République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 22 juin 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 8e session - 30e séance
P 999-A et objet(s) lié(s)
(P 999-A)
Sous la présidence de M. Jean-Philippe De Tolédo, président, la commission de la santé du Grand Conseil s'est réunie à quatre reprises, les2 décembre 1994 et les 13 janvier, 10 février et 3 mars 1995, en présence, chaque fois, de M. Albert Rodrik, chef de cabinet du DASS, pour étudier la pétition suivante:
PÉTITION
Réforme de la loi sur la santé testament biologique
Le droit à une mort digne et le respect du choix du patient quant à la fin de sa vie font partie des libertés démocratiques qui devraient être garanties à chaque individu. La révision de la législation sanitaire genevoise est l'occasion d'ancrer dans la loi ces libertés.
C'est pourquoi les soussignés demandent:
qu'un article soit inséré dans le projet de loi sur la santé qui reconnaisse la validité juridique de la déclaration pour une mort digne («testament biologique») et qui enjoigne aux médecins, infirmiers et tous auxiliaires de la santé qu'aucun traitement ni aucune mesure médicale ne soient entrepris contre la volonté actuelle du patient ou celle qu'il a valablement exprimée au préalable dans un testatment biologique;
que le même projet de loi prévoie que chaque patient soit informé lors de son admission dans un établissement hospitalier sur la signification du testament biologique et sur son droit de rédiger un tel document.
Mme Mme J. Marchig
Présidente EXIT A.D.M.D.
Suisse romande
Association
pour le droit de mourir
dans la dignité
Case postale 100
1222 Vésenaz
N. B.: 8091 signatures
Elle a auditionné successivement Mme J. Marchig, présidente en exercice d'EXIT, accompagnée de Mme J. Nordmann et de M. B. Reich, en date du2 décembre 1994, puis, le 13 janvier 1995, le professeur Erich Fuchs, professeur d'éthique à la faculté de théologie protestante, ainsi que leDr Charles-Henri Rapin, médecin-chef des policliniques de gériatrie et membre fondateur et premier président de la Société suisse de médecine palliative. Le 10 février 1995, elle a visionné un film vidéo hollandais intitulé «Pour une mort programmée» qui montre une euthanasie active pratiquée par un médecin sur son patient, en Hollande. Sa dernière séance a été consacrée aux débats et au vote.
Tout d'abord, qu'est-ce qu'EXIT A.D.M.D., et que veulent-ils ?
Historique
EXIT A.D.M.D., Association pour mourir dans la dignité, a été fondée en 1982 et répondait alors à un besoin de créer un organisme qui assiste les mourants sur le plan juridique et social, afin de faire respecter la volonté de ceux-ci d'avoir une fin de vie douce, sans acharnement thérapeutique de la part des médecins et de l'équipe soignante, en diminuant leurs souffrances, voire en abrégeant carrément celles-ci. Au départ, EXIT s'est basée sur les «Directives concernant l'euthanasie» de l'Académie suisse des sciences médicales, tout en les dépassant sur un point: en accordant aux patients la possibilité de mettre un terme à une souffrance sans espoir.
Nous sommes ici en présence de deux options: la première consistant à procurer au patient une atténuation de ses souffrances et en assurant son confort tout en évitant de le conserver en vie à tout prix (soins palliatifs supprimant toute thérapeutique active): c'est l'euthanasie dite passive; la seconde permettant au corps médical d'assurer l'assistance à une mort volontaire pour les patients en stade final qui le désirent: c'est l'euthanasie dite active.
Cette dernière option a conduit EXIT à publier en 1983 un guide de l'«Autodélivrance», contenant de multiples recettes pour le suicide. Devant l'opposition manifestée tant par les pouvoirs politiques que par une partie de l'opinion publique, EXIT a modéré quelque peu ses prises de positions, tout en persistant à pousser les autorités politiques à légiférer dans ce domaine afin de finir par faire admettre légalement l'euthanasie active. Actuellement, leur pétition engage le législateur à donner force de loi aux «testaments biologiques» et oblige les équipes soignantes à les respecter sans préciser quelles seraient les sanctions qu'endureraient ceux qui ne respecteraient pas cette loi.
Par «testament biologique», on entend un texte signé par le patient, demandant que l'on renonce à tout acharnement thérapeutique en cas de mal incurable et d'état désespéré consécutif à une maladie ou à un accident et qu'on lui procure un traitement calmant de la douleur suffisant pour apaiser ses souffrances, même si cela devait hâter sa mort. Ceci est valable pour la version d'EXIT.
Il existe d'autres versions de ce testament biologique (voir annexes), entre autres, celui de la Fédération des médecins suisses, celui de Caritas et un autre, anonyme, dont l'inspiration varie peu, à part celui d'EXIT, qui va plus loin dans sa dernière proposition (abréger la souffrance même si cela devait hâter la fin).
Le problème de l'euthanasie en lui-même a été traité également devant les chambres fédérales (interpellation de J. S. Eggly au Conseil national, du 16 décembre 1993, de Gilles Petitpierre du 17 décembre 1993, au Conseil des Etats, et motion Victor Ruffy au Conseil national, du 28 septembre 1994, demandant la légalisation de l'euthanasie active). Dans ses réponses, le Conseil fédéral, qui constate que l'euthanasie passive n'est pas punissable (initiative parlementaire Allgöwer au Conseil national, du 27 août 1975), renvoi à l'article 115 du CPS qui condamne l'euthanasie active et estime que cette motion n'est pas acceptable en l'état actuel. De fait, la motion Ruffy fut transformée en postulat.
Actuellement, la plupart des Etats européens rejettent l'euthanasie active, à l'exception des Pays-Bas, qui la tolère moyennant des garde-fous très sérieux (réglementation adoptée en 1993).
Quant au testament biologique lui-même, seul le Danemark (en Europe) dispose pour l'instant d'une législation le reconnaissant expressément. La plupart des Etats des USA (à l'exception du Massachusetts, du Michigan et de l'Etat de New York) disposent d'une telle législation, ainsi que l'Etat d'Australie du Sud. La plupart des autres nations ont renoncé à légiférer en ce domaine.
Or, le but de la pétition d'EXIT est de nous pousser à faire une loi contraignant les soignants à respecter à la lettre ce «testament biologique» quelles qu'en soient les conséquences. Il est bien entendu que la finalité de cette démarche serait de faire admettre légalement l'euthanasie active, but que s'est fixé cette association.
Auditions diverses et débats de la commission
Le 2 décembre 1994, la commission a auditionné Mme J. Marchig, actuelle présidente d'EXIT, accompagnée de Mme J. Nordmann et deM. B. Reich. Mme Marchig a rappelé que la pétition avait recueilli8000 signatures, qu'EXIT avait répondu à un réel besoin de la société et que la mesure proposée clairifierait la relation entre le patient et le médecin (ce dernier saurait ainsi jusqu'où il peut aller). M. Reich rappelle que le «testament biologique» a été créé en 1967 aux USA. Le problème se pose évidemment, pour les soignants, lorsque le patient n'est plus capable de discernement: c'est pour cela que ce document a été conçu. La commission s'étonne cependant de la nécessité de légiférer dans ce domaine, les dernières volontés d'un mourant étant, en principe, respectées de fait. Mme Marchig nous apprend alors qu'aux USA le fait de légiférer à ce sujet a évité beaucoup d'acharnements thérapeutiques. Il semble qu'actuellement, faute de bases légales, ce testament soit loin d'être respecté dans tous les cas et qu'il s'est passé des faits horribles dans les hôpitaux.
Désirant en savoir plus, la commission a entendu le 13 janvier 1995 le professeur Eric Fuchs, professeur d'éthique à la faculté de théologie protestante de Genève, membre pendant plusieurs années de la commission d'éthique de la Société suisse de médecine palliative, accommpagné duDr Charles-Henri Rapin, directeur des policliniques de gériatrie et premier président et membre fondateur de la même société. Il est ressorti de cette discussion que, même si le «testament biologique» est une chose valable en soi et implicitement admise par la plupart des personnes concernées, les décisions qui vont en résulter sont du ressort de l'éthique et non de la loi. On ne peut contraindre des soignants à commettre des actes que leur conscience réprouve (d'autre part, l'euthanasie active, si elle était demandée, reste poursuivie d'office par l'article 115 du CPS). Il semble au professeur Fuchs qu'il serait préférable que les politiques évitent de trop légiférer. Certains commissaires pensent que la formation des jeunes médecins dans ce domaine est insuffisante et qu'il faudrait que les médecins traitants puissent être consultés lorsque des problèmes d'éthique en fin de vie se posent à l'hôpital. Ce point de vue est partagé par le Dr Rapin. Ensuite, la commission désirant avoir l'avis du professeur Guillot, professeur de droit à l'université de Neuchâtel et directeur de l'institut de droit à la santé de cette faculté, celui-ci nous apprend par lettre que certains cantons ont déjà légiféré en la matière (Appenzell Rhodes-Extérieures, Argovie et Neuchâtel) et que d'autres sont sur le point de le faire. Il estime que l'on pourrait ajouter un alinéa à l'article 5 de la loi K 1 30.
La commission prend en outre connaissance de nombreux autres documents, dont un ancien avis de droit de 1986 du professeur Max Keller-Schwegler, professeur de droit à Zurich, qui conclut en disant que le «testament biologique» est permis par la loi, qu'il oblige le destinataire et que le médecin ne peut s'en écarter que s'il peut prouver que ce document ne correspond plus à la volonté réelle et actuelle du patient. Le disposant peut charger un tiers de veiller à son exécution.
Enfin, le 10 février 1995, la commission a visionné un film vidéo produit par les Pays-Bas et intitulé «Pour une mort programmée». Ce film nous montre le cas d'un patient atteint d'une maladie incurable en l'état actuel des choses (la sclérose latérale amyotrophique) qui demande à son médecin de lui administrer l'euthanasie. Tous les temps de cette démarche sont filmés, jusqu'à la mort de l'intéressé, qui survient devant l'objectif. La discussion qui s'ensuit montre qu'il subsiste une zone «grise» de «lois non écrites» comme le disait Antigone et qu'il n'est pas pnossible de légiférer jusqu'au bout dans un domaine si sensible.
L'ensemble de la commission, au vu et au su de tous ces éléments, est assez réticente à légiférer mais estime que l'on peut tout de même ajouter un texte à la loi K 1 30 qui donne une base légale au «testament biologique» tout en étant peu contraignante pour le médecin et les soignants. En effet, chaque cas est un cas d'espèce et le problème qui nous est posé est avant tout éthique plutôt que juridique. Reprenant un texte proposé par le professeur Guillot, tout en le retravaillant pour le rendre supportable à la sensibilité genevoise, la question est alors posée de savoir si l'on accepte un rajout à la loi actuelle.
Cette proposition est adoptée par 12 oui et 1 abstention (L). Le texte de ce rajout, une fois retravaillé par la commission, est enfin mis au point (c'est le texte du projet de loi que la commission vous présente en annexe de ce rapport) et adopté par 12 oui et 1 abstention (L).
En conséquence, Mesdames et Messieurs les députés, la commissionde la santé vous demande de bien vouloir déposer cette pétition 999 à titrede renseignement sur le bureau du Grand Conseil et de bien vou-loir subséquemment voter le projet de loi ci-joint qui vient compléter laloi K 1 30.
(PL 7252)
PROJET DE LOI
modifiant la loi concernant les rapports entre membres des professionsde la santé et patients
(K 1 30)
LE GRAND CONSEIL,
Décrète ce qui suit:
Article unique
La loi concernant les rapports entre membres des professions de la santé et patients, du 6 décembre 1987, est modifiée comme suit:
Art. 5, al. 3
(nouveau, les al. 3 à 6 anciensdeviennent les al. 4 à 7)
3 Les ultimes directives anticipées, rédigées ou exprimées par le patient avant qu'il ne devienne incapable de discernement, doivent être respectées par les professionnels de la santé, en tenant compte de l'avis des proches ou du médecin traitant, s'ils interviennent dans une situation thérapeutique que le patient avait envisagée dans ses directives. Les principes déontologiques des professionnels de la santé sont réservés.
ANNEXE I
ANNEXE II
ANNEXE III
ANNEXE IV
ANNEXE V
Préconsultation
M. Henri Gougler (L), rapporteur. J'aimerais en quelques mots vous expliquer le cheminement de la commission qui nous a conduits à «accoucher» du projet de loi que vous avez sous les yeux.
Il traite d'un sujet extrêmement sensible qui, à première vue et même à seconde vue, n'est pas du tout politique, puisqu'il relève uniquement du domaine de l'éthique. Les débats ont effectivement été très élevés et sans aucune connotation politicienne ou partisane. Nous avons longuement hésité à légiférer ou non sur ce sujet. Ce qui nous a poussés à concocter un projet de loi c'est tout d'abord la volonté de valider l'idée du testament biologique, de plus en plus répandue dans le public et, surtout, d'éviter l'acharnement thérapeutique. C'est dans ce but que nous avons rédigé ce projet de loi. Nous avons voulu valider le testament biologique, mais pas n'importe lequel.
Le projet de loi qui vous est soumis n'est pas parfait - nous en sommes conscients - car tout est perfectible. Nous vous demandons de bien vouloir, d'abord, accepter le dépôt de cette pétition à titre de renseignement sur le bureau du Grand Conseil. Quant au projet de loi, je prie cette docte assemblée de bien vouloir en faire ce qui lui semblera bon ! (Rires.)
Mme Barbara Polla (L). La pétition qui nous a été soumise par EXIT touche un sujet, comme l'a dit le rapporteur, extrêmement sensible et qui concerne personnellement, d'une façon ou d'une autre, probablement la plupart d'entre nous et l'ensemble de la population.
Elle nous a amenés à nous interroger sur l'opportunité ou non de légiférer sur l'utilité ou non de rajouter à la loi K 1 30, qui prend déjà en considération l'indispensable respect au patient et son droit à l'information, un article spécifique concernant le respect de la volonté des patients en fin de vie.
Comment ne pas adhérer à la thèse qui souhaite éviter aux patients en fin de vie des souffrances inutiles ? Comment ne pas souhaiter apporter une aide aux professionnels de la santé, confrontés à ces situations qui, si elles ne sont pas aussi lourdes pour eux que pour les proches, n'en représentent pas moins une des difficultés majeures à laquelle ils doivent faire face quotidiennement ?
Comment ne pas vouloir, avant toute chose, le respect du choix individuel ? Mais comment légiférer sur des problèmes qui touchent davantage à l'éthique personnelle et professionnelle qu'à la loi et comment s'assurer, surtout, qu'en légiférant sur le droit du patient à une mort digne et douce, on ne risque pas de porter atteinte à ses droits les plus essentiels, à savoir le droit aux soins les plus attentifs et les plus efficaces en toute circonstance ?
Devant ce dilemme, la plupart d'entre nous, en commission, ont choisi - si je puis dire - la voie consensuelle, à savoir le choix d'un article de loi, mais qui se voulait non contraignant, de façon à respecter l'indispensable place à laisser à la déontologie personnelle et professionnelle, l'appréciation de chaque cas dans toute son individualité et sa singularité, et cela tout en tenant compte de l'avis des proches, d'une part, mais aussi du médecin traitant, ce dernier comme représentant et garant des volontés du patient, non pas seulement de la volonté exprimée à un moment donné tout particulièrement difficile : celui de l'hospitalisation, mais la volonté exprimée tout au long de la vie et de la maladie.
Il nous semble aujourd'hui, cependant, que cette voie consensuelle, pour habituelle et pour efficace qu'elle soit souvent, s'avère ici insatisfaisante en l'état. Les réactions auxquelles nous nous sommes trouvés confrontés les uns et les autres, réactions très négatives devant ce projet de loi, émanant aussi bien de ceux qui veulent légiférer que de ceux qui ne le veulent pas, nous poussent à vous proposer, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer ce projet de loi en commission.
Il n'est pas question ici de critiquer un travail en commission qui s'est fait dans les meilleures conditions, mais d'admettre que ce travail n'est pas terminé et que nous pouvons probablement l'améliorer. Nous devrions nous reposer la question, à plus large échelle, de la justification comme de la manière de légiférer en la matière. Nous devrions considérer davantage les possibilités d'améliorer la prise en charge des patients et des familles concernées en dehors du cadre légal. Nous devrions pousser plus avant notre réflexion quant à la formation continue des professionnels de la santé dans ces domaines difficiles.
Si nous exprimons à nouveau notre volonté de légiférer, nous devrions, avec l'aide de juristes, rédiger un texte qui précise les conditions d'application de la loi. Ce n'est d'ailleurs que se rallier à la façon habituelle de procéder que de vous faire cette proposition. La discussion immédiate pour un projet de loi délicat et difficile ne se justifie pas, d'autant plus que, très probablement, chacun d'entre nous souhaiterait le voir amendé d'une manière ou d'une autre, et qu'il ne présente pas le degré d'urgence qui sous-tend en général cette demande de discussion immédiate. Si notre travail en commission a abouti à vous proposer un projet, il me paraît logique, à ce stade, que nous incorporions dans ce projet les considérations de l'ensemble du Grand Conseil et non pas seulement celles de ses représentants à la commission de la santé.
Mesdames et Messieurs les députés, afin que nous puissions poursuivre, tous ensemble et au mieux, le travail entrepris, je vous remercie de bien vouloir accepter de renvoyer ce projet de loi à la commission de la santé.
M. Pierre Froidevaux (R). La commission de la santé vous fait rapport sur un sujet d'une extrême sensibilité et d'une importance absolue : en effet, le seul événement prédictible à 100% de la vie est notre passage vers la mort !
Aborder ce sujet sur un plan politique n'est évidemment pas très aisé. La commission, quant à elle, vous suggère de l'étudier dans le sens de la défense de la liberté individuelle. Pour les pétitionnaires, la liberté individuelle passe par la légalisation du testament biologique, qui leur paraît être la meilleure garante du respect physique et moral de l'individu jusqu'aux moments ultimes.
Si les pétitionnaires peuvent avoir raison, il n'est pas démontré qu'ils ont toujours raison, la variabilité humaine dans notre foi et nos espérances étant à l'origine de nos progrès. Cette variabilité s'applique tout aussi bien à nos derniers instants.
Notre commission vous propose, Mesdames et Messieurs les députés, un projet de loi qui tienne compte au mieux du dilemme : respect de la volonté individuelle et variabilité de notre foi, dans ces circonstances aussi exceptionnelles. Nous attendons vos réactions pour une seconde étude en commission, qui obtienne l'aval de tous. Certains parlementaires souhaiteraient que nous n'allions pas aussi loin. Je leur répliquerai que la commission de la santé a eu cette même sensibilité dans un premier temps. Mais au fur et à mesure des débats, il s'est avéré que notre responsabilité politique consistait aussi à rassurer certains, même s'ils sont minoritaires, en leur accordant une place particulière dans la loi K 1 30, qui a trait au respect du patient.
D'autres parlementaires souhaiteraient que nous allions beaucoup plus loin et évoquent l'euthanasie active. Je leur réponds franchement que je ne suis pas du tout d'accord. L'euthanasie active contrevient au principe du développement de la liberté individuelle, également prônée par les pétitionnaires qui cherchent, notamment, à s'affranchir du pouvoir médical, par cette reconnaissance du testament biologique. En effet, une demande d'euthanasie passe nécessairement par la compétence de la noria médicale, et jamais je ne pourrai prétendre que puisse être désigné en fonction de tabelles celui qui doit mourir. Si le débat s'oriente vers l'euthanasie active, cela revient à opposer le pouvoir médical à la liberté individuelle, à banaliser la mort, à animaliser la vie !
M. Pierre-François Unger (PDC). La décision de renvoyer ce projet de loi en commission semblant consensuelle, je m'abstiendrai de prendre la parole.
Mme Liliane Maury Pasquier (S). (L'oratrice attend son micro, car l'opératrice se trompe de bouton.)
Une voix. C'est une autre Liliane !
Une voix. Viens là, le micro est allumé ici !
La présidente. Ecoutez, prenez un autre micro, Madame !
Mme Liliane Maury Pasquier. Non, c'est bon ! Je crois qu'il y a eu confusion sur la personne.
La pétition 999 soulève le problème extrêmement délicat de l'accompagnement médical des personnes en fin de vie. Ce problème est devenu plus crucial au fur et à mesure des progrès scientifiques qui ont permis de repousser les limites de la vie, mais aussi parce que l'intégration sociale a diminué avec l'anonymat des villes, avec les mouvements de population, avec l'accroissement de nos cités. L'effilochage des liens sociaux fait que, de plus en plus souvent, des patients - vous, moi, Mesdames et Messieurs les députés - sont soignés par du personnel médical ou paramédical qu'ils ne connaissent pas. Cette absence de relation préalable nourrit, malheureusement parfois à juste titre, la crainte de l'acharnement thérapeutique.
Le débat en commission sur ce sujet a été, tel que cela ressort du rapport de M. Gougler, nourri et intéressant. Nous n'avons cependant pas toujours évité l'écueil de la confiscation du débat par les médecins membres de la commission, qui font pourtant, j'en suis sûre, tout ce qu'ils peuvent pour être à l'écoute de leurs patients.
Pourtant ce débat est d'abord éthique. Il nous concerne toutes et tous, puisque nous sommes tous mortels. Je suis personnellement convaincue que la crainte exprimée par cette pétition est légitime. Nous avons été élus par les citoyennes et citoyens de ce canton, et nous nous devons d'être attentifs à leurs préoccupations. C'est pourquoi nous avons tenté d'élaborer un projet de loi qui réponde à leurs attentes. Cependant, la tâche - je n'utiliserai pas comme le fait M. Gougler dans son rapport le terme de "réticence" pour l'ensemble de la commission - est difficile, car il fallait s'entourer de précautions devant la délicatesse de cette tâche.
Comment légiférer quand toutes les situations qui se présentent sont autant d'exceptions ? L'être humain variant parfois d'opinion, comment s'assurer que le testament biologique est réellement l'expression de la volonté de la personne concernée au moment où la question se pose ? Quelle forme faut-il donner à l'expression de cette volonté ? Autant de questions qui ont émaillé nos travaux !
Le projet de loi fait une demande de nouveau renvoi en commission, et nous ne nous y opposons pas du tout, pensant que, en la matière, toute précipitation pourrait nuire au bien que nous cherchons tous à atteindre.
M. Andreas Saurer (Ve). Avant d'aborder le projet de loi qui nous est soumis, permettez-moi de faire une remarque concernant la procédure, qui me surprend quelque peu.
En effet, on nous présente un projet de loi émanant d'une commission. Il est donc le résultat d'une discussion que nous avons eue en commission de la santé, suite au dépôt d'une pétition. Nous avons jugé utile de répondre à cette pétition par un projet de loi. Avant d'arriver à ce projet de loi, nous avons auditionné une demi-douzaine de personnes mentionnées dans le rapport. Nous avons même reçu un projet de loi du professeur Guillot, que nous avons amendé comme c'est notre droit le plus élémentaire. Or, après tout ce travail, on nous demande de renvoyer ce projet en commission !
J'admets que le sujet est extrêmement difficile et délicat, qu'il porte sur l'éthique dans un domaine où le clivage gauche/droite n'existe pas; mais cela n'est pas une raison pour le renvoyer en commission. En clair, cela signifie ou que la commission a mal travaillé - ce qui est possible - ou bien - et c'est l'impression que j'ai - que le dialogue entre les représentants des différents partis et leur parti était insuffisant, que la communication n'a pas eu lieu. Malheureusement - et ce n'est pas la première fois - c'est plutôt chez les libéraux que se manifeste ce manque de communication. Un long débat a eu lieu en commission et nous avons finalement trouvé un consensus. Puis, tout d'un coup, certaines personnes ne sont plus d'accord et changent d'avis. Je suis très surpris de cette attitude.
La pétition d'EXIT qui nous a été présentée demande, je cite : «...qu'aucun traitement ni aucune mesure médicale ne soient entrepris contre la volonté actuelle du patient...». Cette pétition demande de pouvoir pratiquer l'euthanasie passive qui est le soulagement de la souffrance, ce qui n'est pas la même chose que raccourcir la vie. Il est vrai qu'en soulageant la souffrance il arrive que la vie soit raccourcie, mais ce n'est pas le but. C'est une pratique courante de nos jours, avec le cadre légal que nous connaissons, aussi bien en milieu hospitalier public que dans le secteur privé. Il existe une association de la médecine palliative qui s'occupe, justement, de ce problème. Nous avons donc une liberté relativement importante dans ce domaine.
En revanche, nous n'avons pas discuté la problématique de l'euthanasie active. Nous avons assisté à un film tourné aux Pays-Bas, extrêmement impressionnant, qui montrait une euthanasie active. Nous avons tous été très touchés, mais nous avons jugé, d'un commun accord, qu'il n'était pas opportun d'aller aussi loin pour le moment.
Pourquoi vous proposons-nous ce projet de loi ? Parce que nous pensons que, malgré le cadre légal actuel, le corps médical pourrait aller un peu plus loin, être un peu plus à l'écoute du patient et, surtout, de ses proches. Nous avons tous connu des exemples nous donnant l'impression qu'on peut faire des progrès dans ce domaine. Nous avons donc jugé utile d'exercer une certaine pression en introduisant cette notion de testament biologique, mais, en même temps, nous avons voulu fixer un garde-fou, à savoir que la déontologie des professions de la santé soit respectée. Nous entrons là dans un domaine extrêmement délicat. Je me sens d'autant plus à l'aise pour en parler que j'étais un des promoteurs de l'initiative "Pour les droits des malades", qui a été concrétisée par une loi au sujet des droits des malades et du consentement éclairé du patient.
Maintenant, nous nous trouvons, avec ce testament biologique, dans une situation très particulière, dans laquelle le patient exprime ce qu'il pense désirer lorsqu'il n'aura plus son discernement pour le faire. Nous devons reconnaître que personne ne peut savoir ce qu'une personne peut véritablement souhaiter dans une telle situation : c'est l'inconnue «fondamentale» ! Nous pouvons supposer plein de choses, mais nous ne pouvons être sûrs de rien. J'ai été, à plusieurs reprises, confronté à des situations dans lesquelles il me semblait évident que les malades avaient envie de mourir. Je pense, en particulier, à un grand-père de nonante-huit ans, dont la vie avait été parfaitement remplie. J'ai été fort surpris, comme ses proches d'ailleurs, de la force avec laquelle il a lutté jusqu'au dernier moment pour rester en vie. Cela ne correspondait probablement pas à ce qu'il pensait auparavant. On s'aperçoit que l'instinct de vie est très fort et que ce domaine reste très complexe.
J'ai vécu une autre situation avec une personne qui avait signé la déclaration d'EXIT, qui est venue me voir pour que je l'aide à raccourcir sa vie. Mais, finalement, en discutant, il s'est avéré que cette personne souhaitait avant tout un soulagement de la douleur. Cela s'est très bien passé, du reste, en milieu hospitalier.
Nous devons reconnaître que nous sommes dans un domaine où personne ne peut dire ce qui va se passer. C'est un domaine complexe qui ne peut être codifié par la voie légale.
Je vous rappelle, par ailleurs, que la loi K 1 30, sur les droits des malades, est une des rares lois qui ne contienne pas de règlement d'application, et pour cause. En l'occurrence, je rends hommage à M. Vernet, prédécesseur de M. Segond, qui, délibérément, ne voulait pas de règlement d'application dans ce domaine, car il n'est pas raisonnable de vouloir le codifier. En effet, nous savons que les relations avec les proches jouent un rôle essentiel dans la qualité thérapeutique. Il me semble donc illusoire de vouloir réglementer dans ce domaine, tout au plus pouvons-nous fixer un certain nombre de principes. L'amendement qui vous est proposé me paraît très sage, parce qu'il fixe certains principes tout en laissant une certaine liberté d'action dans un domaine très complexe.
Cela dit, si vous souhaitez le renvoyer en commission, je ne m'y opposerai pas, même si cette procédure me laisse perplexe.
M. Bernard Clerc (AdG). Je voudrais simplement dire que l'accompagnement en fin de vie ne me semble pas devoir être l'apanage du corps médical. C'est l'une des raisons de mon intervention de ce soir, puisque seuls des médecins ou du personnel médical se sont exprimés à ce sujet, qui concerne tout le monde.
J'interviens également, parce que j'ai vécu, à deux reprises, une expérience d'accompagnement en fin de vie de personnes qui m'étaient proches. J'ai pu constater que ces personnes passaient par des phases très différentes, réclamant la mort à certains moments, désirant se battre pour continuer à vivre à d'autres, et cela d'un jour à l'autre. Par ailleurs, je suis un des signataires de la pétition d'EXIT, estimant que toute personne a le droit d'exprimer ses volontés dans ce domaine.
Quant au projet de loi, je pense judicieux qu'il soit renvoyé en commission. En effet, le professeur Sprumont, de l'Institut de droit de la santé, a exprimé des remarques par rapport à la formulation qui a été retenue par la commission, en indiquant que celle-ci paraît un peu confuse et risque d'aboutir à des résultats non désirés. Dans ces conditions, il vaut la peine d'agir avec prudence. Nous sommes favorables à une formulation qui soit introduite dans la loi, mais il faut en peser chaque mot, afin d'éviter toute ambiguïté.
M. Christian Grobet (AdG). Je voudrais faire une remarque au sujet de la procédure.
Pour apaiser les inquiétudes de notre collègue, M. Saurer, nous sommes tout à fait favorables - comme M. Clerc vient de le dire - à ce projet de loi et n'entendons pas remettre en cause son principe d'une façon ou d'une autre. Par contre, nous sommes favorables au renvoi de ce projet de loi en commission - comme d'autres groupes - ce qui n'est nullement contradictoire. Nous n'avons aucune arrière-pensée, mais nous pensons que c'est plus judicieux.
Monsieur Saurer, il ne faut pas se contenter de respecter le règlement de ce Grand Conseil à la lettre. La procédure réglementaire qui est prévue a un objectif très précis, à savoir que tout projet de loi commence par un débat d'entrée en matière, ce qui permet, effectivement, aux différents groupements de s'exprimer et aussi de rendre public un projet de loi. Le projet est ensuite renvoyé en commission, ce qui donne la possibilité, grâce à cette procédure, aux tiers intéressés de demander à être entendus. Cela nous paraît essentiel sur une question de cette importance.
Vous avez parlé de mauvaise communication entre les membres des commissions et les groupes. Je ne crois pas qu'un parlement peut travailler en vase clos. Malgré tout le respect dû à la commission, on ne peut pas accepter son travail tel quel. Nous avons aussi des comptes à rendre à l'égard de la population. La procédure réglementaire prévoit le débat d'entrée en matière avec un premier débat public et le renvoi en commission permet précisément à la population d'intervenir sur le travail législatif. C'est donc une question de principe. Sur un sujet aussi délicat que celui-ci, on ne peut pas se contenter d'une procédure parlementaire qui se déroule en catimini.
Il se peut que le texte revienne sans changement, mais comme M. Clerc l'a dit, des spécialistes de la question estiment qu'un nouvel examen de certains termes employés est nécessaire, d'où l'importance de suivre la procédure parlementaire, pour que les personnes intéressées et susceptibles de nous faire part de leur expérience puissent nous éclairer. De toute façon, la commission reste toujours libre de considérer la pertinence de ces avis. Je le répète, nous devons être sûrs que les milieux intéressés puissent s'exprimer, surtout sur un sujet aussi délicat.
M. Guy-Olivier Segond, conseiller d'Etat. Sur la forme, il est exact que le projet de loi doit d'abord faire l'objet du tour de consultation en plénum, qu'il doit ensuite être renvoyé en commission, que les auditions des personnes intéressées doivent être effectuées et qu'ensuite le texte doit revenir dans cette enceinte, pour être voté, avec ou sans amendement.
Sur le fond, la rédaction de ce projet, tel qu'il vous est soumis, est un peu compliquée. Comme certains l'ont observé, il est vrai qu'il tient davantage compte des préoccupations du corps médical que de celles des patients. Il est également exact que certains professeurs, bons connaisseurs de la législation sanitaire, avaient fait des propositions de rédaction différentes. La proposition évoquée par M. Grobet me paraît compliquée : elle implique un passage par la Chambre des tutelles, ce qui ne me semble pas être de nature à accélérer la décision. Par contre, la proposition qui avait été présentée à la commission par le professeur Guillot était rédigée plus simplement et plus clairement.
C'est la raison pour laquelle, étant donné qu'il n'y a pas d'urgence à légiférer sur ce sujet délicat, il n'y a pas d'autre solution, comme vous l'avez relevé les uns et les autres, que de renvoyer ce texte à la commission de la santé.
P 999-A
Mises aux voix, les conclusions de la commission de la santé (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.
PL 7252
Ce projet est renvoyé à la commission de la santé.