République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du vendredi 22 septembre 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 9e session - 40e séance
I 1943
Mme Claire Chalut (AdG). Suite à une perquisition, pour le moins musclée, faite, au mois d'août, chez des familles originaires du Kosovo, je fais l'interpellation suivante :
La constitution genevoise dit dans son article 2, alinéa 1, que «tous les Genevois sont égaux devant la loi» et dans son article 2A, alinéa 2, «qu'il appartient aux autorités législatives et exécutives de prendre des mesures pour assurer la réalisation de ce principe». Ce principe devrait signifier que tout citoyen, habitant à Genève, est égal devant la loi, quelles que soient son origine ou sa fortune. Depuis quelque temps, le département de justice et police a une façon très personnelle d'observer le principe de ce droit.
Ainsi, après d'autres événements du même type, ce fut le tour de plusieurs familles kosovares, dont certaines habitent à Genève depuis de nombreuses années - et c'est le cas de celle qui nous préoccupe aujourd'hui - de connaître, en date du 22 août, leur "petit matin de cristal".
Monsieur Ramseyer, si cette perquisition autorisée, sur mandat dûment délivré, était tout à fait légale, la manière dont ce mandat a été exécuté est, elle, tout à fait inadmissible et indigne de la part d'un canton qui ne cesse d'invoquer les droits de l'homme... pour les autres !
D'autre part - mais faut-il vous le rappeler ? - les policiers prêtent serment et jurent de respecter les termes de la loi qui suppose, également, que toute personne, quel que soit le délit commis, est supposée être innocente jusqu'à droit jugé. Or, une perquisition effectuée par quinze à vingt policiers - peu importe le nombre d'ailleurs - qui pénètrent chez les gens en les tirant du lit au petit matin, en terrorisant des enfants, en braquant des armes à feu sur eux et sur les personnes présentes, tout en commettant des dégâts matériels, n'est pas conforme à ce serment.
Aujourd'hui, ce sont des familles kosovares qui sont victimes du zèle outrancier de vos sbires. Demain, à qui le tour ? Je tiens, par ailleurs, à préciser que la nationalité des personnes qui pourraient être ainsi touchées n'est pas le plus important. Ce qui l'est, en revanche, c'est que nous ne tolérerons, en aucun cas, cette manière qu'ont vos inspecteurs d'appliquer la loi. Faites-nous confiance, nous serons là pour vous le rappeler autant de fois qu'il le faudra !
Monsieur Ramseyer, vous l'aurez compris : ce n'est pas d'une justice de deux poids, deux mesures que nous voulons, et Genève, jusqu'à preuve du contraire, n'est pas Chicago ! Pour nous, il ne peut pas y avoir deux justices pour les citoyens, selon qu'ils marchent au soleil ou à l'ombre. Voici mes questions :
1) A quand un contrôle digne de ce nom de vos policiers, pour empêcher d'autres exactions du même genre ? En effet, ces événements, qui ont fait du bruit, ne constituent pas un cas isolé.
2) Suite au départ précipité du détenteur de la patente, la propriétaire du restaurant, soucieuse de sauvegarder la possibilité d'exploiter, s'est inscrite au cours des cafetiers. Etes-vous disposé à lui laisser le temps d'arriver au terme de ce cours et de passer les examens qui lui sont liés ?
3) Suite aux événements susmentionnés, vous avez imparti à cette propriétaire un délai jusqu'au 25 septembre, c'est-à-dire lundi prochain, pour qu'elle régularise sa situation. Par conséquent, soit elle retrouve une patente ou un exploitant, soit elle court le risque d'une cessation de commerce, en guise d'amende : le comble, sachant qu'elle a été victime des "politesses" de vos policiers ! Ils ont, en effet, endommagé le sous-sol. La personne en question vient de présenter à vos services une demande d'autorisation précaire d'exploitation, laquelle lui permettrait de régulariser sa situation, de terminer son cours avec de meilleures chances de succès que sous la pression d'un délai aussi court que celui imparti à ce jour. Lui accorderez-vous cette autorisation ?
4) A la suite de ces événements, la famille a subi des torts moraux et matériels considérables. Comment le département envisage-t-il de les réparer ?
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Comme il est fait allusion au département de justice et police, et à la police en particulier, je précise, a priori, qu'il s'agit d'une affaire de justice.
La police a agi sur mandat d'amener, délivré par un juge, dans le cadre d'un trafic de drogue. Ce même juge a délivré plusieurs mandats de perquisitionner. C'est donc une affaire de justice et pas, essentiellement, une affaire de police.
Vous vous êtes exprimée, Madame la députée, sur la façon de perquisitionner de la police. Quelques mots d'explication sont donc nécessaires :
Au début de cette affaire, il y avait des doutes sérieux sur les lieux de résidence de chacun. Ce clan familial kosovar échange des appartements sans en avertir les propriétaires, de sorte que l'on ignore qui habite où. Ensuite, il y avait, plus grave, la présence d'armes dans plusieurs de ces appartements. Dans ce cas, il est évident qu'une perquisition n'est pas conduite en tapant gentiment à la porte, en demandant que l'on veuille bien nous ouvrir.
L'intervention n'a pas eu lieu à 5 h du matin, comme écrit dans un journal, mais à 6 h 45. En dehors de l'irruption des policiers, aucune menace n'a été proférée contre quiconque et surtout pas contre des enfants. Afin de vous rassurer, je précise que deux officiers de police étaient présents pour diriger cette perquisition demandée, je le rappelle, par la justice.
Les enfants sont demeurés sur place, sous la garde d'adultes. Les portes ont effectivement été forcées. Mais pour être complète, vous auriez pu ajouter, Madame, qu'elles ont été réparées dans l'heure et, bien entendu, aux frais de la police.
Quand vous affirmez qu'il y a deux poids, deux mesures, je ne vois pas ce que vous voulez dire. Ce n'est pas la faute de la justice si 90% des délits commis à Genève le sont par des étrangers. Les perquisitions sont toutes menées de la même façon, qu'il s'agisse d'étrangers ou de ressortissants suisses.
Je réponds maintenant à vos questions.
Vous souhaitez, de la part du département, plus de contrôle dans des affaires de ce genre. Je vous conseille de ne pas juger d'après l'effet médiatique des événements, mais de le faire sur la base de rapports et de la réalité de la situation. Il est tout de même étrange que cette affaire n'ait soulevé aucune remarque de qui que ce soit pendant trois jours. Si elle avait été scandaleuse, les réactions auraient été immédiates. Quant au contrôle, on ne peut faire plus que d'envoyer sur place deux officiers de police, commissaires de surcroît.
Vous parlez ensuite de la patente d'une des personnes impliquées. Cette personne est actuellement au bénéfice de la situation découlant du retrait de patente du précédent détenteur, lequel a fait l'objet de la perquisition. Son certificat de capacité a été retiré le 23 août 1995 et Mme G., propriétaire du fonds de commerce depuis avril 1994, c'est-à-dire depuis moins de cinq ans, n'est, en principe, pas autorisée à reprendre le commerce, cela en vertu des dispositions légales.
J'aimerais, Madame le députée, vous tranquilliser. Tout d'abord, je vous rappelle vous avoir demandé le texte de votre interpellation, afin de voir s'il y avait, peut-être, quelque chose à faire. Vous avez refusé de me dire de quoi vous alliez parler, mais je l'avais deviné en regardant vos yeux vastes et limpides ! Par conséquent, j'avais, depuis deux jours déjà, le dossier sous la main pour vous répondre.
Par lettre du 21 septembre, j'ai accordé à Mme G. un nouveau délai au 15 décembre 1995 pour qu'elle obtienne son certificat de capacité et, par voie de conséquence, l'autorisation d'exploiter. En outre, je lui ai signalé que contre ce nouveau délai au 15 décembre, elle pouvait recourir au tribunal administratif, dans les trente jours. Plus, je ne puis. Mais, motivée comme elle l'est, je suis persuadé que Mme G. obtiendra son certificat et retrouvera la patente à propos de laquelle vous vous êtes exprimée.
Vous demandez quel dédommagement les personnes perquisitionnées, sur ordre de justice, peuvent obtenir au niveau moral. Il n'y a, bien entendu, aucun dédommagement. Les dégâts matériels, par contre, sont réparés, si tant est qu'il ne s'agisse pas d'autre chose que de la porte.
J'espère, Madame la députée, vous avoir rassurée sur mon objectivité. J'ajoute, pour vous et pour tout le monde, que si une interpellation traite d'un problème urgent, et que vous avez le sentiment qu'il y a quelque chose à faire, l'idéal est d'annoncer votre interpellation et de vous ouvrir à moi du sujet que vous souhaitez aborder. Je suis à même de vous répondre rapidement, donc de satisfaire, du moins partiellement, à votre demande. C'est ce que j'ai tenté de faire avec cette réponse qui est terminée, en ce qui me concerne.
Mme Claire Chalut (AdG). Monsieur Ramseyer, mon interpellation a été déposée tout à fait normalement, dans les délais prévus par le règlement de ce Grand Conseil. Ce n'est pourtant pas de ma faute si la séance de vendredi dernier s'est terminée dans un "boxon" indescriptible ! (Rires.) De ce fait, je vous ai remis mon texte écrit.
Des armes ont été trouvées, dites-vous; à croire qu'il y en avait tout un stock ! Effectivement, la famille G. possédait deux pistolets, parce qu'au bénéfice non d'un permis de port d'arme mais d'un permis l'autorisant à pratiquer le tir au stand, sous réserve de ne pas détenir de munitions à domicile. Ce fait était connu de la police.
Cette interpellation est close.