République et canton de Genève
Grand Conseil
Séance du jeudi 22 juin 1995 à 17h
53e législature - 2e année - 8e session - 29e séance
I 1937
M. Pierre Vanek (AdG). Avec votre permission, j'attendrai que le brouhaha se calme pour développer les quelques points que j'aimerais faire entendre. (Brouhaha.)
La présidente. Je suis navrée de cet intermède, Monsieur Vanek. Veuillez nous excusez ! Vous avez la parole.
M. Pierre Vanek. Je crois que je suis capable de me faire entendre malgré le brouhaha, mais c'est plus confortable pour tout le monde, si on garde un niveau sonore raisonnable dans cette enceinte.
Ceux qui se tiennent informés, un tant soit peu, ne sont pas sans savoir qu'il y a un projet de dépôt de déchets radioactifs, soi-disant final, au Wellenberg dans le demi-canton de Nidwald, projet sur lequel nos confédérés de ce demi-canton auront à se prononcer lors de la votation du week-end prochain. Ma question au Conseil d'Etat porte sur ce sujet.
Certains cantons ont déjà pris position sur cet objet, notamment le canton de Vaud, en votation populaire, comme il est tenu de le faire en fonction de sa constitution. Pour le canton de Genève, selon l'article 160 C de la constitution, que vous m'avez souvent entendu citer dans cette enceinte, un préavis doit être donné pour des installations nucléaires qui ne répondent pas à certaines conditions de localisation, c'est-à-dire ne se situant pas sur le territoire genevois ou aux environs, par une loi qui serait votée par le Grand Conseil du canton.
Ma question porte là-dessus. J'ai eu la surprise tout récemment de me voir communiquer, avec retard, un extrait d'une publication, je crois que c'est le «Quotidien de la Côte», qui s'était penché sur cette question en raison de la votation du canton de Vaud. C'est une dépêche ATS indiquant : «Olivier Vodoz, président du gouvernement genevois, a indiqué hier, à l'issue de la séance du Conseil d'Etat, qu'un projet de loi serait déposé au Grand Conseil. Il n'en a pas révélé la teneur, mais il a néanmoins communiqué que le gouvernement avait accepté le principe du dépôt du Wellenberg».
Des questions se posent alors. Cette position du Conseil d'Etat date déjà de trois mois et nous n'en avons pas été informés, alors que la presse suisse, puisqu'il s'agit là d'un quotidien vaudois, l'a été. Où est ce projet de loi ? Ce délai n'est-il pas inacceptable ? Voilà déjà trois mois qui ont passé depuis cette votation vaudoise !
J'estime que le fait d'attendre - ce qui sera de facto le cas - que nos confédérés du demi-canton de Nidwald aient à se prononcer là-dessus, avant de le faire nous-mêmes, montre un certain manque de courage politique de la part d'un canton qui, sur ces affaires nucléaires, a eu un débat d'un certain niveau, puisque sa constitution traite de ces objets et qu'il a généralement des positions relativement claires.
J'aimerais savoir où en est ce projet de loi. Y a-t-il eu un préavis informel du Conseil d'Etat sur cette question, qui ne correspondrait, à ce moment, pas aux conditions fixées par notre constitution ? Où en sommes-nous avec cette affaire ?
Y a-t-il lieu, pour le canton de Genève, de donner un préavis sur cette affaire ? A mon avis, oui. D'abord, parce que notre constitution prévoit que le préavis soit donné par une loi votée par le Grand Conseil; ensuite parce que ce dépôt est présenté par ses promoteurs - à tort à mon avis - comme une solution à un problème «national» - nous sommes en plein dans cette nation-là, donc nous sommes concernés - enfin parce qu'une partie de nos déchets finiront dans ce dépôt et qu'on ne peut pas jouer la politique de l'autruche, se fermer les yeux et se désintéresser de cette affaire.
Quelle doit être la teneur de ce préavis ? On a vu que le Conseil d'Etat a pris position publiquement en indiquant qu'il allait donner une teneur positive à ce préavis. A mon avis - vous ne serez pas surpris - je pense que la teneur de ce préavis doit être négative, pour de nombreuses raisons :
1) Par simple cohérence : car je ne crois pas qu'on puisse exclure ce type d'installations, sur notre territoire et aux environs, et accepter qu'elles existent chez les autres. C'est aussi un problème de morale politique, consistant à ne pas faire faire ou accepter qu'on fasse aux autres, ce qu'on ne voudrait pas qu'on nous fasse.
2) Pour des raisons plus spécifiquement techniques, que je ne peux évidemment pas développer pleinement dans les cinq minutes qui me restent. Il y aurait lieu de le faire, à l'occasion d'un projet de loi à ce sujet.
En voici en vrac, quelques-unes :
- Sur le fond, parce que la solution «finale», telle que la présentent les promoteurs de ce projet, n'en est justement pas une. En effet, dépôt «final» signifie que, dans quarante ans, cette installation sera bouchée, déclassée, ne sera plus contrôlable, ni considérée comme une installation nucléaire.
La société ad hoc sera alors dissoute. On ne prévoit pas de marquage à long terme, alors que les déchets nucléaires doivent être gardés et surveillés, en attendant par exemple que de nouveaux modes de traitement ou de gestion soient élaborés à l'avenir. On ne va pas résoudre les problèmes en mettant, aujourd'hui, ces déchets dans un trou, en le rebouchant et en essayant de les oublier.
- Parce que cette «solution» s'inscrit dans une problématique de gestion des déchets radioactifs, qui comporte le retraitement, c'est-à-dire l'extraction du plutonium, ainsi que, en conséquence, la fabrication d'un volume de déchets nettement plus considérable qu'en stockant directement le combustible usagé des centrales nucléaires. Ce procédé permet ensuite aux Français de défendre Superphénix à tort, pour soi-disant «incinérer» le plutonium extrait du combustible usagé des centrales nucléaires.
- Parce que ce projet est lié à un choix, fondé non pas sur la résistance maximale des roches en question, mais bien sur la «résistance politique» minimale. La CEDRA pensait pouvoir faire le coup à cet endroit, alors que, pendant toute une période, le Wellenberg n'était même pas sur la liste des vingt sites favoris. Ce sont des raisons essentiellement politiciennes qui ont conduit au choix de cet emplacement.
- On nous dit aussi que ce dépôt ne concernera que des déchets moyennement ou faiblement radioactifs. La CEDRA l'a reconnu : le tri effectif de la nature des déchets qui seront entreposés dans ce dépôt n'est pas encore résolu de manière satisfaisante.
- Parce que le stockage sur le site même des centrales nucléaires est probablement aujourd'hui la solution provisoire la meilleure, qui n'implique pas de multiplication des installations nucléaires, qui limite le transport, qui garantit l'inspection à tout moment et permet d'élaborer d'autres solutions ultérieures.
- Parce qu'il n'y a pas lieu d'avoir confiance en la CEDRA qui est une coopérative de l'industrie nucléaire elle-même. Elle est juge et partie sur ces objets. Ce sont les mêmes milieux, par exemple, qui ne voyaient aucun problème à balancer des fûts de déchets radioactifs à la mer. Je rappelle que, dans ce domaine, la Suisse fait partie des «champions», puisque, de 1971 à 1982, on a balancé six mille sept cents fûts de déchets radioactifs helvétiques à la mer, qui auraient dû résister à la corrosion pendant mille ans au moins, mais qui se sont perforés après quelques années.
- Parce que, également, l'urgence de résoudre soi-disant ce problème est surtout d'ordre politique, puisqu'elle est dictée par la fin du moratoire. Les promoteurs du nucléaire veulent pouvoir arriver à l'échéance du moratoire nucléaire, en disant : «nous avons une solution». De toute façon, cette urgence est déjà dépassée puisqu'en 1975 le gouvernement fédéral fixait 1985 comme échéance pour régler le problème de l'entreposage définitif et sûr des déchets nucléaires, sans quoi on devait arrêter nos réacteurs. On constate que l'année 1985 a passé depuis belle lurette, sans que ce problème ne soit résolu.
- Parce que les évaluations et les modèles géologiques qu'on nous présente n'ont pas la garantie de certitude qu'on leur prête. On prétend que les barrières naturelles, les roches, sont sûres à 100% sur de longues durées. Or, il s'agit de volumes considérables dans une zone soumise à tremblements de terre. On ne peut donc pas garantir leur résistance, pas plus que celle des barrières «techniques» - fûts, etc - qu'on mettra entre ces déchets radioactifs et la biosphère.
Parce que - je vais conclure parce que je crois que j'arrive au bout de mon temps de parole - on doit coupler la solution au problème des déchets au fait de cesser effectivement d'en produire toujours davantage. Du point de vue genevois, il y a aussi une logique à respecter, puisqu'on s'engage dans une réflexion sur la possibilité de se passer du courant nucléaire. Nous avons déjà évité à ce pays un certain nombre de tonnes de déchets nucléaires grâce à notre refus de la centrale de Verbois, ce qui justifierait qu'on s'oppose à ce dépôt.
Je dirais aussi et c'est un problème qui mérite d'être cité...
La présidente. Monsieur Vanek, je suis toujours très indulgente avec le temps, mais vous devez conclure.
M. Pierre Vanek. Je conclus ! J'en suis à quatre lignes de la fin !
C'est un problème aussi de démocratie. On pourrait compenser ainsi en partie les distorsions inadmissibles de ce vote, qui aura lieu à Nidwald, par une position claire du canton. Des autorités et des notabilités communales et cantonales ont été, en effet, «achetées» par des offres qui se chiffrent en millions de la part de la CEDRA, pour obtenir leur acquiescement à ce dépôt de déchets radioactifs.
Ma question finale, vous l'aurez compris, est : que fait-on pour que ce canton vote rapidement une loi qui s'oppose à ce dépôt de déchets radioactifs au Wellenberg ?
M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. J'ai écouté votre collègue, M. Vanek, avec attention, lorsqu'il saisit l'occasion de cette interpellation pour donner son avis concernant la manière de stocker des déchets comme ceux qui seraient déposés sur le site de Wellenberg.
Monsieur Vanek, vous avez dit, dans un premier temps, qu'il ne fallait pas exporter de telles nuisances et, par conséquent, ne pas s'imaginer pouvoir agir dans ce sens et se satisfaire de la suggestion présentée aujourd'hui. Puis, dans un deuxième temps, vous avez déclaré que le meilleur endroit pour stocker ce type de déchets était l'espace ceinturant les centrales nucléaires.
Compte tenu de notre constitution, nous n'avons pas de centrale nucléaire et sommes même appelés à lutter contre toutes celles qui pourraient se trouver près de Genève.
C'est dire, Monsieur Vanek, que vous avez bel et bien décidé d'envoyer les déchets chez les autres, puisque nous sommes «condamnés» à recourir à une consommation nucléaire pour faire face à nos besoins. C'est la situation présente que nous connaissons.
Je trouve donc votre position pour le moins ambiguë.
Pour le reste, je vous rappelle, Monsieur Vanek, que si le Conseil d'Etat répond négativement, nul besoin d'appeler de vos voeux un projet de loi. En effet, selon la constitution, il ne peut y en avoir en cas de préavis négatif. Par contre, si le Conseil d'Etat devait répondre affirmativement à ce projet, il aurait alors le devoir de saisir votre Grand Conseil et de lui soumettre un projet de loi.
Je vous assure, Mesdames et Messieurs les députés, que nous sommes dans les délais. Vous serez informés de la position définitive que prendra le Conseil d'Etat, dans un sens ou dans l'autre, sur la base de ce que je viens de rappeler. La voix de Genève se fera entendre dans ce cadre légal.
M. Pierre Vanek (AdG). Vous tenez un raisonnement de sophiste quand vous dites que j'ai préconisé de transmettre aux autres la charge des déchets radioactifs, en les laissant sur les sites où ils se trouvent.
Il est question, en fait, de construire une nouvelle installation nucléaire dans le canton de Nidwald, ce qui soulève une forte opposition. En conséquence, l'on ne peut, à la fois, dire que l'on s'oppose à une telle installation chez nous et l'encourager chez les autres.
Il est clair que ces déchets radioactifs nous posent un problème à long terme. Nous devrons le gérer et prendre nos responsabilités. La solution que j'ai proposée est donc la moins mauvaise, pour la bonne raison qu'il n'y en a pas d'autre qui soit meilleure. C'est pourquoi je m'y suis référé.
Par ailleurs, M. Haegi dit qu'il n'y aurait pas lieu d'avoir un projet de loi en cas de préavis négatif du Conseil d'Etat. Je ne comprends pas son interprétation de l'article de la constitution. L'alinéa 5 de l'article 160 C dit ceci : «Les autorités cantonales s'opposent par tous les moyens juridiques et politiques - vous connaissez la suite - à l'installation de centrales nucléaires, etc., dans le canton et au voisinage de celui-ci. Pour les installations ne répondant pas à ces conditions de localisation, le préavis du canton est donné - positif ou négatif - par le Grand Conseil sous forme de loi». Je n'ai donc vraiment pas compris votre argumentation juridique en référence à cet article constitutionnel. Je ne suis pas juriste, mais l'article me semble rédigé avec clarté. A mon avis, un projet de loi, demandant un préavis négatif, doit être déposé. Cela est tout à fait clair.
Je réitère ma demande d'explication sur ce délai. Le Conseil d'Etat ayant, paraît-il, pris position au mois de mars sur ledit objet, je trouve peu courageux de sa part d'avoir attendu trois mois sans rien faire, alors que le débat national se développe et que le sens d'un préavis négatif serait de donner un coup de pouce aux opposants à ce projet. Par cette manoeuvre, vous retirez une grande partie l'efficacité et du sens politique d'un tel préavis négatif, en laissant passer la date du vote à Nidwald.
Je trouve cela dommage. L'on peut exprimer des avis divergents, mais je déplore que l'on soit parvenu à ce résultat au moyen d'une manoeuvre dilatoire, en jouant sur un délai. Je le regrette pour le Conseil d'Etat et pour vous, Monsieur Haegi.
Cette interpellation est close.