuis fort longtemps sur ce projet de loi 7298, c'est qu'il ne porte que sur trois ou quatre soirées par année, car, sauf erreur de ma part, le Conseil d'Etat avait proposé de faire des ouvertures prolongées exceptionnelles, à l'occasion du salon de l'automobile, des fêtes de Genève et de Télécom, lequel n'a lieu qu'une fois tous les quatre ans, malheureusement d'ailleurs. Il peut y avoir occasionnellement une dérogation, par exemple, pour une fête de quartier. Il s'agit donc de bien mesurer l'impact de ce projet de loi, par rapport au débat actuel. Si vous désirez faire un débat sur la distribution à Genève, il y aurait effectivement beaucoup à dire, mais dans le cadre d'un autre projet de loi.

M. Pierre Vanek (AdG). Au sujet de ce qui vient d'être dit par M. Brunschwig, qui a fait allusion à trois ou quatre soirées par an, j'avais cru entendre une énumération des possibilités de dérogation plus importante, de la part de M. Maitre tout à l'heure. Par ailleurs M. Brunschwig nous a vanté les grands mérites des conventions collectives régissant les conditions de travail dans la branche de la vente à Genève. Si ces mérites étaient aussi grands, je ne vois pas pourquoi il ne serait pas possible d'adopter un projet de loi qui prévoie des compensations, qui sont minimales je le rappelle, à savoir que la prolongation de la durée de travail doit être intégralement compensée en heures de congé, les heures de travail accomplies en dehors des heures de fermeture normale doivent en outre bénéficier d'une prime de 50% par rapport au salaire horaire ou d'un congé compensatoire supplémentaire correspondant à 50% de ces heures supplémentaires régies par des conventions collectives satisfaisantes et bien appliquées. Ce sont des conditions élémentaires qui devraient être mises en place afin de minimiser les inconvénients que mes collègues ont évoqués, qui sont, à mon avis plus que des inconvénients; ce sont des problèmes graves causés par ce type d'horaire prolongé. Mon collègue Christian Grobet a fait un lapsus dans son intervention, en évoquant "horreur" prolongé au lieu d'"horaire"; je crois que pour un certain nombre de vendeuses et de vendeurs, il s'agit bien "d'horreur prolongée".

Maintenant j'aimerais également dans ce débat, saluer ce que le député Genecand a dit à l'instant sur la nécessité de ne pas considérer les lois du marché comme étant des règles qui devraient apporter les solutions à nos problèmes sociaux, à l'instar d'une divinité vénérée, de manière obligatoire et naturelle. Je crois qu'effectivement il faut une rupture avec cette conception qui considère que les lois du marché sont faites pour tout régler et qu'il suffit de s'y conformer et d'enlever toutes les barrières à leur libre cours. On voit à l'échelle planétaire, ce que donne le libre jeu des lois du marché. Nous sommes là pour faire autre chose que simplement laisser faire. Nous sommes là, Monsieur Halpérin, pour légiférer, pour réglementer aussi. J'aimerais terminer à ce sujet. Lorsque M. Halpérin a pris la parole tout à l'heure, il a évoqué les acquis sociaux en termes de "boulons carcéraux", qu'il s'agirait de faire sauter. A mon avis, les acquis sociaux sont des choses indispensables aux conditions de vie et d'existence de la grande majorité de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Je crois qu'il est évident que nous devons nous battre pour que l'on considère les acquis sociaux dans ce sens et non comme des "boulons carcéraux". Il a dit : «Le temps des règlements est derrière nous». Or nous sommes ici précisément pour légiférer et proposer des réglementations intelligentes, qui permettent, comme ce projet de loi, de protéger la majorité des gens contre l'effet ravageur d'une politique de dérégulation.

Dernière remarque, lorsque M. Brunschwig évoque le problème de la consommation, en disant que c'est un problème de changement de comportement, puisque nous constatons que l'épargne augmente, c'est qu'il y a des gens qui préfèrent mettre de l'argent de côté plutôt que de consommer, je vous assure qu'il y a, dans ce canton, une majorité de personnes pour lesquelles la régression de la consommation n'est pas due qu'à une simple réaction psychologique. Si l'épargne augmente, il faut voir aussi de quelle épargne il s'agit, car il y a effectivement dans ce canton un certain nombre de personnes qui, malgré la crise, continue à s'enrichir de manière assez éhontée.

M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, il a été posé quelques questions au cours de ce débat et l'une d'entre elles est la question de M. Godinat, qui a demandé si le régime de fermeture retardée à 20 h est un régime efficace ou crée des emplois.

A cet égard les avis sont très contrastés, vous avez un certain nombre de commerçants qui estiment que la fermeture retardée à 20 h une fois par semaine représente de loin et de très loin, et c'est précisément le jeudi que cela se produit, le meilleur chiffre d'affaires journalier pendant la semaine et que cela a été une contribution significative au maintien des emplois qui étaient les leurs, à défaut de quoi ils auraient dû probablement se séparer d'un certain nombre de collaborateurs. Vous avez des commerçants qui vous disent : c'est un bon jour pour le chiffre d'affaires hebdomadaire, mais ça n'a pas de résultat significatif. Et vous avez des commerçants qui ne trouvent pas que cela est utile en raison de la structure de leur commerce et qui n'utilisent pas cette possibilité. Ce dont vous devez vous souvenir, c'est qu'il s'agit d'une fermeture retardée à 20 h. Et là tous les commerçants et les consommateurs également trouvent que c'est une demi-mesure. Mais c'est une demi-mesure que nous avons acceptée et le Conseil n'entend pas se déjuger à cet égard, car ce régime à 20 h a été, pour partie, l'aboutissement d'une négociation d'une convention collective. Il y a donc eu un accord des partenaires sociaux, et nous n'avons pas voulu allez au-delà de ce que les partenaires sociaux avaient négocié. Je crois qu'il faut s'en souvenir, car c'est un point important.

A partir de là, que ce soit par le régime hebdomadaire à 20 h ou que ce soit dans le cadre des quelques dérogations qui sont accordées, il ne faut pas attribuer aux nocturnes des vertus qu'elle ne peuvent, de toute façon, pas avoir. Ce n'est par définition pas la panacée, mais c'est une contribution très utile.

Les commerçants qui la pratiquent peuvent vous dire qu'elle est absolument utile, car il est vrai que la concurrence en France est redoutable et qu'à cet égard nous ne pouvons nous battre qu'avec les quelques armes que nous avons dans nos mains. Or nous n'avons pas la capacité de régler le niveau du franc suisse, nous n'avons pas la capacité d'influencer la législation française, utilisons donc les quelques armes, au demeurant modestes, qui sont entre nos mains. Et ces armes impliquent de revenir à davantage de flexibilité des horaires de distribution.

Que pouvons-nous constater en France ? Il est très intéressant de voir que les magasins, qui pratiquent les systèmes les plus larges d'ouverture nocturne, sont les magasins qui sont l'objet des plus fortes demandes d'embauche, parce que cette flexibilité fait également l'affaire du personnel. Cela vous est confirmé systématiquement par les employeurs du commerce de détail français et il se trouve qu'il y a quelques employeurs qui peuvent faire la comparaison, en l'occurrence Migros, puisque Migros opère à la fois sur sol genevois et sur sol français, et Migros voit bien la différence d'attractivité des emplois entre la France et la Suisse, respectivement, en raison de la flexibilité des horaires.

Deuxièmement, il est vrai que les prix en France, dans le commerce de détail alimentaire - car dans le secteur non alimentaire, cela est assez largement discuté - sont, pour un certain nombre d'articles assez classiques et connus de tous, moins chers. Mais moi, j'aimerais vous poser une question. On se préoccupe à juste titre des conditions de travail, et M. Brunschwig a eu raison de relever que les conventions collectives étaient bonnes dans notre canton et que là où il n'y a pas de convention collective, il ne faudrait pas oublier qu'il y a des conventions de branches, des conventions d'entreprises et que, dans un certain nombre de cas, les seuls accords individuels de travail représentent des bases qui sont conformes aux usages. En France, il est tout de même intéressant de constater que le personnel, pour reprendre vos propos, est "victime" de la flexibilité des horaires, que le personnel, pour reprendre vos préoccupations justifiées, gagne en moyenne générale des salaires qui se situent entre le tiers et la moitié des salaires helvétiques. A ce point nous pouvons nous poser la question de savoir ce que font les syndicats français, si ce n'est d'avoir compris, que, pour pouvoir se battre dans le commerce de détail, il faut créer les conditions qui permettent de faire venir le client, et c'est probablement ce que vous n'avez pas suffisamment compris à Genève.

Dans ce contexte-là, il y a une chose qui est vraiment désolante, c'est que le commerce de détail, qui est le premier employeur du canton en nombre d'emplois, vit une situation extraordinairement difficile. Aujourd'hui, face à cette situation difficile, on voudrait fermer davantage encore le robinet des possibilités d'exploitation commerciale, et cela, que vous le vouliez ou non, serait au détriment de l'emploi, sans que personne ne puisse véritablement chiffrer ce que cela pourrait coûter en termes d'emploi. A terme, on sait qu'il en va de la compétitivité du commerce de détail sur terre genevoise. Et s'il en va de la compétitivité du commerce de détail à Genève, il en va des emplois dans ce secteur. Vous nous donnez souvent de bonnes leçons à cet égard. Je vous demande de penser simplement aux perspectives d'emploi dans un secteur extrêmement touché et nous ne pourrons pas régler ces problèmes avec des verrous supplémentaires à ceux de la législation actuelle qui est déjà une législation très restrictive comparée à ce que l'on connaît chez nos concurrents français voisins et même chez nos concurrents vaudois voisins. (Applaudissements.)

M. Christian Grobet (AdG). Je constate, Monsieur Maitre, que vous avez conservé votre habileté dialectique habituelle, puisque au lieu de répondre à la question que vous a posée M. Godinat, vous en formulez une autre à laquelle, du reste, il ne nous appartient pas de répondre.

M. Godinat a pourtant posé une question très précise et particulièrement pertinente, parce que toute la campagne menée lors du référendum contre la fermeture retardée des magasins tournait autour de l'argument que cette nocturne permettrait la création d'emplois. Combien de fois l'ai-je entendu lorsque nous récoltions des signatures ou que nous menions campagne contre cette loi ! Les gens nous disaient : «Mais, après tout, si cela crée des emplois, allons-y !» Or, on vous pose une question précise : combien d'emplois l'ouverture retardée d'une heure, depuis le début de l'année, a-t-elle permis de créer ? Nous n'avons pas de réponse !

Il est vrai que vos statistiques continuent, Monsieur Maitre, à être totalement insuffisantes dans bien des domaines économiques - je ne voudrais pas ouvrir ce débat, ce soir. Toujours est-il que nous n'avons pas de réponse.

Effectivement, une réponse détournée existe et je l'ai lue dans la page patronale publiée dans un grand quotidien de la place qui a organisé un débat sur les ouvertures nocturnes. On pouvait imaginer qu'assistaient à ce débat au moins deux représentants patronaux - M. Kunz bien sûr et quelqu'un d'une des coopératives de consommation - ainsi que des représentants des travailleurs. Or, on a pu lire dans cette page patronale beaucoup de critiques sur les travailleurs, sans que ceux-ci puissent y répondre n'ayant pas été conviés à ce débat... évidemment, puisque c'était une page patronale !

On n'y a pas parlé non plus de création d'emplois, mais, comme M. Maitre l'a souligné, on y dit que ces ouvertures retardées auraient permis de maintenir des emplois. (Manifestation.) On voit déjà que le but allégué lors de la votation... (Une voix interrompt l'orateur.)

On n'en sait rien du tout ! C'est vous qui l'affirmez ! Mais ce que je constate, c'est que le motif invoqué, une année auparavant, n'est pas valable, car aucun chiffre ne vient l'étayer.

Quant à vous, Monsieur Halpérin, on connaît votre recette : «Pour faire marcher l'économie, déréglementons !». Nous sommes évidemment en divergence totale avec vous et nous affirmons que, plus nous déréglementerons, plus la concurrence sera vive, plus les entreprises disparaîtront et les emplois par la même occasion.

Nous sommes persuadés que les heures de fermeture retardée favorisent d'abord les grands magasins et ce au détriment du petit commerce. Vous verrez que plus vous libéraliserez dans ce secteur, plus vous favoriserez les grands. On ne créera pas d'emplois ainsi, mais on va au contraire accélérer la perte d'emplois dans le commerce de détail, parce que les petits ne pourront pas régater avec les grands.

J'ai eu récemment l'occasion de discuter avec les syndicalistes qui sont en pourparlers avec les directeurs des grands magasins. Ceux-ci, eux-mêmes, admettent que ces fermetures retardées les favorisent au premier chef. C'est en fait une bataille pour essayer de s'arracher une partie de la clientèle, au profit des grands et au détriment des petits, sur le dos de l'emploi.

Puisque vous faites beaucoup de droit, Monsieur Halpérin, j'aimerais souligner que l'une des premières lois de notre pays était celle interdisant la concurrence déloyale, comme vous le savez. Si ceux qui n'étaient pas tellement favorables à l'interventionnisme à cette époque ont légiféré sur cet objet, c'est parce qu'ils savaient qu'une concurrence exacerbée se fait toujours au détriment du maintien de l'économie.

Par contre, à fort juste titre, vous avez mentionné toute une série de facteurs mettant le commerce de détail en difficulté à Genève. Le fond du problème, la seule réalité, c'est que les gens vont acheter en France parce que c'est moins cher - ça au moins, la page patronale de la «Tribune de Genève» l'a dit ! C'est cela la vraie raison de ce transfert de clientèle vers la France ! (Brouhaha.)

A noter que vous avez des gros commerçants genevois comme la Migros - c'est assez pitoyable - qui ont favorisé ce transfert de clientèle de l'autre côté de la frontière par la création de deux centres commerciaux en France. Or, après avoir agi de la sorte, ils demandent maintenant qu'on prenne des mesures sur le dos des employés pour essayer de compenser leurs prétendues pertes à Genève.

Vous avez donné toute une série d'exemples, Monsieur Halpérin, notamment le franc trop élevé. Tous ces facteurs sont généralement maîtrisés par la majorité que vous représentez et qui gouverne à Berne. On pourrait prendre des mesures pour faire baisser le franc suisse, mais la Banque nationale s'y refuse. (Protestations.) Or, vous savez très bien qui régit la Banque nationale ! Ce ne sont certainement pas les milieux de gauche et encore moins l'Alliance de gauche ! Mais vous ne voulez pas prendre de mesures dans ce domaine.

Dans la fameuse page patronale, on a encore admis au moins un facteur que vous avez oublié : la cherté des terrains à Genève. (Protestations.)

Citons un exemple : la Migros qui veut s'installer aux Charmilles. Savez-vous quelle est la charge foncière du centre commercial des Charmilles ? Elle est si élevée qu'elle a pesé très lourdement dans la réalisation de cet ouvrage. Il ne faut donc pas s'étonner si les prix des marchandises sont élevés dès lors que les loyers sont exorbitants en raison de cette spéculation foncière.

Vous estimez qu'on ne peut pas influer sur toutes ces causes, mais, par contre, le seul facteur qu'on aurait le droit de toucher selon vous, ce sont les employés, les travailleurs. Lorsqu'on a dit tout à l'heure qu'il faut avantager la flexibilité de l'emploi, il faut savoir de quoi on parle. J'ai eu l'occasion de parler avec un jeune qui a travaillé dans un magasin et s'est rendu compte des horaires. Il commençait à 7 h du matin et terminait à près de 19 h le soir. Effectivement, il y a deux heures de congé entre midi et 14 h. (Une voix interpelle l'orateur.)

Je ne vous ai pas interrompu, laissez-moi parler !

Mais cette interruption à midi n'est pas satisfaisante, vous le savez comme moi, Monsieur Kunz qui riez bêtement... (Contestation.)

J'aimerais bien que vos vendeuses vous voient, parce que, pour elles, notamment celles qui prennent le car depuis Annecy pour venir travailler à Genève, croyez-vous vraiment que cette pause obligée de deux ou trois heures durant la journée est un avantage ? (Charivari.)

La réalité, c'est que des vendeuses se lèvent à 6 h du matin et retournent chez elles à 20 h et que vous voulez maintenant les faire rentrer à 21 h ou 22 h. De plus, elles n'ont même pas le samedi de congé !

Une voix. C'est nul !

M. Christian Grobet. Ce n'est pas nul, c'est la réalité sociale !

Il n'est pas juste de parler simplement du nombre d'heures de travail quand vous avez de fait un horaire qui commence tôt le matin et finit tard le soir. Aujourd'hui, le personnel du commerce de détail est très fortement mis à contribution au niveau des horaires par rapport au personnel des autres secteurs de l'économie.

Tout à l'heure, on a entendu M. Brunschwig faire l'apologie des conventions collectives, mais, en réalité, comme vous l'avez admis, un tiers des employés n'en bénéficient pas.

Alors que demande ce projet de loi ? Simplement de leur accorder une compensation minimale. Or, cette compensation qu'ils ne peuvent souvent pas obtenir par convention collective, vous la refusez à ceux qui sont le plus exploités. Il est absolument déplorable sur le plan social que vous refusiez d'admettre qu'on accorde une protection légale à des gens qui ne peuvent pas l'obtenir à travers des conventions collectives - dont vous nous avez vanté les mérites.

Il s'agit aussi d'éviter qu'on puisse ouvrir abusivement les commerces jusqu'à des heures trop avancées, sachant quels sont déjà les horaires de travail que subissent les travailleurs de cette branche.

Par conséquent, Mesdames et Messieurs, si vous analysez bien ce projet de loi, nous demandons en définitive fort peu de choses. Nous ne voulons pas revenir en arrière, pas du tout ! Nous demandons que le Conseil d'Etat ne puisse pas utiliser abusivement une dérogation pour accorder davantage que ce que permet la loi. C'est tout ce que demande ce projet de loi.

M. Nicolas Brunschwig (L). Je suis désolé d'intervenir, mais comme M. Grobet ne croit pas les propos de M. Maitre, je peux l'assurer, en tant qu'employeur, comme la plupart des employeurs de cette branche, que l'ouverture prolongée du jeudi a permis de sauver de nombreux emplois.

M. Christian Grobet. Mais en a créé combien ?

M. Nicolas Brunschwig. J'aimerais également rappeler...

La présidente. Messieurs de l'Alliance de gauche, s'il vous plaît, laissez parler M. Brunschwig. Laissez-le parler, Monsieur Ferrazino !

M. Christian Ferrazino. Combien d'emplois ont été créés ?

La présidente. Monsieur Ferrazino ! (Charivari.)

Une voix. Ça fait son beurre !

M. Nicolas Brunschwig. Le beurre c'est la Migros ! Moi, je ne fais pas dans le beurre !

La présidente. Monsieur Vaucher, nous nous acheminons vers une suspension de séance ! C'est ce que vous voulez ?

M. Nicolas Brunschwig. Enfin, j'aimerais rappeler à M. Grobet que selon les conventions collectives de la branche le temps de travail est limité à quarante heures par semaine. Or, six jours par semaine à raison de dix heures par jour, puisqu'il n'y a pas de week-end, c'est largement plus que les quarante heures. Je ne comprends donc pas la portée de son exemple.

J'aimerais relever deux de vos contradictions, Monsieur Grobet, qui me paraissent importantes :

Tout d'abord, vous dites que le tiers, non soumis aux conventions collectives, a des conditions de travail et sociales affligeantes. Monsieur Grobet, ce tiers, justement, représente les petits commerces que, d'un autre côté, vous voulez sauver. Les obliger à adopter les conditions qui figurent dans les conventions collectives serait pour ces petits commerces une mort certaine, car, effectivement, cela leur créerait des charges bien supérieures à celles qu'ils ont actuellement.

Alors, si vous voulez sauver les petits commerces, ce qui est effectivement important pour le tissu commercial, ne les soumettez pas aux mêmes conditions que celles qui existent dans les conventions collectives de la branche !

Enfin, vous vous contredisez lorsque vous parlez des raisons premières qui poussent les Genevois à faire des achats en France. C'est effectivement les prix dans le domaine alimentaire, mais vous savez que les deux raisons principales sont le protectionnisme agricole qui existe en Suisse... (Brouhaha.) ...il faut le dire, Monsieur Grobet, et les différences de salaire, car les salaires en France sont de deux à trois fois inférieurs ! On ne peut donc pas vous laisser dire n'importe quoi et sans arrêt à cette tribune !

C'est pourquoi je me suis permis de me relever, et je m'en excuse auprès des députés et du Conseil d'Etat.

La présidente. Bien, Mesdames et Messieurs les députés, personne ne demandant plus la parole, nous allons passer au vote d'entrée en matière sur le projet de loi 7298.

M. Bernard Clerc (AdG). Madame la présidente, pour ce vote nous demanderons l'appel nominal. (Appuyé.)

La présidente. L'appel nominal a été demandé, nous allons y procéder.

Celles et ceux qui acceptent l'entrée en matière sur ce projet répondront oui, et celles et ceux qui la refusent répondront non.

Ce projet est rejeté en premier débat par 50 non contre 37 oui et 1 abstention.

Ont voté non (50) :

Bernard Annen (L)

Michel Balestra (L)

Florian Barro (L)

Luc Barthassat (DC)

Claude Basset (L)

Roger Beer (R)

Janine Berberat (L)

Claude Blanc (DC)

Nicolas Brunschwig (L)

Thomas Büchi (R)

Hervé Burdet (L)

Anne Chevalley (L)

Hervé Dessimoz (R)

Jean-Claude Dessuet (L)

Daniel Ducommun (R)

Pierre Ducrest (L)

Jean-Luc Ducret (DC)

Michel Ducret (R)

Henri Duvillard (DC)

Catherine Fatio (L)

Jean-Pierre Gardiol (L)

Henri Gougler (L)

Nelly Guichard (DC)

Janine Hagmann (L)

Michel Halpérin (L)

Elisabeth Häusermann (R)

Claude Howald (L)

Yvonne Humbert (L)

René Koechlin (L)

Pierre Kunz (R)

Claude Lacour (L)

Bernard Lescaze (R)

Armand Lombard (L)

Olivier Lorenzini (DC)

Pierre Marti (DC)

Michèle Mascherpa (L)

Alain-Dominique Mauris (L)

Geneviève Mottet-Durand (L)

Vérène Nicollier (L)

Jean Opériol (DC)

Barbara Polla (L)

David Revaclier (R)

Martine Roset (DC)

Micheline Spoerri (L)

Marie-Françoise de Tassigny (R)

Jean-Philippe de Tolédo (R)

Pierre-François Unger (DC)

Olivier Vaucher (L)

Jean-Claude Vaudroz (DC)

Michèle Wavre (R)

Ont voté oui (37) :

Fabienne Blanc-Kühn (S)

Jacques Boesch (AG)

Anne Briol (Ve)

Fabienne Bugnon (Ve)

Matthias Butikofer (AG)

Micheline Calmy-Rey (S)

Pierre-Alain Champod (S)

Liliane Charrière Urben (S)

Sylvie Châtelain (S)

Bernard Clerc (AG)

Jean-François Courvoisier (S)

Anita Cuénod (AG)

Laurette Dupuis (AG)

Christian Ferrazino (AG)

Luc Gilly (AG)

Gilles Godinat (AG)

Mireille Gossauer-Zurcher (S)

Christian Grobet (AG)

Dominique Hausser (S)

David Hiler (Ve)

Liliane Johner (AG)

Sylvia Leuenberger (Ve)

Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve)

Liliane Maury Pasquier (S)

Pierre Meyll (AG)

Laurent Moutinot (S)

Chaïm Nissim (Ve)

Danielle Oppliger (AG)

Elisabeth Reusse-Decrey (S)

Jean-Pierre Rigotti (AG)

Maria Roth-Bernasconi (S)

Christine Sayegh (S)

Max Schneider (Ve)

Jean Spielmann (AG)

Evelyne Strubin (AG)

Claire Torracinta-Pache (S)

Pierre Vanek (AG)

S'est abstenu (1) :

Jean-Claude Genecand (DC)

Etaient excusés à la séance (4) :

Claire Chalut (AG)

Marlène Dupraz (AG)

René Ecuyer (AG)

Philippe Schaller (DC)

Etaient absents au moment du vote (7) :

Erica Deuber-Pauli (AG)

John Dupraz (R)

Bénédict Fontanet (DC)

Pierre Froidevaux (R)

René Longet (S)

Andreas Saurer (Ve)

Yves Zehfus (AG)

Présidence :

Mme Françoise Saudan, présidente.

 

La séance est levée à 19 h 15.